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12. Annexes :

12.5 Cahier d’observation : Dans leurs yeux, PEA (12.09.2020)

Samedi 12 septembre, Lausanne. Action « Dans leurs Yeux », PEA.

J’ai entendu parler de l’évènement par Facebook, grâce au repérage effectué sur les réseaux sociaux. PEA est une des associations romandes les plus actives, et qui semble se spécialiser dans des évènements de rue (happenings, etc.).

J’arrive sur place légèrement en avance, le temps de repérer les lieux. Je ne sais pas encore très bien quelle forme prendra l’évènement et je veux pouvoir observer un moment les militant.e.s avant d’entrer en contact. Je m’installe sur les marches d’une église, et attends de voir les premiers militants arriver. La page Facebook de l’évènement demandait aux participants d’arriver à 15h précises, vêtus de noir.

J’identifie rapidement un petit groupe de trois personnes qui répondent é cette description. Rejoints par d’autres militants, ils installent une petite table pliante et commencent à déposer leurs sacs sur les marches de l’église. Une jeune femme semble mener le groupe, elle donne des indications et accueillent les personnes qui arrivent. Je remarque que tout le monde ne semble pas se connaître, ou en tous cas, ne pas être proche : certains militants saluent le groupe mais restent à l’écart jusqu’à ce que celle qui semble être la meneuse vienne les saluer et ne leur confie une tâche.

J’ai pu discuter avec Reem, militante, et Lara, responsable de l’association pour Lausanne. L’évènement est un cube, inspiré de Anonymous for the Voiceless, l’organisation mère de PEA. La scission a eu lieu il y a un mois (au moment de l’entretien).

Reem a accepté de répondre à mes questions dès la prise de contact.

Reem est militante de l’association depuis six mois, depuis son arrivée en Suisse. Elle militait auparavant avec AV en France, à Lille et Paris. Reem qui m’a abordé, elle me demande ce que je pense de la vidéo d’abattoir qui est diffusée dans le cube. Je lui réponds que cette vidéo est choquante et je lui explique la raison de ma présence sur le stand. Je lui explique aussi que du fait de mon travail sur le sujet, j’ai été confronté à beaucoup de ces vidéos. Elle est intéressée par mon travail et veut surtout savoir si je suis moi-même antispéciste. Je lui explique que non, mais que je suis intéressé par la question. La discussion part donc sur la raison de mon intérêt pour les questions antispécistes, et s’ensuit un mélange de conversation et de questionnements mutuels.

Je l’interroge sur son parcours et ses pratiques militantes et elle en profite pour rebondir sur mes questions et interroger mon intérêt pour la question antispéciste, ainsi que mon propre positionnement moral sur la question.

Reem me dit que ce genre d’évènement a lieu tous les mois à Lausanne. Il y a aussi des gens qui ont répondu présent sur la page Facebook de l’évènement, donc Facebook est un bon moyen de faire venir du monde. Mais en même temps, quand lui demande si ces gens se renouvellent souvent ou bien si ce sont toujours les mêmes qui viennent, elle me répond que ce sont quand même souvent les mêmes personnes, qu’il y a très peu de renouvellement. Elle relève par contre que ce genre d’action est très positif, puisqu’elles permettent de choquer beaucoup de gens. Elle est très

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convaincue par le procédé de diffuser ces images choquantes à un public non averti, elle pense que ça permet de faire une sensibilisation, surtout si des militants sont présents pour discuter et accompagner les personnes dans leurs réflexions, comme elle le fait avec moi. Donc c’est vraiment important que des militants fassent ce travail d’accompagnement et d’occupation de l’espace public.

Elle me parle aussi des autres moyens d’action, dont les actions plus violentes telles que les bris de vitrines, et me dit qu’elle est vraiment pour. Elle m’assure aussi que certains militants présents ce jour-là militent également dans certaines associations qui recourent à des modes d’actions plus radicaux et inspirés de l’action directe, comme des blocages d’abattoir, des bris de vitrine ou la libération d’animaux. Certains des militants de PEA, ou des sympathisants qui ont répondu présent aujourd’hui, militent donc également au sein d’association comme 269 Libération Animale et autres. Selon Reem, cela ne pose aucun problème à l’association, tant que les personnes gardent leurs activités séparées et ne remettent pas en cause et respectent les stratégies et moyens d’action de PEA quand ils militent sous cette casquette.

Reem me parle aussi de son parcours personnel et de ce qui l’a menée au militantisme. Elle m’explique avoir été sensibilisée à la cause animale par une vidéo d’abattoir qu’elle a vu à la télévision. Elle a ensuite fait ses recherches sur le sujet seule, elle s’est sensibilisée en regardant d’autres vidéos, en lisant des textes, etc.

