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Si l’ESM demeure aujourd’hui l’école militaire ayant fait l’objet du plus grand nombre de publications (vulgarisation ou scientifique), il convient toutefois de noter que ces dernières sont encore parcellaires. Une forte place est accordée aux traditions107 ou aux moyens mis en œuvre pour créer une unité parmi les élèves108. Si la formation en tant que telle n’est pas oubliée,

elle évite soigneusement d’aborder la Seconde Guerre mondiale en s’arrêtant en 1939109. La thèse d’Éric Labayle sur L’Ecole des élèves aspirants de Cherchell-Mediouna, 1942-1945 ne traite que de l’un des pans de la formation des officiers de l’armée de terre durant le second

107 BOY Jean, « La naissance des traditions à l’École spéciale militaire et leur évolution jusqu’à nos jours »,

CEHD-Musée de l’Armée-SHAT, Saint-Cyr, la société militaire, la société française, Actes du colloque tenu aux Invalides les 2-3 octobre 2002, Cahier de recherche et d’études du Musée de l’Armée, n° 4, 2002, p. 115-135. ; DIROU André, THIEBLEMONT André, « Lieux et objets de mémoire à Saint-Cyr », in THIEBLEMONT André,

Cultures et logiques militaires, Paris, Presses Universitaires de France, 1999, p. 85-126. ;

PROMOTION « CAPITAINE STEPHANE », Sous le casoar, Vie et tradition de l’École Spéciale Militaire de

Saint-Cyr, Oberthur-Rennes, 1994, 159 p. ; THIEBLEMONT André, « Traditions et pouvoir : les discours saint-

cyriens sur la tradition », Cahiers internationaux de sociologie, vol. 44, 1978, p. 63-81. ; Les traditions à Saint-

Cyr, Rapport de la Grande Commission, Traditions à Saint-Cyr, École Supérieure de Guerre, 93e promotion, 1981,

34 p.

108 ALBER Alex, « Une socialisation professionnelle par l’histoire : la formation morale des Saint-Cyriens et le

martyrologe patriotique », Temporalités [En ligne], n° 6/7, 2007, mis en ligne le 08 juillet 2009. ; BONIFACE Xavier, « Images et représentations du héros militaire à travers les noms de promotion à Saint-Cyr »,

in ABZAC-ÉPEZY Claude (d’) et MARTINANT DE PRENEUF Jean (dir.), Héros militaire, culture et société op. cit. ; CEHD-Musée de l’Armée-SHAT, Saint-Cyr, la société militaire, la société française, Actes du colloque

tenu aux Invalides les 2-3 octobre 2002, Cahier de recherche et d’études du Musée de l’Armée, n° 4, 2002, 309 p. ; WEBER Claude, BOURLET Michaël et DESSBERG Frédéric, « À Saint-Cyr », Inflexions, n° 1, 2011, p. 135- 145.

109 GUELTON Frédéric, « La formation des officiers de Saint-Cyr entre la Grande Guerre et la guerre du Rif », in

LÉVISSE-TOUZÉ Christine, Du capitaine de Hauteclocque au général Leclerc, Paris, Editions Complexe, 2000, p. 85-97. ; Chef de bataillon VERNET Jacques, « Enseignement et conséquences de la Grande Guerre à l’ESM (1919-1939) », CEHD-Musée de l’Armée-SHAT, Saint-Cyr, la société militaire, la société française, op. cit., p. 185-195.

38 conflit mondial et peine à faire émerger une analyse d’ensemble110. Plus lacunaires encore sont les études sur l’École navale. Un seul mémoire de maîtrise a fait le choix de traiter de la question de cet établissement durant la guerre111, tous les autres travaux étant du ressort de l’ouvrage de vulgarisation, ou bien des travaux scientifiques mais portant sur la période d’après-guerre112. Notons toutefois que si cette dernière n’a jamais en tant que telle fait l’objet d’un travail de doctorat, la thèse d’histoire de Jean Martinant de Préneuf sur le comportement religieux des officiers de Marine fait une grande place à son étude jusqu’en 1939113.

À ce titre, ces deux écoles ont trouvé toute leur place dans ce travail de thèse et en constituent le cœur du sujet. S’est ensuite posée la question de l’École de l’air. De création plus récente que ses homologues, elle n’en demeure pas moins l’école de formation initiale des futurs officiers de l’armée de l’air (pilotes et personnels non navigant) et entre à ce titre dans le périmètre de cette thèse. Toutefois, à la différence de ses homologues, l’École de l’air a été étudiée et analysée en tant qu’objet historique à part entière114 et s’inscrit à la suite de la thèse

majeure de Claude d’Abzac-Épezy sur l’armée de l’air de Vichy115. C’est pourquoi, sans écarter

totalement cette école du champ d’étude, le choix a été fait de s’appuyer en grande partie sur ces deux travaux et de ne venir que ponctuellement compléter l’analyse. Enfin, la question de la place à accorder à l’École Polytechnique a été résolue malgré nous, l’établissement perdant

110 LABAYLE Éric, De la Revanche à la Libération : l’école des élèves-aspirants de Cherchell-Médiouna, thèse

de doctorat sous la direction de MARTEL André, Université Paul-Valéry Montpellier III, 1995, 1236 p.

