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Entretien avec Marie-Thérèse Martinelli, 3 février 2015, 14h30, dans son appartement,

durée : 1h15

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Marie-Thérèse Martinelli a été membre du Ciné-club des femmes et a elle-même réalisé des vidéos. Ses premières datent de sa période parisienne, lorsqu’elle se trouvait dans les mouvements écologistes antinucléaires. Arrivée à Toulouse, elle a créé des groupes de femmes pour les former à l’art de la vidéo. Je lui avais envoyé une trame d’interview pour qu’elle commence à réfléchir à mes questions. Lorsque je suis arrivée, nous avons commencé à discuter sans que j’aie posé de question. L’entretien commence donc avec ses débuts dans le cinéma et la vidéo.

J’avais commencé à travailler sur le cinéma avec Jean Rouch qui est un documentariste de renom, très connu. C’est lui qui a lancé avec Edgar Morin toute l’idée des cinémas-vérité, Kino-Pravda tout ça. Il travaillait beaucoup en Afrique, il a fait La chasse au lion à l’arc. J’ai presque terminé une thèse avec lui, mais je suis partie après sur Toulouse et ça a été trop compliqué pour moi de finir, il fallait faire beaucoup d’aller-retour et je n’avais pas assez d’argent. Donc ici à partir de la création de la Maison des femmes, j’ai proposé à des femmes de les former aux techniques de la vidéo pour pouvoir filmer. Et donc ma manière de former, c’était de faire avec elles. Donc on élaborait un projet, on partait huit jours quelque part, dans cette période-là il y avait beaucoup de communautés de femmes partout, des communautés mixtes aussi, où les femmes étaient féministes et quand on voulait faire quelque chose on avait tout de suite un lieu à la campagne, assez grand. C’était aussi la période où on avait cette volonté de faire le lien entre la ville et la campagne. Et donc que des femmes qui vivaient en ville travaillent avec celles de la campagne. J’ai donc formé là une première formation, un groupe de femmes qui ont commencé à faire de la vidéo avec moi, à partir d’un projet qu’on avait élaboré ensemble, donc on décidait de quel type de sujet on voulait traiter. À cette époque-là, on était très très versées sur la découverte de soi-même, donc c’était beaucoup sur

266 Image : SCHNEIDER Julie, Marie-Thérèse Martinelli, pour les droits des femmes dans le monde [en ligne],

27 mars 2013 [consulté le 10 février 2016]. Disponible sur : http://www.youphil.com/fr/article/06329-forum- social-mondial-2013-tunis?np=7&ypcli=ano.

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nos vies, nos doutes, nos incapacités, nos orientations… Sur tout ce qui était notre identité, on était très en recherche de ce qu’était un féminin qui ne serait pas celui qu’on nous avait toujours imposé d’être, et donc on travaillait sur ces thèmes-là, de manière très personnelle, voilà. Et en utilisant tous les éléments qui nous entouraient. Là par exemple c’était dans une maison à la campagne, après Muret, il y avait la Garonne qui passait, donc on avait filmé tout ça. Mais la première formation c’était chez moi. Chez moi, j’habitais à ce moment-là à Blagnac, dans une petite villa, et donc j’ai mis tout le monde à la porte, mon mari et mon fils, et on a envahi la maison avec des femmes qui voulaient se former. Ce projet dont je parlais juste avant c’était plus tard, il a existé, mais ce n’était pas le tout premier. Et donc là j’ai formé des femmes dont une universitaire qui après s’est lancée dans la vidéo, en y réfléchissant avant que tu arrives je me suis dit que j’en avais formé beaucoup des femmes à la vidéo. Des femmes qui maintenant sont presque professionnelles, ou qui en tout cas dans leur profession ont utilisé la vidéo.

Tu as des noms ?

Monique Haicault, par exemple qui était une sociologue de la fac, par exemple Maïté Debats, que tu connais sans doute aussi, qui travaille à l’APIAF, elle n’était pas à la première formation, mais à d’autres. Monique c’était à la toute première, mais on a travaillé longtemps ensemble Monique et moi. Anne-Marie Auger, mais elle est rapidement partie à Nantes, et puis y avait deux filles de Tarbes, mais qui n’ont pas continué leur boulot. Mais Monique oui, et en tant que sociologue elle a continué dans son boulot, elle a fait des trucs sur les ouvrières, elle a fait pas mal de choses, plus que moi parce qu’après moi j’ai abandonné. J’ai fonctionné comme ça, je créais des groupes, sur un projet, on filmait… Mais j’avais un groupe mixte, en même temps que je travaillais avec les femmes moi toute seule, sur les questions qui nous concernaient plus nous et qui était souvent de l’introspection, on a fait à quatre, avec Maïté Debats, Monique Haicault, Anne-Marie Auger, je te dis celle qui est partie à Nantes et moi, on a fait un film qui s’appelle Fil de soi(e), fil des autres.267

Donc celui-là je l’ai donné à la BNF, j’espère qu’ils l’ont conservé.

