• Aucun résultat trouvé

DEVENIR OFFICIER À LA VEILLE DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE

A) Pourquoi devenir officier ? Une crise du recrutement ?

La période qui s’ouvre aux lendemains de la Première Guerre mondiale est marquée par affaiblissement général de l’armée7. Les commandes et les livraisons de nouveaux matériels pour l’armée de terre sont très faibles entre 1920 et 1935 et se limitent à de petites séries de quelques dizaines d’automitrailleuses de transition, 160 chars Renault D1 également de transition, 120 automitrailleuses de reconnaissance, quelques exemplaires du char B en cours de développement et au fusil mitrailleur modèle 1924-1929. Pour l’essentiel, l’équipement et les matériels de l’armée de terre sont ceux de la guerre de 1914-19188. Ce même constat peut s’appliquer à la marine. La flotte est obsolète et a souffert des quatre années à tenir la mer. En l’absence de marine ennemie puissante (l’Italie est dorénavant une alliée et l’essentiel de la flotte allemande s’est sabordée à Scapa Flow en juin 1919), l’outil naval n’est pas au premier plan des préoccupations des dirigeants9. Parallèlement, la Première Guerre mondiale n’a pas conduit à une étatisation de la production d’armements. Pour l’armée de terre, l’essentiel des capacités technologiques et industrielles de production d’armements est aux mains d’entreprises privées, contrairement à ce qu’il en est pour la marine où les arsenaux d’État assurent la construction et l’armement de la majorité des bâtiments de guerre. Face à l’absence de crédit, une partie des établissements industriels de la marine se tourne toutefois vers le secteur civil10. Si la nationalisation des industries de guerre de 1936 a constitué une des

premières mesures importantes du nouveau gouvernement du Front populaire (loi du 11 août 1936), celles-ci ont été partielles et finalement limitées11. Seuls les ateliers spécialisés

dans la production d’armements sont nationalisés, ce qui a pour conséquence, dans un premier

7 MASSON Philippe, Histoire de l’armée française de 1914 à nos jours, Paris, Perrin, 1999, p. 137.

8 GARRAUD Philippe, « La politique française de réarmement de 1936 à 1940 : priorités et contraintes », Guerres

mondiales et conflits contemporains, 2005, n° 219, p. 92.

9 BRUNEAU Jean-Baptiste, VAISSET Thomas, « Un redressement, des limites (entre-deux guerres) », Études

Marines, « L’histoire d’une révolution, La Marine depuis 1870 », CESM, n° 4, mars 2013, p. 55.

10 Idem.

11 GARRAUD Philippe, « La politique française de réarmement de 1936 à 1940 : priorités et contraintes », op.

50 temps, de les couper de leur environnement industriel et technique. L’industrie aéronautique, caractérisée à cette période par un grand nombre de petits constructeurs et des modes de production encore très artisanaux, est le secteur le plus touché par les nationalisations12. Cet affaiblissement matériel des armées se conjugue à la réduction des effectifs militaires. En 1928, une réforme porte la durée du service militaire à un an seulement (loi du 31 mars 1928), au lieu de 18 mois depuis 1923, et entraîne une réduction du format de l’armée. Celle-ci compte un peu moins de 500 000 hommes en 1930, dont la part de militaires professionnels avoisine les 100 000 hommes13. Conjuguées au phénomène des « classes creuses » qui commence en 1935, lié à la chute brutale de la natalité durant les années de guerre et qui conduit à un contingent annuel de recrues incorporables moitié moindre que la normale14, ces lois ont pour effet de diminuer fortement les moyens en hommes mobilisables, le nombre des grandes unités et les capacités d’intervention de l’armée. S’ajoute à tout cela une perte d’attrait généralisée pour la vocation militaire, qui se nourrissait avant 1914 essentiellement du désir de préparer la revanche sur l’Allemagne ou de l’aventure outre-mer et qui se fortifiait de la position sociale et morale de l’officier. Après 1920, ni la guerre ni le militaire censé l’incarner ne sont des sujets de prédilection15. Dès lors, le nombre des officiers diminue lentement, de 32 000 en 1919 il passe à environ 29 000 en 192816.

