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Entretien avec Irène Corradin, 2 février 2015, 17h,

dans son appartement, durée : 1h30

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Irène Corradin est une militante de longue date du mouvement féministe. Elle a participé à la création du Ciné-club de la Maison des femmes et l’a animé jusqu’à la fin. Son engagement féministe est issu de Mai 68, époque militante pour elle, mais aussi de « consommation critique » d’images au travers des films. Mai 68 et la période qui a suivie ont été, pour elle et pour de nombreux et nombreuses acteurs-trices de 68, une période propice au goût pour le cinéma. Elle se définit comme une « boulimique d’image », fascinée par celles qui parviennent à franchir le pas de la création. Je lui avais envoyé une trame d’interview avant notre rencontre, et nous avons continué à discuter après l’interview, en « off ». J’ai cependant noté quelques éléments de cette discussion en « off » qui était aussi intéressante que l’entretien en lui-même. Irène avait quelques exemplaires de La Lune Rousse à l’appui et nous avons discuté des articles sur les films projetés au Ciné-club. Elle m’a aussi remis la programmation des films qui ont été diffusés au Ciné-club.

Bonjour, pouvez-vous commencer par vous présenter et expliquer votre parcours militant, votre prise de conscience féministe ?

Je m’appelle donc Irène, ma prise de conscience féministe a été assez tardive parce que je me suis politisée dans les années 68 ; c’est 68 qui m’a politisé, et ensuite j’ai été nommée prof dans le Gers donc j’ai essentiellement fait du syndicalisme. Et comme je vivais avec une femme et que j’avais une relation amoureuse avec une femme, c’est par le biais des livres, des journaux, que j’ai eu le contact avec le mouvement féministe. Mais je n’étais pas engagée plus que ça dans le mouvement des femmes, j’avais une activité essentiellement syndicale. Et donc je suis devenue féministe comme ça. C’est la force des choses, le hasard des rencontres, le fait que je vivais avec une femme et la prise de conscience de 68 parce qu’en 68 quand même il y a eu une forte critique des femmes par rapport au mouvement gauchiste puisqu’ils étaient particulièrement machistes. C’est-à-dire les hommes parlaient, les femmes tapaient les tracts, ne prenaient pas la parole, préparaient le café, faisaient le ménage… Donc à partir de là

265 Image : PEIRE Jean-François, Hommage à Marie-France Brive [en ligne], 8 octobre 2011 [consulté le 10

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les femmes se sont posées la question sur leur rôle politique. Donc c’est plus par des journaux, par des lectures, que je suis venue au féminisme. Donc je suis restée dans le Gers pendant peut-être quatre ans, et en 72-73 j’ai été prof à Toulouse, et à partir de là j’ai eu des contacts avec des femmes qui allaient faire la Maison des femmes de Toulouse. Ça ne m’enthousiasmait pas particulièrement, l’idée d’une maison des femmes, j’avais du mal à comprendre ce concept, vu que j’étais homosexuelle, je n’étais pas pour le mariage, la maison me renvoyait l’idée du foyer, de quelque chose de maternant, je ne vois pas l’intérêt de la chose. Et donc ça s’est fait à l’occasion d’une fête, de prise de contact, d’amitiés. Et donc mon investissement à la Maison des femmes il est passé d’abord par le Ciné-club des femmes. C’était un Ciné-club des femmes, de la Maison des femmes de Toulouse, non mixte, et dont les séances se tenaient une fois par mois le lundi au Cratère, qui était une salle de la Fédération des Œuvres Laïques. Et comme depuis très longtemps je suis passionnée de cinéma, je connaissais un des animateurs de la Fédération des Œuvres Laïques sur Toulouse, qui était en même temps l’animateur et le programmateur du Cratère. Parce que j’assistais à des stages cinéma, c’est-à-dire on passait une semaine fin août- début septembre, puisqu’à l’époque la rentrée des classes était en octobre. Donc voilà on visionnait pendant une semaine à la mer, on passait une semaine à visionner des films et à discuter. Donc par là j’ai eu le contact avec cet animateur, ce qui nous a permis d’obtenir cette salle, le Cratère, qu’on louait. On devait payer une location, et on projetait le film qu’on voulait, la salle nous appartenait, c’est-à-dire qu’il n’y avait que le projectionniste de la salle qui était là. Après on décidait du film, on décidait de qui venait, on s’occupait de la billetterie, on décorait la salle, on pouvait faire des buffets, des repas, des débats… Ça a duré quinze ans cette activité.

L’idée de ce Ciné-club est venue d’où ?