Je ne l’ai pas retrouvé dans leur fond en tout cas.

Mais tu sais s’ils sont encore en restauration, ils ne les ont pas encore mis en circulation. Ils sont encore en restauration parce qu’il faut les numériser et ça coute très cher. Il faut que je les appelle pour savoir où ça en est, ils devaient me réinviter, ils l’ont pas fait.

267 Il s’agit en réalité du film Balbutiements. Marie-Thérèse Martinelli me l’a confirmé dans un mail daté du 8

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Il parlait de quoi ce film ?

C’était nous, c’était nous quatre. On avait fait un truc sur la Mère, on avait écrit des poèmes à quatre et chacune avait écrit des trucs, et après on se les est mis en commun. On a retenu des phrases des unes et des autres. Je me souviens encore : « Ma mère je t’aime tant et ton regard

me tue, ta présence me remplit trop et ton absence me vide. Quelle femme es-tu que je pourrais aimer ? Dois-je te haïr ? Puis-je te haïr ? Quelle femme es-tu que je pourrais aimer ? » Donc c’était toute cette question entre la Mère, et les conflits qu’on peut avoir avec

la Mère, et la femme qu’est cette mère-là. Et moi personnellement, ça m’a énormément aidé, la réflexion pas seulement le film, toute cette réflexion que j’avais déjà avant sur « quelle femme est ma mère ? ». Qu’est-ce qui fait dans la société patriarcale dans laquelle on vit qu’elle est devenue ce qu’elle est ? Et qu’est-ce qui fait que cette norme-là l’a cantonnée dans ce schéma-là ? Et c’est vrai que c’est une question que moi je trouve primordiale, que je discute encore avec mes jeunes amies quand elles ont des difficultés familiales, de vraiment aller regarder la Mère d’un autre regard, la regarder avec un regard de femme et non pas d’enfant. C’était beaucoup ça, avec des images très symboliques. Parce qu’évidemment on vivait ensemble pendant plus d’une semaine à chaque fois qu’on se réunissait. Enfin quand on pouvait, mais en général on partait de nos lieux d’habitation, on se trouvait un lieu et on travaillait là-dessus. Y avait une autre communauté du côté de Muret, je crois que cette maison elle existe encore. Et donc y avait beaucoup de maisons comme ça autour de Toulouse, où on nous prêtait ou on nous louait pour une somme dérisoire, et on pouvait manger ensemble, dormir ensemble. Souvent c’était des grandes pièces où on faisait tout dans la même pièce. Et donc à partir de là se créée une dynamique aussi de confiance pour pouvoir se dire les choses, parce que le travail d’introspection t’entraîne parfois dans des confidences. Et donc autour de ça on a filmé, chacune filmait à tour de rôle. Je me souviens quand on a filmé Fil de soi(e), fil des autres,268 y en a une de nous qui, à un moment, qui a dit : « C’est

comme si on allait fouiller au fin fond de moi-même ». Et donc on est allé chercher des

images, dans une… Tu sais les sablières qui draguent le fond, on est allées chercher des images comme ça, d’une grue qui va chercher le sable au fond et qui trie. C’était ça notre symbolique, c’est qu’on allait chercher en nous des choses qui étaient profondément enfouies et on triait là-dedans ce qu’on pouvait garder, ce qui pouvait être constructeur pour nous.

Le fait d’aller « fouiller au fond de soi » pouvait pourtant ne passer que par la parole, quel était le but de filmer ?

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C’était une envie d’exprimer les choses. On l’a un peu montré après, dans une maison, en sortant de la route d’Albi, une très belle bâtisse, qui était occupée par une communauté de gens, qui nous prêtait facilement les locaux. Entre autres on a fait beaucoup de grandes fêtes féministes là-dedans, et nous on a fait une projection, on a invité des gens qu’on connaissait, de notre réseau, la maison était pleine à craquer. On s’est fait pas mal critiquer, on nous a trouvé un peu narcissiques. Il y avait en particulier un psychanalyste qui était très à la mode à l’époque sur Toulouse qui nous a traitées de « narcissiques », et il a trouvé qu’il n’y avait pas d’hommes. Évidemment, c’était un film que de nous quatre. Mais il n’y avait pas non plus d’intergénérations. C’est vrai que c’était un truc d’introspection quelque part, ce n’était pas de la psychanalyse quand même, il ne faut pas exagérer, mais c’était un peu de cet ordre-là dans l’introspection personnelle. Ce n’était pas du tout pédagogique, c’était plutôt apprendre à s’exprimer autrement aussi dans cette volonté de trouver les symboliques, parce que ça ne pouvait pas être que du bavardage, donc y avait aussi de l’écriture, on a écrit comme je t’ai dit, plusieurs poèmes, qu’après on a lus, enfin on a récités parce qu’on les connaissait par cœur, tu as vu je suis encore capable de te le dire pourtant c’était dans les années 1976- 1977… Et donc on a eu des moments d’écritures, des moments de débats, donc la parole, et puis des moments où on est allées chercher des images qui ne soient pas seulement des images de nous parlant, mais des vraies images extérieures qui, symboliquement, représentaient des états, des sentiments, qui n’étaient pas des illustrations. Et donc c’était aussi cette recherche d’un langage-image différent.

