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L’étendue de l’objet de cette étude a nécessité l’examen de sources nombreuses. La majeure partie de celles consultées sont conservées dans les fonds et collections du Service Historique de la défense (SHD) de Vincennes. La prééminence de ce fonds d’archives

99http://www.guer-coetquidan-broceliande.fr/bisto/coet/esm.html.

100 Xavier BONIFACE, « Images et représentations du héros militaire à travers les noms de promotion à Saint-

Cyr », in ABZAC-ÉPEZY Claude (d’) et MARTINANT DE PRENEUF Jean (dir.), Héros militaire, culture et

société (XIXe-XXe siècles), Villeneuve d’Ascq, IRHiS-Institut de Recherches Historiques du Septentrion, n° 52,

32 s’explique par le rôle centralisateur de cet organisme, en charge de conserver, classifier et valoriser les archives des armées françaises (terre, mer et air pour nos travaux). S’y trouvent ainsi conservés la documentation sur le fonctionnement interne des différentes écoles, leur organisation, les programmes d’admissions et sujets de concours, les listes d’élèves reçus, les directives officielles, la correspondance des différents commandements avec leur ministère de tutelle ou encore des historiques. Ces documents offrent une base administrative qui nécessite d’être étoffée. Ces sources sont en effet intrinséquement limitées car elles sont pour beaucoup des sources normatives. En tant que telles, elles ne permettent pas de connaître la pratique réelle des écoles ni même l’application des mesures décrétées. La confrontation avec des documents produits par d’autres autorités ou acteurs apparaît ainsi indispensable. Les fonds privés ont été une mine non négligeable de ressources. Les papiers laissés par certains dirigeants des écoles, parfois par des élèves eux-mêmes permettent de multiplier les sources : correspondances écrites, entretiens, publication à compte d’auteur, mémoires, cahiers scolaires et fascicule de cours, voire des photos ou des dessins sont autant d’éléments qui permettent une histoire désinstitutionnalisée et offrent un visage plus humain à l’ensemble. La bibliothèque du SHD offre à ce titre une multitude de publications qui viennent utilement compléter et nuancer le regard de l’historien en proposant des témoignages écrits, des articles de presse nationale et institutionnelle, des bulletins de liaison des différentes promotions ou encore des réflexions portées par certains officiers sur leur fonction et rôle dans la société. Les historiques rédigés par les écoles elles-mêmes ou par des personnels mandatés offrent à voir la conception et le regard que ces dernières ont sur elles-mêmes, leur rôle et leur vocation voire leur utilité dans le paysage militaire.

Nos recherches nous ont également menées à consulter d’autres fonds, parmi lesquels se trouve l’antenne décentralisée du Service historique de la Défense de Brest. Celle-ci conserve en effet des dossiers relatifs à la correspondance du commandement de l’École navale, sources précieuses qui permettent de confronter les directives officielles à une application locale. Par mon affectation antérieure à l’École navale, j’avais pu constater l’absence de sources à ce niveau. En revanche, les écoles de Coëtquidan et son Musée de l’Officier, aujourd’hui dépositaire de nombreux bulletins de promotions, publications des élèves et photos sur la période étudiée, constituent un fonds original dont la richesse ne saurait être négligée. De même, la bibliothèque des écoles conserve certains manuels de cours de la période qui offrent des précisions supplémentaires sur le contenu des enseignements. Moins riches sont les fonds

33 du lycée militaire d’Aix-en-Provence, qui fut, d’octobre 1940 à décembre 1942, le lieu de repli de l’ESM en zone libre, où seuls quelques bulletins de promotion ont pu utilement compléter l’ensemble. Au même lieu, les archives municipales n’ont fourni aucune donnée complémentaire, tandis que les Archives nationales d’outre-mer (ANOM) n’ont apporté que peu d’éléments. Rien n’est conservé sur l’École des Élèves-Aspirants de Cherchell (Algérie), tandis qu’un même constat s’établit pour l’école de Tong (Vietnam), qui souffre de très fortes lacunes quant à son histoire. Pour ces deux cas, la perte des archives est due au processus de décolonisation.

Les Archives nationale de Pierrefitte-sur-Seine ont offert un heureux complément aux documents conservés à Vincennes. Un fonds important consacré à l’État français nous a ainsi permis de mieux saisir son attachement aux questions de jeunesse ou encore l’importance pris par le serment de fidélité, attendus de tous les serviteurs de l’État. Les notes sur le moral et les études faites sur l’armée d’avant-guerre et la nouvelle armée d’armistice se sont révélées très riches en informations. Appelés à s’exprimer librement, les auteurs, pour la plupart officiers, ont eu à cœur de transmettre toutes leurs impressions, voire leurs rancœurs. Ces sources prodiguent à l’historien un ressenti sur le vif sur la façon dont ont été perçues la défaite et ses raisons ainsi que les modifications à apporter à l’armée pour y remédier. Tout aussi riches furent les fonds sur la France libre, notamment les inspections et la correspondance du général de Gaulle avec les cadets de Ribbesford, ou encore les papiers de l’amiral Auboyneau qui comportent les notes et instructions relative à l’École navale en Grande-Bretagne, à Alger puis Casablanca. La consultation des archives de la délégation allemande près la commission d’armistice a fourni des réponses sur les motivations et refus avancés aussi bien par les autorités françaises qu’allemandes pour justifier la réouverture des écoles en zone sud, utilement complétées par celles des organismes issus de l’armistice de 1940.