C’est venu, parce que pour moi c’était une passion le cinéma, et donc on s’interrogeait. C’est une époque où quand même on a beaucoup remis en cause les représentations, les images, les rôles, « qu’est-ce qu’une femme ? », on se posait la question de l’identité. Est-ce qu’on a eu raison de se la poser dans ces termes, aujourd’hui je me le demande, mais enfin on s’est demandé « qu’est-ce qu'une femme ? » et donc on s’est demandé si les images que le cinéma, la télé, la pub, les photographes nous donnaient à voir, c’était des images où on se retrouvait. Donc y avait ça : critique des images produites par les hommes, « critique » ça pouvait être positif ou négatif, est-ce qu’on s’y reconnaissait ou pas, dans les questionnements, et aussi ça a été une manière de dire qu’il commençait à émerger des femmes, qui étaient des jeunes femmes réalisatrices. Donc est-ce que elles, puisqu’elles étaient des femmes, est-ce que les

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images qu’elles proposaient, les histoires qu’elles racontaient, la manière de la faire, est-ce que c’était différent, et voilà. C’était non seulement visionner ensemble des images, mais aussi après les discuter. Donc il y a toujours eu, après chaque séance, des débats, sur les images qui avaient été projetées.

Étiez-vous vous-même vidéaste, ou y avait-il des vidéastes au sein de la Maison des femmes avant la création du Ciné-club ? Ou bien est-ce la création de ce Ciné-club qui a poussé les militantes à faire des vidéos ?

Non… Il n’y a pas eu de vidéastes à la Maison des femmes de Toulouse. Ni avant ni après. Par contre à l’origine, à la création du Ciné-club, on l’a monté avec quatre femmes : Marie- France Brive qui était ma compagne, et qui a créé à l’université l’Équipe Simone sur les études de Genre en Histoire contemporaine ; il y avait Monique Haicault, qui était une prof en sociologie, qui elle faisait de la vidéo dans son travail de sociologue, qui venait de Paris, avec une amie, Marie-Thérèse Martinelli, qui elle aussi à Paris avait fait de la vidéo militante. Elle est arrivée sur Toulouse, mais n’a pas continué ce travail de vidéaste, mais elle a participé au Ciné-club. Et donc pour nous c’était très commode puisqu’on ne connaissait rien à ces machines. Le cinéma, la télé, les câbles tout ça, ça ne lui faisait pas peur donc elle pouvait faire marcher les télés, les appareils, les vidéos… Elle n'avait pas cette espèce de tabou technique qui a un peu disparu aujourd’hui, il y a beaucoup de femmes qui font de la vidéo et du cinéma aujourd’hui, mais à notre époque on a été des femmes qui étions éloignées de la mécanique quoi. On ne possédait pas cet outil, en tant que femmes on n’était pas tournées vers la technique. Donc y a eu Marie-Thérèse, mais elle s’est investie plutôt pour le choix des films, la discussion, les choses comme ça.

J’ai quelques noms de films qui ont été projetés à la Maison des femmes, produits par des « groupes femmes à Toulouse ». Il y avait Les lunatiques, Balbutiements, Attention

film, Fil de soi(e) fil des autres… Ça vous dit rien ?

Non ça me dit rien. C’est-à-dire qu’à la Maison des femmes, il y avait une salle qu’on appelait « la salle du MLF » où avaient lieu des discussions, et qui était une très jolie salle, avec une haute moquette… Et là, on passait des films vidéo. Mais moi je me souviens surtout comme film vidéo d’un film qui était le texte de Valérie Solanas, SCUM, qui était dit par Delphine Seyrig, et il y a eu un autre film qui se moquait de Françoise Giroud qui en 76 était ministre de la Condition féminine. Ça devait être Miso et Maso vont en bateau ou je ne sais pas quoi, il y en a une qui est mise à l’eau, ça devait être Françoise Giroud. Il y a eu quelques films

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comme ça, projetés, discutés, mais ça ce n’était pas nous qui nous en occupions. Nous on s’occupait que des films, c’était du 16mm essentiellement.

Quelles ont été les réactions des autres femmes de la Maison des femmes, non membres du Ciné-club, lors de sa création ?

