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LES ACTEURS EN PRÉSENCE DANS LA LOI 112 VISANT À LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ ET L’EXCLUSION SOCIALE

Région métropolitaine 3 523 744 (2005) 5 4 770 180 (2005)

FIGURE 3 Niveaux d’investigation

3. LES ACTEURS EN PRÉSENCE DANS LA LOI 112 VISANT À LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ ET L’EXCLUSION SOCIALE

3.1. Le patronat comme acteur social

D’entrée de jeu, soulignons l’adhésion mitigée du patronat à la proposition social-démocrate que représente la loi 112. Alors que la Jeune chambre de commerce se démarque par ses propositions innovantes, le discours du patronat s’inspire du néo-libéralisme. L’idée de responsabilité individuelle, avec sa croyance sous-jacente que la faute n’incombe pas au système mais bien aux individus, est omniprésente. Avançant que le marché du travail est l’exutoire idéal face à la pauvreté, le patronat soutient que la meilleure arme contre la pauvreté est la croissance économique. Dans ce sens, le Conseil du patronat (Mémoire) estime qu’il faut donc: « …viser la constitution d’un environnement économique favorable au développement: fiscalité compétitive, réglementation du travail souple et simplifiée; dépenses publiques contrôlées.» Concrètement, le CPQ suggère l’arrêt du soutien financier aux personnes aptes au travail au bout de 5 ans, les rendant totalement dépendantes du marché du travail. Les stratégies patronales vont dans le sens de la mise en place d’un Schumpeterian

Competition State et d’un régime de workfare (Jessop, 2002). Ces positions faiblement

démarchandisantes sont difficilement réconciliables avec celles des autres acteurs.

3.2. Les syndicats, un acteur influent ayant forgé sa place dans la société salariale

Au plan idéologique, la position de l’acteur syndical se démarque drastiquement de celle du patronat, ce qui n’est guère surprenant si on considère leurs traditionnels rapports conflictuels, et se rapproche de celle du Collectif pour l’élimination de la pauvreté. Les syndicats rejettent unanimement la libéralisation sauvage des économies et ne croient pas que le marché, sans une intervention correctrice de l’État, soit une solution aux problèmes de pauvreté. Ils interpellent l’État dans son rôle de régulateur, tant au plan du marché de l’emploi, qu’à celui de la lutte à la pauvreté. Le 17 octobre 2002, Claudette Carbonneau de la CSN s’est exprimé ainsi: «La croissance économique, qui est, somme toute, le fruit d’un travail collectif, produit certes la richesse, mais encore faut-il que cette richesse soit équitablement partagée». Parallèlement à ses positions social-démocrates, l’acteur syndical est promoteur du modèle partenarial en émergence depuis la crise du modèle étatiste de la Révolution tranquille. Ainsi, les syndicats estiment que dans une perspective de transformation des rapports de consommation, les personnes, tout comme les organismes, doivent être associées à la conception, à la mise en œuvre et à l’évaluation des politiques.

3.3. Le socio-communautaire: vers l’institutionnalisation d’un nouvel acteur social

C’est à partir du Sommet sur l’économie et l’emploi de 1996 que cet acteur a acquis une reconnaissance en regard du modèle tripartite défini jusque là par l’État, les syndicats et le patronat (Noël, 2003). Il regroupe plusieurs organisations dont certaines font partie du Collectif, lui-même à l’origine de la loi 112. Fort de leur reconnaissance nouvelle, plusieurs organisations sont partisanes d’un modèle partenarial qui leur accorderait un espace qui ne leur était pas consenti dans les rapports de consommation fordiste. Cependant, alors que l’économie sociale veut «réanimer une solidarité civile intermédiaire» que la bureaucratie avait éteinte, d’autres groupes comme le Mouvement d’éducation populaire et d’action communautaire du Québec (MÉPACQ) dénoncent ce modèle comme n’étant que l’instrumentalisation et la récupération du communautaire à des fins de retrait de l’État-providence. Malgré un désaccord sur sa place dans la lutte à la pauvreté, l’acteur socio-communautaire met de l’avant des stratégies fondées sur la notion de droit, l’accès universel et inconditionnel aux prestations, la cohésion sociale et la lutte à la stigmatisation. Il explique les causes de la pauvreté par des phénomènes sur lesquels les individus n’ont souvent aucune emprise. Le MÉPACQ alla même jusqu’à remettre en cause les fondements même de l’accumulation capitaliste. En dépit du fait que l’acteur socio-communautaire ne tienne pas un discours homogène, nous pouvons tout de même affirmer qu’il veut voir se consolider les outils de solidarité dont disposait le fordisme alors qu’à l’opposé, le patronat veut les voir s’effacer.

