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LA METHODOLOGIE : UNE RECHERCHE ACTION

1. Fondements méthodologiques et pratiques de la recherche de terrain

2.1. Modalités de recherche

Le dispositif mis en place autour de la doctorante6

Il est souvent reproché aux thèses privilégiant une approche de terrain de n’être que le reflet de la réalité perçue par le chercheur immergé en entreprise. Il sera donc nécessaire d’« objectiver » la démarche en évaluant les découvertes théoriques et son efficacité dans le processus de transformation : « Les connaissances du terrain seront objectivées dans la mesure où elles seront rapportées aux situations dans lesquelles elles sont produites » (Girin, 1987). La contextualisation des évènements permet également au chercheur et au lecteur de comprendre l’évolution de la situation (Hlady-Rispal (2002). Notre positionnement épistémologique conditionne notre volonté d’objectiver les données issues de notre terrain. Même si l’indépendance sujet – objet d’étude ne pourra pas être obtenu dans ce cadre de recherche, nous tenterons d’expliquer la réalité par une connaissance objective s’intéressant aux faits. Pour rendre objectives les données recueillies sur le terrain, Girin (1989) recommande trois éléments de gestion à mettre en place autour de la recherche :

- L’instance de gestion, c’est-à-dire des personnes représentant l’organisation étudiée se réunissant autour des chercheurs pour suivre et analyser l’évolution de la recherche. Dans le cas de notre travail doctoral, cette instance de gestion fut composée du directeur des ressources humaines de l’entreprise, personne à l’initiative de la CIFRE, et des responsables hiérarchiques successifs de la doctorante ;

- L’instance de contrôle a été composée du directeur de thèse et du groupe de recherche auquel la doctorante appartient. Dans la première phase de la recherche, les instances de contrôle et de gestion ont eu des rendez-vous réguliers afin de suivre et recadrer si nécessaire l’avancement universitaire et

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On trouvera en annexe un tableau récapitulatif du dispositif mis en place autour de la doctorante sur les trois années de CIFRE

62 industriel du travail. Dans la deuxième phase de la recherche, un compte rendu des réunions de l’instance de gestion était transmis à l’instance de contrôle ; - La mémoire : une prise de notes régulières au cours des réunions, entretiens

formels et informelles ainsi que la rédaction de comptes rendus de réunions ont contribué à la mémoire de l’intervention.

Le but de ce dispositif est d’ « objectiver des données subjectives » (Girin, 1987) une démarche d’intervention étant influencée par la personnalité, les motivations, les expériences du chercheur, ensemble de « déterminants subjectifs » au sens de Arnaud (1996) qui, s’ils ne sont pas maîtrisés, risquent de venir parasiter la recherche. La création d’une instance de gestion et d’une instance de contrôle permet la double appréciation périodique recommandée par Lallé (2002). Acquérir la confiance des acteurs et des dirigeants apparaissait important dès le début de l’intervention en entreprise, notamment dans un contexte de PME familiale. Hlady-Rispal (2000) souligne d’ailleurs les difficultés particulières à l’intervention en PME : « Très occupé, peu enclin à divulguer toute information confidentielle, et souvent sceptique face aux apports de chercheurs issus de l’université et donc éloignés des réalités du terrain, le dirigeant de PME peut avoir de nombreuses réticences sur la capacité du chercheur à comprendre des problèmes qui touchent directement à ses activités ». Erickson (1986) préconise quatre moyens pour nouer une relation de confiance avec l’entreprise d’accueil et ses acteurs : neutralité (de jugement face au sujet), confidentialité (ne pas faire de commentaires sur ses observations), implication (impliquer les acteurs dans la recherche) et clarté (idée claire et procédures précises pour recueillir les données). Afin de conserver l’accès aux données de l’entreprise et ne pas perdre la confiance qu’on avait bien voulu accorder à la doctorante, celle-ci a dû quelquefois réaliser des tâches purement opérationnelles, en inadéquation avec ses compétences (archivage, administratif). C’est le cas de la PME qui voit la doctorante comme une employée supplémentaire devant réaliser quelques activités directement identifiables : la prise en charge d’activités opérationnelles apparaît comme une solution adéquate pour conserver des relations avec les salariés de l’entreprise et ses dirigeants (Cateura, 2006).

