9. Conclusion :
9.1 Retour sur les résultats
9.1.1 H1 : Les réseaux sociaux numériques permettent aux cinq organisations étudiées de mobiliser des
Les entretiens individuels que nous avons menés nous ont permis de confirmer notre première hypothèse. Nous avons en effet pu montrer que les RSN jouent un rôle capital dans la mobilisation des militants rencontrés. En effet, chacun des militants nous a rapporté l’importance jouée par les RSN à chaque étape de sa transition vers la mobilisation antispéciste, que ce soit pour passer à un régime végétarien, puis végan, ou pour trouver ou faire le choix de la première association antispéciste avec laquelle entrer en contact. Chaque militant possède bien évidemment un parcours différent et tous ne sont pas venus à l’antispécisme pour les mêmes raisons et motivations, mais tous rapportent l’aspect socialisateur et le pouvoir d’ouverture des RSN, à un moment où le militant a le plus tendance à se retrouver isolé.
Il est ici important de noter que le processus de mobilisation et d’engagement des militants n’est pas linéaire. Si tous semblent être passés par la progression du végétarisme vers le véganisme, celle-ci se déroule plus ou moins rapidement selon les militants et les circonstances externes dues à leurs différents environnements. De plus, certains militants semblent avoir rapidement fait le choix de rejoindre une association existante, tandis que d’autres sont passés par des phases d’actions en solitaires, notamment à travers les RSN en prenant part à des débats en ligne, mais aussi avec des tentatives d’engagement hors des grandes associations, par exemple par la création de nouvelles associations.
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Cette phase d’utilisation solitaire sur les RSN pose le risque de l’isolement croissant du militant. Les contraintes posées par le mode de vie végan, qui nous ont été rapportées par plusieurs des militants rencontrés, conduisent parfois à une distanciation du cercle familial et amical. Dès lors, le risque pour les personnes en cours de sensibilisation qui recourent à l’utilisation des RSN pour remplacer les réseaux sociaux hors-ligne, ou en tous cas combler le vide laissé par l’éloignement de proches, est l’épuisement précoce de l’énergie militante. Le sentiment d’inefficacité et de perte de sens que peuvent induire chez le militant l’engagement dans les débats sur les RSN ont ainsi été rapportés par la plupart des militants rencontrés. Cette observation est aussi appuyée par le fait qu’aucune des pages observées ne s’engage dans ces débats en commentaires de leurs publications. Ceci indique selon nous un désintérêt tactique pour ce genre de pratiques.
Cette recherche nous a permis de mettre en avant l’ambivalence de l’usage des RSN fait par les différents acteurs du mouvement antispéciste romand. Ainsi les RSN se révèlent être des outils précieux de mobilisation, ce qui semble donner raison aux chercheurs les plus optimistes quant à l’efficacité des RSN pour la mobilisation. Les usages des RSN par la plupart des pages étudiées semblent ainsi les rapprocher de l’idée de « promotion de la participation individuelle à l’action collective et de la diffusion des protestations » (CERNISON, 2019 : 32). 269 Libération Animale fait ici figure d’exception, ses pratiques de communication semblant indiquer une plus grande méfiance vis-à-vis des outils représentés par les RSN.
Nos observations vont donc dans le sens de la force mobilisatrice des RSN, tous les militants interrogés rapportant une grande importance des RSN au début de leurs parcours militants. Tous ont ainsi mentionné le rôle de soutien, de source d’information et de moyen de prise de contact avec les associations qui leur ont permis de concrétiser leur engagement militant. L’emphase était ainsi particulièrement mise sur l’importance des RSN par les militants qui n’avaient pas de liens forts avec des personnes déjà végans ou antispécistes, capables de jouer le rôle de mentor dans ces modes de vie ou ces philosophies. Les RSN semblent donc permettre l’établissement de « weak-ties » à un moment où les militants n’ont pas encore pu établir de « strong-ties » (GLADWELL, 2010) au sein du mouvement antispéciste.
