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Lien entre introduction du contrôle de gestion et apprentissage

REFLEXIONS SUR L’INTRODUCTION DU CONTROLE DE GESTION

2. Effets des modalités de coordination et d’apprentissage sur l’implantation du contrôle de gestion

2.2. Lien entre introduction du contrôle de gestion et apprentissage

Le lien existant entre le contrôle de gestion et les phénomènes d’apprentissage est réel. On peut s’en tenir à un apprentissage en boucle simple, qu’on apparenterait au contrôle de type diagnostic de Simons ou s’orienter vers un apprentissage en boucle double, se rapprochant davantage d’un contrôle de type interactif. Le processus d’implémentation du contrôle de gestion doit parvenir à la mise en place d’un apprentissage en boucle double, au cours duquel les acteurs apprennent constamment de leurs erreurs et modifient leur schéma de réponse. C’est là l’enjeu de l’introduction d’un système de pilotage. Or, dans notre recherche,

178 par nos tentatives d’implémentation du contrôle de gestion, on est parvenu à mettre en place des systèmes de détection des écarts, sans pour autant qu’on les assimile à des dispositifs d’apprentissage. On s’est en effet cantonné à un niveau infra, dans lequel la découverte d’une erreur prouve déjà à elle seule le bien fondé du contrôle, sans chercher à en tirer des leçons pour modifier les comportements et les réponses apportées. On est encore dans un système où l’on rejette la faute sur la personne à l’origine de l’erreur, sans chercher à trouver les causes de ce dysfonctionnement dans le fonctionnement général de l’organisation ou du service. L’implantation du contrôle de gestion doit donc être un dispositif qui permet de détecter une erreur mais surtout de remettre en question les pratiques. On voit donc que le contrôle de gestion doit être un processus d’apprentissage en ce qu’il doit modifier les schémas de pensée des acteurs. L’objectif de l’implantation du contrôle de gestion est de générer des apprentissages en boucle double : « Dans la mesure où les principes et les buts du contrôle de gestion contredisent les systèmes de valeurs en usage, il est nécessaire de produire autre chose qu’un simple ajustement des pratiques (apprentissage en simple boucle) pour que l’outil soit accepté. Il faut introduire un mécanisme d’apprentissage en double boucle – Argyris et Schon, 1978 - (de recadrage du problème) » (Gervais et Moreau, 2004). Comme cela a été le cas chez Alpha Mode, les valeurs organisationnelles développées par l’entreprise peuvent s’opposer à un apprentissage en boucle double en ce que cela consiste en une remise en question du fonctionnement même de l’organisation. Le management des connaissances n’a pu être développé au sein de l’organisation et n’a pu servir de soutien à la démarche d’introduction du contrôle de gestion. Seul le transfert de connaissances de type socialization, au cours duquel les connaissances tacites transitent vers un autre acteur de l’organisation par initiation ou imitation existe au sein de l’organisation. L’implémentation du contrôle de gestion passe davantage par l’externalization, notamment par la rédaction de procédures. Le fonctionnement d’une organisation plaçant le dirigeant au cœur de l’organisation (prise de décision non participative, supervision directe, concentration des pouvoirs) ne favorise pas la délégation, la responsabilisation des acteurs et l’apprentissage. Cela s’oppose en effet au management par exception prôné par le contrôle interactif. Seul le contrôle de type diagnostic, consistant à détecter les écarts par rapport à une norme, peut être envisagé. On se cantonne alors à un contrôle de gestion au service des fonctions et un apprentissage en boucle simple. Il s’agit alors clairement d’un contrôle de type surveillance des acteurs de l’organisation, loin des concepts rattachés à la notion d’apprentissage en boucle double du contrôle interactif d’un système de contrôle de gestion au service des fonctions.