111 PALOMBA Patrice, Les Écoles navales pendant la Seconde Guerre mondiale, mémoire de maitrise sous la

direction de JAUFFRET J.C. et DURTESTE L., Université Paul Valery, Montpellier III, 1995, 118 p.

112 KOWALSKI Jean-Marie, « D’une rive de la rade de Brest à l’autre, une nouvelle École navale pour une

nouvelle marine », Revue d’histoire maritime, n° 21, 2015, p. 435-459. ; MARTINANT DE PRENEUF Jean, « Le recrutement semi-direct des officiers de marine jusqu’en 1969 », Revue historique des armées, n° 228, septembre 2002, p. 25-40. ; MICHELAT Guy, THOMAS Hubert Jean-Pierre, « Contribution à l’étude du recrutement des écoles d’officiers de la Marine (1945-1960) », in THOMAS Hubert Jean-Pierre (dir.) Officiers,

sous-Officiers. La dialectique des légitimités. Paris, Addim, 1994, p. 95-113. ; SUTEAU Laurent,

« Prosopographie d’une élite militaire : le recrutement des officiers de marine issus de l’École navale entre 1945 et 1969 », Cahiers du Centre d’études d’histoire de la défense, 2007, p. 199-224. ; SUTEAU Laurent, Recrutement

et formation des officiers de Marine : L’École navale, 1945-1969, Mémoire de DEA, sous la direction de

BOUGEARD Christian, Université de Bretagne Occidentale, 2003-2004, 155 p.

113 MARTINANT DE PRENEUF Jean, Mentalités et comportements religieux des officiers de marine sous la

Troisième République, thèse de doctorat en histoire sous la direction de LEVILLAIN Philippe, Université de Paris

X-Nanterre, 2007, 893 p.

114 GOURDIN Patrice, L’École de l’air, contribution à l’histoire des élites militaires de la République, thèse de

doctorat sous la direction de LEQUEN Yves, Université Lumière-Lyon II, 1996, 684 p.

39 de fait son statut militaire à la suite de l’armistice du 22 juin 1940116, tandis qu’aucune école similaire n’est recréée sur la durée de la guerre.

L’importance numérique des élèves-officiers passés durant ces cinq années dans les différentes écoles doit être soulignée. À titre d’exemple, pour le cas simple de l’armée de terre, ce sont plus de mille officiers qui ont été formés sur les deux années et demie d’existence de Cherchell, auxquels s’ajoutent près de 200 officiers Français libres et 600 officiers formés par le régime de Vichy. S’il est vrai que les effectifs sont moindres pour la marine et l’armée de l’air, tout travail prosopographique a dû de ce fait être écarté. Des analyses sociologiques et comparaisons ponctuelles caractérisent toutefois ce travail.

Enfin, la question du vocabulaire parfois employé a aussi été source de questionnement. Chaque école possède son propre argot, ses propres expressions qui participent de la cohésion et du sentiment d’appartenance exclusif (au sens premier) au groupe. Comme évoqué précédemment les termes, rarement explicités, nécessitent une connaissance interne du fonctionnement des écoles. De même, dans un autre registre, un même terme, s’il est employé par le régime de Vichy, le gouvernement de la France libre, d’Alger ou même par la résistance ne recouvre pas la même réalité sémantique. Le mot, la terminologie sont identiques, mais pas le sens. C’est le cas notamment des termes « armée nouvelle », « armée moderne » ou « sang neuf », tous employés aussi bien par l’État français que les mouvements de résistance, voire la France libre pour le terme « armée moderne ». Ils relèvent de conceptions radicalement différentes mais rarement définies. Notons d’ailleurs que pour le cas bien particulier d’ « armée nouvelle », le terme est un emprunt à l’ouvrage de Jean Jaurès117, dont le sens diffère à son tour118. Cette difficulté s’explique en partie par la nature des sources et de leurs auteurs, qui relèvent de documents de travail et directives internes n’ayant pas vocation à être publiquement diffusées. À ce titre, les termes employés répondent à une conception commune et partagée entre auteurs et lecteurs à un instant donné. S’il est parfois difficile d’en établir le sens exact, nous nous sommes efforcées au cours de ce travail de fournir une définition au plus proche de la conception des auteurs.

116 L’ÉCOLE POLYTECHNIQUE, « Le patrimoine de l’École Polytechnique », s.d., 15 p. 117 JAURÈS Jean, L’armée nouvelle, Paris, J. Rouff, 1911, 685 p.

