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Entretien avec Françoise Courtiade, 7 janvier 2015, 14h30, dans son appartement, durée : 25 mn

Françoise Courtiade est une militante féministe qui a ouvert une galerie sur Toulouse entre 1987 et 1996. J’ai réussi à la retrouver grâce à l’aide de Brigitte Boucheron, qui est toujours en lien avec elle. Je lui avais également envoyé, avant cet entretien, une trame de questions afin qu’elle puisse commencer à réfléchir aux questions. Il y a eu cependant beaucoup de questions improvisées au fur et à mesure de l’entretien. Elle m’a remis plusieurs affiches d’expositions de sa galerie.

Bonjour, pouvez-vous tout d’abord vous présenter et expliquer brièvement votre parcours militant ?

Je m’appelle Françoise Courtiade, j’ai un peu plus de soixante ans, et je suis une militante du tout début du MLF puisque je suis « née avec » si on peut dire, quand j’avais à peu près vingt ans. Voilà j’ai un parcours militant politique et puis j’ai un parcours professionnel dans lequel j’ai essayé autant que faire se peut de faire passer des idées auxquelles je crois, de montrer des femmes que ce soit en cinéma, en art…

Qu’est-ce qui a motivé chez vous la création d’une galerie consacrée aux femmes ?

Ce n’est pas une galerie consacrée aux femmes uniquement. Il y avait à peu près, j’ai re- regardé, autant d’hommes que de femmes dans la galerie qui étaient exposés. Après, pourquoi j’ai fait une galerie ? C’est difficile parce qu’à un moment donné, cette idée s’est imposée à moi. J’étais un peu entre deux boulots, j’avais un mi-temps au Goethe Institut, un mi-temps à la cinémathèque, tout ça ne débouchait pas vraiment. Du coup j’ai gardé le mi-temps au Goethe Institut et puis j’ai décidé d’ouvrir une galerie d’art en mon nom et à mes frais, et ce n’est pas bon marché, et de montrer les artistes dont je pensais qu’ils avaient quelque chose à dire dans l’art de leur temps et qu’ils avaient des œuvres fortes et engagées dans la peinture d’aujourd’hui.

D’où vient cet intérêt pour l’art ?

Alors j’ai demandé parce que j’ai travaillé avec des graphistes pour la galerie, qui sont devenus des amis, et c’est vrai qu’ils me l’ont demandé et une des premières choses que je peux dire c’est que je pense que j’ai eu de très rares moments de bonheur dans les expositions, dans les musées et tout ça. Qui plus est, avec mes parents, qui étaient intéressés par l’art, ils

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nous ont trainés enfants dans les musées. On vivait à la campagne, ma mère était maitresse d’école là et mon père travaillait en ville, et c’est vrai qu’ils nous ont beaucoup trainés dans les musées. Quelques fois on en avait un peu assez, mais bon, ça a porté ses fruits.

Aviez-vous des liens avec d’autres galeries, comme la galerie Art Femmes ?

Oui, qui était rue Bouquières263, non ? Je crois qu’elle était rue Bouquières et cette femme qui tenait cette galerie, elle s’appelait Jacqueline quelque chose, je crois. Parce qu’on a un peu fermé tout le monde au même moment, pour différentes raisons d’ailleurs. Donc oui, j’ai eu des relations tout de suite, enfin quand j’ai ouvert la galerie en janvier 1987, j’ai envoyé les invitations à d’abord les grandes galeristes de Toulouse, c’était Laurence Izern, de la galerie Protée rue Croix-baragnon, et c’était… Alors une dame très respectable et très connue et qui s’appelle… Ça va me revenir dans le courant de l’interview… Simone Boudet ! C’était une grande galeriste aussi. Donc je leur ai envoyé les invitations avec un petit mot. Et puis j’ai envoyé aux autres. À l’époque il y avait Jacques Girard, je ne sais pas si Sollertis Brice Fauché était déjà là, mais y avait cette galerie Art Femmes déjà et il y en avait d’autres. On était assez nombreux et nombreuses finalement.

