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La littérature orale, estime Kam (1990, p. 22), quoique certains aient prédit depuis longtemps (et persistent à le faire) sa mort prochaine, creusant ainsi sa tombe avec celle des vieux qui s’éteignent, « tient encore une place importante dans les pratiques liées à la littérature et à la culture populaires au Burkina Faso, en dépit des transformations qu’elle subit du fait de sa nécessaire évolution ». Ce riche patrimoine s’avère être une véritable manne pour beaucoup de roman- ciers, poètes, dramaturges, cinéastes, auteurs de bandes dessinées, vedettes de chansons, sans oublier son intérêt pédagogique et didactique. Cette littérature, soutient-il, « éveille les facultés et les dispositions de l’enfant à assimiler ce que l’on veut lui apprendre : valeurs intellectuelles, morales, humaines, etc. Dans cette optique se pose alors l’opportunité de son enseignement dans le cursus scolaire. » (Kam, 2000, p. 538). Au Burkina Faso, cette littérature puise sa richesse dans la diversité linguistique et ethnique, patrimoine culturel de première importance. Elle se caractérise essentiellement par sa complexité, son dynamisme, le contexte de son énonciation et les problèmes liés à la traduction. Les principales fonc- tions suivantes lui sont reconnues : la fonction distractive ou ludique, la fonction thérapeutique ou cathartique, la fonction didactique et la fonction sociale. Selon Ouédraogo (1990, p. 34) « Les Moosé possèdent une importante littérature orale qui s’étend des genres narratifs aux genres poétiques en passant par les genres lapidaires ».

Les textes dits lapidaires sont généralement brefs, laconiques et se présen- tent sous forme de formule. Ce sont les proverbes (yelbuna), les devises (zab- yui) et les devinettes (solem-koeese). On pourrait, à titre d’exemple, retenir ces quelques proverbes moosé : Silem kãoogo, silem baag n’yõkd–a. Littéralement, Maligne pintade, malin chien attrape elle ». Autrement dit, La pintade rusée se fait attraper par le chien malin ou Lorsqu’on se dit malin, on trouve un plus malin que soi. Ce proverbe renvoie en fait à un autre bien connu : A malin, malin et demi. Il en est de même pour cet autre : Wè kaseng ka be kεleng ye. Littéralement : Coup grand pas exister cri ou Lorsqu’on reçoit un coup trop fort, crier devient difficile. En d’autres termes, Les grandes douleurs sont muettes. Nous retiendrons enfin ce proverbe bien connu en milieu moaaga : Koom sãn lim toεεnga, lal lebga gυιlla. Littéralement Eau si submergé barbe, pénis et testicules devenus nénuphars ou Lorsque l’eau submerge la barbe, le pénis et les testicules deviennent des nénu- phars, autrement dit, Virilité et courage cèdent devant une très grande épreuve.

Quant à la devise moaaga ou « zab-yuure », elle a d’abord une significa- tion symbolique parce qu’au-delà du sens premier de la formule énoncée (sens dénoté), il existe toujours un autre sens, plus profond (sens connoté). On distingue les devises collectives et les devises individuelles. Les devises collectives enga-

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gent une population donnée. Elles se présentent comme des slogans à l’intérieur desquels doit se dégager un idéal pour les membres de la collectivité. Il en est ainsi de cette devise qui met en exergue l’intégrité des Burkinabè : Burkin saka kuum n’zoe yãnde. Littéralement : Intègre accepté mort, fuire honte ou L’homme intègre accepte la mort et fuit la honte. En d’autres termes, Pour l’homme intègre, mieux vaut la mort que la honte. Quant à la devise individuelle, elle est chez les Moosé, un principe de vie que chacun peut s’octroyer aux étapes significatives de sa vie (funérailles du père, initiation, intronisation, etc.). Lors de son intronisation, par exemple, tout chef Moaaga choisit trois devises : une devise de remerciement à ses partisans, une seconde devise sous forme de mise en garde à l’endroit des éventuels opposants qui auraient quelques velléités d’insoumission et une troi- sième qui situe le contexte et les priorités du nouveau pouvoir. C’est seulement à partir de là que le souverain abandonne son nom d’origine au profit de sa devise qui lui tient lieu de nouveau nom ainsi que le montre Pacéré (1991). Il en est ainsi de ces devises de Naaba Sãnem, chef de Tuudu, dans la province burkinabè du Bazèga dont la première devise est : Si l’aveugle obtient de l’or, que son guide se réjouisse. Par cette formule, le chef entend partager les avantages du pouvoir avec ses partisans qui l’ont aidé et soutenu dans sa quête du pouvoir. Dans sa deuxième devise, Le jeune hippopotame ne saurait renoncer au bain par peur du froid, le chef s’adresse, indirectement, à ceux qui ont tenté de le dissuader lors de sa conquête du pouvoir, en alléguant son très jeune âge. Enfin, dans sa troisième devise, Quelle que soit son intelligence, nul ne saurait, seul, encercler un buisson, le chef annonce un pouvoir participatif et donc démocratique.

