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UNE AMBITION INABOUTIE À LA VEILLE DE LA SECONDE GUERRE

A) Mettre en pratique les enseignements

Le but des écoles d’application est de parfaire aussi bien l’éducation militaire acquise en écoles de formation initiale, que de mettre en pratique les connaissances scientifiques et techniques qui y ont été enseignées. À ce titre, elles revêtent un double aspect du point de vue intellectuel : consolider les bases fraîchement acquises et enrichir la formation au prisme de la spécificité de leur arme.

185 Arrêté ministériel réglant le fonctionnement de l’École d’application des enseignes de vaisseaux du

11 mai 1938, Bulletin officiel de la Marine, n° 8, 1938, p. 183

186 Écoles de recrutement et de formation des officiers, Grand quartier général des Armées Françaises de l’Est,

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Consolider et renforcer les bases

Les officiers-élèves de marine (et non plus élèves-officiers car ils sont sortis enseigne de vaisseau de l’École navale, le premier grade d’officier) embarquent à partir de 1931 à bord du croiseur-école Jeanne d’Arc, qui prend la suite des croiseurs cuirassés Jeanne d’Arc et

Edgard Quinet. C’est le premier bâtiment dédié spécialement à la formation des élèves-officiers

de Marine, tout en restant un bâtiment militaire. Jusqu’alors les bâtiments-écoles étaient des navires d’abord pensé pour les besoins des combats, puis rétrocédés à l’École navale pour être utilisés comme école d’application. S’ils répondaient de fait aux besoins de la guerre, ils étaient toutefois inadaptés pour l’instruction des futurs officiers. Le nouveau croiseur-école répond à la nécessaire modernisation de la formation des officiers, qui accompagne la politique générale de la marine impulsée par le Ministre de la marine Georges Leygues de 1925 à 1930 puis de 1932 à 1933, en lançant une large mise en chantier de bâtiments légers qui ont cruellement manqués lors de la Première Guerre mondiale187. Pour cela, le croiseur-école Jeanne d’Arc est

entièrement pensée en fonction des besoins de formation des élèves tout en demeurant un navire militaire aux qualités reconnues188. Durant près d’un an (10 mois) les élèves, encadrés par des

officiers et l’équipage du navire, effectuent une circumnavigation dont le but est de « former des caractères bien trempés189 ». L’arrêté ministériel de 1935 qui règle le fonctionnement de l’école d’application précise que l’objectif de cette école est bien de « plier les mentalités aux exigences spécifiques du métier et aux nécessités quotidiennes de la vie à bord», afin qu’à leur sortie les officiers-élèves soient aussi aptes que possibles à remplir à la mer et en rade toutes les obligations de leur fonction190. En effet, à bord de son navire le commandant est certes celui en charge d’assurer de la bonne navigation, mais il est aussi et surtout le représentant légal de l’autorité étatique, c’est-à-dire détenteur d’un pouvoir de discipline, de sanction et de juridiction sur ces hommes. L’emphase est mise sur la nécessaire connaissance des règlements en vigueur

187 MONAQUE Rémi, Une histoire de la marine de guerre française, Paris, Perrin, 2016, p. 391.

188 BRUNEAU Jean-Baptiste, VAISSET Thomas, « Un redressement, des limites (entre-deux guerres) », Études

Marines, « L’histoire d’une révolution, La Marine depuis 1870 », CESM, n° 4, mars 2013, p. 63.

189 Annexe n° 2 à l’arrêté ministériel du 25 février 1935 réglant le fonctionnement de l’École d’application des

aspirants de Marine, Bulletin officiel de la Marine, n° 10, 1e octobre 1937, p. 886. 190 Idem.

158 et pour cela les élèves, au même titre que l’équipage, sont assujettis aux obligations des règlements militaire et sont soumis aux règles relatives à la discipline191.

D’un point de vue technique, l’objectif visé est de mettre en application et consolider les connaissances théoriques acquises à l’École navale. L’école d’application des enseignes de vaisseaux insiste sur la nécessité d’apprendre aux élèves à « dégager du bagage scientifique dont ils ont été dotés les principes théoriques essentiels et les utiliser », en les mettant « constamment aux prises avec des problèmes concrets » ; le but final étant de « leur apprendre l’utilisation pratique du matériel et leur faire manœuvrer eux-mêmes les appareils pour leur donner confiance en eux »192. Cette évolution majeure est liée aux remarques récurrentes liées au fonctionnement de l’École navale : tous les commandants de l’école d’application se plaignent du manque de compétence et de maturité des élèves sortis de cette dernière, ainsi que de la surcharge de l’enseignement théorique sans rapport avec le métier des armes dont ils ont pu bénéficier193. Le manque de méthode de travail et d’esprit d’observation des élèves est

souligné, au même titre que leur absence de maîtrise courante d’une langue étrangère. Selon l’expression même d’un commandant de la Jeanne d’Arc, la formation scientifique des élèves se résume à un « bourrage de crâne hâtif ». Les responsables de l’école d’application se plaignent également de la masse trop importante de connaissances qu’ils doivent de facto transmettre aux élèves en un temps limité. Bien souvent, leurs conclusions se résument à demander à l’École navale de réduire et de simplifier les cours techniques pour augmenter les exercices pratiques194. L’idée maitresse de ce pan de formation est de proposer aux élèves un enseignement essentiellement pratique qui s’opposerait à un volet jusqu’alors théorique et volontiers condamné. Afin de faciliter la transition des élèves d’un état passif vers actif, les règlements de l’école d’application de marine insistent sur la nécessité de les habituer à compter avant tout sur leur intelligence, leur bon sens, leur esprit de réflexion et de jugement et non uniquement sur leur mémoire195. L’émancipation du carcan scolaire est de rigueur.

