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Fabriquer des officiers : la formation humaine Former au commandement ?

UNE AMBITION INABOUTIE À LA VEILLE DE LA SECONDE GUERRE

A) Fabriquer des officiers : la formation humaine Former au commandement ?

Dans son livre intitulé L’armée bienfait social paru en 1938, le capitaine Poumeyrol61 cite un extrait de L’art de commander d’André Gavet publié en 1899 :

« Les principes du commandement ne sont enseignés nulle part dans notre armée. On ne s’en occupe dans aucune de nos écoles militaires. Les jeunes officiers, préparés par ces diverses

60 SAINT-FUSCIEN Emmanuel, À vos ordres ? La relation d’autorité dans l’armée française de la Grande

Guerre, Paris, Éditions de l’EHESS, 2011, 310 p.

61 Né en 1898, Pierre Antoine Marie Poumeyrol est appelé à rejoindre les rangs de l’armée au titre de la classe

1918. Il est incorporé en avril 1917 en tant que soldat de 2e classe et gravit rapidement les grades avant d’être

nommé sous-lieutenant à titre temporaire en mai 1919, avant de rejoindre l’ESM où il est reçu à la suite du concours d’admission. Il est nommé SLT à titre définitif à sa sortie d’école en août 1920. En 1928, il est affecté à l’École Militaire d’Infanterie et de Chars de Combat (EMICC) comme instructeur au bataillon des élèves-officiers aspirant, puis affecté en tant qu’instructeur à l’ESM de 1935 à 1938. Ses différentes notations font part de sa très forte attache à la formation morale de ses cadres et de ses élèves et insiste sur « l’éducateur passionné ». Pour l’année 1935, il est précisé qu’il est l’auteur « d’un remarquable ouvrage sur la formation morale du soldat qu’il est le premier à mettre en pratique » [Capitaine POUMEYROL, Essai sur l’éducation morale du soldat, conseils

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écoles, arrivent au corps [de troupe] dénudés de toute éducation professionnelle. Toute la partie idéale, essentielle, morale, de leurs attributions, c’est-à-dire tout ce qui explique, justifie et détermine les règles de la fonction, leur est inconnu. Ils n’ont aucune idée de la nature du commandement, du caractère et du rôle de l’officier62 ».

Selon Poumeyrol, ces lacunes se trouvent en partie comblées en 1938, date à laquelle il écrit63. S’il est vrai que le rôle de l’officier est mieux défini grâce aux travaux du maréchal Lyautey64 qui rencontrent un profond écho au sein de l’armée et dont les conclusions sont enseignées, « l’idée de la nature du commandement » est quant à elle encore difficilement identifiable en école. En effet, il n’existe pas de cours de « commandement » en tant que tel, donnant de fait le sentiment que l’autorité militaire serait acquise, qu’elle viendrait de droit avec le statut, comme une sorte d’« autorité naturelle ». Les Conseils pratiques sur le commandement des

hommes prodigués en 1931 en école d’application aux jeunes bordaches sont à ce titre

révélateur :

« Imaginons que vous soyez pour la première fois en présence d’un groupe de marins ; vous donnez un ordre, ils l’exécutent ; ils doivent l’exécuter par le seul fait que votre uniforme et vos galons d’officier vous confèrent une autorité à laquelle les soumet la société militaire dont ils font partie65 ».

Les hommes obéissent parce qu’ils doivent obéir, ils doivent obéir car celui qui en donne l’ordre est officier. Prononcés en amont d’une conférence des amiraux Laurent et Auphan sur le commandement et sur les forces morales de l’officiers, ces conseils, s’ils sont caractéristiques d’une pensée qui frise l’archaïsme, font toutefois figures d’exception dans le paysage des écoles. Il est d’ailleurs intéressant de souligner qu’ils ne sont pas professés en école de formation initiale, mais en école d’application, c’est-à-dire à la veille d’une entrée dans la carrière et d’une prise de commandement réelle.