Elle a finit par adopter le mode de vie végan et à suivre la philosophie antispéciste.

Pour elle, femme racisée, le combat antispéciste est intersectionnel, il n’y a pas d’opposition entre ces luttes. Elle voit même une continuité et une convergence entre son expérience et les combats antispécistes. Pour elle, son combat antispéciste est également antiraciste et féministe.

Reem est donc passée par plusieurs associations et à un mode de vie qu’elle décrit comme militant. Elle travaille à 100% comme recherchiste et milite presque tous les samedis, à Genève, Lausanne et parfois dans d’autres cantons. Elle est très positive sur la scission qui a eu lieu entre PEA et AV Suisse. AV était une organisation au niveau mondial, et qui diffusait donc des images, discours et contenus très globaux et qui étaient donc peu adaptés au contexte suisse. Leur impact sur la population était donc assez faible. La scission a également eu lieu pour des raisons philosophiques : AV militait en effet essentiellement pour le véganisme, et non pas pour la philosophie antispéciste. Cette lutte avait donc généralement moins de sens et moins d’impact . Reem pense aussi que beaucoup de gens ont le même parcours, beaucoup de gens se sensibilisent à l’antispécisme sur internet, grâce aux vidéos chocs qui ont vocation à être diffusées. Elles restent donc un moyen très efficace pour sensibiliser les gens.

Reste le plus difficile, qui est d’amener les gens à l’action, d’abord au mode de vie antispéciste, qui est un engagement fort, mais aussi au militantisme. Pour ça, ce genre d’évènements de rue a vraiment un sens car il permet la rencontre directe entre les militants et les personnes potentiellement intéressée. Les militants vont ainsi à la rencontre des individus, plutôt que l’inverse, qui suppose un effort plus important pour la personne en voie de sensibilisation. Reem note ainsi un des effets de cette communication en ligne, elle rencontre en effet de plus en plus de gens qui ont déjà été confronté à du contenu antispéciste, et qui ont donc déjà engagé une réflexion personnelle sur le sujet. C’est un fait positif, car la discussion est d’autant plus

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intéressante, même si parfois cette réflexion personnelle se traduit par un blocage pur et simple et une hostilité envers le mouvement.

Elle a souvent été témoin de réactions violentes aux vidéos présentées : que ce soit une réaction spontanée à la violence des images, ou une réaction basée sur une hostilité pré-existante au mouvement antispéciste. Elle explique l’augmentation de ce type de réaction par la montée en notoriété des idées antispécistes, tendance globale sur les vingt dernières années mais particulièrement sensible en Suisse depuis les affaires de bris de vitrines et les différents procès d’activistes ayant eu lieu depuis 2018.

L’association diffuse aussi beaucoup de tracts qui permettent aux personnes extérieures au mouvement de se renseigner et d’effectuer certaines démarches par elles-mêmes. On trouve ainsi des conseils d’alimentation pour un mode de vie vegan, des compilations de faits relatifs à l’antispécisme (dans une démarche de sensibilisation : nombre d’animaux tués par an, conditions d’abattage, etc.), mais aussi un panel d’actions et d’initiatives qui ouvrent sur la diversité des modes d’action antispécistes (manifestations, boycott, fermes et refuges antispécistes, etc.).

On parle aussi des méthodes violentes que Reem soutient, aux côtés d’associations telles que PEA, elle pense que ces méthodes permettent non seulement de faire de la publicité, sur le principe que toute publicité, même mauvaise, reste de la publicité, mais aussi que ce genre d’actions ont un sens direct puisqu’elles bénéficient directement aux animaux (libération, etc). Ces activités permettent aux militants de ressentir un effet direct de leurs actions, de sentir le sens et les effets de leur engagement. Reem me parle d’un sentiment partagé au sein de l’association, dont me parleront aussi les autres membres, une forme de fatigue militante qui épuise les personnes qui s’engagent dans le combat antispéciste, et qui explique le turnover important des membres et personnes impliquées dans les actions du type de celles mobilisées par PEA. Le fait de s’investir dans des actions de rue, de sensibiliser les passants et de tenter de convaincre lors de discussions informelles est en effet une tâche ingrate, dont les résultats tardent se faire sentir, s’ils se font sentir un jour. Les militants ont ainsi très peu voir pas de retour sur leur efficacité. Reem comprend donc tout-à-fait pourquoi beaucoup de militants finissent par abandonner, et progressivement délaisser les actions, ou à se tourner vers des modes d’action dont les effets sont immédiatement tangibles (en termes de satisfaction personnelle, de bien-être des animaux, ou encore de retombées médiatiques).

