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12. Annexes :

12.7 Entretien avec Antoine de PEA (28.09.2020)

Q : Est-ce que tu peux te présenter, ce qui te paraît important pour te décrire ? R : Alors, j’ai trente-sept ans, je suis salarié. Je travaille dans le développement web.

Je pratique les arts-martiaux depuis vingt ans, j’enseigne également le judo. Et puis je suis vegan depuis à peu près six ans, et activiste depuis environ cinq ans. Je suis pas devenu vegan du jour au lendemain, mais je suis passé par deux ans de végétarien et puis aussi un moment où je vérifiais la provenance de ce que je mangeais, ce qui était souvent assez compliqué.

Q : Et tu parles de ton parcours de végétarien jusqu’à l’antispécisme, comment ça s’est passé, comment est-ce que tu as passé les différents caps ? Tu avais des influences, des modèles ?

R : Oui, alors j’ai un collègue que je respecte beaucoup, que j’admire beaucoup, qui m’a… par l’exemple en fait, sans me juger, sans me dire ce qui était bien ou mal, juste en me racontant ce qu’il savait sur l’élevage, sur la réalité du spécisme dans le monde, dans la société. Aussi en voyant des films, il y a un film en particulier qui m’a beaucoup marqué, qui s’appelle Spécisme. Au bout d’un moment, j’ai renoncé petit à petit à différents produits. J’ai renoncé d’abord à la viande, ensuite j’ai renoncé aux œufs, en tout dernier j’ai renoncé au fromage. A chaque fois c’était en découvrant que, en fait, si je continuais à consommer ces produits, je continuais de payer pour cette industrie, je continuais de voter pour cette industrie. Et du coup, c’était pas aligné à mes valeurs.

Le fait que je puisse être en bonne santé, que j’aie ce choix, engage ma responsabilité morale. Je me sens maintenant obligé d’être vegan et antispéciste, du moment que j’ai le choix. Si je retrouvais dans une situation où j’ai vraiment pas le choix, où j’ai vraiment faim et c’est une question de survie, je pourrais tuer un animal. Mais dans la société dans laquelle je vis, j’ai le choix, et j’ai donc cette responsabilité.

Q : Toujours dans cette transition, cette personne que tu respectes t’as accompagné tout du long ? Comment s’est passée la suite de cette transition ? R : Alors, c’est pas une personne qui m’a accompagné, pour m’aider à trouver des alternatives. C’est une personne qui m’a simplement montré que c’était possible, en venant à midi par exemple avec son tofu et ses pois-chiches et puis en me racontant par exemple la réalité de l’industrie laitière. Bah c’est des prises de conscience. Et puis après, c’est moi qui ai fait le chemin de changer mes habitudes. Et ça, je pense que j’en porte le mérite.

Q : Toutes ces ressources, ces films, ces ressources sur comment manger, comment tu les as cherchées ?

R : Je mangeais souvent dehors. Et puis quand j’ai trouvé un ou deux restaurants qui servaient de la nourriture vegan à Lausanne, et bah j’en ai profité. C’est un peu là que j’ai commencé, après j’ai changé petit à petit mes habitudes, du coup du fait que ça n’ait pas été du jour au lendemain, j’ai du mal à voir maintenant d’où me viennent ces alternatives. Finalement, maintenant tout est logique, c’est en fait très, plus facile pour un proche de trouver des alternatives. Des simili-carnés maintenant on en trouve plein.

Alors, ils sont décriés par certains parce qu’ils sont trop chimique, mais quand on regarde les ingrédients, finalement ils sont pas si chimiques que ça. Ça ressemble à de la viande, ben oui. Parce que j’ai rien contre le goût de la viande, contre la texture de la viande. Voilà, finalement, la seule chose à laquelle on doit faire attention en tant que vegan, c’est la B12. Et ça, ben c’est le collègue en question qui m’a proposé pour

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moi de me commander des B12 pour pas trop cher, parce qu’on trouve de tout, et on trouve de tout aussi. Donc on les commande sur internet et puis…

Q : Il avait déjà des bons plans… Et comment tu es devenu militant ?

R : Alors, après avoir vu le film spécisme, j’avais vraiment envie de tout exploser.

