• Aucun résultat trouvé

12. Annexes :

12.6 Entretien avec Marie-Laure de PEA (28.09.2020)

Q : Est-ce que tu peux te présenter ?

R : Tu dis, par rapport aux actions que j’organise ?

Q : Oui, enfin rapidement ce qui te sembles important, qui tu es, ce que tu fais…

R : Ah, tu enregistres déjà, là… Ok ! Bon alors, je m’appelle Marie-Laure, j’ai trente ans. Ça va faire trois ans que je suis activiste. Ce que je fais spécifiquement, c’est que j’organise des actions qui s’appellent « Dans Leurs Yeux », qui sont un peu le même concept que les Cubes d’Anonymous For the Voiceless, mais on les fait sous Pour l’Egalité Animale (PEA), l’association antispéciste de Suisse romande. Et puis…

voilà…

Q : Parfait. Est-ce que tu peux me dire un peu ce qu’est le but de cet évènement ? R : Donc, ces actions elles consistent en fait à faire un carré, où les activistes se tiennent en formation et puis ils tiennent des écrans où on montre des images de pratiques standards et légales dans les abattoirs suisses, et même spécifiquement de Suisse romande. Donc chaque abattoir qu’on voit sur les vidéos vient de quelques kilomètres d’ici. On insiste vraiment beaucoup sur le fait que c’est vraiment des pratiques légales et standard, c’est pas des exceptions de maltraitance où la loi a pas été respectée. En fait… la loi est toujours plus ou moins respectée, c’est justement ça qui choque un peu. Et donc on montre ces images, et le but c’est… en fait on espère que les gens s’arrêtent, regardent les images, et ensuite on engage une conversation avec eux… Tu me dis si je parle trop vite, hein ! Q : Non, non, t’inquiète, de toutes façons je me réécouterai ça tranquillement et je retranscrirai, il n’y a pas de souci. Personne ne va l’écouter, en plus, c’est vraiment pour moi.

R : Ok ! Donc, voilà, le but c’est : les gens s’arrêtent, on engage une conversation avec eux, et là on essaie le plus rapidement possible dans la conversation de leur demander si ils connaissent le concept du spécisme. Souvent, ils connaissent pas, ou alors ils ont vaguement entendu parler, donc c’est aussi l’occasion pour nous de donner la bonne définition. Pour être sûrs, voilà, qu’on est tous sur la même page. Pis après, voilà, de parler de notre rapport aux animaux, et puis, ben on montre des images d’abattoirs, donc c’est des animaux qu’on mange. On montre pas tellement, par exemple, des images de laboratoires, d’expérimentations sur les animaux, parce que ça peut être un sujet assez pointu en termes scientifiques. Si on a pas de chance, on tombe sur un scientifique de l’Université de Genève et on se fait un peu prendre dans une impasse, disons, dans une conversation avec ce genre de personne. Et puis en fait, c’est surtout en termes de nombre d’animaux tués, en fait… Pour l’alimentation, c’est autour de septante millions d’animaux qui sont tués par année rien qu’en Suisse, et ça ne compte que les animaux terrestres tués sur le sol Suisse, donc ça ne compte pas l’importation ni les animaux marins. Donc voilà, l’idée c’est de sensibiliser les gens, et d’espérer que plus tard, s’il y a une votation en faveur des animaux, parce qu’en Suisse on a le système des initiatives populaires, je sais pas si tu connais un peu ? Q : Oui, oui…

128

R : Qui fait que voilà, on peut facilement amener un sujet à être voté par la population, et nous notre espoir c’est que les gens à l’avenir vont voter plus en faveur des animaux.

Q : D’accord, et en tant qu’association, il y a déjà des initiatives qui ont été lancées par PEA ?

R : En ce moment, il va bientôt y avoir une votation contre l’élevage intensif, donc…

c’est pas vraiment dans la ligne de notre association, parce que nous, voilà, étant antispécistes on est bien évidemment abolitionnistes, mais c’est quand même des initiatives qu’on soutient parce que ça va quand même dans le sens des animaux, quoi. Donc, nous spécifiquement, en tant qu’organisation, on n’a pas lancé d’initiative, parce que ça demande beaucoup d’argent et que c’est une grosse organisation. Donc, je sais pas si t’as rencontré des gens de l’association… heu… « Coalition Animale » ? Q : Non, je ne les ai pas rencontrés.

R : Bah faut que tu les rencontres alors. Parce que eux ils sont vraiment sur la scène politique, voilà, ils sont toujours en discussion avec les politiciens et tout ça. Donc c’est plutôt eux qui s’occuperaient de lancer un jour une initiative si ça peut se faire, ou en tous cas, voilà, essayer de pousser les élus dans une direction plus éthique pour les animaux.