Était-ce une volonté de couper avec les images des femmes diffusées dans la société ?

Oui il y a eu tout le temps ça. Parce qu’en même temps qu’on faisait ces films-là, à la Maison des femmes on a beaucoup travaillé sur les images, Irène a dû te le dire. On faisait nous- mêmes des photos, on avait de quoi les développer, on avait un appareil, c’était de l’argentique à l’époque. On faisait nous-mêmes des photos, on travaillait beaucoup sur les images des femmes, et puis y avait le Ciné-Club. Le Ciné-Club était destiné à ça, à travailler sur quelles images ont produit des femmes, et comme nous on favorisait très très majoritairement les films faits par les femmes, travailler là-dessus : comment les femmes s’approprient leurs images ? Comment elles essaient, parce que ce sont des tentatives, ce n’est pas parce que tu prends la caméra que tu fais une image différente, parce que tu es pleine de tout ce qu’on t’a inculqué, toutes ces aliénations, tous ces stéréotypes, enfin comme tout le monde, tu n’es pas différente. Et c’est un travail intense et long qui te permet de sortir un peu, il faut être humble, il ne faut pas imaginer qu’on a tout gagné comme ça d’un seul coup, mais

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donc oui il y avait cette préoccupation, et cette préoccupation, au-delà du groupe vidéo, était très très prégnante à la Maison des femmes, et on était nombreuses à travailler sur l’image.

Le genre de films qui ont été réalisés était surtout sur l’introspection du coup ? Il n’y a pas eu des films réalisés sur la mémoire du mouvement ?

Pas avec moi. Moi j’ai fait beaucoup de films de luttes d’ouvrières, ça, c’était dans mon groupe mixte. J’ai fait un film sur une lutte d’ouvrière qui avait lieu au Fauga, et qui était une des dernières usines d’habillement, puisqu’après elles ont toutes été délocalisées, et le patron voulait fermer donc elles ont fait grève. Moi j’étais à ce moment-là syndiquée à la CFDT, qui était autogestionnaire et qui n’était pas ce qu’elle est maintenant, à l’époque la CFDT était bien plus à gauche que la CGT, et elle était surtout très autogestionnaire. Elle était déjà préoccupée par les questions de l’alimentation, de la nourriture, et avec la CFDT on avait monté des trucs géniaux. Et donc je travaillais avec la CFDT à l’époque, et je suivais les grèves des femmes avec a CFDT. L’usine s’appelait Berges, c’était le nom du patron, elles faisaient des pantalons, et ça s’appelait Berges sans nous tu es un homme sans pantalon, parce qu’elles criaient ça. Et donc je filmais ça aussi. Quand je suis arrivée à Toulouse je n’ai pas eu de boulot pendant un an et je n’ai fait que ça, que de la vidéo, et j’ai suivi toutes les grèves qu’il y avait, et donc les grèves des femmes.

D’où vient cette volonté de faire de la vidéo ?

Je ne sais pas. Le cinéma était un peu notre passion, je dis « notre » parce que j’étais en couple, j’ai d’ailleurs rencontré mon mari de l’époque dans un ciné-club. On était très cinéphiles, on est partis en Algérie et on a monté les premiers ciné-clubs algériens. J’ai baigné très jeune, j’avais vingt ans quand on s’est connus, dans le cinéma. La Nouvelle Vague, c’était quand même une période très enthousiasmante par rapport au cinéma. J’ai fait des études d’anglais, et quand j’ai fini ma maitrise, j’ai voulu aller vers une thèse en cinéma. Et comme j’étais plutôt cinéma américain, ça rejoignait, donc je pouvais le faire, et donc j’ai commencé à travailler sur le cinéma américain et la question des Indiens dans le cinéma américain, la représentation, les stéréotypes… J’ai commencé à travailler comme ça. Donc ça a été une progression constante. On n’avait jamais imaginé qu’on pouvait faire du cinéma nous-mêmes. Et quand on a eu l’opportunité d’acheter ce matériel, ce sont des copains à nous de Paris dont elle était sociologue, qui nous ont permis d’avoir l’opportunité d’acheter un magnétoscope. On ne pouvait pas l’acheter tous seuls et puis il faut un groupe pour travailler, on a dit « Banco ! » et c’est parti comme ça. Et moi je n’étais pas du tout technicienne, mais j’étais mariée avec un ingénieur. Alors j’ai beaucoup appris avec lui et je me baladais, puisque