La carrière des armes peine à attirer de nouvelles recrues. Les autorités elles-mêmes en ont bien conscience. En 1932, dans la préface d’un livre sur l’École spéciale militaire (ESM) de Saint-Cyr, le maréchal Philippe Pétain, alors ancien vice-président du Conseil supérieur de la guerre, annonce ainsi que :

« Si la carrière a ses servitudes, elle a ses grandeurs et un attrait bien dignes de susciter des nouvelles vocations. Cependant on ne manquera pas de leur objecter que si la jeunesse d’hier a eu les plus nobles motifs pour ambitionner l’épaulette d’officier, celle d’aujourd’hui ne les a plus au même degré. Entre les deux générations, il a eu la guerre. La victoire a tiédi l’ardeur patriotique qui, sous l’impression des défaites de 1870 et jusque 1914, a poussé vers l’armée

12 Idem.

13 NORD Philip, France 1940, Défendre la République, Paris, Perrin, 2017, p. 54.

14 Au lieu de 250 000, la part du contingent tombe à 149 000 en 1935, 117 000 en 1936, 126 000 en 1937, 146 000

en 1938 et 150 000 en 1939. GARRAUD Philippe, « L’idéologie de la "défensive" et ses effets stratégiques : le rôle de la dimension cognitive dans la défaite de 1940 », Revue française de science politique, 2004, vol. 54, p. 790.

15 CROUBOIS Claude, L’officier français des origines à nos jours, Saint-Jean-d’Angély, Editions Bordessoules,

1987, p. 348.

51

l’élite des jeunes étudiants. La carrière militaire semble, à l’heure actuelle manquer de but précis et le rôle de l’officier n’apparaît plus ce qu’il était autrefois17 ».

En 1913, il se présentait 1000 candidats au concours de l’ESM pour 510 retenus. En 1920, il n’y a plus que 386 candidats pour 166 retenus et il faut attendre 1929 pour que le nombre d’élèves-officiers admis franchisse la barre des 400, un effectif qui diminue de nouveau dès 1932, tandis que ce n’est qu’à partir de 1930 qu’il se présente autant, voire davantage, de candidats qu’avant la Première Guerre mondiale.

Figure 5 : Candidats aux concours de l’ESM, 1912-194018

Un constat analogue s’applique à l’École navale. Si les promotions ont toujours été plus réduites numériquement que celles de l’ESM, la promotion 1919 est toutefois extrêmement faible avec ces 60 candidats reçus, contre les 142 admis en 1918, soit une diminution de plus du double en l’espace d’une année. En 1921, un nouveau cap est franchi lorsque seuls 170 candidats se présentent au concours. Il faut attendre 1926 pour que les promotions franchissent à nouveau la barre des 100 admis et retrouve leur capacité d’avant-guerre.

17 Préface du maréchal PÉTAIN, in Général IBOS Pierre (et al.), Saint-Cyr et la vie militaire, Paris, Ministère de

la Guerre, 1932, 95 p.

18 Données établies d’après Service historique de la défense, Vincennes, Archives guerre (désormais SHD GR),

6 U 15. 0 500 1000 1500 2000 2500 3000 3500 4000 4500

52

Figure 6 : Candidats aux concours de l’École navale, 1913-194019

L’impact de la crise économique de 1929, dont les conséquences ne se font sentir en France qu’à partir de 1931, et présenté par Claude Croubois comme point d’infléchissement d’un recrutement défaillant20 est à nuancer par les chiffres présentés. Une reprise à la hausse du

nombre de candidatures à l’ESM s’amorce à partir de 1928, qui permet de retrouver en 1930 le niveau d’attractivité de 1913, mais un affaiblissement relatif s’observe dès 1934. Pour l’École navale, le nombre de candidats se maintient jusqu’en 1932 qui est un point de bascule vers un nouvel infléchissement. Les chiffres de 1937 sont encore en deçà de ceux de 1929. Le nombre de candidats admis à l’école chute drastiquement et les promotions n’atteignent qu’une cinquantaine d’élèves. Ces données vont ainsi à l’encontre du mythe construit à postériori dans le but de magnifier le rôle de l’amiral de la flotte François-Xavier Darlan21, selon lequel la marine française n’a pas eu à souffrir de crise de son corps des officiers22. L’ouvrage

19 Chiffres établis d’après : Contre-amiral DRUJON, « Nos grandes écoles, l’École Navale », Revue des Deux

Mondes, août 1930, p. 570-590 ; VIBART Eugène, Étude sur le corps des officiers de marine, 1875-1935,

Vincennes, 1978, 49 p. ; Service historique de la défense, Vincennes, Archives marine (désormais SHD MV) 45 CC 7 ; SHD MV 39 CC 06, et SHD MV 41 CC 06. Il n’a pas été possible de trouver de données pour les années 1922-1925.