Q : Et PEA organise d’autres évènements que Dans leurs Yeux ?

R : Ouais, bah après c’est en fonction de l’imagination des activistes, on est assez libres, en fait. Du moment qu’on vient avec une idée, on la met en place et puis voilà.

Ce qu’a fait le plus PEA, et je dirais de la manière la plus régulière, c’est je dirais des stands d’information, donc où on a des prospectus et on discute simplement avec les gens. Après on fait aussi des plus grosses actions, deux fois par année, pour la Journée Mondiale pour la Fin du Spécisme et la Journée Mondiale pour la Fin de la Pêche, qui ont donc été initiées, en fait, par PEA. Et avec les années on essaie de ramener le plus possible des activistes du monde entier à participer à cette action le même jour, après…

Q : Ça se présente comment cette action ?

R : Bah là, par exemple cette année on était à Berne sur la Place Fédérale, donc devant le Palais Fédéral, là où il y a toutes les décisions qui sont prises, tout ça. On avait fait un happening où les gens étaient tous couchés devant la Place Fédérale pour représenter la mort, avec des discours qui ont été faits dans les trois langues nationales. On a eu pour ça une collaboration avec des associations d’autres régions de la Suisse, notamment suisses-allemandes et suisses-italiennes. L’année passée on avait fait une marche à travers Genève, et pusi voilà, on passait dans les rues avec plein de pancartes, et on s’arrêtait, voilà, à plusieurs endroits pour faire des happenings spécifiques. Donc, ouais, ça varie un peu selon… Des fois c’est plutôt des marches, avec des pancartes aussi, ou alors c’est plus des mises en scènes, par exemple l’année passée pour la Journée Mondiale pour la Fin de la Pêche, bah du coup on s’était aussi couchés par terre mais avec des filets de pêche par-dessus-nous.

Après voilà, on avait aussi fait des actions « barquettes ». C’est … voilà, on met des barquettes géantes et puis on met des gens dedans, plus ou moins nus, et avec du film plastique par-dessus. Pour simuler une barquette de viande dans un supermarché, quoi. Donc, ouais, ça peut varier pas mal. Ah ! On avait fait un compteur aussi, sur la Place Fédérale, où en fait… Donc, il y avait quelqu’un qui tapait sur un tambour toutes

129

les secondes et l’idée c’était de montrer en fait le nombre d’animaux qui étaient tués pendant le temps de la manifestation.

Q : Ok, d’accord. Donc, il y a pas mal d’évènements avec des mises en scène.

Pour vous c’est quelque chose qui marche bien ? C’est une méthode qui fonctionne ?

R : Ouais, bah clairement il faut trouver des méthodes où on essaie d’attirer le regard des gens. Parce que le problème d’un stand c’est que c’est trop invisible, quoi. Enfin, les gens ils passent à côté, ils remarquent pas plus le stand qu’une vitrine de magasin.

Donc ouais, on essaie de jouer beaucoup sur le côté artistique, pour essayer au moins d’éveiller la curiosité. Après, ouais, peut-être que des fois il y a des gens qui comprennent pas, je sais pas, mais faut innover, quoi, pour essayer de piquer la curiosité des gens.

Q : Au niveau de la mise en scène, qui crée des images assez fortes, c’est quelque chose que vous utilisez ensuite sur les réseaux sociaux ?

R : On essaie, ouais. À chaque fois qu’on fait une action, on essaie de prendre des photos, de les mettre sur les réseaux, de les diffuser. Après, je saurais pas dire à quel point ça a un impact… J’aurais de la peine à dire, honnêtement quel impact ça a, je veux pas dire des bêtises.

Q : Pour l’évènement d’aujourd’hui, les vidéos d’abattoirs, c’est quelque chose qu’on est habitués à voire partagé sur les réseaux sociaux, qui deviennent parfois virales, avec par exemple les vidéos de L214, là quelle est la démarche de les amener dans la rue, au contact des gens ?

R : C’est sûr que comme tu as dit, on en voit beaucoup sur internet, de ces vidéos, les gens commencent à être habitués. Le problème, c’est qu’ils peuvent très facilement les ignorer. Alors que là, on force un peu les gens à voir ces images. Ils ont le choix, de tourner la tête, mais ils vont quand même les voir pendant une ou deux secondes, même si ils voulaient pas les voir. Donc c’est sûr qu’on force un peu les gens, on les met face à la réalité, et puis c’est vrai que si il y avait pas les réseaux sociaux, les gens ne verraient jamais ces images, quoi. Parce que tout est fait pour que les gens ne voient pas ce qui se passe dans les abattoirs, je veux dire, la preuve c’est que ces images, pour les obtenir, c’est des activistes qui ont dû aller poser des caméras cachées, faut surtout pas que leurs identités soient révélées. Voilà, le gouvernement nous oblige à aller faire des actions illégales, simplement pour montrer la réalité. Et une réalité que le gouvernement d’autant plus finance, quoi… Je sais pas si j’ai bien répondu à ta question.