Il y a eu deux types de réactions. Il y a des femmes qui nous ont suivies, comme Jacqueline Julien par exemple ou Brigitte Boucheron qui nous ont fait confiance, parce qu’on ne se connaissait pas, mais on a eu des affinités comme ça sans savoir pourquoi. Et puis y avait d’autres femmes et en particulier Nicole Décuré qui était une scientifique, qui était la trésorière de la Maison des femmes, qui a vu d’un très mauvais œil cette activité parce qu’elle avait peur que ça ne soit pas rentable puisqu’il fallait payer la salle, payer la réalisatrice, payer pour le film, etc. Donc elle a eu peur qu’on mette à mal les finances de la Maison des femmes. Donc on a dit que s’il y avait des déficits on le prendrait à notre charge. On était fonctionnaires nous, donc l’argent finalement, on n’avait pas de famille, on n’avait pas de contraintes, donc on pouvait financer des activités à la Maison des femmes de Toulouse. Et finalement l’activité, elle a toujours été… On n’a eu aucun problème d’argent. On a toujours fonctionné avec assez de personnes pour s’autofinancer. Après le cinéma, le Ciné-club, est devenu une institution. Ça n’a plus été discuté, ça faisait un moment qu’il marchait et il a marché pendant quinze ans. Alors les femmes ont plus ou moins bougé autour de ces quatre, y a des femmes qui se sont rajoutées, d’autres qui sont parties, qui s’investissaient pour la trésorerie, les affiches, pour les choix de films… Les deux piliers qui sont restés du début à la fin c’est Marie-France Brive et moi-même. Et c’est moi qui présentais les débats si vous voulez. C’est-à-dire que Marie-France Brive faisait le travail souterrain de recherche de film, de contact par lettres, par téléphone avec les cinéastes, et moi j’animais les débats. Et Marie- Thérèse aussi, elle allait plus souvent que nous à Paris, et donc elle voyait dans les projections, les festivals… On repérait les films comme ça. On épluchait toutes les petites maisons de productions, on épluchait tous les catalogues…

Et par rapport à ces femmes qui « s’intéressaient aux affiches », il y avait une recherche particulière pour le côté graphique de l’affiche ? Ou bien vous ne faisiez que récupérer les affiches officielles des films ?

Je crois qu’il y a eu un peu de tout. Il y a eu des affiches qui ont été faites, par nous, par d’autres, il y avait des affiches du film lui-même où on devait ajouter un petit bandeau… Il y a eu les fameuses affiches dont vous me parlez (dans la trame d’interview, les affiches

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les dessins avec les petites bonnes femmes de part et d’autre de la caméra. Mais on n’a pas été de grandes affichistes.

Comment s’organisait le choix de la projection d’un film ? Il y avait donc des débats après le film, mais y avait-il aussi des réflexions plus larges sur le cinéma, sur la manière dont les femmes peuvent ou doivent s’emparer du cinéma ?

Comme il y avait le journal La Lune Rousse, des femmes écrivaient sur des films, des articles. Donc il y avait une réflexion qui passait par des petits articles dans La Lune Rousse. Donc après on travaillait en commun accord avec Françoise Courtiade du Goethe Institut, comme à l’époque l’Europe était coupée en deux et comme l’Allemagne fédérale était vraiment tournée vers l’ouest, donc elle avait une politique culturelle très intense pour amener ses artistes en Europe occidentale, et donc y avait pas mal d’argent pour faire venir des cinéastes femmes qui venaient de Berlin ou qui venaient de l’Allemagne avec leurs films. Donc c’est le Goethe Institut qui payait tout ça, les déplacements, les voyages, les films, et comme nous on avait le lien avec Françoise, elles venaient gratuitement pour nous et on se débrouillait pour que ça colle ensemble. Et la deuxième femme très importante, elle est décédée aujourd’hui, elle était un peu plus âgée que nous, c’est Colette Gérard, ça si vous cherchez, elle a été très très importante, car c’est elle qui a développé la politique du cinéma au Centre culturel de Toulouse, de la rue Croix-Baragnon. Et donc elle était intéressée par le cinéma au féminin, le cinéma expérimental, et donc là aussi, on a travaillé avec elle.

Et par rapport au but et aux répercussions de ce Ciné-club, y avait-il des femmes non militantes à la base qui venaient voir les films ? Est-ce que ça a permis à certaines de s’investir dans le mouvement ?

L’intérêt si vous voulez du Ciné-club, c’était que comme c’était un rendez-vous mensuel, non mixte, autour d’un film, ça permettait, alors que le mouvement était éclaté sur Toulouse, c’était un lieu où on pouvait se retrouver, venant de lieux différents, de la Gavine, des individus isolées… On ne parlait pas que des films, c’était aussi un moment où les filles devaient donner des informations sur les activités, ce qui se passait, ce qu’elles faisaient dans leur groupe, des rendez-vous, des week-ends, des rencontres, des initiatives… Donc c’était aussi ça le Ciné-club, c’était un échange plus politique qu’artistique. Moi ce que je trouvais, c’est que les femmes n’aiment pas tellement les images. Et elles n’aiment pas tellement réfléchir aux images. Je l’ai vu un peu dans l’évolution après avec les différents Ciné-club. C’est-à-dire qu’au départ ce n’était pas très marqué lesbien. On prenait des cinéastes qui s’intéressaient aux femmes, où les femmes étaient des actrices principales dans leur cinéma,