20 CROUBOIS Claude, L’officier français des origines à nos jours, op. cit., p. 348-349.

21 ESPAGNAC DU RAVAY, Vingt ans de politique navale (1919-1939), Grenoble, Arthaud, 1941 ;

Amiral AUPHAN et MORDAL Jacques, Histoire de la Marine française pendant la Seconde Guerre Mondiale, Hachette, 1957.

22 BODIN Jérôme, Les officiers français, grandeur et misères, 1936-1991, Paris, Perrin, 1992, p. 47. 0 100 200 300 400 500 600 700 800 900 1000

53 d’Espagnac du Ravay Vingt ans de politique navale publié en 1941 renforce cette image où « l’élite de la Nation regardait vers sa Marine23 » en annonçant que :

« On avait pu redouter, au lendemain de la guerre mondiale que la somnolence dans les rades d’une flotte prématurément vieillie et l’abandon de toutes constructions neuves ne détournassent de la carrière maritime l’élite de la jeunesse français, avide d’action créatrice. Non seulement la vocation, l’espoir d’un relèvement naval prochain continuèrent d’attirer dans la Marine de nombreux jeunes gens, mais à mesure que le relèvement se manifesta avec plus de netteté, la sélection des futurs officier put se faire aussi de plus en plus rigoureuse24 ».

Il semblerait que seules les années d’immédiat avant-guerre permettent aux écoles de retrouver leur attractivité d’antan. Toutefois, si l’on tient compte que pour se présenter au concours des grandes écoles militaires, il faut en avoir pris la décision au moins un an auparavant et suivre la classe préparatoire adaptée, on peut considérer que les promotions entrées dans les écoles à la veille de la guerre sont composées d’élèves ayant fait le choix de la carrière militaire sans que la probabilité d’un conflit prochain en Europe ne s’impose véritablement25, attestant bien que l’ESM et l’École navale attirent de nouveau à elles après une longue période de désaffection. Si les écoles militaires souffrent véritablement d’un désintéressement aux lendemains de la Grande Guerre, il semble toutefois que la qualité des candidats ne soit pas déplorée. La moyenne d’admissibilité au concours de l’ESM est augmentée. Elle passe de 6,5 en 1920 à 9,5 en 1932 et avoisine les 9 jusqu’en 1939 (elle est de 10 pour le concours de 1940). Dans la même lignée, les moyennes des candidats reçus premiers et derniers à l’ESM à partir de 1930 sont meilleures que celles des candidats qui se présentent avant cette date. Quand le dernier candidat peinait à atteindre 10 de moyenne avant 1931, tous avoisinent les 12 par la suite, sauf pour l’année 1939.

23 ESPAGNAC DU RAVAY, Vingt ans de politique navale (1919-1939), op. cit,, cité par

MARTINANT DE PRÉNEUF Jean, Mentalités et comportements religieux, op. cit., p. 257. Espagnac du Ravay, est le pseudonyme du commissaire général Louis de La Monneraye, membre de longue date du cabinet de l’amiral Darlan et un de ses hommes de confiance, qui a écrit ce livre sur son ordre et sous son contrôle. « Espagnac » est le nom de jeune fille de la mère de Darlan, le « Ravay » est celui du domaine du comte de La Monneraye. L’objectif ici est bien de construire l’image magnifiée d’une marine reconstruite par l’entremise de l’amiral de la flotte, où celui-ci est présenté comme le seul auteur de son redressement. Voir Hervé COUTAU-BEGARIE et Claude HUAN, Darlan, Paris, Fayard, 1989, p. 79.

24 ESPAGNAC DU RAVAY, Vingt ans de politique navale (1919-1939), op. cit, cité par BODIN Jérôme, Les

officiers français, grandeur et misères, op. cit., p. 47.

25 CAILLETEAU François et PELLAN Alain, , Les officiers français dans l’entre-deux-guerres, Une génération

54

Figure 7 : Moyenne des candidats à l’ESM, 1920-193926

Cette augmentation des moyennes doit être relativisé. Il est le signe d’un changement de notation, qui valorise de fait les candidats qui se présentent et permet de maintenir une attractivité du concours : il entrait un candidat sur trois en 1930 à Cyr, il s’en présente neuf pour une place en 193927. Un constat analogue s’applique à la marine. Si la commission d’admission pour le concours de 1939 estime que le niveau général de l’examen est comparable à celui des années précédentes, bien que à rang égal, le nombre des points était sensiblement plus élevé qu’en 1938, « cette différence est uniquement imputable au mode de cotation des examinateurs et ne signifie pas que les candidats de 1939 soient supérieurs à leurs anciens. On constate même que nombre des sujets brillants tend à diminuer28 ». La volonté de retrouver des promotions conséquentes au sein de la marine à la veille du conflit paraît donc se faire au détriment de la qualité.