Q : Ouais, ouais. Parfait. Et au niveau de l’organisation d’un évènement comme celui d’aujourd’hui, comment ça se passe ? Surtout que c’est récurrent, il y en a un samedi par mois dans chaque ville ?

R : Ouais, un samedi par mois dans chaque ville. En termes d’organisation, c’est surtout bah, beaucoup de promotion sur Facebook, surtout, un petit peu Instagram, mais c’est surtout que je suis plus à l’aise avec Facebook, je l’utilise plus… Mais, ouais, on doit vraiment faire beaucoup beaucoup de promotion pour réussir à amener les militants, et leur rappeler constamment que voilà, on n’est pas nombreux, quoi. Là, on est une quinzaine, on est contents parce qu’on a l’impression d’être nombreux, mais si on regarde le nombre d’antispécistes qu’il y a en Suisse romande, c’est minuscule quinze, c’est vraiment très-très peu. Donc ouais, des fois ça peut être un peu frustrant.

130

Bah à Lausanne, ils ont pas mal de la peine à mobiliser les activistes. Ce qui est assez surprenant, parce qu’on a l’impression que c’est là-bas qu’il y en a le plus. Après, je pense que c’est lié comme on en discutait l’autre fois, du burn-out des activistes, c’est vraiment un problème. Mais ouais, pour l’organisation, il y a évidemment la promotion sur les réseaux, pis sinon à chaque fois qu’on fait un évènement et qu’on a une bonne conversation avec quelqu’un, qu’on sent que la personne elle est vraiment, je dirais impliquée émotionnellement dedans, bah on propose aux gens de s’inscrire, de devenir membre de l’association, pour après venir militer avec nous. Après, des fois ça marche, des fois ça marche pas. Mais c’est vrai, des fois il y a des gens ils sont vraiment super enthousiastes, c’est comme si ils savaient pas, simplement, qu’on pouvait rejoindre une association et s’engager, quoi. Pour eux c’est vraiment un autre monde, et on leur dit « voilà, t’as juste à te pointer. Et voilà, quoi, c’est hyper-simple… ».

Q : Donc c’est des gens qui étaient déjà conscients de leur côté, dans leur coin ? On est interrompu par la police qui vient vérifier les autorisations pour la manifestation.

R : Ah, oui. Si ils étaient déjà sensibilisés. Ouais, alors je dois dire quand même, très souvent c’est des gens par exemple qui étaient déjà végétariens, qui avaient de la peine à franchir le pas pour devenir végans. C’est des gens qui ont déjà fait une grosse part de la réflexion, en fait. Je suis pas sûr qu’on va tomber sur quelqu’un, qui au début de la conversation est là « non, non, non ! Moi il me faut de la viande, et tout », et puis qui à la fin… « ouais, je deviens activiste ». Après, ça peut arriver, hein, c’est pas impossible. Mais je pense que c’est un peu plus rare.

Q : C’est un sujet qui est suffisamment mainstream pour que les gens aient déjà des débuts de réflexion, des pistes…

R : J’ai envie de dire oui et non, parce qu’en même temps, des fois on parle avec des gens qui sont tellement convaincus d’arguments que nous on trouve débiles tellement c’est évident que ça tient pas la route. Fin, par exemple, tu vois, là, on va discuter avec quelqu’un, et puis il va nous dire « Oui, vous savez, les hommes des cavernes ils mangeaient de la viande ». Genre, ils sont convaincus de ça, et pour eux, cet argument, à lui seul il suffit pour justifier qu’on mange de la viande aujourd’hui. Donc, ça montre à quel point ils ont pas poussé la réflexion non plus, tu vois.

Q : Et vous avez des gens des fois, qui…

La police est en train de contrôler l’’autorisation de manifestation, Marie-Laure est embêtée car le groupe occupe le trottoir opposé à celui qui leur a été attribué. Marie-Laure m’explique qu’il y a beaucoup plus de passage de ce côté de la route. « Au pire des cas, on aura une amende… Ça sera la première fois en trois ans , donc ça va.

Q : L’effet inverse, c’est donc des gens qui arrivent avec l’impression d’avoir déjà les réponses aux arguments antispécistes, pour débattre.

