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3.2 « Connaître la langue, connaître la langue des poètes et connaître l’homme »

5. LES MANUELS ET LES TEXTES LITTÉRAIRES.

Il ne s’agit pas ici de présenter une étude sur la façon dont les manuels scolaires traitent le texte littéraire, mais de faire appel aux (rares) travaux de recherche qui se sont penchés sur les textes des manuels du 1er cycle de l’ensei- gnement initial et de rendre compte de leurs principales conclusions.

José Rafael Tormenta (1996), qui a analysé douze manuels scolaires, conclut ainsi : « À l’exception du second cycle, où règne un état d’esprit favorable à l’inno- vation, indubitablement développée après le 25 avril 1974, tous les autres niveaux d’enseignement semblent continuer à utiliser des pratiques pédagogiques conser- vatrices » (p. 51).

En réalité, ce conservatisme dans les pratiques a été souligné par tous les travaux qui se penchent sur les manuels du 1er cycle de l’enseignement basique. Conservatisme, en effet, en ce qui concerne le déséquilibre dans la présence des genres littéraires que les manuels intègrent. Presque deux tiers des textes appar- tiennent au récit et plus de la moitié relèvent du récit littéraire. La suprématie du texte narratif, en soi, est peut-être une chose positive car comme le notent Duff et Maley (1991), ce type textuel a de multiples fonctionnalités, et peut être exploité dans trois directions : une première, linguistique, en raison des différents niveaux de langue et de styles qui s’entrecroisent dans de nombreux textes narratifs litté- raires ; une seconde, qu’on pourrait dire méthodologique, car ce type de texte active le processus d’extrapolation, qui facilite l’interaction dans la salle de classe autour des interprétations. Le texte narratif, par ailleurs, suscite l’adhésion des élèves en suscitant des réactions affectives. Cependant, si nous nous penchons sur le fait que les textes reproduits sont trop courts (le tiers ou la moitié d’une page A4), ce qui conduit le petit lecteur à ne pas pouvoir savourer les contenus esthé- tiques de ce qu’on lui propose, nous dirons que la lecture à l’école primaire, bien que continuant à se faire sur de la littérature, a d’énormes répercussions dans la représentation de ce que sont un texte et son interprétation (Magalhães, 2003).

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Le texte littéraire à l’école primaire au Portugal : programmes, projets, théories et pratiques

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Maria Elisa Sousa (2000), qui a effectué un travail de recherche sur ce sujet, souligne précisément une tendance à la « simplification » constante, visible dans les suppressions mal indiquées, et des simplifications linguistiques. Ainsi, les textes narratifs littéraires des manuels portent, en général, la marque d’un simplicité thématique et linguistique qui les rend inintéressants, aseptisés et qui empêche les petits lecteurs de prendre des risques (Tauveron, 2002, p. 25), risques qui devraient être l’objet d’attention et d’étude à l’école. Comme l’affirme cet auteur, « la mission de l’école est une mission éducative, et la logique de la classe ne saurait se confondre avec celle de la bibliothèque, on doit choisir les livres aussi en fonction des obstacles auxquels on souhaite que les enfants se confrontent pour progresser en lecture. De ce point de vue, l’objet de l’ensei- gnement, fondamentalement transcende la singularité de l’œuvre : il s’agit de construire des conduites de lecture réutilisables, hors du contexte dans lequel elles ont été construites » (Tauveron, 2002, p. 36).

Si l’on ajoute à ce simplisme des textes sous forme de « passages signifi- catifs » le caractère réducteur des modalités de lecture proposées, la plupart du temps une lecture suivie de réponses à des questionnaires stéréotypés et qui ne conduit en aucune façon à une construction personnelle des sens des textes, nous aurons là un des aspects les plus notoires de ce conservatisme.

Mais la tendance conservatrice s’exprime encore dans la façon dont la poésie est donnée à lire aux plus petits dans les manuels. Dans une étude réalisée par Maria Conceição Costa (2001, p. 170), on peut lire : « Dans les manuels étudiés la poésie n’existe pas en tant que poésie. Excepté de rares exceptions, la poésie ne s’offre pas à l’enfant tranquillement et sereinement afin qu’il se laisse séduire par le plaisir de l’harmonie, de la mélodie et du rythme ». La poésie est elle aussi soumise à des questionnaires vides de sens, qui abandonnent rapidement le texte et ne participent en rien à son interprétation.

