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UNE AMBITION INABOUTIE À LA VEILLE DE LA SECONDE GUERRE

C) Endurcir les corps : la formation physique

L’entrainement physique demeure indispensable pour des hommes dont la finalité reste la préparation au combat. L’objectif vise à préparer les corps, à affronter la vie en campagne et ainsi à accommoder au mieux les futurs officiers aux rigueurs et à la fatigue qui y sont associées. Pour François Cochet, le but est bien de « techniciser » le corps humain en le rendant compatible avec la pratique de la guerre ou de sa préparation142. Par ailleurs, cette formation ambitionne, encore une fois, d’assurer un contrôle supplémentaire sur le corps individuel aussi bien que collectif des officiers.

140 Général IBOS Pierre (et al.), Saint-Cyr et la vie militaire, op. cit., p. 18-25.

141 MARTINANT DE PRÉNEUF Jean, Mentalités et comportements religieux, op. cit., p. 156.

142 COCHET François, « Des gestes de l’éducation physique aux gestes de la guerre », in ROBENE Luc (dir.), Le

148

Une spécificité militaire ?

Les XIXe et XXe siècles se traduisent par une attention croissante apportée à la question de l’éducation physique, des méthodes d’entrainement et du sport dans l’ensemble de la société française et à ce titre l’armée ne saurait être épargnée par les grandes évolutions et débats qui traversent cette discipline143. Dans un ouvrage de 1937 sur les rapports entre sport et armée, le général Fabre annonce : « L’armée ne saurait être traitée comme une grande Fédération sportive ; elle a un but propre d’un ordre élevé : faire de chaque citoyen un combattant capable de jouer son rôle dans la défense de son pays144 ». L’idée proposée ici recouvre celle de l’École de Joinville créée en 1852, qui forme les moniteurs et maîtres de gymnastique des armées. Cette dernière se veut être le lien entre éducation physique et éducation morale via l’idée de sacrifice de soi145. Dès lors, la formation physique se voit attribuer un double rôle, défini par le Manuel du gradé d’infanterie de 1929. « L’éducation physique militaire vise à développer le soldat en tant qu’homme. L’instruction physique militaire vise à le développer en tant que combattant146 ». Deux conceptions différentes, avec deux objectifs donc. D’un côté,

l’éducation physique est pensée comme un ensemble recoupant des leçons de culture physique, de jeux sportifs (tels le football), mais aussi les sports proprement dits (la marche, la course, les lancements athlétiques, l’escrime, la boxe, la lutte, la natation)147 ; tandis que l’instruction militaire vise à exploiter dans un sens plus spécialement militaire les qualités d’agilité et d’endurance qu’une éducation physique bien conduite a fait acquérir au soldat. « Elle comporte : pour tous la pratique des sports individuels et collectifs développant la valeur morale et collective de la troupe et, pour chacun les applications militaires et les entrainements pour remplir son rôle personnel au combat148 ».

Au sein des forces armées, la formation recoupe aussi bien l’éducation physique que l’instruction physique des conscrits ou des militaires. Elle impose l’idée d’un aguerrissement,

143 À ce sujet nous renverrons principalement à l’ouvrage collectif dirigé par ROBENE Luc, Le sport et la guerre,

op. cit., 538 p.

144 Général FABRE, L’éducation physique et le sport dans l’armée, une mise au point nécessaire, Paris,

Lavauzelle, 1937, p. 19.

145 COCHET François, « Le sport comme préparation à la guerre avant 1914 », in ANDRIEU Gilbert et al., Les

sportifs français dans la Grande Guerre, coll. Mémorial de Verdun, Le Fantascope éditions, 2010, p. 33-34.

146 Manuel du gradé d’infanterie, Paris/Limoges, Charles Lavauzelle, 1929, cité par COCHET François, « Des

gestes de l’éducation physique aux gestes de la guerre », op. cit., p. 38-39.