Les archives conservées au British National Archives de Kew constituent une source précieuse pour l’étude de la France libre et de ses écoles. Les Organisation of Allied Naval,

Army and Air Contingents rédigés régulièrement à la demande du War cabinet offrent à

l’historien à une date donnée le ressenti des autorités britanniques sur la valeur de leurs alliés de toutes armées, ainsi que leur moral. Les sources de l’Admiralty, du Foreign office, du

War office, du Home office ou encore de l’Air Force sont autant d’éléments venus compléter le

34 humaine des écoles françaises libres. Toutefois, grande fut la déception face au vide que constituent les dossiers relatifs au SOE et à la formation de ses agents et qui nous ont obligé à écarter ces hommes et femmes (!) de notre corpus en raison du secret qui entoure les écoles.

La volonté d’exhaustivité n’aurait pu s’affranchir d’une consultation des archives du maréchal de Lattre de Tassigny conservées à l’institut de France (Paris). Créateur des écoles de cadres en 1941 et 1942, puis des écoles de cadres FFI en 1944, il est à l’origine de la transformation de l’ESM en EMIA imprégnée de ses vues, objectifs et ambitions pour l’armée de terre. De même, les fonds du Musée National de la Résistance de Champigny-sur-Marne ont offert le contre regard nécessaire sur les impressions issues des FFI.

Au début de mes recherches des entretiens oraux ont pu être mené auprès d’anciens élèves-officiers. Trois ont clairement été identifiés, chacun apportant des lumières sur le fonctionnement de son armée et de son « obédience » : l’amiral Émile Chaline († 2020), ancien élève de l’École navale FNFL puis cadet à Dartmouth, le lieutenant de vaisseau Jean Esmein, élève-officier de marine sous Vichy (EN 42 puis EN 44) qui nous a aussi permis la consultation de sa correspondance privée entretenue avec sa fiancée et communiqué de nombreux documents illustrant la vie des élèves à Toulon puis Clairac (chants de promotion, photographies et caricature). Enfin René Marbot, cadet de l’École militaire des cadets de la France libre (terre). Si tous ces témoignages doivent appeler à la vigilance par crainte des reconstitutions historiques et oublis, ils n’en demeurent pas moins des outils précieux. À ce titre, la correspondance et les papiers, notamment les chants de promotion, de Jean Esmein ont constitué à plus d’un titre une source exceptionnelle.

Ce travail n’a pas été sans entraves. La première tient à la nature des sources majoritaires, composées de directives officielles, concours d’admission ou programmes des écoles, aussi appelées curricula. Cette notion de curriculum recoupe un double sens. Le premier est restrictif et correspond à tout ce qui est prescrit officiellement comme devant être appris aux élèves, selon un ordre déterminé. Le second, élargi, fait la part belle à tout ce qui est réellement transmis et enseigné aux élèves101, notion retenue dans ce travail. Or, ce type même de sources

101 LEGRIS Patricia, « L’élaboration des programmes d’histoire. Contribution à une sociologie historique du

curriculum », Histoire@Politique. Politique, culture, société, n° 21, septembre-décembre 2013 [en ligne,

35 entrave l’analyse. Elles offrent une vision « par le haut » de ce que les états-majors et organismes de commandement des écoles ont souhaité transmettre aux élèves-officiers et suggèrent les grandes lignes d’une formation, sans que l’historien puisse savoir dans le détail ce qui a véritablement été enseigné ou transmis, tandis que la place allouée aux anciens élèves au poste de commandement des écoles, nourris de leur propre souvenir de leur scolarité passée, questionne de fait l’enseignement réellement dispensé à l’aune de ces directives. Le contenu exact de la formation peine à se faire connaitre, de même que les enseignements qui en ont été retenus et effectivement appliqué par les élèves-officiers par la suite.

