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Entretien avec Marie Ciosi, 19 janvier 2015, 17h15, dans son atelier à Carbonne, durée :

45 mn

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Marie Ciosi est une artiste peintre, graveuse et illustratrice, dont l’atelier est situé dans le village de Carbonne, à une trentaine de kilomètres de Toulouse. Elle expose depuis le début des années 1980 à Toulouse et a participé à la création du journal féministe Différence en 1978. Elle y a réalisé la majeure partie des dessins. L'interview a été préparée dans la précipitation, et je n'ai pas eu le temps d'envoyer de trame. Avant de commencer, nous avons donc discuté en « off » afin de voir les grandes lignes des questions que je souhaitais poser. Marie Ciosi se réfère parfois à cette discussion qui a précédé l'interview. Elle possédait aussi plusieurs numéros de Différence (à l'exception du 2), dont elle m'a remis un exemplaire de chaque, et auxquels elle se réfère parfois visuellement.

Bonjour, pouvez-vous tout d'abord vous présenter et expliquer votre parcours artistique ?

Je m'appelle Marie Ciosi, et sur le plan artistique, je n'ai pas directement commencé mes études par une inscription dans un parcours artistique. J'ai pris une licence d'italien et je me suis inscrite en Arts plastiques à Vincennes. Donc c'était un peu particulier, c'était une fac très militante qui venait d'ouvrir, dans les années soixante-douze, il me semble. On faisait assez peu d'arts plastiques finalement, il y avait beaucoup de discussions, de souk à traverser avant d'aller dans les ateliers, on allait pas mal voir de vidéos, enfin je n’ai pas côtoyé beaucoup d'ateliers finalement. Donc j'ai fait ça, mais je suis très autodidacte aussi. Je suis allée à un atelier de gravure surtout, et vaguement de peinture, mais c'est un peu vague.

Qu'est-ce qui vous a poussé à rentrer dans le milieu féministe ?

Je ne sais pas si je peux dire que je suis « rentrée » dans le milieu féministe parce que le milieu féministe dans lequel j'étais n'était pas un milieu fermé. C'était un groupe, mais qui participait de beaucoup d'autres choses, donc ce n’était pas un militantisme très pointu, par rapport même à d'autres groupes à Toulouse. Ce qui m'a poussé ce sont des convictions

264 Image : FOURNIE Claude, Marie Ciosi [en ligne], vidéo, 23 janvier 2015 [consulté le 10 février 2016].

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personnelles, et puis portée par l'époque, et j'étais clairement du côté des féministes, mais sans avoir non plus une activité.

Au niveau de votre parcours, est-ce qu'à l'époque où vous avez commencé à dessiner pour le magazine Différence, en 1979, vous viviez de votre art ?

Non pas du tout, en 79 quand j’ai fini la fac, j'ai fait une maîtrise, l'équivalent de ce que vous faites là, alors ce n’était pas féministe, c'était sur ce qui se passait en Sardaigne, il y avait un gros mouvement de muralistes, donc énormément de murs peints tout ça et c'était mon thème. Et je n’en vivais absolument pas à ce moment-là, je ne pensais même pas que j'allais en vivre. En vivre d'ailleurs, je ne pense pas que j'en vive vraiment maintenant non plus. Tout ça se fait plus tard, la première expérience d'expo, cette idée de m'engager dans la peinture, c'était plutôt en 1981-1982. Enfin ce n’est pas très longtemps après.

D'où vient cette volonté de faire de l'art ?

D'abord je n'ai jamais vraiment eu la volonté de... C'était toujours un peu comme ça, portée par... Mais c'est que j'ai toujours aimé dessiner, trafiquer, fabriquer des trucs, recycler... Et je ne me suis jamais... Enfin c'est pour ça que je vous disais tout à l'heure, je ne fais pas de théorie non plus parce que c'est vraiment un parcours très brut, spontané, pas réfléchi.

Comment s'est faite la création du journal Différence ?

Alors je crois que c'est comme un souvent, un truc de rencontres. On va regarder un peu.