Dépourvus de cadres théoriques et d’enseignement au sein des écoles de formation initiale, l’art du commandement ferait dès lors partie d’un ensemble de système de valeurs propre à l’institution militaire, au même titre que l’obéissance, l’esprit de corps ou encore l’honneur, mais qui ne nécessiterait pas d’être précisé, expliqué ou même explicité. C’est l’école dans son entier qui, par l’ensemble des cours, l’exhortation morale, l’encadrement, la discipline

62 GAVET André, L’art de commander, Berger-Levrault, 1899, p. 201-202.

63 Capitaine POUMEYROL, L’armée bienfait social, Paris, Lavauzelle, 1938, p.13-14. 64 Maréchal LYAUTEY Hubert, « Du rôle social de l’officier », op. cit.

131 stricte et les traditions, prépare le jeune officier, car « l’autorité et l’obéissance qu’édictent les règlements ne vont pas de soi. Des coutumes et modèles culturels les imposent, les légitiment ou les contredisent66 ». Et ainsi que l’annonce le général Tanant, ancien commandant de l’ESM, cette instruction est d’autant plus importante que si l’objectif en école de formation initiale n’est pas de préparer à un éventuel généralat éloigné, celle-ci se doit toutefois de créer les bases essentielles que doit posséder l’homme qui endossera les responsabilités du commandement67. Celles-ci s’acquièrent dès lors par la soumission à l’autorité, prémices d’un enseignement au commandement, mais aussi par une discipline stricte et une prise d’initiative largement limitée.

« Pour bien commander il faut avoir bien obéit »

Pour le général de corps d’armée et historien Benoît Durieux, « l’obéissance consiste à orienter l’action dans le sens indiqué par une autorité supérieure, mais elle repose sur un mélange de liberté et de conformité à une contrainte68 ». Si les combats de la Première Guerre

mondiale ont bien mis en avant les conditions complexes dans lesquelles s’impose la discipline et les nécessaires évolutions qui en découlent69, force est de constater que ces idées trouvent

difficilement leur place au sein des écoles de formation initiale. L’objectif de ces dernières reste bien de modeler et de formater un groupe selon les prérequis nécessaires pour les combats. À ce titre, les écoles se doivent de fournir aux élèves un ensemble de connaissances grâce auxquelles les futurs officiers pourront construire leur carrière aussi bien que de promouvoir un contexte favorable à leur épanouissement personnel. Dans un premier temps, l’officier doit se soumettre aux ordres de façon stricte et ce n’est que dans une seconde partie de carrière qu’une certaine latitude de critique est acceptable. Sous la Troisième République « on parle comme général, on se tait comme lieutenant70 », rappelle Olivier Forcade.

Avant même d’entrer en école militaire, les jeunes candidats, dont certains ont déjà subis les prémices de la discipline en classes préparatoires, sont préparés aux exigences de leur future

66 THIÉBLEMONT André, « Le fait culturel militaire : premier repérages » in THIEBLEMEONT André, Cultures

et logiques militaires, Paris, Presses Universitaires de France, 1999, p. 1-48.

67 Général TANANT A., « Nos grandes écoles, Saint-Cyr », Revue des Deux Mondes, mars 1926, p. 39-58.

68DURIEUX Benoît, « Obéissance, désobéissance militaires et démocratie », Pouvoirs, 2015, n° 155, p. 137.

69SAINT-FUSCIEN Emmanuel, « Pourquoi obéit-on ? Discipline et liens hiérarchiques dans l’armée française de

la Première Guerre mondiale », Genèses, 2009, n° 75, p. 4-23.

132 condition. Ainsi, la composition de français pour le concours d’entrée de Saint-Cyr en 1940 invitait les candidats à réfléchir et commenter durant trois heures les réflexions suivantes d’un écrivain, ancien combattant :

« Être officier, cela consiste d’abord à voir les choses non sous l’aspects des droits, mais sous l’aspect des devoirs contenus dans les règlements et les ordres. On a certainement fait abus de la notion du droit, notion dangereuse que les hommes gonflent de leur paresse, de leur avidité et de leur ambition au point de masquer totalement leurs devoirs ; le problème social en devient difficile à résoudre. Ce qui est sûr c’est qu’une société, soumise à une pressante nécessité, comme est l’armée, ne peut tenir que sous la maxime du devoir et qu’un soldat cesse d’être un soldat au jour où il s’est mis dans la tête qu’il a des droits71 ».