3.4. État, appareils publics et parapublics

Soulignons que la complexité de l’acteur étatique et la diversité de ses composantes nous obligent à n’en faire ressortir qu’une infime partie. Au-delà de l’absence remarquée de l’ADQ, les libéraux admettent sans réserve qu’une protection sociale doit être accordée par l’État afin d’assurer l’égalité des chances. Quant au PQ il tient un discours contradictoire lorsque Nicole Léger affirme «Je suis fière d’être souverainiste et d’être sociale-démocrate» (P.V. Léger) et que Linda Goupil, dans une logique de marchandisation étrangère à la social-démocratie, soutient que «le Gouvernement du Parti québécois n’est pas un gouvernement qui va soutenir des gens qui ne veulent rien faire pour s’en sortir et qui sont assis sur leur steak» (Mémoire MÉPACQ, p.4). Par ailleurs, il propose une configuration partenariale des stratégies de lutte contre la pauvreté qui ne se limite pas à une dynamique top-down, mais répond aux demandes de démocratisation par l’inclusion des acteurs issus du quadripartisme. Cependant, rappelons que pour certains acteurs, cette rhétorique cacherait des objectifs de transfert des fonctions étatiques dans le cadre d’un virage néo-libéral. Suivant cette approche, l’espace accordé aux partenaires ne serait que subterfuge, entretenant l’illusion que la société civile à du pouvoir alors même que les ministères les intègrent à la gestion d’un État néolibéral. Dans le même ordre d’idée, nous pourrions penser que la loi 112 n’est qu’une opération démagogique de séduction de l’électorat motivée par l’approche des élections. Ainsi, il n’est pas impossible que l’élite politique québécoise, inspirée de Joseph Schumpeter, aurait tenté de tromper «une opinion publique ignorante et facile à manipuler» (Noël, 1996, p.25).

3.5. Les rapports sociaux au cœur de la formulation de la loi 112: négociation et compromis

Rappelons que c’est le Collectif pour l’élimination de la pauvreté et non pas l’État québécois qui est à l’origine de la loi. Le processus de formulation de type co-construction et les stratégies de mise en œuvre de la loi, par la participation des acteurs de la société civile à la lutte à la pauvreté, témoignent de rapports de consommation inclusifs allant dans le sens de la consolidation du modèle de développement partenarial. Nous estimons que la nouvelle articulation des rapports entre les acteurs et la création de nouveaux espaces collectifs correspond à un nouveau compromis institutionnalisé. La formulation et les débats autour de la loi 112 sont un formidable exemple de négociation entre des positions idéologiques contradictoires. Dans ce contexte d’incompatibilité fondamentale entre les discours, logiques et stratégies proposés par les acteurs en présence, le Collectif pour l’élimination de la pauvreté est venu faire contrepoids au discours néo-libéral du Patronat, par un discours fortement démarchandisant. Ainsi, la loi 112 constitue un compromis négocié entre des acteurs ayant des valeurs, idéologies et stratégies, se situant même à des extrêmes dans le continuum des actions possibles face à la pauvreté. L’institutionnalisation de l’acteur socio-communautaire au sein des forces sociales a probablement permis de contrecarrer la tendance à la convergence et au nivelage des différences vers l’américanisation (Bélanger et Lévesque, 2001).

4. 1969-2002: D’UN CONSENSUS DES FORCES SOCIALES À UN COMPROMIS

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