147 Manuel du gradé d’infanterie, op. cit., p. 54. 148 Idem, p. 55.

149 d’une discipline, d’une efficacité, voire même d’une hygiène corporelle du soldat en consacrant le port d’une tenue spécifique pour la pratique des exercices ainsi qu’un temps réservé à la toilette à l’issue des exercices, tandis qu’elle incorpore « dans cette fabrique du soldat-citoyen une culture commune susceptible de réinscrire les projets défensifs et/ou belliqueux dans la construction d’une identité nationale, vecteur d’unification149 ». Plus qu’une simple formation physique, celle-ci se double alors d’une dimension morale tant il est vrai qu’elle se réforme au gré des événements politiques et militaires. François Cochet a montré comment dans les représentations mentales la défaite de 1871 est attribuée notamment au mauvais état physique des soldats et de leurs officiers150 et explique de fait l’attention toute particulière qui est portée à la bonne condition et constitution physique des candidats aux trois écoles de formation initiale. L’article 30 de la loi du 31 mars 1928 sur le recrutement de l’armée prévoit que l’engagement des jeunes gens reçus aux écoles militaires peut être résilié pour cause d’inaptitude physique reconnue151. Lors de leurs engagements, les candidats à l’ESM doivent

« présenter les conditions générales d’aptitude exigées pour les militaires du service armé. Ils doivent être robustes. L’examen médical doit en être très approfondi152 ». Le général Tanant

dans son article se fait l’écho de cette obligation en rappelant que « le vieil adage Mens sana in

corpore s’appliquait au futur officier plus qu’à tout autre citoyen153 ». À l’École navale, les

candidats sont soumis avant même le passage du concours à une visite médicale afin de s’assurer qu’ils possèdent l’aptitude physique requise pour le service dans la marine et seuls les candidats aptes sont admis à composer154. Pour l’École de l’air il est nécessaire de satisfaire aux conditions d’aptitude physique requise pour le service armé, auxquelles s’ajoute une obligation de satisfaire aux conditions spécifique pour le service dans le personnel navigant en qualité de pilote155.

L’objectif de ces visites revêt dans le même temps une dimension que l’on pourrait qualifier d’hygiéniste, où l’officier est un capital qu’il convient de faire fructifier dans le temps long. À la suite d’Anne Rasmussen, il peut être avancé que l’entretien et la conservation de

149 ROBENE Luc, « Introduction », in ROBENE Luc (dir.), Le sport et la guerre, op. cit., p. 17. 150 COCHET François, « Le sport comme préparation à la guerre avant 1914 », op. cit., p. 27. 151 Loi du 31 mars 1928 sur le recrutement de l’armée, JOFR du 3 avril 1928, p. 3808.

152 Extrait du décret du 12 août 1929 relatif à l’aptitude physique exigée des candidats à l’ESM, SHD GR 7 N 4241. 153 Général TANANT, « Nos grandes écoles, Saint-Cyr », op. cit.

154 Instruction pour l’admission à l’École navale à partir de 1924, Bulletin officiel de la Marine, n° 29, 1923, p. 408. 155 Instruction relative aux conditions d’admission à l’École de l’air (élèves-officiers de l’Air, cadre navigant),

150 l’élève-officier intéressent dans l’immédiat la défense nationale, mais engagent au-delà, dans la durée, la santé de la nation tout entière une fois qu’il aura satisfait à ses obligations militaires. Pour assurer la sécurité du territoire comme pour développer la vitalité de la nation, il devient nécessaire d’éliminer du groupe les « non-valeurs », inaptes au service et dangereux pour la collectivité156. La proximité de fonctionnement entre le système de caserne, analysé par Odile Roynette, et les écoles militaires répond ainsi à une volonté d’améliorer la vigueur physique afin de forger des hommes forts, selon le mythe d’une rusticité roborative favorable à l’endurcissement d’une jeunesse volontiers soupçonnée de mollesse, d’indifférence à l’égard des valeurs patriotiques et morale, voire de dégénérescence157. Si ces conclusions ne peuvent s’appliquer intégralement à des candidats volontaires à l’épaulette, motivés par des considérations idéologiques, la rusticité comme vecteur de formation reste néanmoins au cœur même du système des écoles. Les règlements insistent sur la nécessité d’une visite médicale poussée, dont le but est de déceler chez les candidats les éventuels signes de déséquilibre intellectuel, d’instabilité, de débilité mentale, ou de troubles manifestes du caractère pouvant faire craindre que le candidat ne puisse pas s’adapter à la vie militaire158. Il se double aussi