9.1.2 H2 : Les RSN ne permettent pas aux cinq organisations antispécistes étudiées de mobiliser de militants
Si nos résultats ne nous ont pas permis de confirmer H2, nous relevons toutefois les discours des militants sur les risques de leur propre épuisement causés par l’engagement dans les débats en ligne. En effet, cette phase de l’engagement intervient principalement au début du parcours des militants interrogés. Elle semble s’estomper avec l’expérience et l’engagement hors-ligne, auquel elle peut représenter une forme d’ersatz, notamment lorsque le militant est isolé des collectifs et associations. Ainsi, cette première phase représente un risque d’enfermement pour le militant qui ne militerait pas au sein d’un collectif plus vaste, qui lui permettrait de solidifier son engagement et de profiter des solidarités et soutiens que l’établissement de « strong-ties » (GLADWELL, 2010) peut procurer. Les témoignages des militants rencontrés, qui nous parlent du nombre de végans et d’antispécistes qui ne parviennent pas à tenir leur engagement sur le long-terme, assortie aux
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encouragements à rejoindre un collectif pour pallier le « sentiment d’impuissance »181 ressenti sur les RSN, indiquent que ce risque de démobilisation précoce est réel pour les nouveaux militants.
Enfin, nous n’avons pas pu vérifier l’hypothèse de la « normalisation » (MABI-THEVIOT, 2014 : 492), selon laquelle les RSN ne profiteraient qu’aux personnes se mobilisant déjà hors-ligne. Nos observations vont même dans le sens contraire de ces théories, puisque nous avons pu montrer que les militants interrogés avaient fait un usage des RSN plus important au début de leur carrière dans l’antispécisme, délaissant ces outils progressivement au fur et à mesure de la solidification de leur engagement dans des associations hors-ligne. Ainsi, le seul profil que nous avons pu rapprocher du « super-militant » (EARL, 2018 : 296) est celui de Benjamin, en raison de son projet de chaîne Youtube de vulgarisation. Toutefois, cette chaîne n’ayant pas encore été lancée au moment de notre recherche, il est difficile de tirer des conclusions à ce sujet.
Nous avons pu voir que les associations que nous avons étudiées prennent en compte de différentes manières cette importance des RSN, ainsi que les risques qu’ils induisent.
9.1.3 H3 : Les cinq organisations antispécistes étudiées utilisent les RSN pour mobiliser de nouveaux militants
Nous avons également pu confirmer en partie notre hypothèse H3. En effet, nous avons pu observer que l’association PEA faisait effectivement usage de ses RSN pour mobiliser des militants. Nous avons pu constater ceci à travers l’observation des pages de l’association sur les RSN, qui laissent transparaître ses stratégies et attitudes par rapport à ceux-ci, mais également dans les discours développés par les responsables et les militants.
Nous avons cependant pu observer des grandes divergences dans les stratégies des différentes associations observées, l’association 269 Libération Animale adoptant ainsi une attitude inverse face aux RSN. Les pratiques de l’association sur les RSN, comme le recadrage des abonnés et la non-réponse aux demandes par messages privés, associées aux discours de ses responsables sur l’inefficacité des RSN pour la mobilisation, indiquent ainsi une attitude défavorable aux tentatives de mobilisation sur les RSN. Le discours de Tiphaine, responsable de l’association, pendant la soirée de soutien que nous avons pu observer, confirme cette attitude ambivalente envers les RSN. L’association, par son choix de méthodes plus radicales, s’est éloignée du recrutement par les RSN. Cette volonté de mise à distance peut s’expliquer en partie par le fait que ce recrutement n’est pas efficace et ne peut pas pallier l’expérience formatrice du terrain, mais également en raison des risques sécuritaires représentés par le recrutement de personnes inconnues sur les RSN. En effet, l’absence de garanties, représentées par des connaissances communes ou un curriculum militant vérifiable comme cela pourrait par exemple être le cas si une recrue a milité au sein d’autres associations connues, ou si un militant peut justifier de connexions fiables, comme dans l’exemple des militants antifascistes rapporté par Tiphaine, semble constituer un risque trop important pour être encouru. L’utilisation des RSN comme
181 Marie-Laure, entretien avec Léo Tarazi (28.09.2020)
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outil de mobilisation ferait ainsi l’objet d’un calcul stratégique qui la disqualifierait pour l’association. Notre hypothèse H3 ne se vérifie donc que partiellement.