Au sein des écoles d’application de l’armée de terre, un seul rôle leur est dévolu : compléter l’instruction des sous-lieutenants sortis des écoles militaires de formation initiale (ESM pour

191 Arrêté ministériel réglant l’organisation, le fonctionnement de l’École navale et de l’École des élèves officiers

de Marine du 27 août 1937, Bulletin officiel de la Marine, n° 10, 1e octobre 1937, p. 729. 192 Idem.

193 VIBART Eugène, Étude sur le corps des officiers de marine, 1875-1935, Vincennes, 1978, p. 11. 194 Idem.

159 les fantassins et les cavaliers et Polytechnique pour les sapeurs et artilleurs)196. Ce rôle est affirmé dès 1919 et elles sont avant tout des écoles militaire où les jeunes officiers reçoivent une instruction technique et tactique complète de leur arme et de leur grade197. Le terme d’ « école militaire » recoupe une double réalité : une école d’application, réservée aux jeunes officiers-élèves sortis d’une école de formation initiale et une école de perfectionnement proposant aux officiers de l’arme des stages d’information. Pour le cas bien particulier de l’école militaire d’infanterie, une troisième mission lui est attribuée : former aux rôles et fonctions de l’officier d’infanterie des sous-officiers sélectionnés après concours mais issus de la troupe. Chaque arme se voit alors attribuer une école. L’école militaire de cavalerie et du train est établie à Saumur ; l’école militaire d’artillerie à Poitier et l’école militaire du génie à Versailles, tandis que l’école militaire d’infanterie et des chars de combat est située à Saint- Maixent jusqu’en 1935, avant que l’école des chars de combats ne soit constituée en école indépendante à Versailles à compter de 1938198. Au même titre que pour la marine, afin de

remédier à la critique de la part des chefs de corps d’une formation trop théorique des sous- lieutenants qui sortent de l’ESM199, l’accent est porté dans les écoles d’application sur un

enseignement essentiellement pratique. Un article publié dans la Revue des deux Mondes sur l’école du génie souligne ainsi que le rôle d’une école d’application ne saurait être celle d’une maison où « les cours théoriques constitueraient l’enseignement capital ». L’idée majeure est bien de tourner l’enseignement vers la pratique, « de manière à former des officiers immédiatement aptes à rendre service dans la carrière »200. Cette mission est étendue de fait à toutes les écoles d’application201. Toutefois, il est rappelé que l’enseignement reçu ne saurait être suffisant au regard de l’ensemble d’une carrière militaire. Les notions transmises ne sont que des bases qui doivent être complétées, à la diligence de chacun.

196 Décret portant règlement sur l’organisation de l’école militaire et d’application de la cavalerie et du train,

Bulletin officiel des Ministères de la Guerre, des Pensions et de l’Air, 25 février 1939, p. 1262.

197 Écoles de recrutement et de formation des officiers, Grand quartier général des Armées Françaises de l’Est,

État-major, 3e bureau, n° 11.377, 8 mars 1919, SHD GR 16 N 573.

198 Instruction concernant l’organisation et le fonctionnement de l’école des chars de combat, Bulletin officiel des

Ministères de la Guerre, des Pensions et de l’Air, 6 janvier 1938, p. 6.

199 Le colonel Herscher commandant l’École Spéciale Militaire à Monsieur le Ministre de la Guerre, ESM, n° 188

P/M, 28 juin 1928, SHD GR 7 NN 3 808.

200 Général NORMAND Robert, « Nos grandes écoles, l’École du génie », Revue des Deux Mondes, mars 1929,

p. 173.

201 École des chars de combat, Programme d’instruction, « cours des élèves aspirants », s.d., SHD GR 9 N 153 ;

Décret portant règlement sur l’organisation de l’école militaire et d’application de la cavalerie et du train, Bulletin officiel des Ministères de la Guerre, des Pensions et de l’Air, 25 février 1939, p. 1262

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« Le bagage intellectuel donné à l’officier doit lui permettre de se lancer dans la vie et de continuer à progresser dans les voies qui s’offriront à lui ; il ne doit pas constituer une fin en soi, sur laquelle on aurait le droit de se reposer en n’ayant qu’à l’utiliser sans le perfectionner202 ».

