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Le mouvement féministe en Midi-Pyrénées

expression collective et engagée contre création individuelle et universelle

I. Le mouvement féministe et l’art en Midi-Pyrénées : des créations collectives en marge de la situation artistique

I.1 Le mouvement féministe en Midi-Pyrénées

I.1.1 L’origine du mouvement féministe et sa situation en Midi-Pyrénées

« La motivation c’est que toute une génération était déjà prête, à partir de 1968, à envoyer péter le vieux monde » (Brigitte Boucheron, annexe 1).

Les féministes sont très majoritairement issues des milieux universitaires, véritables foyers de réflexions politiques durant Mai 68. Elles ont pour la plupart pris activement part aux mobilisations et se sont socialisées dans les milieux d’extrême gauche (annexe 7). Cette expérience leur a permis, comme pour les autres militants, de sortir de l’isolement, de découvrir la vie politique et collective en dehors des institutions et d’aspirer à de nouvelles valeurs tournées vers la liberté. Elles ont cependant dû faire face au machisme ambiant, à l’intérieur comme à l’extérieur des organisations politisées. Les femmes ne sont pas exclues du mouvement, mais souvent reléguées à des taches secondaires : elles « tapaient les tracts,

ne prenaient pas la parole, préparaient le café, faisaient le ménage » (annexe 4). Après le

lancement officiel du Mouvement de Libération des Femmes à la fin du mois d’août 1970 à Paris, plusieurs groupes émergent à Toulouse, sous la bannière du MLF. Ils sont principalement non mixtes, car les femmes éprouvent « le besoin de se rencontrer pour se

parler, se connaître, pour élaborer ensemble des revendications qui leur sont propres69 ». Les

désaccords entre les différentes tendances (« révolutionnaire », « lutte des classes » et « Psychanalyse et politique ») conduisent à la création de plusieurs lieux de femmes à Toulouse. L’un des plus importants de l’histoire du féminisme toulousain est la Maison des femmes (illustration 1), ouverte entre 1976 et 1982 et située au 19 rue des Couteliers. Sa spécificité à Toulouse est que la très grande majorité de ses membres sont lesbiennes. Elle a été un lieu de réunion, de débat, de fête, de collectivité, et un espace clos, sécurisant, permettant d’échapper à la violence patriarcale : « Il y a quelque chose de maternel. C’est un

refuge, un abri […] Un cocon dans un monde d’agression et de violence70

. » Un autre est La

Gavine à Arnaud Bernard (illustration 2), puis rue Joutx-Aigues vers le milieu des années

69 Groupe femmes du Mirail, brochure Les femmes prennent la parole, s.d, Archives municipales de Toulouse,

fonds du mouvement des femmes toulousain, 1 Z 50.2, Mouvement femme de Toulouse : tracts, 4p.

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1980. Elle est tenue par une dizaine de femmes, et se veut plus un lieu de convivialité que de militantisme71.

À Toulouse, les désaccords entre les féministes ne les ont pas empêchées de se réunir à l’intérieur et en dehors des lieux investis et revendiqués selon les tendances et les objectifs de chacune de ces sensibilités. Ils n’ont pas été non plus des obstacles insurmontables aux actions militantes communes et collectives.

1.1.2 Visibilité, appropriation de l’espace public et libération de la parole

« […] les groupes de parole furent un moment essentiel, celui de la découverte des autres femmes et de la reconnaissance collective de ce qui nous unissait72. »

La prise de conscience féministe a permis aux femmes de se retrouver et de combattre ensemble contre le sexisme. Les actions militantes ont pris plusieurs formes (manifestations, collages d’affiches, distributions de tracts, bombages, perturbations de meeting…) et se sont attaquées à plusieurs thèmes (le viol, les violences, le statut des femmes, l’homophobie, la défense de l’avortement et de la contraception…). Les féministes organisent par exemple des collages d’affiches provocatrices dans Toulouse, contre le viol (illustration 3). La lutte contre les violences physiques ou morales, symboliques ou réelles, passe aussi par l’extériorisation de ces violences à l’intérieur des groupes de parole mis en place dès le début du mouvement. En discutant, les femmes donnent naissance à des espaces collectifs où chacune peut s’exprimer librement. Cette parole se libère par les débats et par l’écriture. La publication de textes par le mouvement féministe est importante ; l’écriture est utilisée comme un puissant moyen d’expression. Deux journaux locaux se sont côtoyés à Toulouse, avec des visées très différentes. Le premier est La Lune Rousse, le journal de la MDF, dont le premier numéro paraît en janvier 1977. Il n’y a aucune censure concernant la publication des articles, et le travail collectif est valorisé. C’est une sorte de journal de bord dont la publication n’est pas régulière et qui n’a pas nécessairement vocation à être tournée vers l’extérieur et les autres femmes (annexe 1). Un autre magazine est fondé en 1978 par l’association Esclarmonde,