9.1.4 H4 : Les cinq organisations antispécistes romandes étudiées utilisent les RSN pour populariser leurs idées
Nous avons également pu confirmer en partie notre dernière hypothèse lors de notre recherche. Nous avons en effet pu relever des différences importantes entre les associations sélectionnées. Ainsi, les RSN de PEA, Co&xister et VieVégane laissent observer une ouverture vers le public, ainsi qu’une volonté d’expansion qui traduisent une stratégie de popularisation de ces associations et de leurs discours. Si les choix éditoriaux de ces trois associations présentent des différences importantes, sans doute dues à la nature et aux objectifs propres de ces organisations, nous avons pu observer des tendances convergentes au niveau du community managing qu’elles ont mis en place.
Nous avons pu confirmer ces observations dans les cas de Co&xister et PEA lors des observations non-participantes qui nous ont permis de remarquer l’ouverture de ces associations vers leurs publics, assortie d’une stratégie d’éducation et de pédagogie, dans une optique de propagation des idées antispécistes défendues par ces associations. L’accueil des enfants du côté de Co&xister, et la démarche de pédagogie de rue engagée par PEA sont ainsi des signes extérieurs de cette ouverture vers le grand public.
Dans le cas de PEA et de VieVégane, nous avons pu confirmer ces observations pendant les entretiens effectués lors de nos rencontres avec les militants. L’attention portée à la caisse de résonnance constituée par les RSN pour les actions des militants, l’intention de VieVégane de « ratisser large »182 ainsi que le succès des évènements organisés pendant la crise sanitaire de la Covid-19 viennent aussi confirmer cet intérêt stratégique de ces associations pour les RSN. Nous pouvons ainsi rapprocher cette utilisation des RSN par les associations de la notion de « choix stratégique » (ROHLINGER, CORRIGALL-BROWN, 2018 : 133), les associations utilisant leurs RSN comme une manière de s’adresser à la fois à leurs militants et à un public plus large de « témoins » qu’il s’agit de sensibiliser, d’informer et de mobiliser (ROHLINGER-CORRIGALL, BROWN, 2018 : 133). Les propos de Benjamin, militant engagé dans la refonte de la structure de l’association, qui parle de sa volonté de voir se professionnaliser l’association, avec « un groupe de comm’ » dédié, vont dans le sens de ces observations et semblent ainsi indiquer que les RSN occuperont de plus en plus de place dans la stratégie de l’association.
Les RSN de 269 Libération Animale ont cependant dénoté d’intentions moins évidentes. En effet, le partage de contenus photographiques et vidéos soignés semblait de prime abord indiquer un usage semblablement orienté vers la croissance de la page, et par voie de conséquence, la popularisation de l’association et de ses idées. Cependant, comme nous l’avons vu, ces premières impressions sont contredites par certaines pratiques de l’association dans la gestion de sa page
182 Benjamin, entretien avec Léo Tarazi (22.12.2020)
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Facebook, comme l’entrée en conflit avec certains abonnés de la page dans les commentaires ou l’absence de réponse aux demandes d’internautes désireux de rejoindre l’association ou de prendre part à des actions. Cette impression de plus grande fermeture est également renforcée par l’absence d’évènements publics ou d’appels à rejoindre des actions. Cependant, cette attitude ambivalente, et résumée par Tiphaine, qui explique que les RSN sont indispensables au mouvement même s’ils souhaiteraient s’en passer183,