179 Implantation du contrôle de gestion, apprentissage et routines organisationnelles

Le contrôle de gestion est largement reconnu comme un processus d’apprentissage. Toutefois, avant d’être le cadre stabilisé d’un processus d’apprentissage pour les manageurs individuels dans l’entreprise (vision cognitive retenue), le contrôle de gestion doit être lui- même mis en place lors d’un processus d’apprentissage fondateur, structurant et collectif qui se révèle souvent fort délicat. Il est admis que le contrôle de gestion peut engendrer de l’apprentissage et de nombreuses recherches ont traité de ces liens (« Les systèmes de contrôle de gestion semblent ainsi parmi les déclencheurs principaux des processus d’apprentissage organisationnel » (Batac et Carassus, 2005). Dans son analyse des interactions entre contrôle et apprentissage dans le cas d’une municipalité, Batac et Carassus (2005) posent la problématique suivante : « Comment l’organisation dans son ensemble peut alors remettre en cause ses procédures et normes de fonctionnement pour mieux répartir les savoirs déjà en place et à venir ? ». Pourtant, l’étude d’Alpha Mode nous permet de montrer que l’implémentation du contrôle de gestion peut rencontrer des difficultés même s’il n’existe pas de procédures formelles régissant le fonctionnement de l’organisation (absence de procédures ou de règles écrites). Dans ce cas, l’introduction de normes formelles de fonctionnement doit se faire par rapport d’une part aux savoirs déjà en place et d’autre part par rapport aux routines organisationnelles assurant le fonctionnement de l’entreprise. Ce sont les routines organisationnelles qu’il faut faire évoluer pour introduire le contrôle de gestion. Nobre et Merdinger-Rumpler (2002) montrent d’ailleurs le risque pouvant exister à nier le changement nécessaire : « La rigidité des routines est à l’origine de la transformation incrémentale des organisations sur un «sentier organisationnel» qui, à terme, peu transformer des compétences fondamentales en cause d’échec ». On est dans le cas où les ressources disponibles au sein de l’organisation (connaissances et compétences) compliquent la mise en place d’un système de pilotage car elles sont à elles seules efficaces pour se développer et générer du résultat. Le système de pilotage intervient habituellement à une période moins avancée dans la vie de l’organisation. Dans ce cas de figure, les routines organisationnelles sont moins ancrées dans les pratiques, moins manifestes dans l’entreprise et il est de ce fait plus aisé de les faire évoluer, sans être confronté à l’inertie de la firme. On peut y trouver une réponse à la résistance au changement : les savoirs composant les routines organisationnelles sont source d’inertie et de résistance au changement (Tarondeau, 1998). Lorsque la formalisation et l’instrumentation interviennent tardivement, le système de pilotage vient

180 bouleverser la mémoire organisationnelle fondée par les salariés en remettant en cause leurs pratiques. Plus l’organisation de l’entreprise est informelle, plus les routines organisationnelles sont importantes. Elles sont en effet plus nombreuses et elles participent davantage à la conduite de l’activité, en ce qu’elles sont l’unique référence pour mener à bien les tâches. Les acteurs se confortent dans les routines organisationnelles et n’ont pas à les concilier avec le système formel d’organisation, puisqu’il y est inexistant. Ils se sont donc créés leurs propres systèmes de référence (par les conventions et les routines) et n’acceptent pas qu’on puisse les remettre en cause. Il faut ainsi inverser le lien intuitif entre contrôle de gestion et apprentissage. Actuellement, le contrôle de gestion est perçu comme inhibiteur de connaissances en ce qu’il s’apparente à de l’autorité et des normes. Ce n’est pas le contrôle de gestion qui va diffuser les connaissances et produire de nouvelles routines organisationnelles mais il va falloir se baser sur celles déjà disponibles dans l’organisation pour les modifier et les inclure dans le système de pilotage.

Contrôle de gestion et formalisation des savoirs

Le cas d’Alpha Mode nous montre que le fait de détenir de fortes compétences foncières entrave l’introduction du contrôle de gestion. Nous rattachons clairement notre travail à la théorie des ressources dans laquelle la firme se définit par ce qu’elle sait faire en interne : « L’effort d’imagination, le sens de l’opportunité, la connaissance instinctive de ce qui prendra ou des méthodes pour faire accepter un produit, jouent alors un rôle prépondérant. Toutes les entreprises n’ont pas à leur disposition de tels talents » (Penrose, 1963). Le processus de formalisation et d’instrumentation de la gestion s’est heurté à une volonté de l’organisation de conserver les savoirs disponibles constituant l’avantage concurrentiel sous une forme tacite, afin de ne pas divulguer, même uniquement au sein de l’organisation, des compétences précieuses. Nous sommes conscients que toutes les connaissances détenues par l’entreprise ne pouvaient être mobilisées : « Les aspects personnels et implicites des connaissances échappent dans une large mesure aux tentatives de contrôle, de formalisation et de développement planifié. » (Dostaler et Boiral, 2000). Si l’avantage concurrentiel de la firme réside dans la connaissance détenue par les fondateurs de l’entreprise, il n’est pas pertinent de les formaliser afin de protéger leur caractère inimitable, salutaire pour l’entreprise (Dostaler et Boiral, 2000). Toutefois, la centralisation de l’organisation autour du dirigeant rend difficile la formalisation des connaissances détenues