L’objectif est clair, les élèves doivent se préparer à perdre leurs droits au profit de leur devoir de servir. En d’autres mots, l’obéissance est de rigueur. À ce titre, l’instruction de base en école est sans complaisance. Le général d’armée arérienne Jouhaud relate ainsi le choc ressenti face à la discipline sévère qui régnait à l’ESM et dont le commandement « était parfaitement conscient mais son but était atteint lorsque l’obéissance devenait réflexe. Le futur officier saurait accepter les ordres "sans murmures"72 », ce d’autant plus que comme le rappellent les

Conseils pratiques sur le commandement des hommes, « l’obéissance n’est pas chez les

hommes une vertu naturelle et innée73 ». Le fonctionnement interne des écoles est ici essentiel pour créer un environnement propice à l’instauration de cette soumission totale. Les jeunes élèves-officiers sont dès leur arrivée soumis à l’autorité de ceux de deuxièmes années, qui « prenaient parfois leur rôle trop au sérieux » et dont « leur commandement était souvent dépourvu d’indulgence74 ». Le jeune élève apprend dès lors à obéir à l’ensemble de ses

supérieurs, quel que soit l’âge mais aussi le grade. L’encadrement participe aussi de cette soumission, par le biais des ordres qu’il peut donner, mais aussi et surtout, par le biais d’une pédagogie par l’exemple, où par imitation le futur officier est « entrainé à l’obéissance parce que l’attitude du chef qui le commande lui donne une impression de force, de volonté, d’autorité à laquelle il ne peut se soustraire75 ». Enfin, l’élève-officier est soumis à une vie rythmée,

minutée, qui force une obéissance quasi mécanique: école du soldat, gymnastique, marques extérieures de respect, inspection, revues76, aidés en cela par les privations récurrentes de

71 SHD GR 7 N 4241

72 JOUHAUD Edmond, La vie est un combat (Souvenir 1924-1944), Paris, Fayard, 1974, p. 12-13. 73 Conseils pratiques sur le commandement des hommes, op. cit.

74 JOUHAUD Edmond, La vie est un combat (Souvenir 1924-1944), op. cit. p. 12-13. 75 Conseils pratiques sur le commandement des hommes, op. cit.

133 nourriture et de sommeil qui affaiblissent les volontés et qui facilitent davantage cette soumission. Les sanctions ne sauraient être oubliées et les jours d’arrêts pour manquement aux règlements sont légion et participent à la cohérence d’un système propre aux élèves qui confère à celui ayant obtenu le plus de punition un prestige non négligeable77. Comme le souligne Olivier Forcade, cette obéissance stricte trouve sa continuité jusque dans le quotidien des officiers, où la censure de leur expression est acquise dès la Monarchie de Juillet. Savoir se taire est conforme à « l’esprit militaire », base du règlement militaire défini par les décrets du Ministre de la Guerre sous la Troisième République, élevé au rang de morale militaire par les chefs militaires et respecté par la très grande majorité des officiers de 1900 à 194078. De ce fait,

il est intéressant de souligner que sur toute la période de l’entre-deux guerres, les problèmes d’éthique ne sont pas abordés dans la formation des officiers. Les programmes des écoles laissent sous-entendre une petite place accordée aux problèmes soulevés par les mutineries de 1917, sans jamais toutefois les nommer explicitement : on leur préfère le terme de « crise morale »79. Il n’a toutefois pas été possible de connaître le contenu de tels cours.

Reposant sur un système qui s’attache d’abord à former l’homme avant de former le chef, la formation militaire initiale préconise un principe où « il faut d’abord être avant de

savoir obéir pour savoir commander80 », selon l’adage « pour bien commander, il faut avoir

bien obéit81 ». Elle s’accompagne d’une discipline stricte et rigoureuse en écoles et dans l’institution.

Une discipline stricte…

Au tout début du XXe siècle émerge un mouvement prônant une obéissance choisie et démocratique, une « discipline libre et volontaire » et une subordination de principe,

77 À l’École navale par exemple est désigné Major de chibi celui qui aura obtenu le plus de jours d’arrêt ou de

prison (aussi appelé chibi par contraction et déformation du mot cagibi), obtenant ainsi parmi ses pairs une certaine considération.

78 FORCADE Olivier, « Les officiers et l’État, 1900-1940 », op. cit., p. 261-262.

79 Commission pour la mise au point des programmes de Saint-Cyr, 1919, SHD GR 7 NN 3 806 ; Programme

d’instruction de Saint-Cyr, Ministère de la Guerre, EMA, Paris, 4 octobre 1928, SHD GR 7 NN 3 808.