D’autres études ont également mis en évidence la prédominance d’auteurs du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle, entre autres : Guerra Junqueiro, Raul Brandão,Trindade Coelho, Júlio Dinis, Teófilo Braga, Augusto Gil, Afonso Lopes Vieira, Aquilino Ribeiro, Ferreira de Castro, Fernando Namora, Sebastião da Gama, Alves Redol, Antero de Figueiredo, Érico Veríssimo etc. ; un second groupe d’écrivains privilégiés intègre un bloc d’auteurs, que l’on retrouve constamment dans les manuels, et qui ont connu le succès dans les années cinquante-soixante, comme Irene Lisboa, Ester de Lemos, Alice Gomes, Adolfo Simões Mueller, Patrícia Joyce, Papiniano Carlos, José Mauro de Vasconcelos, Sofia de Mello Breyner. Avec une incidence bien moins grande, apparaissent fina- lement des auteurs actuels – et nous considérons uniquement comme actuels les auteurs postérieurs à l’explosion de la Littérature Enfantine et Juvénile portugaise des années soixante-dix ; dans ce groupe se trouvent António Mota, Alice Vieira, Manuel António Pina, Alexandre Honrado, António Torrado, Álvaro Magalhães.

Ce type de sélection d’auteurs, dans de nombreux manuels, nous conduit à quelques commentaires : si la valeur des auteurs sélectionnés dans le premier bloc (XIXe et XXe siècles) est indiscutable, on notera également que la sélection s’opère sur la base d’une notion un peu dépassée selon laquelle des auteurs, du XIXe siècle et du début du XXe en particulier, peuvent servir de modèles aux générations futures, principalement en raison de l’élaboration linguistique de

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REPÈRES N° 32/2005 L. ALVARES PEREIRA et F. ALBUQUERQUE

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leur textes et de leur incontournable correction grammaticale. Cependant, si l’on tient compte du jeune âge du public auquel s’adresse le manuel, le critère n’est pas nécessairement le plus adéquat : le lexique, souvent suranné, utilisé par ces auteurs, est l’objet d’une traduction souvent traitée sans réelle fonctionnalité (pure approche érudite qui ne se transforme pas en un nécessaire enrichissement du vocabulaire).

L’insertion dans les manuels du second groupe d’écrivains mentionnés plus haut est encore plus problématique, car ils ne répondent pas aux critères d’excel- lence de modèles (sur le plan linguistique et stylistique) et ne sont pas non plus en adéquation avec l’âge du petit lecteur. Quels que soient leurs mérites, leurs textes sont liés à une époque que les jeunes enfants ressentent comme très loin- taine et, conceptuellement, incompréhensible. Le vieillissement se marque dans la littérature de jeunesse plus nettement que dans la littérature tout court. Les auteurs appartenant au dernier bloc mentionné semblent en revanche répondre aux attentes.

Nous ne devons pas oublier que ce n’est qu’au cours de ces dernières années que nous avons acquis la certitude du goût littéraire des enfants ; il n’y a pas si longtemps, c’était les adultes qui achetaient les livres pour les enfants et qui décidaient que tels ouvrages étaient bons et adaptés aux enfants. Ce ne sont que dans les vingt, ou vingt cinq dernières années que les enfants portugais ont peu à peu marqué leur territoire de lectures, en faisant des choix individuels et en soulignant leurs préférences. Il est clair qu’insister sur ces écrivains actuels fait tomber le manuel dans une situation de perpétuelle caducité, car les œuvres litté- raires sont, de nos jours, une réponse à des problématiques immédiates et à des procédés linguistiques évolutifs ; elles sont donc en constante transformation.

La réponse à ce problème passe, selon de nombreux chercheurs, par le rejet du manuel, et par la présence effective dans le cours de nombreux textes sélectionnés par la communauté de la classe. Cependant, d’après les éléments recueillis et malgré les nombreuses réflexions sur la gestion et l’organisation de l’enseignement, le « livre de textes » demeure, dans le premier cycle, comme dans d’autres niveaux de l’enseignement, le grand guide qui oriente les pratiques des professeurs.

6. LES PRATIQUES DÉCLARÉES PAR LES PROFESSEURS

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