La crise des vocations si souvent décriée au lendemain de la Grande Guerre doit être nuancée. On compte 29 000 officiers d’active dans l’armée de terre sur les 500 000 personnels au service de l’État en 1914, soit 5,8 %, contre 36 000 en 1939 sur 650 000, soit 5,53% (sans

26 Données établies d’après SHD GR 6 U 15.

27 CROUBOIS Claude, L’officier français des origines à nos jours, op. cit., p. 348-349.

28 Rapport d’ensemble sur l’organisation et les résultats du concours, Commission d’examens d’admission à

l’École Navale, à l’École des EOM et à l’École des EIM, Paris, 2 octobre 1939, SHD MV 39 CC 06. 0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 20 1920 1923 1927 1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936 1937 1938 1939 moyenne d'admissibilité moyenne reçu 1e moyenne reçu dernier

55 prendre en compte les 80 000 appartenant à la réserve qui portent la proportion à 17,8%)29. Il a bien un désintérêt pour la carrière militaire, jusqu’à la veille des années 1930, mais les années suivant l’extrême immédiat de la crise économique sont caractérisées par une très légère reprise d’attractivité. Le rapport sur le moral dans l’armée pour la fin de l’année 1931 souligne ainsi que cette crise, qui a continué à sévir sur le monde des affaires durant l’année écoulée, a mis en évidence la sécurité morale offerte par la carrière militaire : « La considération des membres de l’armée s’en est incontestablement accrue ». La situation matérielle des cadres est apparue sous un jour plus avantageux30. Mais la loi de finance de 1933 infléchit rapidement cette tendance. Celle-ci prévoit la suppression de 5000 postes d’officiers et contribue encore à la dégradation de l’encadrement et à un malaise accentué31, ce que confirme bien les chiffres présentés. Le rapport sur le moral de 1934 souligne ainsi la diminution de confiance des officiers envers l’État, où les bases du statut militaire ne semblent plus aussi solidement garanties que par le passé32. La position sociale de l’officier est affaiblie. William Serman a ainsi montré que le

« prestige de l’épaulette ne cesse de décliner de 1848 à 1914. Les riches dédaignent les militaires et le métier des armes. Les officiers perdent de leur considération dans une société hiérarchisée par l’argent, surtout lorsque à la fin du siècle, la crise de l’avancement prolonge leur stage dans les grades subalternes33 ». La période qui s’ouvre au lendemain de la victoire et jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale ne remet pas en cause cette perte de considération. En métropole, le corps des officiers souffre de la monotonie de la vie de garnison et de la médiocrité de sa condition matérielle34. Pourtant, l’attrait pour l’Empire et ses possibilités de campagnes permettent de capter au profit de la marine et des troupes coloniales une partie de la jeunesse avide d’aventures et nourries d’exploits militaires, tels que ceux du capitaine de Bournazel35. Luc Capdevila souligne comment l’entre-deux guerres est une période

29 FORCADE Olivier, « Les officiers et l’État 1900-1940 », in BARUCH Marc Olivier Serviteurs de l’État, une

histoire de l’administration française, 1875-1945, Paris, La Découverte, 2000, p. 258.

30 Note analysant les rapports sur l’état d’esprit dans l’armée établis à la fin de 1931, Ministère de la Guerre, EMA,

Paris, 7 octobre 1932, SHD GR 7 N 4033.

31 MASSON Philippe, Histoire de l’armée française de 1914 à nos jours, Paris, Perrin, 1999, p. 139.

32 Note analysant les rapports sur l’état d’esprit dans l’armée en 1934, Ministère de la Guerre, EMA, Paris,

13 mars 1935, SHD GR 7 N 4033.

33 SERMAN William, Les officiers français dans la Nation (1848-1914), Paris, Aubier Montaigne, 1982, p. 15. 34 MASSON Philippe, Histoire de l’armée française de 1914 à nos jours, op. cit., p. 139.