Quel était le fonctionnement de cette galerie, au niveau du choix des expositions et des artistes ?

Ça, c’est moi qui le faisais. Là, j’ai une bible pour le métier de marchand d’art, marchande d’art, c’était Kahnweiler, il a écrit plusieurs livres et des livres d’interviews. Y en a un qui s’appelle Mes galeries et mes peintres qui a été mon livre de chevet, et je pense qu’on fait ça avec ce qu’on sait de la peinture, les connaissances qu’on en a, la culture qu’on a, les goûts, les choix esthétiques, et après vous faites une galerie avec ce à quoi vous croyez en peinture. Le métier est très dur, et de toute façon très difficile, même Castelli, le grand galeriste de New York a dit que la galerie met dix ans uniquement pour équilibrer les comptes, c’est tout, et un peu plus pour gagner de l’argent. Et il est dans un contexte différent, c’est New York. Donc c’est difficile et je pense qu’on fait les choix un peu seuls, c’est toujours un peu un salto mortale, vous avez quand vous montez une expo vous vous dites « j’ai raison, je n’ai pas

raison », c’est toujours des questions qui se posent.

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Lorsque nous avons discuté après l’interview, nous nous sommes rendu compte que ce n’était pas de la galerie Art Femmes dont Françoise Courtiade parlait. La galerie Art femmes se situait en effet rue des Lois, et non rue Bouquières. Françoise Courtiade ne se souvenait plus du nom de celle qui la tenait. Après plusieurs appels et recherches, nous avons découvert que c’était une femme du nom de Jeanne Vital. Françoise a dit : « On

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Parmi les artistes exposées, notamment les femmes, est-ce que certaines se revendiquaient féministes ? Est-ce que le féminisme avait une incidence sur certaines œuvres ? Sinon, quelles étaient leurs préoccupations ?

Elles ont pu se revendiquer en tant que féministes personnellement, mais elles n’ont pas revendiqué le fait de faire une œuvre féministe, qui est souvent une œuvre avec des slogans… Enfin pas tout le temps d’ailleurs. Mais ce qu’elles faisaient c’est qu’elles étaient des femmes et elles étaient dans l’art, et ce n’est pas évident. Même si c’est une fausse question :

« Pourquoi n’y a-t-il pas de grandes femmes artistes ? » alors qu’il y en a de toute façon,

mais je pense qu’elles travaillaient la peinture ou la sculpture, elles étaient plutôt sculpteurs d’ailleurs les femmes, que je montrais, et elles travaillaient avec ce en quoi elles croyaient, leurs convictions, le fait aussi de s’affirmer en tant qu’artistes, en tant que femmes et c’est assez compliqué c’est vrai. Et dans un contexte, français, de l’époque, où il y a eu vraiment, il faut le dire, pas mal d’argent pour la culture, c’est l’époque aussi de la création des FRAC, des fonds régionaux d’art contemporain, et tout ça, en fait on s’est rendu compte aussi que c’était toujours les mêmes qui faisaient les choix, c’était toujours des choix plutôt masculins dominants, souvent misogynes. Vous voyez, c’était loin d’être évident pour une femme de réussir dans l’art, loin d’être évident. Aujourd’hui ce n’est pas plus facile à mon avis.

Elles étaient donc conscientes des difficultés ?

Oui oui, parce qu’on en a souvent parlé. Par exemple, j’ai eu beaucoup à la galerie, puisque j’étais rue Clémence Isaure, ce n’est pas très loin de l’École des Beaux-Arts, donc j’avais beaucoup d’étudiantes et étudiants de l’École des Beaux-Arts. Et les étudiantes sont arrivées, et moi j’avais une écoute particulière et ça m’intéressait de voir ce qu’elles faisaient, comment elles travaillaient et tout, et c’est vrai qu’elles étaient quand même en but à beaucoup de misogynie. J’étais bouleversée parfois par ce qu’elles ont dit, et j’ai dit : « Il faut vous

défendre, et à la limite vous pouvez compter sur moi, je peux monter au créneau aussi ». Je

suis une combattante, il faut le dire.