Ces actions ont aussi l’avantage de permettre à des associations telles que PEA de présenter une face moins radicales et ainsi de profiter de l’attention médiatique portée au mouvement antispéciste pour attirer des sympathisants qui débutent leurs parcours militant, mais aussi de se présenter aux media comme une association moins radicale.

Ainsi, le recours aux méthodes radicales permet de rendre audibles pour le grand public des idées qui auparavant étaient hors du spectre du raisonnable. L’association PEA peut ainsi se positionner comme « plus respectable » et présenter une face positive au public général. Il faut donc de tout, et il y a de la place pour tous les moyens d’actions. Tous doivent être mobilisés pour atteindre le « but final », la libération et le bien-être des animaux.

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Reem dit aussi qu’il y a différents niveaux d’engagement, offrir 4h de son temps par semaine est pour elle un minimum. Mais chaque niveau d’engagement présente des barrières différentes, il est plus dur de passer aux actions radicales que de tracter dans la rue ou participer à un happening dans la rue ou alors de partager des posts-Facebook, mais chacun représente un pallier dans l’engagement. Ce parcours est différent pour chaque militant. Mais pour Reem, rien ne vaut la présence sur place, sur les stands, de rencontrer les militants, pour grimper dans l’engagement et la mobilisation.

J’interroge par la suite Lara, responsable de l’association pour Lausanne.

Je lui explique la raison de ma présence sur le stand. Elle me demande si je suis moi-même antispéciste. Je lui explique que non, et que je ne suis pas vegan ni végétarien.

Elle note le fait que je travaille sur le sujet sans être moi-même antispéciste, elle rigole là-dessus sans hostilité.

Je lui demande quels sont les objectifs de ce genre d’évènements. Elle m’explique que ce genre d’évènements sont excellents pour sensibiliser les gens. Les vidéos violentes fascinent les gens, elles les attirent en même temps qu’elle dégoûtent. Les réactions sont donc souvent très fortes, les gens sont directement remis en question dans leur consommation. Certains restent et discutent, quelques fois il y a des réactions vraiment violentes, des gens qui les insultent et s’en vont. Mais ces cas restent plus marginaux que les réelles discussions qui ont lieu. Ces évènements ont lieu une fois par mois, c’est le moyen d’action principal de PEA pour le moment.

Lara a d’abord rejoint AV Suisse avant que le mouvement ne fasse sa scission et ne devienne PEA. Elle a un parcours plutôt atypique parce qu’elle est venue au véganisme par la cuisine. Elle est cuisinière passionnée, bien qu’amateure, et c’est en regardant des vidéos de recettes sur Youtube qu’elle est tombée sur des vidéos de recettes végétariennes puis véganes. Elle a été fascinée par les possibilités offertes par la cuisine végane pour remplacer les produits carnés. De vidéo en vidéo, grâce à l’algorithme, elle s’est vu suggérer des chaînes antispécistes, qui proposent la fois des recettes, des vidéos orientées sur la philosophie antispéciste, et parfois des vidéos de sensibilisation à la cause animale, qui l’ont beaucoup choquée et révulsée.

Elle a donc continué son cheminement en allant voir les sites internet et les contenus proposés par ces associations, Anonymous for the Voiceless entre autres. Elle a sauté le pas, d’elle-même, en cherchant la cellule locale de AV la plus proche. Elle l’a donc rejoint, de sa propre initiative et sans avoir de contacts, ou de connaissances, au sein de l’association. De là, elle s’est engagée de plus en plus, en prenant de plus en plus de responsabilités et elle est devenue responsable locale de l’organisation pour Lausanne.

C’est donc un parcours relativement atypique puisqu’elle est « venue par le côté culinaire qu’elle est et restée pour les animaux » comme elle le dit elle-même. Ce qui est intéressant, c’est que c’est « l’algorithme qui l’a amené au véganisme ». Le principe des echo-chambers l’a mené à consommer de plus en plus de contenu végan, puis antispéciste, et ça a fonctionné pour elle. Elle pense que beaucoup de gens sont dans le même cas qu’elle. Des gens sont juste sensibilisés, sympathisants, ou même déjà végans, mais sont seuls, n’ont pas de ressources, d’amis déjà antispécistes, ou

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bien ne font jamais le pas de chercher une association ou de se rendre à une réunion, de rencontrer des militants, et restent donc « dans leur coin ». Malgré l’efficacité des réseaux, pour ce genre de chose, pour elle « il reste essentiel d’aller à la rencontre du public, lors d’évènements tels que ce happening dans la rue ». Ces évènements permettent de déclencher un déclic, de susciter des questionnements, d’aller chercher les gens plutôt que d’attendre qu’ils ne fassent le trajet seuls.