Elle feuillette le premier numéro de Différence.

Des femmes toulousaines, plus ou moins, donc, et je ne me rappelle plus si ça s'est créé au moment où je suis arrivée ou si c'était déjà un peu engagé. Je ne me souviens plus exactement du début, mais rapidement ça a été une rencontre avec une fille qui était journaliste, une qui était infirmière, une qui allait être prof de lettres... Lilou Cohen, peut être que vous l'avez vu, elle est bibliothécaire, elle travaille à la bibliothèque du Périgord. Après voilà, je ne me rappelle plus peut-être de tout le monde.

Les dessins réalisés pour le magazine étaient-ils choisis par vous ou demandés par les rédactrices selon le thème ?

C'était plutôt à partir d'articles. Il y avait des décisions collectives pour les sujets, pour les thèmes, et puis ça se faisait un peu, encore une fois, de façon très spontanée où moi je proposais des choses, on décidait que tel article serait illustré, tel autre ne le serait pas, enfin

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c'était très ouvert pour que je puisse proposer des illustrations. Il y a même des illustrations de ma fille.

Vous étiez la seule à dessiner ? J'ai parfois vu d'autres noms.

Elle feuillette un magazine.

Justement, mon mari Lalou (Marfaing, ndlr), il a fait un dessin juste là. Ce qui était très mal vu à l'époque, qu'un homme fasse un dessin... Donc c'était bien, on revendiquait quand même assez cette position. Enfin c'est tout, il a fait un dessin une fois.

C'était signé ?

Oui Georgette Sea, donc c'était méconnaissable. C'est un jeu de mots, Georgette « Sea » la mer, et Georges « Sand », le sable. Il y avait ça aussi, nous on était assez pour une certaine liberté de ton, et je me rappelle j'avais fait un truc sur Marguerite Duras, que maintenant j'aime beaucoup, mais qu'à l'époque j'aimais moins, et j'avais fait un dessin « Moi d'abord

j'aime pas Marguerite Duras ».

Elle feuillette le magazine.

Alors ça, ce n’était pas moi, parfois il y avait d'autres choses oui. Le voilà. Et c'est marrant parce que c'est vrai que je connaissais moins. Et j'avais vu aussi des films qui me plaisaient qu'à moitié.

Je me souviens avoir vu ce dessin oui, et je n'avais pas compris la signification du « Moi

j'aime pas Marguerite Duras ».

On devait discuter de ça et voilà. Ça témoigne aussi un petit peu du fait qu'on était libres dans notre rapport et dans ce qu'on voulait faire passer. Parce que l'article veut dire le contraire, il me semble, je ne me rappelle même plus, il faut que je relise tout ça. Il y avait des témoignages, des intellos pures et dures aussi. C'est aussi intéressant sur le plan littéraire.

Les couvertures sont de vous ?

Pratiquement oui. Bon là (le numéro 1) c'était juste intervenir sur des gravures.

Elle feuillette le numéro 5, et montre l'illustration de la page 6, qui illustre un article sur les centres d’orthogénie.

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Je n'ai par exemple jamais fait ce genre de dessin, qui pourrait être justement plus militant, mais je n'ai pas vraiment fait de dessin sur le corps, l'utérus... Là il y en a peu de moi en fait, il y en a pas mal qui viennent de documentations.

Outre les dessins pour le magazine Différence, quelles étaient vos activités artistiques dans les années 1970-1980 ?

1970-1980, j'étais à la fac. J'ai fait des choses hyperréalistes à l'époque par exemple. Mais effectivement je me rappelle que j'avais fait un grand dessin, hyperréaliste d'un ventre de femme enceinte, quand même, sans tête. Il y avait quelques féministes qui m'avaient dit : « Mais quoi ! Une femme sans tête ? Qu'est-ce que c'est que ça ? » Mais c'est vrai que j'étais assez heurtée par l’agressivité qu'il pouvait y avoir aussi parfois même entre femmes. C'est un truc qu'on ne faisait pas passer dans le journal justement. Il y avait ça et effectivement je me rappelle que ce dessin avait provoqué pas mal de réactions. Mais c'est un truc que j'avais fait moi, à la fac de Vincennes, et il y avait aussi des mecs qui disaient : « Baaah ! Une femme

enceinte !» et tout ça. C'était aussi dans l'époque de faire ça. Donc comme pratique c'était ça,

j'avais fait un peu de gravure aussi, beaucoup de collages parce que ça me plaisait beaucoup. Et j'ai commencé à faire des expos en 1982, et en Corse. Toulouse c'était après.

