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LA GOUVERNANCE DES ESPACES COLLECTIFS: UN VÉRITABLE POUVOIR AUX CAMPEURS?

Travail des enfants

CAMPEURS SAISONNIERS TOUS LES CAMPEURS

4. LA GOUVERNANCE DES ESPACES COLLECTIFS: UN VÉRITABLE POUVOIR AUX CAMPEURS?

4.1. La genèse du camping

Jusqu’au milieu du 20e siècle, les deux terrains de camping étudiés étaient des exploitations touristiques accueillant des voyageurs de passage qui cherchaient un endroit pour passer la nuit et se divertir. Le développement du réseau routier reliant Montréal et ses régions limitrophes explique cet état de fait. Le caractère touristique de la petite municipalité de St-Sulpice a pris de l’ampleur vers 1918 avec l’arrivée de plus en plus de voitures sur le chemin du Roy nouvellement pavé, reliant Montréal et Québec (Paquet 2001, Prud’homme 2005). L’actuel terrain de camping, appelé Cabines Bonin à l’époque, s’est d’abord fait connaître pour sa plage. Ensuite, une salle de danse a été construite tout comme une piscine, un restaurant et des cabines, petites unités locatives séparées s’apparentant à des chambres de motel (voir Figure 2).

FIGURE 2

Cabine encore debout au camping Le Marquis.

Le camping du Lac Cristal s’est lui aussi développé sur la base d’une entreprise d’hébergement de courte durée, Cristal Lake Cabins, située près d’un lac aux abords de l’autoroute 15, reliant Montréal et New York. Le caractère temporaire des pratiques touristiques des deux établissements a commencé à changer vers la fin des années 1950 pour devenir beaucoup plus permanent.

La pratique du camping s’est immiscée dans ces deux espaces touristiques à la demande des utilisateurs qui ont jeté eux-mêmes les bases de cette pratique. Par exemple, les premiers campeurs saisonniers ont approché le propriétaire de Cristal Lake Cabins en lui demandant s’ils pouvaient planter leur tente pour l’été près du Lac. Ils se seraient d’abord installés sur de petites parcelles de terrain les uns à côté des autres selon les liens de parenté ou d’amitié qui les unissaient. L’aménagement du terrain de camping se faisait un peu au hasard, selon la demande des campeurs attirés par le lac et l’air de la campagne. Ce sont eux qui ont amorcé la transformation du type d’hébergement offert aux vacanciers.

Les propriétaires ont repris la maîtrise de la production de l’espace dans les années 1970 et 1980 en planifiant à l’avance le développement de leur terrain de camping après avoir réagi à la demande des campeurs saisonniers dans les décennies précédentes. Des infrastructures de services, eau et électricité, sont offertes aux campeurs saisonniers depuis les années 1970. Pourtant, plusieurs d’entre eux se sont d’abord fait installer des fosses septiques avant de pouvoir être raccordés à un réseau collectif de collecte des eaux usées. L’ajout d’infrastructures de services plus fiables, comme des lignes électriques plus puissantes, a aussi suivi l’arrivée des campeurs au camping Le Marquis. Cet aménagement individuel des infrastructures de services illustre bien le rôle crucial qu’ils ont joué dans la production de leur terrain de camping.

Même à la fin des années 1990, l’appropriation de l’espace par les campeurs saisonniers était possible. Un campeur du camping Le Marquis m’a raconté qu’il a décidé d’occuper l’emplacement qu’il désirait dans une nouvelle rue avant même de demander la permission d’y camper. Une fois installé, les responsables n’avaient pas le choix de lui louer cet emplacement. D’autres décident d’aménager des espaces collectifs et finissent par les annexer à leur propre emplacement avec le temps.

Dans les deux cas, les campeurs saisonniers prennent l’initiative d’occuper l’espace et le propriétaire est à leur remorque. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les premiers clients n’ont pas d’abord été séduits par les services offerts. Ils ont précipité graduellement leur développement à un endroit qui leur paraissait propice à la vie en plein air. Ainsi, le camping saisonnier constitue une pratique qui répond plus fidèlement à leurs besoins que si elle avait été pensée au départ par des entrepreneurs en loisir, ce qui peut expliquer que les campeurs demeurent longtemps au même endroit.

4.2. Le rôle des campeurs saisonniers dans l’organisation d’activités de loisirs

En plus d’avoir bénéficié d’un réel pouvoir dans l’aménagement initial de leur terrain de camping, les campeurs saisonniers sont encore responsables de la production et de l’administration des espaces de loisirs. En fait, les résidents du camping du Lac Cristal ont construit un terrain de baseball, un terrain de pétanque (constitué d’une vingtaine d’allées) et un terrain de fers avec une contribution minimale du propriétaire des lieux. Afin de financer ces projets, ils organisent des loteries entre eux et ils dénichent divers commanditaires. Ils investissent du temps et de l’argent pour obtenir ce qu’ils veulent plutôt que de déménager dans un terrain de camping qui pourrait leur offrir les mêmes services.

La volonté des résidents du camping Le Marquis de proposer une atmosphère sociale attrayante à leurs voisins se manifeste par des demandes soutenues au propriétaire pour qu’il investisse lui-même dans les infrastructures de loisir. L’action de ces campeurs porte plutôt sur l’élaboration d’un calendrier d’activités de loisir. Leur pouvoir d’action est limité par les infrastructures dont ils disposent, mais il n’en demeure pas moins important.

Les campeurs saisonniers élisent chaque été un ou plusieurs comités pour s’occuper d’organiser les activités de loisir et les événements spéciaux tout au long de la saison. Cet organisme à but non lucratif constitué de bénévoles gère l’argent recueilli lors de diverses campagnes de financement pour le réinvestir afin de divertir les campeurs. Les propriétaires et les employées des terrains de camping n’ont donc pas à se soucier d’offrir ce type de services qui est pris en charge par leurs clients. Cette collaboration permet aux campeurs de décider des activités qui les intéressent le plus et de contrôler le calendrier de la saison. Les propriétaires n’ont pas vraiment leur mot à dire dans ce processus de décision, sauf lorsqu’ils sont sollicités bien sûr. Les demandes se font d’ailleurs de plus en plus nombreuses.

4.3. Des inconvénients au pouvoir des campeurs

Les campeurs saisonniers considèrent de plus en plus le pouvoir qu’ils possèdent en ce qui a trait à l’organisation et l’administration des infrastructures de loisir comme une responsabilité qu’ils ne veulent plus assumer. Malgré le rôle prépondérant joué par les campeurs dans la production des espaces collectifs, ces derniers demeurent clients d’une entreprise qui ne leur appartient pas. Par conséquent, certains refusent d’investir leur temps et leur argent dans des projets alors qu’ils ne bénéficieront pas des profits réalisés une fois le terrain de camping vendu. D’autres affirment que le propriétaire profite indument du travail bénévole des campeurs. Sans les activités de loisirs que ceux-ci organisent, plusieurs individus délaisseraient certainement la pratique du camping.

Le rôle que les campeurs jouent dans la gouvernance de leur terrain de camping contribue à augmenter leur sentiment d’appartenance à l’entreprise, mais ce ne sont peut-être pas eux qui en bénéficient le plus. En déléguant l’administration des activités de loisirs aux campeurs saisonniers, les propriétaires économisent sur la main-d’œuvre et l’investissement dans les infrastructures tout en regardant leur terrain de camping prendre de la valeur. Cette collaboration entre propriétaires et campeurs permet néanmoins de garantir des prix de location plus bas.

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