Différence : Je est une autre, dont le premier numéro paraît en avril 1979. Ce journal se

définit comme un instrument de lutte pour libérer la parole des femmes, notamment celles qui

71 Anonyme, « à La Gavine, la pause cafète ! », Différence, nº1 (avril 1979), p. 6.

72 Danièle Delbreil sur BRUGAROLAS Elie, Itinéraires militants : Toulouse en 68 [en ligne], 16 avril 201

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sont isolées ou qui ne se reconnaissent pas dans les groupes féministes73. Les motivations initiales de sa publication semblent être issues principalement de la critique envers l’isolement des milieux non mixtes et le fait que certaines personnes ne se reconnaissent pas dans ces groupes, voire qu’elles en soient exclues à cause de leur manque de politisation74

.

Cette critique s’adresse à l’hégémonie des regroupements issus du féminisme radical/révolutionnaire. Cette hégémonie peut s’expliquer par plusieurs raisons, notamment par l’engouement collectif de l’époque. Le « vivre ensemble » entre femmes a été une grande expérience pour les féministes, mais il a cependant dû faire face à des contradictions et des limites notamment celle de l’isolement.

1.1.3 L’utopie féministe : atouts de la collectivité

« Sommes-nous, nous-mêmes, enfermées75 ? »

Dans le système patriarcal, les femmes sont posées en rivales les unes par rapport aux autres, elles sont soumises au regard des hommes et amenées à se plier à ses exigences et stéréotypes76. Le féminisme a donc apporté des changements radicaux dans la vie de celles qui ont vécu cette période et les années précédant 1970. La non-mixité est adoptée, et cette forme d’échappatoire au regard et au jugement masculin est une délivrance pour certaines femmes77 . À Toulouse, c’est une véritable collectivité féministe qui se crée. La ville à l’avantage d’être moins grande que Paris. Les liens se créent ainsi plus facilement78

. Les membres de la MDF vivent ensemble (annexe 1), organisent des sorties à la mer, à la montagne… Certaines Toulousaines, issues de la communauté non mixte Lime Saddle79

en Californie, parlent des bienfaits de l’expérience séparatiste80. Des liens se tissent avec les groupes des autres villes comme Aix-en-Provence, Genève, Barcelone… : des rencontres, des débats et des sorties collectives sont organisés avec eux (annexe 1). Le « vivre ensemble » est

73 Esclarmonde, tract Présentation du journal Différence, 1978, Archives municipales de Toulouse, fonds du

mouvement des femmes toulousain, 1 Z 50.3, Diverses revues sur les femmes, 1 p.

74

FRAILE Monique, « Une femme peut en voiler une autre », Différence, nº5 (février-mars 1980), p. 24.

75 Blandine, « Mots de femmes », op. cit., p. 8-9

76 À ce sujet, voir DELPHY Christine, L’Ennemi principal 1 : l’économie politique du patriarcat, Nouvelles

Questions Féministes, Paris, Éditions Syllepse, 1998. Et HERITIER Françoise, Masculin/Féminin II : Dissoudre la hiérarchie, Essais, Paris, Poches Odile Jacob, 2002.

77

Marie, Lilite, Jackie, texte Quand les femmes s’aiment les hommes ne récoltent pas, s.d, Archives municipales de Toulouse, fonds du mouvement des femmes toulousain, 1 Z 50.3, Tracts Divers, 3 p.

78 Nicole, « Le pays des femmes », La Lune Rousse, nº3 (1977), p. 34. 79 Arnica, « Le pays des femmes », La Lune Rousse, nº3 (1977), p. 32. 80

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considéré comme un acquis des luttes féministes, permettant aux femmes de s’affirmer en tant que sujets, d’abolir les rôles qui leur sont imposés et d’exister : « […] cette venue du

féminisme dans la vie quotidienne ne remet plus aux calendes grecques des résultats objectifs des luttes globales que l’on souhaite vivre. Et le plaisir de le vivre81

. » Les liens se

matérialisent principalement par des liens avec d’autres groupes féministes, et non pas avec des femmes qui n’ont pas pris conscience de leur oppression : « […] les rencontres oui, mais

c’est entre nous, c’est dans le monde féministe » (annexe 1).

La découverte d’une oppression commune a permis la libération de la parole des femmes, et les a également poussées à se chercher une histoire et une culture en commun. Cette quête passe aussi par la « consommation critique82 » de l’art. Les femmes critiquent les stéréotypes véhiculés par les images produites par les hommes et pour les hommes dans la publicité, l’art et le cinéma. Cette réflexion collective entraîne la recherche de celles produites par les femmes et un soutien à ces productions. Celui-ci se traduit à la fois par des initiatives individuelles comme la création de galeries, et un soutien collectif du mouvement féministe, principalement par la MDF.