Quelle est l’importance de l’art pour vous dans l’expression féministe ?

Je pense qu'il y a deux façons de voir l'expression de femmes, ou féministe, – d'abord « de femmes » et «de féministes » c'est différent, ce n'est pas obligatoirement la même chose –, qui peuvent être dans une singularité, je pense, quand même, même si les hommes peuvent dessiner comme des femmes et vice versa, il y a une singularité un peu plus spécifique peut être... Je ne suis pas sûre, je ne réfléchis pas à ça tous les jours... Par contre il peut y avoir des expressions volontairement féministes qui véhiculent vraiment un message politique. Mais l'autre peut l'être aussi dans ce qu'il dit, les messages féministes, moins engagés sur le sujet peuvent être tout aussi parlants et évoquer aussi une expression féministe.

Lorsque vous dessiniez ou graviez, est-ce que vous pensiez à ce que vous faites passer derrière l’œuvre ?

C'est des trucs que je vois beaucoup plus après, comme pas mal d'artistes qui ne sont pas très conceptuels, moi c'est en effet une expression plus spontanée qu'une réflexion. Après je peux me donner un cadre sur un nombre donné d’œuvres que je vais faire, je peux commencer de façon spontanée et creuser le sillon après.

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Nationalement, le mouvement féministe et l’art féministe n’ont eu que peu d’interactions. Quelle était la situation localement ?

Comme je venais d'arriver à Toulouse, je n'ai pas trop d'idée là-dessus. Le seul souvenir que j'ai c'est d'avoir participé à une expo où j'avais rencontré d'autres artistes femmes. Mais moi- même n'étant pas engagée dans une mouvance féministe artistique, voilà... Alors peut-être que j'oublie, parce qu'il y a quand même Françoise Courtiade dont on parlait tout à l'heure... Donc sur le moment je devais être plus proche, mais c'est vrai que j'ai un peu oublié là...

Vous aviez des contacts avec d'autres artistes féministes ?

J'ai connu et je connais toujours, même si on ne se voit pas trop, Danièle Delbreil. Elle fait vraiment une peinture très... justement utérine, souvent en tout cas. Enfin c'est souvent assez symbolique avec des thèmes un peu féministes. Enfin là je parle à sa place, je ne suis pas sûre qu'elle soit d'accord, mais on doit avoir des images de ce qu'elle fait. Elle était en psycho, je crois, de formation, et peintre. J'en ai connu d'autres, notamment celle qui a organisé cette expo dont on parlait tout à l'heure.

Et au niveau de votre participation à des expositions sur Toulouse ?

Ça s'est passé une fois c'est sûr, après je sais plus.

C'était où ?

C'était à Compans-Caffarelli, on nous avait passé un très très grand lieu, parce que Compans- Caffarelli c'était déjà très vide, enfin ça a toujours été vide, il y a tous ces commerces qui n'ont jamais vu le jour. Donc on nous avait passé un très grand local, on était nombreuses.

C'était une exposition d'artistes femmes ou c'était mixte ?

Non non de femmes oui. Je dois avoir l'affiche quelque part, je regarderais après.

Et c'était organisé par qui ?

Je ne sais plus son nom non plus. Si vous voulez, je peux rechercher après, chercher l'affiche* pour voir si je trouve un peu plus d'informations ou en parler à une autre copine qui travaille un peu avec moi.

À part les expositions, avez-vous participé ou seulement eu connaissance d’événements féministes à Toulouse en lien avec l’art ?