J’étais vraiment très en colère contre la société, très révolté. Et puis, il y a eu pas mal de clash aussi avec certains amis, avec ma famille. J’ai du aussi apprendre à accepter que… d’ailleurs j’ai pas été vegan toute ma vie. C’est un processus. Se retrouver dans une association ou dans des associations où les gens partagent les mêmes idées, c’est aussi reposant. Quand on est tous les jours constamment à contre-courant, confronté au spécisme, à la cruauté et à l’oppression des animaux. Enfin la cruauté contre les animaux et leur oppression. Quand on se retrouve entre amis et militants végans, il y a peut-être un côté un peu communautaire. Enfin, faut pas rester que…

enfin, j’ai pas perdu mes autres amis non plus, mais c’est vrai que c’est reposant. C’est chouette, ça permet de discuter, ça permet de s’échanger des bons plans. Ça permet aussi d’avoir des discussions philosophiques, qui vont un peu plus loin que les arguments qu’on ressort tout le temps, quand on fait des évènements par exemple comme celui-là. On ressort souvent les mêmes arguments. Alors, je le fais avec grand plaisir, mais c’est vrai que c’est aussi cool de pouvoir aller un petit peu plus loin dans la discussion.

Q : Et tu te rappelles quelle était la première organisation vers laquelle tu t’es tourné ?

R : Oui, alors c’était PEA, Pour l’Égalité Animale, donc c’est le t-shirt que j’ai aujourd’hui. Donc ça c’est une association qui a une stratégie légale, une stratégie qui lutte contre le spécisme. Qui va en général pas demander aux gens de devenir végans , on va pas dire aux gens comment ils doivent vivre. Simplement sensibiliser face à la réalité du spécisme, et essayer d’agir à un niveau global, à un niveau politique, à un niveau système.

Quand j’étais, aussi, à une certaine période, très révolté contre ce système, j’avais besoin, au moins une fois dans ma vie, d’aller là où ça se passe. Donc, j’ai aussi intégré 269 Libération Animale, qui va bloquer des abattoirs. La difficulté dans ce type d’actions, c’est qu’il y a des conséquences qui sont très lourdes. J’ai aujourd’hui une condamnation de cent-cinquante jours amendes, ça revient à peu près à vingt-mille francs, qu’on me demande fermes.Donc j’ai fait un recours, c’est des procédures judiciaires qui prennent beaucoup de temps. Du coup, j’ai fait ça une fois, je vais pas recommencer, parce que j’ai envie de pouvoir militer sur la durée. Beaucoup de militants qui font des actions un peu coup de poing, un peu choc, arrêtent d’être militants peu de temps après parce que les conséquences sont lourdes.

Q : Il y a beaucoup de gens dans 269 qui ont subi des conséquences aussi lourdes que les tiennes ?

R : Oui, après on n’est pas tous jugés de la même façon. Suivant les cantons, c’est pas les mêmes condamnation, des fois il y a le sursis, des fois il y a le ferme, ça, ça change déjà tout. Et puis après, il y a aussi des gens qui ont un mode de vie où ils vont bloquer des abattoirs partout en Europe et puis ils essaient de jamais se faire chopper. Ils sont embêtés, ils ont des condamnations, et puis ils les paient jamais. Moi j’ai envie quand-même de rester intégré à la société, de rester salarié, d’avoir le droit de continuer d’enseigner le judo. Tout ça c’est des choses qui font que… voilà.

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Q : Tu as commencé chez PEA et ensuite tu es allé chez 269, comment ça s’est fait ?

R : On est très peu nombreux à être végans et antispéciste. Il y a beaucoup de militants qui sont membres de plusieurs organisations. Donc en discutant avec les gens, on peut apprendre qu’il y a telle association, ou telle évènement qui va se faire. C’est comme ça que j’ai pu apprendre ce qui se faisait chez PEA, chez 269, chez Anonymous for the Voiceless, aussi, qui sont quand même les initiateurs du Cube of Truth. PEA l’a repris en Suisse, mais à la base c’était AV. Toutes ces associations, on les trouve par bouche à oreille donc.

Q : Au niveau des moyens d’action, Marie-Laure me disait que beaucoup de militants, une fois qu’ils étaient passés chez 269, ne revenaient jamais chez PEA.

Pour toi c’est important d’avoir les deux ?

R : C’est des questions stratégiques, et on n’est pas tous d’accord là-dessus. Le fait d’avoir des revendications dîtes welfarists, donc pour le bien-être des animaux, en admettant qu’ils soient tués à la fin, pour certains c’est une trahison envers les animaux et c’est hors de question d’avoir ces demandes et pour d’autres c’est des petits pas qui vont dans la bonne direction. Moi, j’ai assez tendance à dire que la lutte elle est énorme, et puis qu’on a tout intérêt à se rassembler. Du coup, c’est bien qu’il y ait plusieurs associations avec des stratégies différentes. C’est important aussi, quand on représente une association de bien tenir la ligne stratégique. Aujourd’hui, je suis avec PEA donc je vais pas commencer à aller dire aux gens que c’est des enfoirés parce qu’ils mangent des animaux. Bon, ça je le fais de toutes façons jamais. Essayer de respecter ensuite la ligne des assos… Ça permet ensuite d’avoir une crédibilité ensuite à PEA quand elle va sur un plateau télé, que 269 aura peut-être pas. Donc il faut une pluralité…

Q : C’est intéressant parce que beaucoup de personnes à qui j’ai parlé ont mentionné Internet comme un des outils principaux qu’ils ont utilisés pour faire leurs premiers pas dans le véganisme et l’antispécisme. Tu n’en as pas parlé.