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comme il y avait pas de magnétoscope il fallait se les trimballer, c’était énorme, ils étaient lourds, pour moi c’était très lourd, et j’avais toujours mon fer à souder, Irène le raconte toujours, que c’était incroyable : j’ouvrais les ordinateurs, je soudais, je refermais, et j’ai appris comme ça sur le tas. Je n’avais pas fait d’études techniques, et pour faire de la vidéo à l’époque, tel que c’était, au début on avait deux magnétoscopes, il fallait chronométrer, c’était terrible la technique. Après on a acheté une boite intermédiaire entre les deux, mais encore une fois il fallait tout chronométrer soi-même à la main. Jusqu’à ce qu’on ait un matériel technique supérieur. En 68, les gens de l’ORTF ont été licenciés, et y a toute une bande de journalistes qui ont monté une boite vidéo, alternative à la télé, et ils coupaient les bandes vidéo comme on coupe le Super 8 ou le 16mm ou le 35 ; ils le coupaient à la main. Mais c’était horrible parce qu’il y avait des scratchs, c’était terrible. Mais j’ai travaillé aussi à partir de là, parce que quand même, l’après-68 était plein d’initiatives, plein de gens qui avait envie de créer, d’innover, et moi j’ai baigné là-dedans. Je pense que c’est tout ça, c’est un ensemble de choses comme ça.

Par rapport au féminisme, as-tu vu de suite l’importance de faire de la vidéo dans le mouvement féministe ?

Non non, ça ne s’est pas fait comme ça. Ça, c’était ma volonté. Moi j’étais féministe avant de savoir que je l’étais. Et donc quand j’ai rencontré les femmes, après 1971 dans la région parisienne, qui luttaient, j’ai réalisé que c’était bien ça qui m’arrivait. Tout ce que je considérais, qui n’allait pas, c’était toujours de ma faute. Et quand j’ai réalisé qu’on était nombreuses à penser et à subir les mêmes choses, je me suis rendu compte que c’était une société qui était construite comme ça. Donc si tu veux, le féminisme je ne l’ai pas découvert, j’ai découvert que ça s’appelait comme ça, mais je luttais déjà toute seule, et dans la contrainte de me considérer un peu anormale. Donc la vidéo quand elle est arrivée c’est la conjoncture entre mon engagement féministe qui était déjà là et mon travail de cinéphile qui était déjà là. C’est la conjoncture des deux.

Y avait-il des liens avec des vidéastes d’autres villes ? Comment se faisaient-ils ?

Alors on a fait en 81, à Amsterdam, le festival du film et de la vidéo féministe. Donc moi j’étais dans la délégation française. On était deux de Toulouse, Alice et moi. Et là c’était cette volonté de regrouper l’ensemble des femmes qui faisaient soit de la vidéo soit du cinéma. La vidéo avait l’avantage de ne pas être chère. C’était quand même cher, mais par rapport à un film ce n’était pas cher. C’était le prix de la bande vidéo et puis le matériel électronique il fallait l’entretenir, surtout quand il fallait toujours le trimballer de gauche à droite, le mettre

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dans les voitures, le sortir. Des fois il faisait froid, tu le laissais dans la voiture parce que c’était trop lourd… Il y avait quand même des frais, mais ça c’était mon couple qui le prenait en charge complètement. Parce que si tu veux, c’était notre danseuse la vidéo. On avait décidé que ce serait notre choix d’entretenir ce matériel. Mais quand on faisait un groupe, les filles, ça ne leur coutait pas grand-chose : on achetait les bandes ensemble, et puis on mangeait ensemble, c’était tout gratuit, je faisais tout gratuitement. C’était donc très intéressant. Autant les films n’étaient pas pédagogiques, ce qui était pédagogique c’était la transition de la démarche de réalisation d’un film vidéo, et la transmission de la technique électronique des appareils. Ça, c’était toujours mon dada. Et ça je l’ai fait des multiples et des multiples fois. Pour moi c’était la continuité d’un mode d’expression.

Y avait-il une volonté affichée de transmettre cette technique entre femmes ?