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Région métropolitaine 3 523 744 (2005) 5 4 770 180 (2005)

5 1969-2002: RÉGULATION ÉTATIQUE ET INSTITUTIONNALISATION D’UN NOUVEL ACTEUR

1. MODE D’HABITER

Là où le sol s’est enlaidi, là où toute poésie a disparu du paysage, les imaginations s’éteignent, les esprits s’appauvrissent, la routine et la servilité s’emparent des âmes et les disposent à la torpeur et à la mort (Élisée Reclus, 1866).

Dans la logique actuelle qualifiée de postmoderne ou encore de modernité avancée, l’individu a repris une place de choix dans le système. Alors que Touraine (1984) parlait de retour de l’acteur, l’économie voyait poindre un retour de l’individualité et un désir de différentiation sociale. Pour la géographie, cette transition de la société au particulier s’est traduite par un ajustement des mailles conceptuelles. Ceci a pris les traits d’un regain d’intérêt pour le local dans une logique de reprise de possession de son existence par l’individu et aussi pour l’objet de l’habiter où le territoire perd sa logique géométrique du vide et du modelable pour adopter les traits de lieux rugueux renouvelant avec les modes de vie et d’habiter; reflets de notre rapport avec la nature. Ce retour de la spécificité du territoire et de la prise en compte des rapports homme-nature différenciés induite par le sursaut écologiste ébranle le fonctionnalisme ambiant des technocrates de l’aménagement pour renouer avec la notion d’a-ménagement chère à Heidegger qui invite l’homme à renouer avec son potentiel sensible et ainsi en arriver à un véritable habiter.

Renvoyant à son étymologie, le philosophe allemand nous propose un habiter qui dépasse largement la conception de se loger, pour embrasser un sens élargi qui comprend le bâtir, le soigner, le veiller, le cultiver, le demeurer, le ménager (Heidegger, 1958:173). Ainsi, c’est ni plus ni moins d’un acte total dans l’existence de l’homme dont il est question, d’un véritable rapport au monde. Comme réponse à ce retour des sens, certains proposent à la géographie de réinvestir l’habiter et de le mettre au cœur d’un nouveau projet intégrateur invitant à «une science géographique reformulée, centrée sur les

manières dont les hommes habitent les lieux» (Knafou in Lévy et Dussault, 2003:325). Nous

rappelons ici l’importance du ménagement et du prendre soin relatif à l’habiter qui vient reformuler le projet aménagiste d’une aile géographique. Ainsi, à l’approche utilitariste de nature-réservoir de la modernité, l’habiter pourrait nous amener à une conception holistique de la nature qui permet une approche écologiste, car «les mortels habitent alors qu’ils sauvent la terre» (Heidegger, 1958:177). Mais l’habiter s’étend au-delà du rapport à la nature, il implique également un rapport à l’autre, une sociabilité intrinsèque et ce autant dans un processus de différenciation que de communion: «le sens

de l’habiter est lié à la possibilité d’une médiation comme d’une affirmation de soi dans les rapports à autrui» (Pellegrino, 1993a:172). Il amène la jonction entre espace personnel et espace social. Les

individuels, mais sont également porteurs d’un genre de vie possible. Dans ce contexte, «La quête

d’un genre de vie s’inscrit ainsi dans une stratégie résidentielle où les façons d’habiter sont adoptées comme étant connotatives d’un statut social» (Pellegrino, 1993b:11) ou encore, au-delà des classes,

des valeurs sociétales défendues où «le style devient un principe de vie qui donne sens au fait

d’habiter» (idem:12).

1.1. Néoruralité: une invitation au renouvellement de «habiter»

Dans le cadre de cette communication, il sera ainsi question d’aborder l’offre de potentialité d’habiter des communautés rurales. Lorsqu’il est question de style de vie, les nouveaux migrants de la ruralité aspirent bien souvent à une ruralité renouvelée que nous qualifions de néoruralité. Ces néoruraux sont appréhendés par Hervieux et Léger (1979) en tant qu’immigrés de l’utopie:

Plutôt que de parler de retour, mieux vaudrait parler de recours: face à la crise, au chômage, à la pollution, à la bureaucratisation généralisée de la vie sociale, les immigrés de l’utopie en appellent à la terre, à la nature, à un monde rural magnifié par leur imagination, symbole d’harmonie, de solidarité, de communauté…

(Léger et Hervieu, 1979:9).

