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Nécessité d’une formalisation importante autour de la langue

3.2.1. Norme et variations francophones

William Labov a montré que les langues, au sein d’une même communauté linguistique, n’étaient pas unanimement partagées, et que l’appartenance sociale ou régionale et culturelle des locuteurs influait les pratiques linguistiques. Les langues sont hétérogènes et plurinormées. La variation sociolinguistique est un phénomène particulièrement récurrent dans le discours. Puisque sur les différents points de la chaîne parlée, les locuteurs doivent opérer plus ou moins consciemment des choix entre plusieurs variantes, il s’agit pour les apprenants francophones de pouvoir s’approprier la forme normée institutionnellement, par l’école notamment, et d’être capable d’y recourir en contexte formel et scolaire notamment.

La question de l’apprentissage du FLS est aussi celle de la confrontation entre normes et variations. Dans le FLE général, l’introduction de la notion de variation linguistique se fait de plus en plus fréquemment, les méthodes « V.O » ou « Rond-Point » notamment, introduisent ainsi des enregistrements aux accents québécois, marseillais ou antillais ainsi que des termes propres à chaque région francophone. Pourtant dans le cas de la scolarisation d’apprenants francophones, ils sont d’avantage mis aux pieds du mur de la nécessité de se conformer aux usages normatifs de la langue française. Cette imposition d’une norme est parfois souhaitée par les apprenants même qui minorent la légitimité des variations du français dans leurs pays respectifs. Et si le formateur peut essayer de nuancer ce jugement péremptoire et autodévalorisant de certains apprenants, il n’en demeure pas moins que pour réussir des examens écrits en France, la maîtrise de la norme est impérative. Certaines constructions syntaxiques, très orales, ou travaillées par les langues locales sont considérées comme fautives dans un écrit jugé d’un point de vue scolaire en FLM.

3.2.2. Des compétences communicatives imprécises

Pour les apprenants issus de cultures orales, d’Afrique de l’ouest notamment, les langues écrites, que ce soit le français ou l’arabe, sont les langues de l’érudition et du discours formel ; ce ne sont pas des langues du sentiment, du ressenti, de l’expression d’opinions spontanées. Ces compétences communicatives ont été acquises par les migrants issus de pays où le français est langue de scolarisation sans être langue d’usage quotidien sur le tard et « sur le tas » ; et n’ayant jamais été formalisées par écrit, elles sont demeurées orales et souvent imprécises phonétiquement. Dans cette fluidité et cette immédiateté qui caractérise le discours oral, dont la compréhension est « béquillée » par le paraverbal et le contexte de l’échange, la communication orale peut se montrer relativement efficiente quoiqu’imprécise. En revanche l’écrit est figé et défini, le lecteur absent, seuls demeurent les formes qui se doivent d’être précises pour faire sens.

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Ce peut être la prononciation du lexique (confusion de phonèmes, troncation des mots…), la maîtrise de la syntaxe et de la grammaire phrastique (des pronoms personnels ou la réalisation orale de certaines marques d’accords « avalés », la première partie de la négation non réalisée), de la grammaire textuelle (la cohérence des temps est souvent moins exigeante dans le discours oral, le discours rapporté est presque toujours direct) qui, parfois problématiques à l’oral, posent problème a fortiori lors du passage à l’écrit.

Beaucoup de migrants se trouvent dans une situation de bilinguisme ou de plurilinguisme spécifique, convoquant l’une ou l’autre langue de leur répertoire selon les besoins fonctionnels. Cet usage différencié est caractérisé comme « diglossie ». Ils utilisent par exemple la langue maternelle dans l’usage intime, en famille ou dans les foyers et le français dans les situations publiques. Dans ces contextes publics, souvent formels, le locuteur natif ne corrige pas nécessairement le locuteur migrant, qui en apprenant la langue en milieu endolingue, se satisfait parfois de la réalisation de ces objectifs communicatifs sans prêter attention outre mesure à la correction ou au registre des formes employées. A l’oral comme à l’écrit, « les migrants développent souvent des stratégies d’évitement qui ne sont pas des stratégies d’acquisition mais d’utilisation (…) ce qui empêche l’apprentissage ». (Gloaguen-Vernet, 2009 : 69) Aussi en situation d’interlangue, lorsque la langue cible est en cours d’acquisition, des formes erronées ou imprécises peuvent se fossiliser.