80 LAUZIER Jean-Yves, « Formation des élites de l’armée de Terre : l’approche en trois dimensions », Stratégique,

n° 116, 2017, p. 95.

81 Cité lors de l’entretien avec le vice-amiral d’escadre Émile Chaline (EN Dartmouth 1940) (†), 12 janvier 2016,

134 « impersonnelle »82. Toutefois, à partir de 1910 environ, les officiers conservateurs parviennent à inverser la tendance en rappelant les principes intangibles de l’obéissance absolue, qu’il est légitime de forcer au besoin. Pour ceux-ci, l’idée d’une discipline allégée représente un danger dans le cadre de la discipline de combat, dont le principe de base reste l’efficacité au feu et l’acceptation de la mort83. Et comme le démontre Emmanuel Saint-Fuscien, la fin de la Première Guerre mondiale annonce « le sacre de l’autorité personnelle et la faillite du principe de l’autorité impersonnelle telle que l’idéalisaient les officiers républicains vers 190584 ». Cette reprise en main expliquerait dès lors la première injonction du décret du 1e avril 1933 portant règlement du service dans l’armée où :

« La discipline faisant la force principale des armées, il importe que tout supérieur obtienne de ces subordonnés une obéissance entière et une soumission de tous les instants, que les ordres soient exécutés littéralement, sans hésitation et murmure ; l’autorité qui les donne en est responsable et la réclamation n’est permise au subordonné que lorsqu’il a obéi85 ».

La discipline est la valeur maitresse des armées sur laquelle repose tout son système d’organisation et de valeurs. La soumission à cette dernière est considérée comme nécessaire pour entrainer chez les militaires les réflexes d’obéissance inconditionnelle qui sont indispensables au moment du danger86. L’hésitation, le refus d’obéir peuvent avoir des conséquences fatales lorsque le combat est engagé et, comme le souligne Julie Le Gac, l’exercice d’une discipline stricte structure le quotidien et confère un cadre rassurant aux combattants dans le désordre de la guerre87.

Si les combats de la Grande Guerre ont mis en exergue l’importance d’une obéissance totale, ils sont aussi l’occasion de mettre en lumière la nécessité de faire évoluer celle-ci vers une obéissance ce que l’on pourrait qualifier de « consentie ». En effet, la dispersion des hommes face à la puissance de feu conduit l’institution militaire à promouvoir le principe de la « force morale » des troupes confrontées aux mitrailleuses et aux tirs d’artillerie, où l’obéissance doit être intériorisée chez des soldats afin de leur permettre une plus grande liberté

82SAINT-FUSCIEN Emmanuel, « Pourquoi obéit-on ? … » op. cit., p. 5.

83Idem. 84 Idem, p. 20.

85 MINISTERE DE LA GUERRE, Décret du 1e avril 1933 portant règlement du service dans l’armée, 1e partie,

Discipline Générale (mis à jour à la date du 15 avril 1940), Paris, Lavauzelle, 1940, p. 7.

86 CROUBOIS Claude, L’officier français des origines à nos jours, op. cit., p. 361.

87 LE GAC Julie, « Surveiller et punir : le poids de la discipline dans l’exercice du commandement au feu.

L’exemple du Corps expéditionnaire français en Italie (1943-1944) », in COCHET François (dir), Expérience

135 sur le champ de bataille88. Face à ces évolutions, la marine préconise alors dans son Décret sur

la discipline dans l’armée de mer rédigé en 1937 et modifié en 1938 une soumission quasi

active, où :

« La discipline se manifeste par une soumission constante aux lois, décrets et règlements en vigueur et une obéissance immédiate aux ordres reçus. Elle ne saurait être limitée à une obéissance passive. Elle doit être volontaire et comporter le dévouement absolu au service de la Patrie dans la confiance mutuelle entre supérieur et subordonné. Ce n’est qu’avec une telle discipline qu’une armée peut être forte, efficace et qu’elle peut engager combat avec des chances de vaincre89 ».

