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6. Conceptualisation :

6.2 Action collective, mouvements sociaux & mobilisation

mobilisation

L’action collective peut être définie comme « l’action collective d’individus poursuivant un intérêt commun » (Tilly, 1977 : 11). L’action collective inclut la plupart des comportements des foules, et peut décrire des phénomènes aussi divers que les mouvements de foules lors de concerts, les activités de gangs, les actions d’émeutiers, ou encore les activités de lobbying de certains groupes d’intérêts qui mobilisent leurs adhérents pour faire peser leurs demandes (SNOW, SOULE, KRIESI, MCCAMMON, 2019 : 5). Dans le cadre de cette recherche, nous nous intéresserons plus particulièrement aux mouvements sociaux.

Les mouvements sociaux se distinguent d’autres formes d’actions collectives par le fait qu’ils « impliquent des acteurs (et leurs actions) qui contestent collectivement l’autorité, parfois dans une volonté d’amener un changement social, mais dans d’autres circonstances, pour prévenir la réalisation de ce changement » (SNOW, SOULE, KRIESI, MCCAMMON, 2019 : 5). Les mouvements sociaux se distinguent par leur utilisation de moyens d’actions non-institutionnalisés, ainsi que par leur utilisation non-conventionnelle de l’espace public et quasi-public (SNOW et al., 2019 : 6). Les mouvements sociaux diffèrent donc des autres formes d’actions collectives par leur aspect « coordonné et planifié » (SNOW et al., 2009 : 6), ainsi que par le fait qu’ils impliquent des « demandes et doléances articulées » (SNOW et al., 2009 : 6).

On peut ainsi définir les mouvements sociaux comme

« […] des collectivités agissant avec un certain degré de d’organisation et de continuité temporelle, en dehors des canaux institutionnels et organisationnels dans le but de remettre en question, ou de défendre, l’autorité existante, qu’elle soit institutionnellement ou culturellement basée, dans le groupe, l’organisation ou l’ordre mondial dont elles font partie » (SNOW et al., 2019 : 10).

Pour Tilly (1977 : 11), l’action collective résulte d’une combinaison d’« intérêts, d’organisation, de mobilisation et d’opportunité ». Chacune de ces « dimensions » pouvant évoluer, au travers de processus tels que la mobilisation individuelle, l’innovation tactique ou le cadrage (SNOW et al, 2019 : 11).

Cette recherche nous conduira également à considérer les militants antispécistes comme des « entrepreneurs de cause » (NEVEU, 2017 : 7). En effet, ceux-ci

« agissent pour constituer une pratique ou un fait », ici le spécisme, ou l’ensemble des pratiques portant préjudice aux animaux, « en problème dont on puisse débattre, sur lequel on puisse agir » (NEVEU, 2017 : 7). Nous distinguerons donc les personnes engagées dans cette activité de promotion (NEVEU, 2017), les militants, des personnes qui constituent l’audience de ces entrepreneurs, les media, les politiques, ou les personnes non-sensibilisées à la cause antispéciste, ou non-militantes.

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La mobilisation peut être décrite comme le fait d’« amener les groupes concernés à l’action » (SMELSER, 1963 :17). La mobilisation serait ainsi construite par opposition à l’apathie ou à l’inaction (WILSON, 1973). Charles Tilly (1977:10) décrit pour sa part la mobilisation comme :

« Le processus par lequel un groupe acquiert le contrôle collectif sur les ressources nécessaires pour l’action. Ces ressources peuvent être la force de travail, des biens, des armes, des votes, et beaucoup d’autres choses, tant qu’elles sont utilisables pour agir dans l’intérêt du groupe.

Parfois, un groupe tel qu’une communauté peut avoir une structure interne complexe mais peu de ressources mises en commun. Parfois, le groupe est riche en ressources, mais celles-ci sont en possession des individus. L’analyse de la mobilisation traite de la manière dont les groupes acquièrent des ressources et les rendent disponibles pour l’action collective ».