Dans ces situations diglossiques, la familiarité avec le français est toute relative. Le français n’est pas une langue étrangère, néanmoins le bilinguisme des migrants issus de pays « francophones » ou installés en France depuis de nombreuses années est hétérogène et fluctuant d’une personne à l’autre.

3.2.3. De l’oral vers l’écrit

Anne Marie Chartier en remettant en perspective l’histoire de l’école, insiste sur le fait que « apprendre à l’école à lire et écrire dans une langue non maternelle, et donc apprendre à parler cette langue en la lisant et l’écrivant, voici une situation tout à fait courante. » (Chartier, 1996 : 95) Elle met en évidence un changement de paradigme dans les priorités et de modalité de l’enseignement qui n’est pas fonder sur la dichotomie oral / écrit mais sur une distinction réception / expression. Alors que la pédagogie traditionnelle se fondait sur le couple écoute / lecture, elle se fonde à présent sur celui de prise parole / écriture. Et Catherine Frier souligne le fait que « le passage de l’oral à l’écrit est en effet bien plus complexe qu’un simple transcodage et nécessite une utilisation très différente de la langue, dans un autre espace de communication. » (Frier, citée par Vasseur, 1996 : 108)

Il ne convient pas de savoir parler et de connaître l’alphabet et la combinatoire pour savoir écrire, l’écrit, la communication écrite possède, on l’a vu, des caractéristiques propres, fait appel à des habiletés spécifiques de représentations visuelles et spatiales aussi bien que linguistiques, à des compétences de planification, de mise en texte et de révision plus rigoureuse, dans le sens où il requiert d’anticiper sur les demandes de précision du lecteur. Outre l’approximation des formes linguistiques orales, le simple fait de ne pas se représenter les exigences de l’écrit – s’adresser à un lecteur absent (la nécessité de contextualiser son discours par l’emploi des déictiques, par la description, l’explication des évidences présentes qui ne se donneront pas à voir avec la distance dans l’espace et le temps au moment de la réception, l’utilisation de convention pour transcrire l’expressivité orale, la ponctuation notamment…) demande à s’approprier le domaine de l’Ecrit en tant que tel.

Néanmoins, les compétences orales et écrites gagnent à être travaillées conjointement. L’accès à la culture écrite ne peut se faire sans un développement des compétences orales, l’imprégnation orale

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des mots et des structures de la langue écrite est un préalable important, si ce n’est nécessaire à tout acte de lecture. Marie Thérèse Vasseur soulignait ainsi qu’« une compétence écrite (…) est difficile à mettre en place à partir d’une compétence orale fragile » (Vasseur, 1996 : 94). La correction de la langue n’est pas seulement orthographique, elle est d’abord grammaticale et syntaxique. Or d’après G. Vigner, les apprenants de FLS : « non francophones d’origine, (…) ne sont pas forcément porteurs de cette intuition linguistique qui fait qu’un locuteur d’origine de la langue peut plus aisément apprécier les écarts, les approximations, les confusions » (Vigner, 2001 : 85). Les apprenants vivent et, avec plus ou moins de facilité, gèrent leur quotidien et celui de leurs proches en France : l’aspect communicatif de langue est donc globalement acquis et dès lors le travail des compétences orales prend toute son importance quant à cette attention portée à la forme. Il ne s’agit pas de tendre à une perfection normée, et il convient de toujours demeurer dans une visée pragmatique et fonctionnelle d’appropriation du système linguistique pour que son usage soit le plus efficace possible. Mais, respecter l’ordre des mots à l’intérieur des groupes fonctionnels, savoir construire des phrases complexes, insérer des propositions relatives, faire usage de propositions complétives, respecter l’homogénéité des registres sont autant de points linguistiques et discursifs qui peuvent être d’abord travaillés à l’oral pour pouvoir être mieux réinvestis à l’écrit. Gérard Vigner préconise ainsi d’ « entraîner l’élève à mémoriser le système des marques du français, à l’oral d’abord puis à l’écrit ensuite » (Vigner, 2001 : 70) afin d’aider l’apprenant à se constituer des automatismes langagiers qui permettent de ne pas ajouter aux difficultés discursives propres à l’écrit, les difficultés de transcriptions phonétiques ou de non-transcriptions de marques grammaticales non réalisées à l’oral, les difficultés de mise en texte quant à la mobilisation du lexique.