À la suite des combats violents, éprouvants et particulièrement mortels de la Grande Guerre, l’idée est bien de proposer un cadre législatif permettant aux soldats mais aussi aux officiers d’obtenir de nouvelles clés d’actions, dont la discipline est l’élément majeur. Cette dernière, tout en demeurant ferme, évolue avec la fin de la guerre. Là où le maréchal Lyautey fustigeait déjà en 1891 l’officier distant de ses hommes90, les combats de 1914-1918 ont transformé les relations d’autorité entre supérieurs et subordonnés en mettant l’accent sur la nécessité, voire l’obligation, de liens affectifs. L’officier doit dorénavant témoigner de l’affection et ressentir de la tendresse envers ses hommes, ainsi que rendre publique son indulgence en apportant dans ses fonctions de chef de la bonté91. Héritage de ces évolutions, le règlement de discipline générale annonce ainsi en 1933 que celle-ci « est d’autant plus facilement obtenue que les chefs ont pris plus d’ascendant sur leur troupe par l’exemple qu’ils lui donnent, la confiance qu’inspire leur caractère et l’affection que leur attire le souci constant des intérêts matériels et moraux de leurs subordonnés92 ».

Il serait toutefois faux de s’imaginer qu’à la lumière des combats de la Première Guerre mondiale, un certain relâchement de la discipline se fait sentir au sein des écoles militaires. La récupération du sacrifice des officiers morts aux combats au profit d’un enseignement par l’exemple privilégie de fait un renforcement de l’obéissance. Mettre l’accent sur la force, le courage, l’honneur de ces hommes sont autant de dénominateurs communs de la virilité qui permettent à l’armée de « naturaliser » l’obéissance militaire en la présentant comme une vertu

88 MARLY Mathieu, « L’armée rend-elle viril ? Réflexions sur le « modèle militaro-viril » à la fin du XIXe siècle »,

Clio. Femmes, Genre, Histoire, 2018, n° 47, p. 233.

89 Décret en date du 26 novembre 1937, modifié le 11 mai 1938, Ministère de la Marine, Décret sur la discipline

dans l’armée de mer, Paris, Imprimerie Nationale, 1939, 111 p.

90 Maréchal LYAUTEY Hubert, « Du rôle social de l’officier », op. cit. 91 SAINT-FUSCIEN Emmanuel, « Pourquoi obéit-on ? … » op. cit., p. 17. 92 MINISTERE DE LA GUERRE, Décret du 1e avril 1933…, p. 12.

136 proprement masculine93. À ce titre, discipline et obéissance deviennent des facteurs forts de cohésion au sein des forces armées, d’autant plus nécessaires que celles-ci traversent, aux lendemains de la Première Guerre mondiale, une crise de recrutement qui les conduisent, paradoxalement, à se replier sur ces valeurs refuges. Dès lors, l’imposition d’une discipline forte s’accompagne d’une faible initiative laissée à ses cadres, principalement lorsqu’ils sont jeunes officiers.

… et une prise d’initiative limitée

Pendant d’une discipline absolue, la limitation des capacités à pouvoir contrecarrer un ordre est particulièrement recherchée en école. La prise d’initiative, si elle n’est pas empêchée, est toutefois bridée et s’effectue dans un cadre restreint. Le décret de discipline générale des armées de terre et de l’air annonce ainsi que « le chef s’attache à diriger l’activité de ses subordonnés […] et leur fait comprendre s’il y a lieu que l’initiative, pour être profitable à intérêt général, doit toujours s’exercer dans cadre des ordres reçus ou des prescriptions des règlements94 ». Plus qu’une initiative en soi, les prescriptions légales prônent de fait une

certaine liberté de manœuvre, mais qui ne doit s’exprimer que dans un cadre d’un ordre qui pourrait être qualifié de légal, c’est-à-dire transmis par un supérieur ou par les règlements. Ce n’est donc pas une initiative personnelle qui doit être recherchée. Ici encore, l’héritage des combats de la Première Guerre mondiale se fait sentir, où loin des combats rangés dont les militaires faisaient jusqu’alors l’expérience, le front est maintenant discontinu et les soldats isolés sur le champ de bataille. Il en découle une certaine difficulté pour transmettre des ordres, lorsque les chefs sont hors de vue et inaudibles, coupés de leurs hommes95. Il devient alors possible de pouvoir émettre un commandement en lieu et place du supérieur. Il ne faudrait toutefois pas se méprendre sur la latitude qui semble offerte. Il est ainsi annoncé en 1931 aux