La mobilisation dépend ainsi de nombreux facteurs et procédés par lesquels les mouvements sociaux peuvent diffuser leurs idées, acquérir des ressources, recruter de nouveaux membres ou sympathisants et rendre ceux-ci disponibles pour l’action.

Le processus de cadrage, ou framing, est le processus par lequel les mouvements sociaux définissent leur relation aux mass media, qu’il s’agisse de journaux ou chaînes de télévision, ou de RSN, et adaptent leurs messages selon leurs objectifs (diffusion d’idées, mobilisation, etc.) ou leur public cible (sympathisants, grand public, etc.) (ROHLINGER, CORRIGALL-BROWN, 2019 : 133).

La relation des mouvements sociaux aux media de masse a ainsi été décrite comme relevant du modèle du Choix Stratégique (ROHLINGER, CORRIGALL-BROWN, 2020). Les activistes formulent ainsi leur message pour une certaine audience et disséminent leurs idées via les mediums qu’ils estiment adéquats pour atteindre ces audiences ROHLINGER, 2019). Les mouvements sociaux font ainsi usage des RSN dans différents objectifs tels que « mobiliser les témoins pour l’action », « vendre leurs idées à un public plus large », ou encore « s’adresser à leurs membres pour les tenir au courant des stratégies du mouvement » (ROHLINGER, CORRIGALL-BROWN, 2018 : 133). Le modèle de Choix Stratégique proposé par Rohlinger et Corrigall-Brown (2019 : 133) propose deux facteurs déterminants pour analyser la communication des mouvements sociaux : « 1.) La cible de la communication ; et 2.) le contexte médiatique dans lequel les activistes évoluent ». Selon le message véhiculé et l’audience à laquelle ils souhaitent s’adresser, les activistes pourront ainsi passer par les media mainstream et grand public, utiliser leurs propres canaux de communication ou passer par des media plus spécialisés, aux publics de niche.

Les RSN présentent ainsi de nombreuses opportunités pour les mouvements sociaux.

Internet et le web ont en effet souvent été décrits comme des terrains favorables à la croissance de la participation politique des citoyens (MABI, THÉVIOT, 2014 ; GEORGE, 2000). Ainsi, « le rôle d’Internet comme instrument de veille, de diffusion et de mobilisation (circulation de l’information, accroissement des pratiques pétitionnaires) » est décrit comme « de plus en plus central dans le fonctionnement démocratique » (HAEGEL, 2009, p. 52). Mabi et Théviot rapportent les notions de « démocratie électronique » (CHAMBAT, 2003; VEDEL, 2003), de «cyberdémocratie»

(POUPA, 1998) et d’ « hyperdémocratie » (FLICHY, 2001) qui viennent illustrer les

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espoirs placés par certains chercheurs dans le potentiel démocratique des technologies liées à l’Internet. Comme le note Matteo Cernison (2019), les différents aspects de la relation entre les RSN et les mouvements sociaux ont été étudiés par de nombreux chercheurs. Cernison (2019 : 32) note ainsi quatre principaux aspects qui ont retenu l’attention des chercheurs : « la promotion de la participation individuelle à l’action collective et de la diffusion des protestations », « la capacité des RSN à entretenir sur de longues périodes la communication entre des organisations et communautés physiquement fragmentées », « la fourniture de nouveaux espaces en lignes pour les protestations », « l’aide à la coordination et à la diffusion rapide des mobilisations ».

Il est donc peu surprenant que les mouvements sociaux incluent ces outils dans leurs stratégies globales de communication et de diffusion, comme l’ont montré nombre d’exemples récents, des Gilets Jaunes aux mouvements Extinction Rebellion et Occupy, dont la diffusion doit beaucoup aux RSN, ceux-ci devenant même parfois un enjeu majeur de la mobilisation (voir : BRANNEN, HAIG, SCHMIDT, 2020 ; ARMED CONFLICT LOCATION & EVENT DATA PROJECT, 2020).