R : Alors, oui, j’ai vu beaucoup de vidéos sur Internet. Mais ce qui me dérange un peu avec Internet, c’est qu’il y a un biais de validation. On va toujours trouver ce qui est de notre avis parce qu’on cherche ce qui est du même avis que nous. Et quand on est sur un réseau social, les débats sont vraiment au ras-des-paquerettes, et ça me fatigue beaucoup. Donc j’essaie de me détacher un peu d’Internet. Mais c’est vrai que j’ai pu beaucoup voir de vidéos, et ça permet aussi de diffuser des choses. Donc c’est utile, faut pas cracher dessus non plus.

Q : Donc, personnellement, dans ton militantisme, tu ne l’utilises pas trop ? R : En ce moment, très peu. Ça m’arrive de retweeter des choses, j’ai complètement quitté facebook. Mais j’ai eu aussi une période où j’étais une heure par jour sur Facebook.

Q : Dans les nouveaux militants que tu vois arriver, dans les différentes organisations dont tu es ou a été membre, tu remarques un effet d’Internet ? Des gens qui arrivent par internet, ou bien est-ce que, comme dans ton cas, tu remarques que c’est plutôt du bouche-à-oreille ?

R : Alors, j’ai l’impression que la cause climatique ramène des gens vers l’antispécisme. On est pas tous d’accord dans les mouvements climatiques, mais il y a de plus en plus ces mouvements qui grandissent. Cette semaine, il y a eu une action

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de toute une semaine, à Berne. Il y a aussi les procès de Crédit Suisse, enfin des militants qui ont fait une partie de Tennis à Crédit Suisse. Toutes ces actions rassemblent des gens, Extinction Rebellion, Rise Up For Change, Climate Strike, etc.

C’est des gens qui discutent, qui essaient de trouver des tratégies, qui essaient de comprendre pourquoi il y a le changement climatique, et très vite on arrive à la conclusion que l’élevage est une des principales causes du changement climatique.

Alors, ça mène pas forcément vers l’antispécisme et le véganisme parce qu’on pourrait aussi réduire drastiquement notre consommation de viande, mais ça crée une sensibilité quand même. Et du coup, il y a des nouveaux membres qui viennent des mouvements climatiques. Moi je suis allé après-coup aussi voir les mouvements climatiques, et j’ai pu voir aussi qu’il y avait une meilleure réceptivité par rapport à la cause animale.

Q : Tu milites aussi pour la cause climatique ?

R : Un petit peu. Je peux pas dire que oui, parce que je fais très attention maintenant par rapport aux condamnations dont je fais l’objet, mais je vais manifester, oui. Les grès du climat, les vendredis, oui.

Q : Par rapport à la méthode d’ajourd’hui, le cube of truth, avec toute la mise en scène, quel effet tu penses que ça a sur les gens ?

R : Alors il y a de toutes les réactions, donc c’est dur de faire une généralité. Mais en général les gens sont choqués, et je pense que c’est bien. Parce qu’on est tellement éduqués àa la dissonance cognitive, à séparer l’animal du steack, de la nourriture, que ça permet de remontrer la réalité. Je pense que c’est bien, de dir « si c’est trop violent pour vos yeux, pourquoi c’est pas trop violent pour votre estomac ? ». Sans juger les personnes, vraiment essayer d’amener les personnes à réfléchir, à se poser des questions.

Q : Est-ce que tu voudrais rajouter quelque chose, quelque chose qui te paraît important ?

R : Simplement que… bon, j’ai pas trop envie de m’étaler. Mais, on est vraiment minoritaires, et on est tous les jours rappelés à la réalité du fait qu’on est à contre-courant. Du coup, on doit aussi apprendre à se détacher et à accepter qu’on peut peut-être pas résoudre tous les problèmes du monde. Mais je vois une évolution, ces dernières années. Bon, il peut se passer tellement de choses, encore, de mon vivant, surtout avec la crise climatique. Mais j’ai quand même espoir que les choses changent, et que le spécisme soit reconnu pour ce qu’il est. Qu’on le nomme et qu’on l’explique.