Enfin, les devinettes pourraient appartenir, outre à la catégorie des textes lapidaires, à celle des textes poétiques (au regard de leur rythmique et de leur musicalité) et à celle des textes narratifs dans la mesure où elles sont aussi appe- lées « contes courts » ou solem-koeese et qu’elles introduisent nécessairement les « contes longs » ou solem-wogdo. Les Moosé distinguent deux types de devi- nettes : celles qui s’apparentent à des questions énigmatiques très plaisantes et dont il faut trouver une réponse, et celles qui se présentent sous forme de formules brèves, exigeant de l’interlocuteur une réplique dont l’importance réside, non dans le sémantisme, mais dans l’esthétisme. Nul doute que l’interprétation de ces proverbes et devises nécessite, outre la maitrise des codes culturels et linguistiques, une prise en compte du contexte de leur énonciation ainsi que l’a très bien montré Théophanous (2005). On pourrait imaginer, dès lors, tous les avantages, mais surtout toutes les stratégies sur les plans didactique et péda- gogique que l’enseignant de français devrait mettre en œuvre pour amener ses élèves à leur interprétation ou à leur décodage.

Les textes poétiques se fondent essentiellement sur un travail esthétique de la langue, portant sur l’expression, les constructions, les sonorités et la musicalité : c’est le cas du chant et de l’épopée. Le chant ou yille désigne aussi en mooré, la corne de l’animal. Cette polysémie, selon Kaboré (1990, p. 37), permet de dire que le texte chanté « germe et pousse hors de la personne comme la corne chez l’animal et devient une véritable arme d’auto-défense ». Il en est ainsi de certaines catégories de personnes dont les orphelins (le plus souvent maltraités), les femmes (généralement exploitées et soumises à des déboires conjugaux), les jeunes (face à la gérontocratie généralement à la base des conflits entre générations), etc. C’est le lieu de rappeler les origines du jazz, ensemble de chansons que fredon-

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naient les esclaves dans les plantations. Plus proche de nous, citons le cas du reggae et aujourd’hui celui du rap et du zouglou, notamment en Côte-d’Ivoire. La chanson est donc un moyen d’expression, mais aussi une arme de combat. C’est dans ce contexte que la poésie, parce qu’elle est plus proche de la musique, a été choisie par les chantres de la Négritude comme genre privilégié de lutte pour l’émancipation de la race noire.

Quant à l’épopée, elle baigne dans une ambiance poétique créée par le réci- tant. C’est le cas, par exemple, de Chaka Zoulou et surtout celui de Soundjata ou l’épopée mandingue de Niane (1960). On y trouve, selon Kesteloot (1981, p. 349), « toutes les qualités de l’épopée traditionnelle : un fait historique réel : le règne de Soundjata au XIIe siècle, l’amplification que lui fait subir la légende par les moyens habituels : présages, miracles, grossissement des qualités du héros (force, courage, clairvoyance), de ses faits d’armes, des obstacles qu’il doit surmonter et, bien sûr, l’intervention du merveilleux : dieux, sorciers, sorcières et animaux- totems ». Comme pour les textes lapidaires (proverbes, devises et devinettes), ces textes poétiques (chants et épopées) offrent, dans une perspective interdiscipli- naire, d’énormes possibilités d’exploitation pédagogique aussi bien pour l’ensei- gnant de français (étude des figures de style comme l’hyperbole), celui d’histoire (étude de personnages, de lieux et de faits historiquement connus) que pour leur collègue de musique.

Enfin, les textes narratifs regroupent les anecdotes, les légendes, les mythes et les contes. Il convient de distinguer les soalma des contes tels qu’ils sont perçus dans la langue française. En effet, ceux-ci ne sont pas de simples récits distractifs comme leur nom semble l’indiquer. En mooré, Soalma signifie « choses cachées » et participent par conséquent du mystère et du sacré. On y retrouve également le concept du pouvoir politique. C’est un fait, les Moosé établissent une distinction entre les « contes courts » ou solem-koeese et les « contes longs » ou solem-wogdo. Dans les soirées de contes, par exemple, les conteurs commen- cent toujours par les contes courts, brefs énoncés dont la structure dénote un travail plutôt esthétique que sémantique. Il s’agit, en fait, d’une sorte de jeu qui oppose soit un individu à un individu, soit un individu à un groupe d’individus, soit encore un groupe à un autre groupe. Le jeu consiste à proposer à l’inter- locuteur une réplique-question dont il doit trouver la réplique-réponse appro- priée. La pertinence de la réponse est fonction, non du sens, mais de la forme ou structure qui doit, sur le plan du rythme et des sonorités, correspondre à la réplique-question énoncée par le premier locuteur. Les contes courts, du fait de l’importance accordée à l’esthétisme et surtout aux sonorités, jouent beaucoup sur les rythmes et les rimes. C’est le cas dans les exemples suivants, même si la traduction en français ne permet pas de rendre compte de la rythmique et de la musicalité des répliques : à la réplique-question Solem ti d solem (Conte pour que nous contions), correspond cette réplique-réponse : Yik tond-beoog n menem ti d menem (Disparais de bonheur pour que nous disparaissions). De même, à cette seconde réplique-question : M solem saya (Je suis à court de contes), correspond cette seconde réplique-réponse : Yeel naab t’a Kabalem kiya ; a Kabalem kuum daare buum duuda nobga (Dis au chef que Kabalem est mort ; le jour du décès de Kabalem, la vérité grimpera sur un noisetier). Dans ce jeu de questions-réponses, ce qui importe, c’est le travail de la langue, notamment la recherche des sonorités

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correspondantes (rimes) comme c’est le cas entre les termes solem et menem d’une part, et entre saya, kiya et nobga, d’autre part.