181 par les autres acteurs de l’organisation. Elles proviennent principalement de l’expérience développée au sein de l’organisation, qui leur a permis de bénéficier de socialization leur offrant une connaissance accrue de l’historique et du fonctionnement de l’entreprise ce qui se révèle être une source non négligeable de pouvoir au sein d’une organisation au fonctionnement informel. Ils ne sont pas prêts à abandonner cet avantage en explicitant leur connaissance. Reprenant la question de Perrin (2006), « Les pratiques de l’organisation sont- elles codifiables en connaissances procédurales ou sont-elles des processus dynamiques intégrés dans les réseaux sociaux ? », notre recherche montre que les pratiques de l’organisation sont des processus dynamiques intégrés dans les réseaux sociaux ce qui rend difficile leur codification. Il est courant de retrouver, dans les PME familiales, de nombreuses pratiques informelles dont certaines sont peu codifiables. La difficulté à gérer les connaissances, et notamment à les codifier peut donc être un frein à l’introduction du contrôle de gestion. Le fait que toute l’entreprise soit organisée autour des compétences détenues en interne par les fondateurs de l’entreprise, qui leur permettent de dominer leur environnement concurrentiel, agit comme un frein à la mise en place du contrôle de gestion. C’est par son capital humain que l’entreprise développe son avantage concurrentiel : l’accumulation des savoirs, des savoir faire et des savoir être de personnes clés (les dirigeants dans le cas d’Alpha Mode) produit de la valeur en se muant en compétences. Les savoirs faire détenus par ces personnes permet à l’entreprise de disposer d’un avantage compétitif, en ce qu’ils répondent aux caractéristiques de Barney (1991) : elles sont rares, valorisantes, imparfaitement imitables et non substituables.

La nécessité d’introduire un contrôle de gestion de manière proactive n’est pas toujours perçue au sein de l’organisation. La présence d’un contrôle panoptique et clanique et l’absence de confiance ont entravé l’introduction du contrôle de gestion. On a voulu mettre en place un système de pilotage en prenant en compte les connaissances favorisant un phénomène de type apprentissage en boucle double et on se rend compte finalement que c’est le niveau cognitif qui bloque la mise en place du contrôle de gestion. Des valeurs individuelles qui s’opposent à l’instrumentation de la gestion se sont agrégées en valeurs organisationnelles et bloquent l’implémentation du contrôle de gestion. Une mémoire organisationnelle constituée de routines fortes, ancrées dans les pratiques agissent comme un frein à l’introduction du contrôle de gestion, malgré un lien constant et fort avec les

182 connaissances, dans un objectif d’apprentissage en boucle double. Les dispositifs cognitifs que sont les conventions, en tant que représentation partagée du fonctionnement de l’organisation et de l’instrumentation, rendent difficile l’introduction de dispositifs de gestion. Par ailleurs, la gestion des connaissances à l’origine d’un avantage concurrentiel n’est pas aisée. Ces éléments s’opposent aux valeurs ancrées dans un système de pilotage. Il s’avère ainsi difficile d’introduire un contrôle de gestion sans un apprentissage organisationnel collectif. On sait que le contrôle de gestion doit être mis en place au cours d’un processus d’apprentissage fondateur, structurant et collectif23 ce qui ne s’est pas révélé être le cas dans notre intervention. Il n’a pas été fondateur puisque les valeurs organisationnelles, les conventions en place et les représentations associées s’y sont opposées. Il n’a pas été structurant car il s’est opposé au fonctionnement de l’organisation, centré autour du dirigeant. Enfin, il n’a pas été collectif car il n’est pas parvenu à des comportements de participation ou d’adhésion par l’apprentissage organisationnel.