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8. Analyse :

8.3 Mise en perspective du matériel récolté, des entretiens et des observations

8.3.3 Militantisme individuel en ligne

Si les associations et organisation semblent faire grand usage des possibilités d’interaction offertes par les RSN, et faire des efforts pour aller vers leur audience, ou même l’élargir, les militants que nous avons contactés sont moins positifs quant à l’efficacité de la démarche militante en ligne au niveau individuel. Ces pratiques nous ont été rapportées par plusieurs militants et sont ici résumées par Benjamin : « […] j’essaie un petit peu de faire ce que je peux faire à ma mesure, dès que je vois des trucs sur insta ou des trucs qui se passent sur Facebook, bah j’écris des messages. »123. Bryan précise

« […] ça signifie par exemple de commenter des posts qui sont spécistes pour resituer un peu les choses. C’est par exemple dans les interventions médiatiques sur une action antispéciste ou une action où il y a des végans, les cassages de boucheries, ce genre de trucs. Bah en fait, c’est d’être dans les commentaires, et puis d’y aller, d’écrire, etc. » (Bryan124)

Antoine rapporte également avoir fait un usage similaire des RSN à une période de sa vie, mais s’en être détaché depuis et utiliser très peu les RSN en ce moment : « Ça m’arrive de retweeter des choses, j’ai complètement quitté Facebook. Mais j’ai aussi eu une période où j’étais une heure par jour sur Facebook »125. Il explique cet éloignement par le fait qu’il est gêné par le « biais de validation » et le niveau de débat

« au ras-des-pâquerettes » des RSN qui le « fatigue beaucoup » 126. Bryan note également :

« C’est quelque chose que je faisais beaucoup avant d’être dans des actions concrètes et que j’ai arrêté quasiment de faire depuis bientôt une année et demie. Je ne réponds quasiment plus, à part à des gens en privé, mais sur des posts ou sur des discussions genre Facebook, ou Instagram, Twitter ou autre, là je le fais plus […] je me suis rendu compte que c’était pas super efficace, quoi. » (Bryan127)

Ces échanges sur les RSN semblent donc être pratiqués par les personnes interrogées essentiellement au début de leurs parcours militants. Ceci peut s’expliquer par le haut-degré d’engagement et d’énergie requis pour s’adonner aux débats sur les RSN. Le débat en ligne peut ainsi représenter une forme de défouloir pour les énergies des jeunes militants, encore au début de leur carrière militante, et s’estomper avec le passage à des actions en dehors des RSN, comme Bryan l’explique plus haut. Le

123 Benjamin, entretien avec Léo Tarazi (22.12.2020)

124 Bryan, entretien avec Léo Tarazi (28.09.2020)

125 Antoine, entretien avec Léo Tarazi (28.09.2020)

126 Antoine, entretien avec Léo Tarazi (28.09.2020)

127 Bryan, entretien avec Léo Tarazi (28.09.2020)

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risque est ici pour les militants de s’épuiser dans une forme de débat stérile, comme le font ressortir Benjamin et Bryan, quand tous deux relèvent que « […] c’était pas super efficace »128 ou que « c’est pas la meilleure méthode »129. Bryan explique ainsi son impression par rapport aux débats sur les réseaux sociaux :

« J’ai l’impression en fait que sur Internet, les gens sont campés sur leurs positions […] dans la vraie vie, il y a quand même un échange, tu peux te raccrocher à une forme d’intérêt commun, tu peux quand même te dire

« tu vois on est les deux des êtres humains, on est les deux dans un système où on comprend pas tout ce qui se passe. Il y a des choses sur lesquelles on peut avoir de l’impact ». Mais si tu as ce discours sur Internet, c’est très vite ridiculisé, c’est très vite dédramatisé, tu vois. Et en fait, tu passes juste pour un bobo utopiste, qui a pas les pieds sur terre. Ou un extrémiste. » (Bryan130)

Ce sentiment d’incompréhension dans les débats en ligne, la réalisation de l’ampleur de la tâche à accomplir et le sentiment d’insignifiance des sacrifices consentis individuellement jusque-là conduisent également Bryan à ajouter :

« Moi j’ai eu des grandes pauses réseaux sociaux, par exemple, parce qu’à un moment donné, si tu commences à militer sur les réseaux sociaux, ça devient extrêmement compliqué de tenir, parce qu’au bout d’un moment tu perds espoir en fait. Tu perds très vite la notion que ce que tu fais ça a du sens, t’as plus envie en fait. C’est très violent de se confronter aux réseaux sociaux et à l’Internet. […] D’un côté ça a été salvateur et ça a été bénéfique, et de l’autre côté il y a eu des moments où ça a été un peu la descente aux enfers et il a fallu me distancer un peu de tout ça » (Bryan131)

Cet épuisement pose le risque pour les jeunes militants d’abandonner toute forme d’activisme, devant l’ampleur de la tâche à accomplir, et son apparente impossibilité.