Vous vous souvenez du nom de certaines de ces artistes, qui se

revendiquaient féministes et qui venaient soit exposer à la galerie soit voir les expositions ?

Il aurait fallu que je réfléchisse… La plupart de mes artistes, elles ont tenu des propos féministes. Parce qu’elles voyaient bien que ce n’était pas évident, s’engager dans l’art, éventuellement faire un enfant, vivre une relation de couple, tout ça est toujours très compliqué à gérer, donc elles l’ont fait. Moi j’ai montré Sigrid Hacker, c’est une femme

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allemande de Berlin, j’ai montré Beate Honsell-Weiss, c’est aussi une berlinoise, j’ai montré une très jeune artiste qui s’appelle Catherine Branger, qui fait toujours des choses intéressantes je trouve, je la vois de temps en temps… Après j’ai montré des gens avec des factures très classiques comme Geneviève Jandelle, Élisabeth Brezet, des gens comme ça.

Vous avez exposé des artistes toulousaines spécifiquement ? Ou ce n’était pas la priorité ?

Non pas uniquement, j’ai montré des gens de Toulouse et j’ai montré des gens de Berlin. Pourquoi ? Parce que j’allais régulièrement à Berlin, comme je vous l’ai dit je travaillais au Goethe Institut, j’ai des amis à Berlin aussi, donc en fait ça s’est fait comme ça. Et ce qui m’intéressait aussi c’est qu’il y ait des confrontations. Des confrontations pacifistes évidemment, mais esthétiques, de choix, de formations… Vous voyez ça ça m’intéressait. Ce qui m’intéressait dans la galerie c’est que ça soit aussi une espèce de laboratoire parfois où les choses se faisaient ou en correspondance ou en opposition.

Quelles sont les artistes ou les œuvres qui vous ont le plus marqué ?

Celles que j’ai montrées chez moi ? J’aime beaucoup Sigrid Hacker, c’est vrai. Beate Honsell- Weiss elle faisait des installations et j’aimais beaucoup son travail aussi vraiment. Là je parle des femmes. C’est-à-dire que les femmes que j’ai montrées dans la galerie, si vous voulez, je pensais que c’était nécessaire de les montrer, de les défendre et tout ça, donc évidemment que j’ai aimé leur travail. Vous ne faites pas ce travail sans aimer ce que vous faites. Après j’ai montré des gens beaucoup plus connus comme Eduardo Arroyo qui s’est aussi engagé pour cette galerie avec une relation d’amitié qui s’est développée avec lui, j’ai montré les gravures de Baselitz, donc j’ai montré des gens qui étaient très connus aussi. Mais j’aime beaucoup leur travail, j’aime beaucoup le travail d’Eduardo Arroyo, j’aime beaucoup le travail de Baselitz même s’il est très dur et difficile d’accès.

Quelle est l’importance de l’art, pour vous, dans l’expression féministe ?

Je crois que c’est important tout de même qu’il y ait un art qui se dise féministe, parce que c’est aussi, comment dire, un peu comme un étendard. C’est-à-dire que les femmes ont beaucoup de choses à défendre. C’est surtout les Américaines qui ont vraiment tenu bon là- dessus. J’aime beaucoup une femme qui s’appelle Barbara Kruger, qui est une graphiste qui part de là, mais si vous voulez quand vous entendez les femmes américaines, les artistes américaines parler, très vite elles parlent de féminisme : Jenny Holzer, Cindy Sherman… Toutes ces grandes artistes-là.

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Que pensez-vous de la représentation et du statut des artistes femmes dans le milieu de l’art ?