R : Bah ça c’est le cas de tout le monde. Les gens quand ils nous sortent cet argument, ils ont l’impression que nous ça va être la première fois de notre vie qu’on l’entend, alors qu’on l’a déjà entendu trois milliards de fois. Les gens ils te disent « mais tu sais, on a des canines », comme si on était pas conscients d’avoir des canines, quoi.

131

Q : Toi, au niveau personnel, comment est-ce que tu es devenue antispéciste ? R : Alors, c’est très… C’est une longue histoire, je vais essayer de la faire courte. Déjà, ça a commencé, je pense que j’ai grandi dans un univers plus ou moins antispéciste, si on peut dire ça… je sais que c’est pas très juste, mais… J’ai grandi entourée d’animaux. Mes parents étaient des grands amoureux des animaux. Je viens d’une famille de plusieurs générations de cavaliers. Mon arrière-grand-père était vétérinaire pour les chevaux pendant la première guerre-mondiale. Donc c’est vraiment une tradition famililale de monter à cheval, d’avoir des chiens, éventuellement des lapins à la maison. Donc j’ai vraiment grandi entourée d’animaux. Pour moi, ça a toujours été une évidence que les animaux, fallait bien les traiter, pour nous les animaux, c’étaient des membres de la famille. C’est jsute qu’on était dans une dissonance cognitive, et on voyait pas le mal en fait à, des fois, aller acheter un lapin dans une animalerie et puis bah simplement manger des animaux le soir. Et puis en fait, quand j’ai commencé à me rendre compte de l’incohérence de ça c’est que quand j’avais vingt-deux ans, en fait c’est parce que, j’avais fait mes études, j’avais fait un bachelor, et j’allais faire un master, donc c’était vraiment à ce moment-là qu’il fallait que je décide vraiment dans quoi j’allais me spécialiser. Et du coup c’est à ce moment-là que… Alors, tu dois vraiment avoir l’impression que je pars dans des trucs, mais c’est vraiment par-là que je suis passée. J’ai du me demander « qu’est-ce qui est vraiment important pour moi dans ma vie ? » Quelque chose qui était vraiment important pourmoi, dans ma vie ? Et je me suis rendu compte que moi ce qui me tenait vraiment à cœur c’était la cause animale. Mais après, voilà, c’est pas si facile que ça d’avoir un job, donc où t’es payé, à part vétérinaire, ou biologiste, mais ça me parlait pas plus que ça… Du coup j’ai commencé à rejoindre des associations de défense des animaux, par exemple, tout le monde connaît la SPA mais par exemple PEA je connaissais pas trop. Et c’est en rejoignant tous ces groupes, bah sur Facebook, des groupes francophones ou anglophones, je me suis rendu compte que tout le monde parlait de véganisme, tout ça. Et si tu veux aider les animaux, bah la première chose à faire c’est d’arrêter de les manger. Et puis, c’est là que j’ai commencé cette réflexion, et puis je crois que ce qui m’a vraiment fait le déclic final, où je me suis dit « c’est bon, faut que tu deviennes végan », c’est le livre Eat like you care de Gary Francione, c’était surtout un argument que je trouvais qui était… en fait, je peux comprendre qu’il coque énormément, mais on est obligé d’admettre qu’il a raison, c’est que il y a fondamentalement pas de différence entre avoir du plaisir à manger un steack et avoir du plaisir à regarder un combat de chiens. Parce qu’au final, tu as du plaisir aux dépens d’un autre être vivant, et tu peux pas vraiment faire de distinction entre l’un ou l’autre, et là je me suis dit

« bah, ouais, en faqit on est juste un peu hypocrites », parce qu’on est là à dire « ouais, on est pour le bien-être des animaux, on trouve que c’est un scandale ultime, les combats de chiens, tout le monde est d’accord là-dessus, que les combats de chiens c’est horrible. Mais après tu parles des vaches, des cochons, des poules, c’est comme si ils existaient pas ces animaux. Donc voilà, et puis après je crois que j’ai passé deux-trois ans, je dirais deux-trois ans, où j’étais un peu dans ma transition, réflexion et tout ça, et après je suis devenue activiste.

Q : Comment tu définis « devenir activiste » ?

R : Alors, il y a beaucoup de façons d’être activiste… Comment je définirais ça ? Alors… Je sais qu’il y a beaucoup de gens qui vont dire « Ouais, moi je suis activiste » parce qu’ils ont des discussions avec les gens dans leurs vies de tous les jours. Moi, ça c’est un peu le minimum que les gens devraient faire, et j’ai un peu de la peine à considérer ça comme de l’activisme, parce que c’est par exemple ce que je fais sur la