AV a aussi un réseau de membres, qui ne recouvre pas forcément les personnes qui participent régulièrement aux évènements. Ces membres sont les personnes qui cotisent, qui participent au financement de l’association. Pour elle, les militants à proprement parler sont les personnes qui sont présentes sur les stands, qui participent aux actions, aux happenings les samedis après-midis. Beaucoup de gens donnent mais ne participent pas aux évènements, parce qu’ils ne veulent pas, ou qu’ils ne peuvent pas, pour des raisons personnelles, de disponibilité, de santé, etc. De l’autre côté, beaucoup militent mais ne donnent pas. Pour Lara, chacun fait selon ses possibilités, et il y a besoin de tout, même si elle aimerait bien voir plus de monde répondre présent aux évènements des samedi après-midis.

Il y a environ mille membres de l’association en Suisse, ils ont fêté les milles membres il y a un petit moment. La fête a regroupé pas mal de monde, ils ont organisé un gros évènement. L’association grandit donc continuellement.

Au sujet du recrutement des participants aux évènements des samedi après-midi, Lara note qu’il est toujours assez difficile de convertir les personnes intéressées en authentiques militants. « Pour cent personnes qui répondent intéressé sur la page Facebook de l’évènement, il y aura dix personnes sur le stand ». Elle me raconte qu’aux tout débuts de l’association, elle avait essayé, avec d’autres militants, de contacter par message privé toutes les personnes qui avaient manifesté leur intérêt, afin de les convaincre de faire effectivement le déplacement le jour j et de convertir cet intréêt en engagement effectif sur le terrain. Cette méthode avait rencontré un certain succès, observable en termes concrets, mais elle était excessivement énergivore et demandait un investissement en temps et en ressources bien trop important aux militants impliqués. Il fallait ainsi contacter par message privé une centaine de militants tous les samedis, pour essayer d’avoir des présences, en plus de l’organisation de l’évènement en lui même. Cette technique a donc été finalement plus ou moins abandonnée, c’est-à-dire remplacée par le travail sur les stands, c’est là que se concentrent les efforts des militants pour essayer de « planter des graines », comme le disait Reem, planter des petites graines et laisser essaimer pour voir ce qui pousse.

Lara me propose ensuite de me présenter à Marie-Laure, la responsable dde la section genevoise de l’association, qui organise les évènements « Dans leurs Yeux » à Genève. Celle-ci est en train de discuter avec des passants et je profite de cette pause pour noter mes observations et observer l’évènement. A ce moment, le nombre de militants présents n’a pas changé, et beaucoup de monde passe sur le carrefour où est installé le cube. Je remarque que beaucoup de monde s’arrête, des familles, des jeunes. Un couple discute un long moment avec plusieurs membres, le jeune homme prend des photos des images d’abattoir et semble plutôt ouvert aux idées des antispécistes qui en profitent pour le questionner lui proposer des flyers. Une famille reste également un long moment autour du stand, les enfants sont fascinés par les images, ce sont eux qui amènent les parents à s’approcher des antispécistes. Quand

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les enfants regardent les images, Marie-Laure s’approche immédiatement pour discuter avec eux, accompagner le visionnement de ces images. Elle leur demande si ils avaient déjà vu des images de ce type, et les enfants répondent qu’ils en avaient déjà vu à la télévision. La discussion avec les enfants permet de lancer le contact avec les adultes qui s’approchent. Ceux-ci ne semblent pas réticents au fait que leurs enfants voient les images diffusées par l’association.

Certains passants ont des réactions plus hostiles. Celles que j’ai pu observer sont allées du refus brusque d’engager la discussion après un bref coup d’œil aux images et de rejets dégoûtés face aux vidéos jusqu’à des insultes criées au passage par une femme d’âge moyen. Celle-ci semblait connaître la cause antispéciste puisqu’elle ne s’est pas arrêtée pour observer le stand et a directement traité les militants « d’écolos de merde ».

Je discute ensuite avec Marie-Laure, responsable de la branche genevoise de l’association. Celle-ci accepte sans problème de parler avec moi, mais étant donné la nature improvisée de notre conversation, et notre position, au milieu d’une rue bruyante, je n’enregistre pas cet échange. Je retranscris donc les notes vocales que j’ai pris suite à cette conversation, tout en prenant rendez-vous avec Marie-Laure deux semaine plus tard pour un entretien plus formel.

Marie-Laure me parle de son propre parcours. Elle a grandi entourée d’animaux, des

Marie-Laure me parle de son propre parcours. Elle a grandi entourée d’animaux, des