Aujourd’hui… Il y a deux trois-ans, les gens savaient pas ce que c’était, spécisme, anti-spécisme, aujourd’hui il y a de plus en plus de gens qui ont entendu le terme, et qui on une idée de ce que c’est, que c’est en rapport avec les animaux. J’espère que d’ici quelques années, on aura vraiment la définition en tête, c’est-à-dire que c’est une discrimination arbitraire, basée sur l’appartenance à une espèce, qui n’a aucune justification concrète, et qui est totalement arbitraire, comme par définition les discriminations. La sentience devrait définir si on inclut un individu dans notre cercle de considération. Finalement, ne pas faire aux autres ce qu’on n’a pas envie qu’on nous fasse. La philosophie, être bon, ça s’applique du moment que les conséquences ont lieu… Je veux pas qu’on m’écrase, donc si j’écrase un caillou ça ne lui fera pas de mal donc on s’en fout, si j’écrase un animal ça lui fera du mal donc on s’en fout pas.

C’est les conséquences qui déterminent…

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Q : Comme tu dis, le spécisme, il y a deux ans c’était relativement inconnu en dehors des cercles militants, aujourd’hui, beaucoup de monde est sensibilisé, tu penses que ça vient de quoi, cette popularisation du terme ? R : Bah, j’ai moi-même été embarqué un petit peu ces dernières années, donc c’est un peu difficile de dire pourquoi. Il y a quelque chose qui s’est levé, quoi. Pourtant c’est un terme qui existe depuis les années huitante. C’est Peter Singer qui l’a démocratisé avec son livre « Libération Animale ». Et ça date, déjà… Pourtant, les mouvements animalistes, jusqu’à il y a quelques années se concentraient sur les animaux qu’on ne mange pas. Il y avait la SPA, la BPA, et c’était toujours : sauver la biodiversité, sauver les animaux doimestiques, bien traiter les animaux. Et, je sais pas pourquoi, depuis quelques années, on parle de sentience, et on parle du côté arbitraire du spécisme.

L214, en France, a fait énormément, je pense. Les actions chocs, les blocages d’abattoirs, tout ça, même s’ils obtiennent très rarement l’aval de la population, ont aussi un impact positif parce qu’ils imposent le débat. Voilà, je pense que c’est vraiment un tout, c’est une conjonction de pleins de facteurs. Donc tant mieux qu’onn en parle de plus en plus.

Q : Et par rapport à ton parcours, quand tu disais que tu étais allé vers 269 parce que tu avais envie d’aller là où ça se passe et aussi par colère. C’était un engagement de colère, ou bien aussi stratégique ?

R : Je me suis dit, évidemment, que je participe à une action qui a un impact, même si je suis pas sûr que ce soit stratégiquement efficient, en termes d’énergie mise et d’impact. C’est un calcul, hein. Oui, ça a un impact, mais par rapport à l’énergie que j’y ai mise est-ce que ça vaut la peine ? Je sais pas. Mais j’en faisais un peu une question d’honneur, c’est mon côté un peu « arts-martiaux », samuraï, je devais me mettre là où ça se passe pour m’interposer physiquement, au moins une fois dans ma vie.

Q : On parlait de L214, qui a beaucoup fait pour populariser la cause, eux ils ont cette stratégie qui est beaucoup basé sur la diffusion de vidéos, prises lors d’actions. Ça c’est important pour le mouvement ? R : Oui, je pense que les enquêtes, et le fait de diffuser au plus grand nombre comment ça se passe, ça permet ensuite d’agir au niveau politique. Et oui, il faut des lois, il faut que les gens changent leur mode de consommation et achètent différemment. Mais l’industrie est tellement forte. Encore une fois, toutes les stratégies sont à considérer.

Mais c’est vrai aussi, de voir comme L214 a grandi, le nombre de membres qu’ils ont pris en quelques années, c’est complètement fou, là ils sont plusieurs milliers, ça montre que leur stratégie paie, aussi. Faire des enquêtes, faire des demandes politiques et beaucoup de diffusion, ça c’est une stratégie qui paie.

Q : Comment PEA se positionne par rapport à ce genre de stratégies ?

R : Alors je pense qu’en tout cas par PEA, en tout cas c’est l’image que j’ai de l’association. PEA fait aussi de nombreuses enquêtes en Suisse. Toutes les images qu’on montre aujourd’hui, enfin la plupart, sont issues d’enquêtes de PEA. Il y a un site internet qui s’appelle « abattoirs-suisses.ch » qui les regroupe toutes. Après, oui bah on fait des stands, on fait des interpellations politiques… En suisse on a la capacité de faire des initiatives. Le problème, c’est que ça coûte cher et que ça demande beaucoup d’énergie. On a beaucoup soutenu l’initiative de Sentience politique, qui est une

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association Zurichoise, j’ai un doute, une initiative populaire pour imposer des normes pour le respect de la dignité animale.

Q : Merci pour tes réponses, si tu as encore quelque chose que tu veux ajouter, n’hésite pas.

R : Ça va bien, merci…

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