d’une volonté de rechercher des éléments suffisamment forts pour résister aux vicissitudes de l’activité militaire et aux périls qui le menacent et ainsi ne pas connaître de déperdition159. C’est pourquoi les élèves de faibles constitutions en raison de leur âge, s’ils ne sont pas éliminés d’emblée, sont toutefois les sujets d’un examen tout particulièrement approfondi « afin de bien s’assurer que ce développement, encore incomplet, ne résulte d’aucune tare organique160 ». Cette notion souligne bien tout le caractère hygiéniste de cette sélection. Il importe de séparer les éléments malades d’un corps pensé et qui se représente comme l’émanation d’une certaine vigueur physique. La spécificité de la jeunesse des candidats à l’épaulette soulève à cet effet des questions d’ordres anthropométriques de taille et de poids. Ceux-ci, en pleine croissance, ne sont pas nécessairement des hommes « aboutis ». Si la limite de taille minimum est supprimée en 1901, le poids est quant à lui objet de toutes les attentions, en lien avec le risque de tuberculose. Depuis le début du XXe siècle, la pénibilité de l’activité militaire est théorisée

156 RASMUSSEN Anne, « Préserver le capital humain, une doctrine hygiéniste pour préparer la guerre

démocratique ? », Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle, 2015, n° 33, p. 76.

157 ROYNETTE Odile, Bons pour le service, la caserne à la fin du XIXe siècle, Paris, Belin, p. 131.

158 Extrait du décret du 12 août 1929…, op. cit., SHD GR 7 N 4241. 159 RASMUSSEN Anne, « Préserver le capital humain… », op. cit., p. 78. 160 Extrait du décret du 12 août 1929…, op. cit., SHD GR 7 N 4241.

151 par les hygiénistes et associée à l’âge : moins l’âge auquel les soldats sont intégrés dans les rangs de l’armée est élevé, plus leur vulnérabilité s’accroît du fait de leur capacité de résistance déficiente161 et explique de fait l’attention toute particulière dont sont sujets les futurs officiers, notamment chez les futurs officiers de marine, caractérisés par un recrutement plus jeune. Il peut être avancé que cette peur de la déficience physique soit à l’origine d’un examen médical des candidats avant même le passage des épreuves écrites du concours d’accès.

La formation physique au sein des armées répond ainsi à plusieurs objectifs. L’idée première reste bien un aguerrissement physique nécessaire dans le cadre d’une préparation aux combats, mais ce faisant, cette formation vise aussi à définir dans le même temps un modèle « type » d’homme, capable d’accomplir son devoir militaire, mais aussi de concourir à la bonne vigueur physique de la Nation en armes.

Le caractère même des combats de la Grande Guerre a profondément bouleversé la façon dont la préparation physique doit être pensée à l’aune des guerres à venir. La modernisation de l’armement nécessite une profonde réforme des habitus militaires, qui ne se fait toutefois pas sans une certaine réticence. C’est en ce sens que doit être comprise la longue persistance des formes d’instruction militaire pourtant devenues obsolètes, soulevée par Hervé Mazurel, qui s’expliquent par le besoin de croire à la survie de la guerre héroïque d’antan162. Le maintien de la pratique de l’escrime lors des épreuves physiques de sélection aux concours des écoles de formation initiale puis par la suite lors de la formation163 participent de cet objectif. Hormis son caractère élitiste, cette pratique relève d’un certain type de combat prestigieux hérité des campagnes où la guerre est un affrontement d’homme à homme et renforce la distinction des « deux corps du soldat » mise en avant par Jeanne Teboul : un corps pour la parade, l’autre pour le combat164. Nous irons au-delà en soulignant que plus que la parade, le corps de l’officier serait plus dédié au « prestige », où l’entre-deux guerres se caractérise par une remise en cause d’un certain modèle viril, doublée d’un contexte où l’armée peine à attirer. Ces pratiques cultivent l’idée d’un entre-soi réservé à un petit nombre d’initié et

161 RASMUSSEN Anne, « Expérimenter la santé des grands nombres : les hygiénistes militaires et l’armée

française, 1850-1914 », Le Mouvement Social , 2016, n° 257, p. 80-81.