Une seule réplique-question peut donner lieu à plusieurs répliques-réponses. Dans ce cas, le premier conteur donnera toujours la même réplique-question à charge pour son interlocuteur de trouver toutes les répliques-réponses attendues. Si ce dernier fait preuve d’ingéniosité, il peut, après avoir trouvé toutes les répli- ques-réponses attendues, en inventer d’autres. Il prend, dès lors, la place et le rôle du premier conteur en reprenant la même réplique-question, à charge pour son nouveau « contradicteur » de trouver de nouvelles répliques-réponses, au risque de perdre la partie, et ainsi de suite. Par exemple, à cette unique réplique- question : M voogirgu (Ma souche de kapokier), pourraient correspondre les trois répliques-réponses suivantes : Yongre diga Poko n deeg kalgo (Une souris a pour- chassé Poko et lui a retiré son soumbala), F pa tεg bi f vuug rυko (Si tu n’es pas rassasié, tires donc à toi la marmite), ou encore Safãn lagm koabg kon pek rulgu (Des centaines de savons ne sauraient laver le calao »), etc.

Les contes courts visent la préparation psychologique et intellectuelle de l’auditoire en vue d’une bonne réceptivité des contes longs. Comme pour la « parenté à plaisanterie », les contes courts tolèrent la déraison et proscrivent le conflit. Tous les écarts de langage sont donc permis. Il n’est pas rare qu’ils soient très injurieux ou très vulgaires, provoquant de temps à autre des tensions vites contrôlées ou des rires à gorges déployées. Les enfants, les adultes, les femmes et les hommes ont tous le même droit à la parole, sans restriction ni coercition. Voici un exemple d’énoncé injurieux qu’un enfant peut adresser à un adulte ou même à un vieillard lorsque celui-ci ne parvient pas à trouver lui-même la réponse à la réplique-question : M wumbl lυi bεgd pυge tass (Ma petite calebasse est tombée dans la boue, plouf !). Réplique-réponse : Foo la tεnga kasm n zi noor yass (C’est toi le patriarche de toute la contrée et tu es là assis la bouche largement ouverte !). A travers la préparation psychologique et intellectuelle, la mémoire, l’imagination et l’intelligence sont activées et l’auditoire est plus disposé à s’émouvoir, à se laisser séduire par les exemples de moralité, de civisme, de perspicacité et de sagesse proposés par le conte long. Il est plus apte à l’ensemencement des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être contenus dans les contes. De la formule d’introduc- tion à celle de la conclusion, l’enfant apprend (c’est la fonction didactique des contes) à découvrir son milieu, sa flore, sa faune, ses lois, ses valeurs, etc. Le conte interpelle sa conscience critique sur des attitudes préjudiciables.

Chez les Moosé, le texte oral permet de « libérer » et à travers les contes, les chants, les anecdotes, l’humour atteint parfois un paroxysme tel que la digue du refoulement et de l’autocensure se rompt, laissant libre cours à l’expression du tabou et des fantasmes. C’est alors que l’enfant insulte le vieux sage, interpelle sans vergogne le chef, tandis que l’adolescent se moque de l’adulte, du vieillard chenu, de la vieille coquine à qui il profère des mots interdits en d’autres circons- tances. Amour et sexe sont démystifiés et démythifiés (pour un temps, juste pour un temps, celui des heures magiques de la veillée !) : c’est le temps de la liberté totale d’expression pour tous et celui de l’hilarité sans mesure. Il se produit alors, en chaque individu, une décharge émotionnelle libératrice, presque purificatrice, d’où la fonction cathartique. De plus, le texte oral, par sa valeur morale, renseigne et sensibilise sur les mœurs de la société, ses interdits, ses normes, ses règles et ses comportements valorisés comme l’a largement démontré Durkheim (1989). Il

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participe à l’instruction civique, à la connaissance du milieu et favorise une certaine initiation du jeune enfant par rapport aux pratiques culturelles et cultuelles de sa société ainsi que le montre Badini (1994). Relevons qu’il instaure une interaction entre le conteur et son auditoire. Le conte lui-même se construit dans et par cette interaction car la présence et les réactions de l’auditoire peuvent changer le cours et la nature des récits produits. Le texte oral est ainsi la propriété intellectuelle de toute la communauté.

3. LA LITTÉRATURE ORALE

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