118 DESMOULINS Lucile, « Jean Jaurès, L’Armée nouvelle, un « essai » de sociologie militaire », Les Champs de

40 Longtemps décriée et renvoyant l’image d’une histoire désuète, l’histoire militaire s’est difficilement départie du carcan de l’« histoire bataille » honnie et décriée119. Symbole du conservatisme, cette notion peinait en effet à prendre les armées non plus dans une simple dimension stratégique ou tactique, mais aussi dans sa dimension sociale, humaine, économique ou encore politique. Signe de cette évolution, le choix des termes « phénomène guerrier » ou « fait guerrier » parfois utilisés aujourd’hui pour la qualifier, sans d’ailleurs que ces expressions ne parviennent à résoudre totalement les critiques opposées à l’histoire de la guerre. Sans dénigrer le fort caractère militaire de notre sujet, il ne saurait être question d’envisager la formation des officiers uniquement dans sa dimension guerrière. En effet, nous ne saurions faire l’économie de l’apport de l’histoire de l’éducation, notamment par l’éclairage qu’elle apporte quant aux méthodes et questionnements pédagogiques prévalant alors hors des enceintes militaires.

Quatre grands axes d’interrogations émergent de notre corpus de documents, selon un ordre chronologique et thématique. Le premier vise à présenter ce qui fait le corps des officiers à la veille du déclenchement des combats et les raisons qui poussent les jeunes hommes à embrasser la fonction, à une période où les carrières militaires peinent à attirer de nouvelles vocations. À l’inverse de la troupe, le corps des officiers ne souffre d’aucun ralentissement dans son recrutement sur toute la période des lendemains de la Grande Guerre et les raisons doivent en être expliquées (chapitre 1). Il convient dans le même temps de présenter la formation reçue par les officiers à la veille du déclenchement de la guerre, sorte de « témoin zéro » permettant de juger des continuités ou ruptures opérées par la suite (chapitre 2).

La seconde partie est centrée sur les lendemains de la défaite de juin 1940 qui conduisent concomitamment à l’instauration de l’État français à Vichy et à la création de la France libre depuis Londres. L’arrivée du maréchal Pétain aux rênes du pouvoir bouleverse la mission des écoles militaires, désormais chargées de former les officiers d’une nouvelle armée tant annoncée, fer de lance de la Révolution nationale (chapitre 3). Pour aider et faciliter cette

41 transition, le régime s’appuie sur un ensemble de mouvements de jeunesses paramilitaires, nouveaux ou plus anciens, faisant la part belle à la figure de l’officier, et sur des préceptes pédagogiques qui favorisent une émancipation personnelle en dehors de tout schéma scolaire, mais qui posent toutefois la question de l’originalité de l’entreprise (chapitre 4). Outre-Manche, toute autre est l’ambition. Pour faire face aux besoins croissants en cadres d’une armée française libre en cours de création, le gouvernement du général de Gaulle reproduit partiellement l’organisation des écoles de formation initiale lors de leur réouverture en Angleterre. Pensées en opposition au modèle suranné d’avant-guerre et comme un contrepied au régime de Vichy, ces dernières ont pour mission de former les officiers qui, à terme, devront participer à la guerre puis permettre la libération du territoire national par les armes (chapitre 5).

Le débarquement allié des 8 et 9 novembre 1942 en Afrique du Nord (opération Torch) apparait à ce titre comme une rupture dans le fonctionnement même de ces établissements militaires. L’invasion de la zone libre par les forces allemandes en représailles le 11 novembre (opération Anton) et la prise de Toulon le 27 (opération Lila) conduisent à la fermeture des trois écoles vichystes. Rouvertes en partie à compter de décembre en Afrique du Nord, elles constituent désormais des outils d’amalgame, chargées d’opérer à marche forcée la fusion entre les armées gaullistes et ex-vichystes tout en proposant les bases militaires nécessaires à la victoire (chapitre 6). Toutefois, la résurgence de la marine vichyste à partir du début de l’année 1943 ne sonne pas le glas du maintien d’une École navale au service de l’État français et dont les motivations et aspirations doivent être analysées (chapitre 7).

Le tournant de l’été 1944 avec les débarquements de Normandie (6 juin, opération

Overlord) et de Provence (15 août, opération Anvil Dragoon) entérine le retour effectif des

armées françaises sur le territoire national. La rencontre avec les éléments de la résistance intérieure conduit à leur incorporation dans les troupes régulières après passage dans les écoles de cadres, en charge d’assurer la transition des armées irrégulières vers une armée moderne, mais qui se fait au détriment des éléments issus de la résistance. Les projets de refonte de l’armée française tournent court tandis que les FFI sont progressivement écartés du corps des officiers (chapitre 8). Le retour des écoles en métropole et leur réouverture à compter de l’été 1945 accentue de fait cette tendance. Alors même que les textes et directives officiels font une large place à l’idéal d’une armée pensée et qui se revendique comme l’émanation de la résistance, la question de son devenir se pose de façon forte. Les velléités de refonte de la

42 formation des officiers, au cœur de la réouverture des écoles de formation initiale, sont réelles mais demeurent inabouties. Le déclenchement de la guerre d’Indochine constitue un révélateur fort des enseignements tirés de la guerre mais atteste dans le même temps de la difficile adaptation de la formation aux besoins des combats qui s’y déroulent (chapitre 9).

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