35 Henri de Bournazel est capitaine lorsqu’il décède le 28 février 1933 lors des opérations pour reprendre le djebel

Sagho, au Maroc. Ancien spahi, il garde pour habitude de conserver sa vareuse rouge lorsqu’il monte au combat, lui valant ainsi le surnom de L’Homme Rouge. Remarqué pour les combats acharnés qu’il mène toujours à la tête de ses hommes, le mythe selon lequel sa tunique serait enchantée et serait à l’origine de son invulnérabilité se forge rapidement. Son décès, ayant lieu à la suite de ses blessures lors d’un assaut au cours duquel Lyautey lui

56 de reconstruction de l’idéal viril où, prenant le contrepied d’une représentation dévirilisante du poilu émise par les milieux pacifistes anciens combattants jusqu’en 1939, des courants vivaces continuent de cultiver les mythologies de la guerre et la virilité du champ de bataille. Se retrouvent dès lors dans les milieux conservateurs des sensibilités militaristes exaltant l’aventure martiale qui inspire ainsi un courant important de la littérature de guerre, celui des mémoires héroïques, des récits édifiants des combattants des tranchées ou des expéditions coloniales36. Dans le même temps, les intellectuels antifascistes et la mouvance communiste renouent avec le mythe de la virilité par les armes dans la seconde moitié des années 1930 et participent au renouveau de cet imaginaire où étaient associés le peuple, la virilité et la lutte armée37. Participant à l’exaltation d’une certaine figure guerrière, ces mouvements expliquent en partie que le nombre d’incorporés à l’ESM ne cesse d’augmenter, alors même que la condition militaire est décriée.

Figure 8: Nombre d’élèves incorporés à l’ESM entre 1933 et 193938

L’ouverture en 1935 de l’École de l’air, qui entre pourtant en concurrence directe avec l’ESM

avait demandé de recouvrir sa vareuse d’une djellaba, contribue à sa postérité et en fait une figure très populaire. Dès 1934, la promotion de l’ESM prend le nom de « Promotion Bournazel », tandis qu’en 1935 parait l’ouvrage d’Henri Bordeaux Henri de Bournazel, le Cavalier Rouge ou L’Epopée marocaine, nourrissant ainsi encore sa popularité à titre posthume.

36 CAPDEVILA Luc, « La quête du masculin dans la France de la défaite (1940-1945) », Annales de Bretagne et

des Pays de l’Ouest, n° 117-2, 2010, [En ligne], http://journals.openedition.org/abpo/1773.

37 Idem.

38 Demande de renseignements statistiques, Secrétariat d’État, EMA, 3e bureau, Vichy, octobre 1942,

SHD GR 7 N 4241. 0 100 200 300 400 500 600 700 800 1933 1934 1935 1936 1937 1938 1939

57 et Navale pour attirer à elle de futures recrues, ne marque pas d’infléchissement des candidatures pour l’armée de terre. Faute de données, il est plus difficile d’établir dans quelle proportion cette nouvelle école limite l’attrait pour l’École navale. En effet, si l’École de l’air est proche de l’ESM par ses origines (les premiers pilotes de l’armée de l’air sont originaires de l’armée de terre et l’école a formé un temps des pilotes), son concours d’accès est toutefois calqué sur celui de l’École navale, pour des raisons de facilité de recrutement, d’alignement des diplômes et en raison d’une analogie de vocation militaire et technique39. La rivalité se situe donc entre l’armée de l’air et la marine. Au vu des chiffres en notre possession sur le nombre de candidats à l’École navale pour l’année 1937, il serait tentant de déduire que le peu de candidatures pourrait être liée à la création récente de l’École de l’air. Mais la faiblesse numérique des promotions de l’air entre 1935 et 1938 n’atteste pas un engouement fort pour la vocation aérienne (autour de 300 candidatures en moyenne contre 400 pour l’École navale). L’École de l’air reste une école récente et nouvelle, qui doit trouver sa place entre deux vieilles institutions connues et bien rôdées.

Figure 9: Candidats admis à l’École de l’air de 1935 à 194040

39 GOURDIN Patrice, L’École de l’air, contribution à l’histoire des élites militaires de la République, thèse de

doctorat sous la direction de LEQUEN Yves, Université Lumière-Lyon II, 1996, p. 257.

40 D’après Idem, p. 318. 0 100 200 300 400 500 600 1935 1936 1937 1938 1939 1940

58 Le maintien de l’attrait pour la carrière des armes d’une partie de la jeunesse masculine française peut s’expliquer par plusieurs facteurs. Malgré une perte constante de considération pour l’épaulette depuis plus d’un demi-siècle, prévaut toujours dans le corps des officiers un sentiment de faire partie d’une certaine élite. Ce sentiment d’appartenance à un groupe exclusif se caractérise par un entre-soi qui se cultive depuis l’école, où « tout officier doit donner à sa vie un style conforme au modèle collectif que les traditions du groupe ont façonné au fil des