A ces chercheurs « optimistes » (MABI, THEVIOT, 2014) quant au potentiel démocratique et mobilisateur des RSN s’opposent des chercheurs plus critiques de ces outils. Pippa Norris (2003) a par exemple démontré que les personnes s’impliquant en ligne sont celles qui disposent déjà d’un capital militant élevé dans le monde réel, c’est-à-dire des mêmes ressources théoriques, relationnelles et expérientielles nécessaires à la poursuite d’une carrière militante traditionnelle hors-ligne. D’autres considèrent que les activités militantes en ligne ne sont d’aucune efficacité et tendraient même à entretenir d’illusions quant à leur efficacité les activistes online (MOROZOV, 2001). Malcolm Gladwell (2010) a ainsi fondé sa critique du militantisme online sur la notion de weak-ties : la nature même des liens entre les usagers des réseaux sociaux, fondés sur des bases d’intérêts communs ou de relations distantes rendraient impossibles des mobilisations collectives d’envergure, par opposition aux strong-ties reliant les membres de groupes sociaux ou de collectifs dans le monde physique.

Mabi et Theviot (2014) réduisent les différents courants de la recherche par rapport aux effets des RSN et de l’Internet sur la mobilisation dans les mouvements sociaux à trois grands courants que nous allons décrire ci-dessous :

En premier lieu, la « thèse de la normalisation », qui « défend l’idée que sont actifs en ligne, ceux qui l’étaient déjà hors ligne » (NORRIS, 2003 : 24). Le risque étant ainsi de

« prêcher les convertis » et de renforcer ainsi les inégalités dans la participation politique » (NORRIS, 2003 : 24). Cette thèse se vérifie en partie selon Norris, qui cite par exemple l’étude de Pedersen et Saglie (2005), qui démontrent qu’en Norvège et au Danemark les activistes actifs en ligne pendant le début des années 2000 sont les mêmes qui étaient déjà actifs sur le terrain (NORRIS, 2003 : 24).

Ensuite, il y a la « thèse de la mobilisation » (MABI, THÉVIOT, 2014 : 8). Les auteurs regroupent sous cette appellation les chercheurs confiants dans la capacité d’Internet et des RSN, de par leurs caractéristiques telles que leur « architecture ouverte et leur communication distribuée, [à] favoriser les interactions entre gouvernants et

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gouvernés, au sens où les gouvernés peuvent prendre la parole en ligne et formuler des critiques ou des suggestions » (MABI, THEVIOT, 2014 :8.)

Enfin, la thèse de la « différenciation » (MABI, THEVIOT, 2014 : 9) « avance l’idée que les usages participatifs en ligne varient en fonction de plusieurs facteurs tels que les caractéristiques socio-démographiques de l’usager, les cadrages des dispositifs techniques, etc. » (MABI, THEVIOT, 2014.). Ainsi, les auteurs citent-ils les résultats de 2014 du groupe de recherche Marsouin sur les usages d’Internet en Bretagne, qui concluent que les usagers d’Internet sont principalement jeunes et éduqués (MARSOUIN, 2014). En Suisse, l’enquête « Monitoring Media Suisse », réalisée par l’OFCOM en partenariat avec publicom, révèle des tendances similaires. L’influence des réseaux sociaux, calculée ici sous forme de parts de marché, est très marquée chez les jeunes et a tendance à diminuer avec l’âge. Les media sociaux passent ainsi de 34% de parts de marché chez les 15-29 ans à 9% de parts de marché chez les 45-69 ans et seulement 5% chez les 60-79 ans pour 201917. Il est intéressant de constater que la version 2019 de l’enquête Marsouin, menée en France, fournit des résultats relativement similaires, les variables âge et celles relatives au niveau social et économique restant les plus fortes pour expliquer l’utilisation d’Internet, même si les effets de l’âge tendent à s’estomper progressivement (peut-être avec le vieillissement des populations utilisatrices d’Internet et des media sociaux) (MARSOUIN, 2019).