162 MAZUREL Hervé, « Le corps à l’épreuve », op. cit., p. 416.

163 Note de service à propos du concours d’admission à Saint-Cyr, EM, Direction régionale de l’instruction

physique, Paris, 20 juillet 1939, SHD GR 7 N 4241, Arrêté ministériel réglant le fonctionnement de l’École d’application des enseignes de vaisseaux du 11 mai 1938, Bulletin officiel de la Marine, n° 8, 1938, p. 183

164 TEBOUL Jeanne, « Combattre et parader. Des masculinités militaires plurielles », Terrains & Travaux, 2015,

152 définissent des codes physiques et moraux qui se trouvent renforcés par le fort dressage opéré sur les corps en école.

Dresser les corps

Si le but de l’éducation physique et sportive dans les armées reste bien la préparation à la guerre, il s’accompagne toutefois depuis le XIXe siècle d’une volonté de redéfinir physiquement et mentalement le corps du combattant. « L’engagement corporel que suppose l’exercice physique est fondamental dans la préparation du soldat car le monde militaire intègre dans sa logique un double besoin, celui d’un corps physique puissant et celui d’un corps symbolique impressionnant165 ». Pour cela, les hommes sont bridés depuis le début du XIXe siècle par le biais de l’école du soldat, qui permet d’exécuter sans commentaires des mouvements du corps en harmonie avec l’ensemble du groupe, afin de former des lignes, des colonnes d’attaque ou bien encore des carrés de défense. En effet, la confiance en soi sur le champ de bataille s’acquiert par la répétition des gestes du combat jusqu’à l’automatisme réflexe le plus absolu166. L’objectif est d’apprendre à maintenir le corps dans une rigidité

complète qui est le signe du contrôle de soi et de l’impassibilité nécessaire au combat, à tel point que « les exercices physiques et les manœuvres militaires créent un individu au corps redressé et à l’allure si caractéristique qu’on reconnaît en lui le militaire quand bien même il quitte l’uniforme167 ».

Jusqu’à la Première Guerre mondiale la notion de « dressage » du corps humain en vue de la guerre est érigée en dogme au sein de l’institution militaire168. L’objectif de ce dressage est de chercher à inscrire l’ordre militaire dans les corps eux-mêmes, à donner naissance chez le soldat à un habitus guerrier qui soit comme une seconde nature169. L’emploi du terme, alors accepté par la société, commence à poser problème après les hécatombes de la Grande Guerre.

165 RENAUD Jean-Nicolas, « Introduction à la deuxième partie », in ROBENE Luc (dir.), Le sport et la guerre,

op. cit., p. 47.

166 COCHET François, « Des gestes de l’éducation physique aux gestes de la guerre », op cit., p. 38.

167 BERTAUD Jean-Bernard, « L’armée et le brevet de virilité », in CORBIN Alain (dir.), Histoire de la virilité.

Tome 2, Le triomphe de la virilité. Le XIXe siècle, Paris, Editions du Seuil, 2011, p. 71-72.

168 COCHET François, « Des gestes de l’éducation physique aux gestes de la guerre », op. cit., p. 33. 169 MAZUREL Hervé, « Les corps à l’épreuve », op. cit., p. 413.

153 L’éducation physique du soldat, vue comme un élément de sa capacité de survie sur le champ de bataille, ressort totalement transformée des combats. Les tendances pacifistes, voire « démilitarisantes » des sociétés occidentales170 conduisent à repenser l’instruction physique dans une période caractérisée par une « dévalorisation du fait guerrier171 ». En effet, à des combats où les soldats se montraient, où ils restaient droit face aux feux des tirs d’artillerie, se substituent des types de combats où il devient nécessaire de se camoufler, se retrancher et se coucher. L’allongement de la durée des affrontements a un impact majeur sur fabrique des soldats et l’épreuve physique du combat172 : il n’y a nulle trêve dans les combats hérités de la Première guerre mondiale, l’hiver et la nuit sont autant de période où les luttes perdurent et qui nécessitent une adaptation. Dès lors, l’instruction physique permet de véhiculer certaines valeurs dans un contexte où l’armée n’attire plus. Ainsi, la marine entend, par l’introduction du culte du corps, offrir aux observateurs ultramarins lors des escales une vision d’équipages français dotés d’une solide santé générale et de l’esprit sain censé l’accompagner173 et ainsi de

promouvoir une image favorable de l’armée. De nouvelles méthodes émergent alors, tel que l’hébertisme qui prône en parallèle une formation morale, dont la pratique trouve rapidement toute sa place dans les armées.