Quand on a vu qu'on avait du mal à diffuser et vendre Différence, que c'était compliqué, et à le faire imprimer aussi, on avait fait une assez grosse manifestation au resto « Le Pharaon », sur une journée entière ou deux jours, qui avait rameuté pas mal de monde. Après moi je n’ai

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pas fait mes études à Toulouse donc je n’étais pas dans le milieu universitaire, donc c'est vrai que tout le groupe je l'ai connu après, et à part cette manifestation-là... Si, on allait souvent voir les nanas qui étaient à la Gavine. On avait des rapports avec elles, mais c'est un peu loin c'est sûr.

En tant qu’artiste et femme, vous êtes-vous confronté à des difficultés particulières liées à votre genre ?

(Silence...). Grand Silence... Quant à mon genre je suis quand même assez timide donc ça ne

se voit pas comme ça, mais c'est vrai que toutes les démarches, recherche et tout ça, je déteste les faire, je les fais peu. Est-ce que ça c'est lié à mon genre je n'en suis pas sûre, mais peut- être, et c'est vrai qu'il y a peut-être, je pense, un peu de ça aussi, c’est-à-dire un discours, quelque chose... Après sur le plan personnel, je pense que c'est plus lié à ma façon d'être.

Et est-ce que vivre à Toulouse, en province, est une difficulté supplémentaire selon vous pour être reconnue en tant qu’artiste ?

Je pense que si j'étais restée à Paris et que j'avais continué mes études d'arts plastiques en suivant un fil, je pense que c'est plus facile... Enfin si on a exposé cinq fois à Paris, c'est toujours plus facile d'exposer ailleurs, par exemple, le contraire non. Donc je pense qu'effectivement c'est plus facile d'une certaine façon, si on a vraiment envie, une fois qu'on est sur place et qu'on est un peu dans le milieu.

Quels sont vos projets actuellement ?

Je continue. C'est comme une sorte de creux comme pour tous les artistes qui ne sont pas au sommet, et comme je vous disais là j'ai du mal à aller chercher, taper aux portes et tout ça, donc j'expose de temps en temps... Donc mes projets c'est de continuer à travailler, de me dire que je mets tout ça un peu entre parenthèses, et j'essaie de continuer.

J’ai une dernière question à propos de ceci.

Je lui montre le roman-photo « Méké méké mé caisse que c’est ? » (Différence numéro 4, Novembre- Décembre 1979, p. 15-16)

Ah oui ! C'était par rapport à ça, ce commentaire qui était sorti et qui nous avait bien chauffés. Donc du coup, on était à je ne sais plus quel supermarché, il y avait des copains qui étaient venus, dont Philippe Vincent qui a un atelier à Toulouse. Donc comment ça s’était passé ? Pour réagir à ça, on en avait discuté, et on avait eu l'idée de faire un roman-photo. Donc on s'est habillés, on a débarqué dans le supermarché... Non... Si, quand il y a vraiment le fond de supermarché c'est ça et après on fait des montages avec le fond du supermarché et nous chez

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un copain sur une table en déballant des trucs. Il y avait les deux. Là y avait les différents thèmes, les conseils de Beverly et Vidal Sassoon, et on reprenait les trucs en les tournant en dérision. On était arrivés et on avait mis nos pantoufles, nos blouses et voilà. Donc voilà y a des photos comme ça de l'accueil où on n’avait bien sûr pas le droit d'aller sur les caisses, donc c'était un peu à l'extérieur, on était juste devant, devant l'entrée. Là la gymnastique c'est à l'entrée. C'était un véritable happening.

Il y a eu des réactions ?

Non on a discuté avec les caissières, un petit peu, c'était pour ça.

Qui a pris les photographies ?

Philippe Vincent. Et voilà, on faisait des collages avec ce qu'il y avait écrit comme « le port

de chaussures à talons moyens est recommandé afin de se sentir à l'aise, même si les pieds gonflés... ». On avait sorti nos charentaises dans le magasin. Et après tout ça, on n’en a pas

parlé, mais c'était des maquettes. C'était la première fois que je faisais des maquettes de journaux, découpés et collés à la main.

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Annexe 4 :