Léger et Hervieux expliquent également le passage progressif au fil des ans de l’utopie communautaire de 1968 à l’utopie écologique du vivre autrement et ce, près de la nature (1979:78). Myriam Simard entend quant à elle par population néo-rurale:

une population qui a vécu en milieu urbain, incluant les ruraux de retour et les ex villégiateurs, et qui fait le choix de vivre en permanence en milieu rural, pour des motifs d’ordre individuel, socio-économique ou parce qu’elle est fortement influencée par les qualités esthétiques et environnementales du milieu (2003:4).

Ce sont ainsi les dimensions écologique et communautaire qui se révèlent communes chez les deux auteurs et qui agissent comme éléments attracteurs. L’idée de nature prend alors les traits non pas d’une adoration romantique ou d’une richesse à exploiter, mais plutôt d’une nouvelle valeur opposée

au monde des artifices et à la société industrielle ou encore de refuge contre les pressions sociales

(Moles et Rohmer, 1972). Ce sont alors des éléments de mise en valeur dans un contexte de déficit démographique et de recherche de nouveaux résidents. Nous entendons ici exposer qu’une offre d’espace réfléchie et un processus de préhabitabilité sont à même de créer l’embryon d’une projection communautaire et d’un idéal de proximité à la nature propice à l’utopie néorurale.

Pour éclaircir cette notion de préhabitabilité, nous pouvons nous référer à la définition géographique de l’habitat qui se dresse «comme l'organisation spatiale (idéelle et matérielle) des espaces de vie des

individus ou des groupes» (Lévy et Lussault, 2003, p.437). Ce qui nous intéresse ici, c’est la

différenciation entre l'organisation idéelle et matérielle. Ceci implique une reconnaissance du pouvoir des représentations spatiales et du rapport homme-nature sous-tendu sur notre façon d'investir l'espace. L'organisation spatiale idéelle renvoie ainsi aux représentations abstraites du groupe et du milieu. Sans faire référence automatiquement à un idéal, elle pousse à une conceptualisation de ce qui

devrait être, à un aménagement à venir. Ceci ouvre la voie au concept de préhabitabilité collective qui se définit en tant que volonté individuelle qui se cristallise en volonté commune en tant qu’elle porte le précepte d’habiter comme leitmotiv de leur projet. Ainsi il s’agit de la constitution préalable d’un groupe porteur d’un projet commun d’habiter.

En considérant que: «l’habiter (l'ensemble des actes que les opérateurs réalisent, constructeurs de

leur habitat) est la compétence des acteurs à organiser leur habitat», nous proposons que le

renouvellement de l’habiter passe par une prise de responsabilité de l’habitant et un passage d’un rôle passif de consommateur à un rôle actif d’opérateur. (Lévy et Lussault, 2003:437). Pour approfondir cet habiter, une implication préalable peut venir devancer l’action d'habiter. La construction idéelle de l’habitat est ainsi précurseur de l’action. C’est bel et bien d’une stratégie d’un vouloir habiter dont il est ici question (Lévy et Lussault, 2003, p.437). Il ne s’agit plus de répondre au besoin de se loger, mais bien au désir d’habiter, car l’habitant ne pense pas strictement en termes de fonctions et de besoins, mais en termes d’existence (Chalas, 1992). Dans cette optique, nous postulons que dans le cadre de nouveau projet résidentiel, la participation de l’habitant à la mise en forme de l’habitat est un élément essentiel à un véritable savoir-habiter. Il s’agit ni plus ni moins de répondre en partie à

«l’exigence contemporaine des individus pour une plus grande participation à la construction de leur propre identité» (Berdoulay et Entrikin, 1998:112). Car tel que soulevé par Touraine, «le sujet se définit par la réflexivité et la volonté, par la transformation réfléchie de soi-même et de son environnement» (1992:313).

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