63 Une nécessaire distanciation par rapport au terrain

Par ailleurs, en suivant les recommandations de Savall et Zardet (1997), aux phases d’intériorisation ont succédé des phases d’extériorisation : « la lucidité épistémologique » du chercheur empêche une manipulation provenant des acteurs du terrain. Dans le même ordre d’idée, il est essentiel pour la doctorante en CIFRE de bien gérer sa distanciation par rapport au terrain de recherche (la distance étant définie par Plane (1996) comme l’espace qui empêche toute familiarité). En effet, comme le préconise Bourcieu (2000), le chercheur doit conserver une distance suffisante avec l’entreprise pour les éléments qui ne concernent pas sa recherche, avec un devoir de réserve. A ce titre, aucune familiarité ne s’est tissée au sein de l’entreprise et la doctorante n’a pas participé aux évènements hors entreprise (repas de fin d’année et d’été) afin de conserver une distance raisonnable dans les activités quotidiennes industrielles et de recherche. Il est indispensable de bien jauger le degré de distanciation – immersion. En effet, Plane (1996) précise qu’une distanciation trop forte risque de réduire la base d’informations disponibles pour le chercheur et de ce fait de remettre en question la légitimité et la crédibilité du chercheur. A contrario, une trop forte immersion risque d’entraîner la manipulation de l’entreprise par les intervenants et diminue la lucidité et la visibilité du chercheur. Par ailleurs, suivant Crozier et Friedberg (1977), il est essentiel d’avoir une position de recul et de distance critique afin d’enlever aux phénomènes observés le caractère d’évidence qu’ils ont aux yeux des acteurs : « rompre avec le sens commun » selon Bourdieu. On a par ailleurs veillé à ce que les deux biais relevés par Miles et Huberman (1984) n’apparaissent pas dans notre recherche : le biais d’« élitement » (surestimer l’importance des données provenant des acteurs bien informés ou de statut élevé) et le biais de « sur assimilation » (manque de distance réflexive risquant d’entraîner une cooptation avec les acteurs du terrain). La condition sine qua non à une étude de terrain scientifique est de conserver un recul indispensable par rapport au terrain, tout en considérant que l’indépendance du chercheur doit être avant tout intellectuelle et culturelle (Lallé, 2002). Ce recul indispensable a été assuré par des rendez-vous fréquents avec le directeur de thèse au cours desquels de véritables séances de débriefing ont été réalisées. Par ailleurs, la présentation des évènements intervenus dans l’entreprise au groupe de recherche auquel la doctorante appartient a permis de confronter les points de vue et de conserver une distanciation suffisante. Dans ce groupe, il y avait une dizaine de doctorants dont une autre doctorante en bourse CIFRE. Outre les contacts fréquents avec le directeur de thèse, le recul a

64 été facilité par la participation de la doctorante à des cours du programme doctoral, des colloques et des journées de Tutorat. Ce type de journée a également permis de confronter les résultats aux attentes académiques, élément essentiel dans un travail de recherche (Bourcieu (2000), Lallé (2002)). Par ailleurs, un article a été rédigé avec le directeur de thèse afin d’éclairer les données de terrain par la théorie, de valider la méthodologie employée et d’attester des résultats obtenus dans la première phase de recherche (Bourcieu, 2000).La présentation des travaux de recherche aux membres de la communauté scientifique est gage d’intersubjectivité (Depelteau, 2000). De plus, des journées d’absence de l’entreprise, destinées à la recherche avaient été préalablement négociées, venant s’ajouter aux jours de congés payés de la doctorante. Cela a permis de disposer d’un temps suffisant à la réflexion et à la rédaction de la thèse, afin d’éviter le phénomène de « cannibalisation » (Bourcieu, 2000) par lequel le temps que le doctorant devrait passer à la formalisation de sa recherche est finalement consacré au travail en entreprise.

Par ailleurs, le dispositif de recherche a été renforcé par la tenue d’un journal de bord chronologique. Le journal de bord a été complété tout au long de l’intervention, même pendant certaines phases directement opérationnelles et présentant à première vue peu d’intérêt pour le travail de thèse : « Tout ce qui se présente à la vue ou à l’oreille est potentiellement pertinent … ce qui serait trivial pour l’un peut avoir la plus haute signification pour l’autre » (Woods, 1990). Face aux inconvénients souvent rattachés à une démarche in situ, la tenue d’un tel journal apparaît essentielle. Suivant les recommandations de Coutelle (2005), trois types de notes ont été prises lors de l’immersion de la doctorante dans l’entreprise : les notes de terrain (évènements, activités, faits, etc.), les notes méthodologiques (les interactions observateur / observé, l’impact de la présence du chercheur dans l’organisation) et les notes d’analyse (enregistrement des impressions et intuitions du chercheur en lien avec la théorie). La doctorante a par ailleurs consigné un quatrième type de notes (James et Spradley, 1979) : le récit textuel condensé des productions verbales des acteurs dans une écriture lisible reprenant le langage utilisé par le sujet si possible mot à mot (Kirk et Miller, 1986). Les notes ont principalement été prises à l’insu des autochtones afin de ne pas mettre en péril l’intervention du chercheur par une méfiance vis-à-vis de ses pratiques de recherche, inconnues aux membres de cette PME.

Dans la phase de rédaction de la thèse, les notes prises durant l’intervention de la doctorante en entreprise serviront à replonger le chercheur dans l’ambiance de l’entreprise au moment où les évènements relatés se sont présentés, permettra d’enrichir le travail de thèse par des

65 citations des acteurs venant conforter les éléments annoncés et évitera la perte d’éléments qui pourraient s’avérer intéressants.

Pour éviter que la doctorante soit immergée dans son terrain sans le recul indispensable à ce type de recherche, un dispositif rigoureux de recherche a été mis en place : instance de gestion et de contrôle, prise de notes, dispositifs délibérés de distanciation.