(Rires). Je suis très critique là-dessus. Je trouve que c’est très dur, je trouve qu’elles ont

beaucoup de courage, c’est plus courageux d’être une artiste qu’être une galeriste je trouve quand même. Même si moi j’y ai consacré beaucoup d’énergie, sans problème, et de l’argent aussi, c’est vrai que quand j’ai arrêté j’étais sans un sou, mais ce n’est pas grave, je suis contente de l’avoir fait, l’argent ça sert aussi à ça. Mais je trouve que c’est très difficile quand même.

Avez-vous participé ou eu connaissance d’évènements artistiques en lien avec le féminisme à Toulouse ou dans la région ?

Oui alors on a beaucoup fait avec le cinéma, il faut le dire. Parce que d’abord c’est plus simple à organiser, des séances de cinéma. Toulouse est une ville aussi très dynamique sur le cinéma. Moi au Goethe Institut j’étais responsable de la programmation cinéma, et il se trouve qu’à l’époque y avait beaucoup de femmes allemandes réalisatrices et qui se sont engagées dans le cinéma en tant que femmes, en tant que féministes, et ça a fait une très grande ébullition, et on a fait beaucoup de choses, il faut le dire. Et on a fait des affiches, militantes, il y a eu pas mal d’affiches : la Maison des femmes…

Au niveau du graphisme des affiches, considérez-vous que le visuel était important dans le mouvement féministe ? Que pensez-vous des liens entre le mouvement féministe et l’art ?

Ça a toujours été un peu difficile. Il y a des choses très belles qui ont été faites, et très offensives, je dirais. Et en même temps, je crois que ça a toujours été difficile pour les artistes d’être uniquement cantonnées… Si vous voulez, de servir de porte-drapeaux. C’est difficile. Les artistes sont des gens extrêmement individualistes, comme on le sait, avec des égos souvent forts, parfois démesurés, ce n’est pas facile avec les artistes. C’est bouillonnant, engagé et tout ça. Et effectivement, il y a eu des choses à Toulouse, mais souvent on a privilégié le fond par rapport à la forme.

Vous connaissiez des artistes qui étaient présentes dans le mouvement féministe toulousain ?

Oui. Il y avait Vera Kunodi, qui est une photographe, qui maintenant fait des objets, des bijoux, des choses comme ça. Il y avait… Je ne sais plus, mais il y avait des artistes qui ont été compagnes de route du mouvement… Il y a des photographes, comme une femme à

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Tarbes qui s’appelle Maryse Ducasse, qui a fait un travail de documentation photographique très important, puisque ses photos sont dans les textes du MLF des éditions « Des femmes ». Et puis il y en a eu d’autres… En même temps elles étaient là et puis elles sont parties ailleurs, elles ont fait autre chose, elles sont un peu mouvantes.

Une dernière question, la pratique du dessin a-t-elle été importante dans le mouvement féministe ? Qu’est-ce que ça représentait ? Comment cela se fait-il qu’il y ait eu autant de dessins dans les publications féministes ?

Le dessin c’est rapide, c’est un peu comme le dessin de presse ou quelque chose comme ça, donc ça va vite, c’est rapide, c’est un bon exercice. C’est aussi un exercice de mémoire, par exemple moi, je ne sais pas dessiner, mais j’ai fait des études d’histoire de l’art, tardivement tout en travaillant, mais par exemple le dessin ça m’aide énormément. Si je dois dessiner par exemple une structure d’architecture, le chapiteau, la colonne, comment le chapiteau est posé dessus… Je fais un dessin, ça va plus vite que d’écrire un texte. Je crois que le dessin ça permet de la rapidité, vous avez un bout de papier, un crayon, vous pouvez dessiner, ça va vite. Ça dit aussi peut-être une urgence. La peinture c’est plus compliqué, il faut s’installer, il y a les pinceaux, etc.

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Annexe 3 :

Entretien avec Marie Ciosi, 19 janvier 2015,