Cet objectif est rappelé dans une note du général Maurin, inspecteur général de l’artillerie puis Ministre de la Guerre de 1934 à 1936, pour qui le « but de l’enseignement général n’est pas de meubler les cerveaux ; le but est d’orienter le travail futur de l’officier ; les cours ne sont que des préfaces203 ». Les élèves sont invités à se détacher des cours qu’ils ont reçus et à n’en retenir que leur substance, l’enchainement rationnel des principes, de leurs conséquences, des schémas plutôt que des reproductions exactes. Il leur est recommandé de développer l’esprit d’observation, de simplification et de classification204, à la suite des évolutions de la Première Guerre mondiale. Cette rupture est soulignée aussi bien dans les règlements que dans les études dédiées aux différentes écoles205 et il est précisé que « le dogmatisme et la routine sont rigoureusement exclus de toute instruction militaire206 ». L’accent est porté sur l’importance de développer la personnalité de chacun.

Les écoles d’applications se proposent dès lors de fournir une formation qui viendrait compléter mais aussi faciliter l’instruction des jeunes officiers tout au long de leur carrière.

Enrichir la formation

Le décret portant règlement sur l’organisation de l’école militaire et d’application de la cavalerie de 1939 précise que son rôle demeure bien de parfaire l’instruction des sous- lieutenants sortis d’écoles militaires de formation. L’enseignement comprend alors, en sus d’une instruction générale, une formation militaire, équestre et automobile207. Un article de la

202 Général NORMAND Robert, « Nos grandes écoles, l’École du génie », op. cit. p. 181.

203 Cité par Lieutenant-colonel AUBELET, « Historique de l’École militaire de Fontainebleau, 1918-1939 »,

Bulletin d’information et de liaison des officiers d’artillerie, n° 12, 1955, SHD GR 7 N 4242.

204 Lieutenant-colonel AUBELET, « Historique de l’École militaire de Fontainebleau, 1918-1939 », op. cit.. 205 Anonyme, Note sur l’École des chars de combats, 12 avril 1938, 28 p., SHD GR 7 N 3455 ; DUPONT Marcel,

« Nos grandes écoles, Saumur », Revue des Deux Mondes, novembre 1930, p. 47-65.

206 Anonyme, Note sur l’École des chars de combats, 12 avril 1938, 28 p., SHD GR 7 N 3455.

207 Décret portant règlement sur l’organisation de l’école militaire et d’application de la cavalerie et du train,

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Revue des deux Mondes de 1930 souligne quant à lui la métamorphose accomplie par cette

école depuis la fin de la Première Guerre mondiale. Si la pratique de l’équitation n’a pas disparue, s’y ajoute toutefois un pan additionnel tirés des expériences du conflit récent. Ainsi, une forte part de l’enseignement est dédiée à la conduite et l’utilisation à des fins militaires de tous les engins mécaniques : automobiles, motocyclettes, auto-mitrailleuses, camions208 . La transmission de renseignements via la signalisation, le morse ou la radiotélégraphie et la connaissance de la tactique de l’infanterie, de l’artillerie et même de l’aviation, encore considérée comme un arme de l’armée de terre à cette époque, viennent compléter le dispositif. L’accent est mis sur l’importance primordiale que revêt la liaison, héritage des combats de 14- 18209. Pour l’arme du génie, l’instruction militaire porte principalement sur la construction, la fortification, l’emploi des armes au combat, ainsi que la topographie et la géologie210.

Au-delà de l’étude des règlements en vigueur dans les différentes armes, il est intéressant de noter l’importance accordée à l’apprentissage de la langue arabe, notamment pour les cavaliers et sapeurs, considérée comme indispensable à tout officier211. Il est vrai que face

à la crise du recrutement qui caractérise les forces armées durant l’entre-deux-guerres, l’Empire français et les guerres de conquêtes et de pacification au Maroc notamment avec la guerre du Rif (1925-1926) ou les actions magnifiées de certains officiers par le biais de la littérature (capitaine Henri de Bournazel) ou du cinéma (Les Trois de Saint-Cyr) sont autant d’éléments qui favorisent un attrait pour des affectations en Afrique du Nord. Cette maitrise devient dans le même temps un outils militaire en permettant aux officiers de comprendre et de se faire comprendre de sa troupe et de la population locale, tout en favorisant un contrôle politique sur les régions conquises, où tous les officiers, en plus d’être de « parfaits exécutants », doivent être « d’excellents instructeurs capables d’aller enseigner au loin tout ce qu’ils auront appris à l’École212 ». L’objectif est d’assurer un nivellement et une diffusion de l’instruction au profit de l’enseignement militaire français.

208 DUPONT Marcel, « Nos grandes écoles, Saumur », Revue des Deux Mondes, novembre 1930, p. 64. 209 Idem, p. 60

210 Général NORMAND Robert, « Nos grandes écoles, l’École du génie », op. cit., p. 179. 211 Idem ; DUPONT Marcel, « Nos grandes écoles, Saumur », op. cit., p. 60.

162 Toutefois, le modèle des écoles d’application peine à permettre l’établissement de contacts récurrents et fréquents entre l’officier et les hommes dont il aura la charge, tel que souhaité par Lyautey.