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des gens comme Godard, Antonioni ou comme Truffaut par exemple, ou comme Bergman. On prenait donc des cinéastes qui mettaient des femmes au centre de leur cinéma et on essayait de voir comment ça fonctionnait. Mais ça n’intéressait pas tellement les femmes finalement. Et après il y a eu une tendance qui s’est développée, lesbienne, et donc les films qui plaisaient, c’était… Ben on le voit bien avec le festival de films de femmes de Créteil, c’est souvent des films que je trouve un peu cul-cul, à l’eau de rose, des histoires d’amour qui sont très bien pour des gosses de neuf-dix ans puisque ça parle et montre des amours lesbiens, mais je trouvais pas qu’en ce qui concerne l’écriture cinématographique, ou les images, ou les sensations que je pouvais éprouver en voyant ces films, je ne trouvais pas qu’il y avait un langage particulier… Parce que le cinéma c’est un langage, c’est une langue, ce n’est pas seulement ce qu’on voit sur l’écran, c’est aussi une manière de le dire, de l’écrire… Voilà, je ne sais pas, il me semble que pour les femmes il y avait une réticence aux images. Alors peut- être parce que la masse des images est produite par des hommes et que les femmes ne s’y reconnaissent pas. Mais au Ciné-club on a toujours eu énormément de monde dans cette salle du Cratère, je ne sais pas si vous la connaissez, qui est toute petite, on a pu être cent-soixante pour voir par exemple La salamandre de Tanner avec Bulle Ogier. C’est-à-dire qu’il y avait des films, parce qu’il y avait une actrice ou un sujet, qui coagulaient tout le monde, qui regroupaient ces femmes. Mais est-ce-que c’était le cinéma lui-même, ça j’en doute…

Comment se concrétisaient les liens avec les réalisatrices d’autres villes ou d’autres pays ? Quelle était la teneur des échanges lorsqu’elles venaient ?

Comme il y avait une Maison des femmes, c’était un lieu assez convivial, le Ciné-club était le lundi. Donc si les cinéastes étaient à Toulouse quelques jours avant ou quelques jours après on se retrouvait pour des repas. On a noué des liens d’amitié avec ces femmes cinéastes. Voyez par exemple Martine Lancelot, qui à l’époque avait fait un film avec Micheline Presle, je sais plus comment ça s’appelait, mais c’est une femme que j’ai retrouvé et qui aujourd’hui n’est pas tellement connue dans les milieux du cinéma, mais qui fait des films documentaires et en particulier elle s’intéresse à l’Afrique. Donc elle fait des films documentaires sur l’Afrique et elle vit de ça, mais bon elle a disparu des grands écrans. On a connu dans ces années-là, dans les années 1980, Maria Klonaris et Katerina Thomadaki, qui faisaient du cinéma expérimental. Elles sont venues plusieurs fois à Toulouse, on a fait un stage avec elles : Super 8, initiation à la caméra et au cinéma, qui aurait pu avoir des suites, mais qui n’en a pas eu. Et même ces images qu’on a tournées, on les a perdues. C’est Marie-Thérèse qui les avait à la campagne, dans une maison de campagne et elles ont dû être bouffées par les

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souris ou les mulots, et comme cette maison a été vendue tout a été perdu. Donc ça ça a été un stage qui a regroupé une quinzaine de femmes avec cette manière de faire de Maria et Katerina, où on était tour à tour celle qui est filmée et celle qui filme. Donc il y avait celle qui fait, ensuite celle qui la filme et y avait le groupe autour. Donc il y a eu toute une série d’images, de photos, de productions, mais on n’en a rien fait. Ça nous a permis de mieux nous connaître, ça nous a permis de vivre… Finalement, ces années du mouvement, c’est ce qu’on vivait qui était important, je pense. On a eu vraiment un vécu extraordinaire entre femmes. La création elle était là, elle était dans nos vies plus que dans des représentations de nos vies ou sur des images.

Il n’y a pas eu d’envie de mettre sur image ce présent-là que vous avez vécu ?

Non, on l’a pas eu.

Qu’est-ce que vous a apporté personnellement, dans votre vie, l’expérience de ce Ciné- Club ?

Moi ce que j’en garde c’est qu’on a montré des films ou a fait venir des femmes qui après