Marie-Laure souligne à ce propos un des facteurs qui peuvent expliquer la démobilisation relativement rapide de certains militants antispécistes :

« […] je pense que les personnes qui deviennent antispécistes c’est des personnes qui ont une grande sensibilité et qui sont en souffrance en fait.

Par rapport à ce que subissent les animaux, donc ils viennent déjà avec une fragilité […] il y a une fragilité mentale et émotionnelle. Et voilà, il y a une frustration, il y a des gens qui viennent à quelques actions et qui n’ont pas l’impression d’avoir un impact très concret. […] nous on peut militer sur le temps de notre vie mais les luttes sociales ça se fait sur plusieurs générations. Et j’ai l’impression qu’il y a des gens, soit ils se rendent pas compte, soit ils arrivent pas à accepter ce concept. Ils ont

128 Bryan, entretien avec Léo Tarazi (28.09.2020)

129 Benjamin, entretien avec LéoTarazi (22.12.2020)

130 Bryan, entretien avec Léo Tarazi (28.09.2020)

131 Bryan, entretien avec Léo Tarazi (28.09.2020)

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envie d’avoir des résultats concrets, comme ça, maintenant tout de suite » (Marie-Laure132)

Cette frustration et ce besoin d’immédiateté sont ainsi renforcés par l’isolement des personnes en voie de sensibilisation à l’antispécisme face aux RSN, et peuvent, selon Marie-Laure, en partie être atténué par le sentiment d’appartenance et de soutien procuré par l’action collective au sein d’une organisation :

« C’est pour ça du coup que quand je rencontre des nouvelles personnes qui sont véganes depuis pas longtemps, je les encourage tellement à rejoindre une association ou un groupe d’activistes parce que bah tu vas te sentir moins seul, rencontrer des gens qui ont les mêmes valeurs que toi, et tu vas surtout être utile pour la cause. Parce qu’on a un immense sentiment d’impuissance, parce que on est là « ok, moi j’arrête de manger des animaux, mais il y a quand même des milliards d’animaux qui continuent à être tués ». Alors voilà, on sait bien qu’on change pas le monde, mais au moins on a l’impression de faire ce qui est en notre pouvoir, quoi. » (Marie-Laure133)

Ce découragement, et les risques de désengagement des potentiels militants qu’il implique est finalement bien exprimé par Bryan, lorsqu’il parle de son parcours personnel et des schémas qu’il retrouve chez les nouveaux militants :

« […] ça, c’est vraiment un truc où j’ai eu beaucoup de peine à me distancer de tout ça, et à un moment donné, ça m’a fait mal en fait. Ça a été assez violent à vivre, et je me disais en fait “mais les gens vont pas changer, en fait“. En fait, tu te rends compte, quand tu finis une discussion Internet, qu’en fait c’est foutu quoi. Et je pense que c’est pas une bonne idée, de penser que c’est foutu, parce que je pense pas que c’est le cas, en fait. » (Bryan134)

Pourtant, si les militants notent le peu de perspectives offertes par les activités de débat sur les RSN, tous s’accordent à leur reconnaître une grande valeur dans la diffusion de l’information et de la connaissance. Au même titre que les associations qui les incluent dans leurs stratégies.

Le cas de Benjamin est ici particulier, puisque le militant est très enthousiaste sur le pouvoir mobilisateur et informatif des RSN. Malgré un haut niveau d’intégration au sein de PEA, au niveau des actions de terrain mais aussi dans la structure et la gestion de l’association, et un engagement simultané dans plusieurs autres associations, le militant continue de s’engager dans ces pratiques de débats en ligne, que les autres répondants ont tous indiqué avoir délaissées. Benjamin prépare ainsi l’ouverture d’une chaîne Youtube, pour « vulgariser » les textes antispécistes qui sont parus au fil des années « pour faire une espèce de mise-à-jour médiatique du truc »135. Benjamin est en effet très convaincu par l’audience potentielle offerte par les RSN :

132 Marie-Laure, entretien avec Léo Tarazi (28.09.2020)

133 Marie-Laure, entretien avec Léo Tarazi (28.09.2020)

134 Bryan, entretien avec Léo Tarazi (28.09.2020)

135 Benjamin, entretien avec Léo Tarazi (22.12.2020)

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« c’est venu du constat que les gens lisent pas. Ou en tous cas lisent peu, ou moins. En tout cas, dans le milieu animaliste, les gens lisent pas. Et en faisant des vidéos sur Youtube, si elles sont bien faites […] tu peux facilement toucher 50'000, 100'000 personnes. En termes de vues Youtube, c’est que dalle […] mais c’est vrai que si tu fais 1500 vues sur Youtube, t’auras plus été vu que le dernier bouquin de Thomas Pelletier, qui est sorti dans une super-maison d’édition avec des supers-ouvrages et des supers-références. » (Benjamin136)

8.3.4 Radicalité dans les mouvements antispécistes romands et