Méthode naturelle et hébertisme

La méthode pensée par le capitaine de vaisseau Georges Hébert repose sur les liens entre forces physique, virile, morale et intellectuelle. Officier de marine, ancien élève de l’École navale profondément marqué par ses voyages aux Antilles notamment, il créée en 1903 sa méthode à l’École des fusilier-marins de Lorient pour les besoins des militaires et en réaction

170 COCHET François, « Des gestes de l’éducation physique aux gestes de la guerre », op. cit., p. 33.

171 AUDOIN-ROUZEAU Stéphane, « Armées et guerres : une brèche au cœur du modèle viril ? », in COURTINE

Jean-Jacques (dir.), Histoire de la virilité, Tome 3, La virilité en crise ? Le XXe-XXIe siècle, Paris, Editions du Seuil, 2011, p. 207.

172 MAZUREL Hervé, « Le corps à l’épreuve », in CABANES Bruno (dir.), Une histoire de la guerre du XIXe

siècle à nos jours, Paris, Seuil, 2018, p. 410.

173 COCHARD Nicolas, « Le sport et la marine française (fin du XIXe siècle-début XXe siècle) », in ROBENE Luc (dir.), Le sport et la guerre, op. cit., p. 73.

154 aux idées de l’École de Joinville et à la méthode suédoise174. Il codifie ses séances d’instruction en deux types de leçon : une leçon-parcours en pleine nature avec franchissement d’obstacles naturels ; ou bien une leçon en espace restreint basée sur des exercices de marche, course, lancer, lever, saut, lutte et natation. Sa « méthode naturelle », aussi qualifiée d’hébertisme, s’oppose ainsi aux anciennes méthodes statiques qui avaient cours dans l’armée dont s’inspire l’École de Joinville175. La formule d’Hébert s’impose finalement aux lendemains des combats et perdure jusqu’à la Seconde Guerre mondiale et même au-delà, non sans difficultés et tensions.

L’imbrication de l’homme et de la méthode est telle que les travaux portant sur ce sujet les dissocient difficilement et donnent à ceux-ci un caractère légèrement hagiographique dont il faut se méfier176. Toutefois, l’impact de cette méthode est réel au sein de l’armée, qui se détourne progressivement de celles prodiguées par l’École de Joinville pour ériger en véritable dogme la « méthode naturelle ». Pensée comme une « antithèse de l’homme machine », l’hébertisme prône au quotidien un retour aux « mouvements primitifs » afin de lutter contre l’oisiveté des modes de vie moderne177. Il est donc davantage question d’un effort global de

bonne santé de corps et d’esprit que d’un sport spécialisé. Les exercices mis en place sont destinés à être complets : marche, course, saut, natation, grimper, lever. Leur caractère souvent collectif se donne pour finalité de développer l’altruisme et l’esprit de corps178. Imprégné des enseignements tirés des combats de la Première Guerre mondiale, Georges Hébert fait siennes dès 1918 les nécessaires évolutions à apporter à la conduite des hommes que les officiers ont à commander. Il précise ainsi que :

« Le rôle de l’officier combattant dans son ensemble est extrêmement complexe. Il n’est pas seulement destiné à supporter les fatigues et les privations de la guerre, à livrer et à diriger les combats, il doit encore instruire et éduquer les hommes placés sous ses ordres, les entrainer physiquement, virilement et moralement, les rendre aptes à surmonter aisément et de bonne

174 Sur les conflits entre méthode naturelle et méthode suédoise voir : SARREMEJANE Philippe, « L’héritage de

la méthode suédoise d’éducation physique en France : les conflits de méthode au sein de l’École normale de gymnastique et d’escrime de Joinville au début du XXème siècle », Paedagogica Historica, vol. 42, n° 6, 2006,

p. 817-837.

175 Idem, p. 830.

176 ANDRIEU Gilbert, « L’éducation physique virile et morale par la méthode naturelle de Georges Hébert, 1902-

1919 », Revue Historique des Armées, n° 228, 2002, p. 96-116. ; DELAPLACE Jean-Michel, Georges Hébert,

sculpteur de corps, Paris, Vuibert, 2005, 415 p.

177 COCHARD Nicolas, « Le sport et la marine française », op. cit., p. 79. 178 Idem.

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humeur tous les obstacles et à braver tous les dangers ; en un mot, il doit les transformer eux-