Le caractère parcellaire des sources doit cependant être souligné. Ainsi, aucune source primaire n’a pu être retrouvée sur le fonctionnement et l’organisation de l’école de Tong (Vietnam), située à une quarantaine kilomètre d’Hanoï et dont la mission fut de 1942 à 1945 de former au profit de l’armée d’Indochine les jeunes cadres officiers que les écoles de métropole ne pouvaient plus lui procurer102. À l’exception d’une publication au journal officiel

annonçant l’ouverture d’un concours du niveau de celui d’entrée pour l’ESM, en avril 1943103,

reconduit en février 1945104, les seuls éléments existants aujourd’hui sont hérités d’une

collection d’articles et des souvenirs du commandant de l’école, le colonel Carbonel, rassemblés au sein d’un carton de l’ancien centre de documentation du Service historique de l’armée de terre (SHAT) aujourd’hui intégré au SHD, dont il n’est pas possible de connaître l’origine exacte. Cette école a ainsi été écartée du corpus. De façon moins significative, des manques se sont aussi fait ressentir dans les archives relatives au fonctionnement de l’école de Cherchell, dont une partie des sources auraient été perdues lors du départ des troupes françaises d’Algérie en 1962. Enfin, dernier point, la surreprésentation accordée de fait à l’ESM et qui tient à la nature numérique des effectifs formés. Il sort à la veille de 1939 environ quatre fois plus d’élèves de l’ESM que de l’École navale ou de l’École de l’air105, constat transposable durant toute la durée de la guerre. Au-delà des chiffres, force est surtout de constater que les archives sont inégales à aborder la question des écoles. Si beaucoup de dossiers ont pu être

102 HESSE D’ALZON Claude, La présence militaire française en Indochine, 1940-1945, Publications du Service

Historique de l’Armée de Terre, Château de Vincennes, 1985, p. 127.

103 Journal officiel de l’Indochine française, 28 avril 1943, p. 1258-1267

104 Gouvernement général de l’Indochine, Cabinet militaire, direction des affaires administratives, Direction de

l’instruction publique, n°190-DG, Hanoi, 3 février 1945, ANOM, Indochine, Résidence Supérieure au Tonkin, 3460.

36 consultés sur les écoles de l’armée de terre (85), ces chiffres sont sans communes mesures avec ceux des écoles de la marine (45).

La consultation de l’ensemble de ces sources a fait émerger nombres de questions qui sont au cœur de ce travail. L’apparition et la successions de gouvernements (régime de Vichy, gouvernement de la France libre auxquels s’ajoute le gouvernement d’Alger à compter de novembre 1942 avant la fusion avec la France Combattante en juillet 1943) aux ambitions et aux projets politiques parfois antagonistes bouleversent le fonctionnement et les buts des écoles : former les officiers de la Révolution nationale pour opérer le redressement moral du pays ; reprendre activement les armes aux côtés des alliés britanniques ; ou encore refondre au sein d’une unique armée de la Libération des forces qui se sont jusqu’alors superbement ignorées, quand elles ne se sont pas opposées par les armes comme ce fût le cas en Syrie. La spécificité de l’officier est-elle redéfinie à l’aune de ces finalités ? Quelle formation (morale, physique, pratique, théorique) est privilégiée par chaque gouvernement et pour quelles raisons ? Comparativement au système de formation antérieur, observe-t-on une continuité ou une rupture et dans quelles proportions ? Durant cinq années, chaque armée forme ses officiers propres en fonction des besoins du gouvernement de rattachement et de ses impératifs de guerre. Ceux-ci ne peuvent être les mêmes si l’on s’adresse à des officiers de l’armée d’armistice, des officiers des Forces françaises libres ou bien encore des officiers appelés à rejoindre l’armée de la Libération. Quelles sont les similitudes et différences entre les formations et les différentes armées ? Comment l’idéologie de chaque gouvernement influe-t-il sur les formations ? À ces formations « institutionnelles » en école de formation initiale s’ajoutent aussi d’autres organismes qui viennent compléter, voire suppléer dans certains cas, l’enseignement prodigué. C’est par exemple le cas des Chantiers de la jeunesse, de l’école des cadres d’Uriage et d’Opme en zone libre. Influencent-ils le contenu des enseignements militaires ? Et si oui, par quels moyens ? Enfin, l’achèvement de la guerre soulève aussi bien des interrogations sur le devenir de la formation et des écoles et par extension de l’armée dans son ensemble. Les armées françaises sont-elles à la Libération les héritières de l’armée de la défaite puis de l’armée de Vichy, toutes deux discréditées et honnies, comme le questionne Claire Miot106 ? L’idée de

106 MIOT Claire, Sortir l’armée des ombres, Soldats de l’Empire, combattants de la Libération, armée de la

Nation : la Première armée française, du débarquement en Provence à la capitulation allemande (1944-1945),

37 refondre la Nation et de reconstruire l’armée française émerge à nouveau, processus dans lequel les écoles sont appelées à jouer un rôle premier. À l’aune de cinq années de conflit et de trois gouvernements différents, quel modèle de formation fut retenu à la fin de la guerre ? Y a-t-il influence réciproque et refonte d’un nouveau modèle de formation, un retour à la formation d’avant-guerre, ou bien une accaparation d’un système de formation au dépend des autres ?