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Au regard des causes et des conséquences de la sous-exploitation de la littérature orale burkinabè dans les pratiques enseignantes, nous proposons, dans cette rubrique, quelques pistes pour une meilleure prise en compte de cette littérature dans les pratiques pédagogiques, notamment celles liées à l’enseigne- ment-apprentissage du français, particulièrement à l’école primaire.

En effet, la prise en compte des valeurs culturelles, linguistiques, éthiques, esthétiques et didactiques des textes oraux permettrait d’une part, une meilleure adéquation entre les contenus enseignés et les réalités socioculturelles, autre- ment dit, entre l’école et le milieu et d’autre part, l’atténuation des conséquences générées par l’inadaptation de nos systèmes éducatifs. Nul doute que l’exploita- tion pédagogique de la littérature orale dans cet ordre d’enseignement vise entre autres l’amélioration des conditions, des méthodes et des contenus d’apprentis- sage, ce qui permettrait, dans une perspective transdisciplinaire et interculturelle, de favoriser une meilleure formation intellectuelle, morale, sociale, culturelle et politique des jeunes écoliers. C’est un fait, le caractère ludique de certains genres oraux pourrait non seulement favoriser les conditions psychologiques d’ensei- gnement-apprentissage (capacité de réceptivité), mais surtout améliorer la qualité didactique (les contenus) des enseignements. Toutefois, cette pédagogie de l’ora-

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lité devrait partir d’une préparation psychologique et intellectuelle des élèves (en raison du changement des conditions et des supports d’apprentissage) afin de les prédisposer à entrer dans l’univers magique des textes oraux. Aussi, l’enseigne- ment disciplinaire pourrait-il s’appuyer sur ces supports didactiques afin d’amé- liorer ses méthodes et ses contenus dans la plupart des disciplines inscrites au programme de l’enseignement primaire burkinabè : instruction civique, morale, lecture, expression écrite et orale, vocabulaire, chant, dessin, etc.

Parmi les causes de la sous-représentation et de la sous-exploitation de la littérature orale burkinabè dans les contenus et dans les pratiques d’enseigne- ment, figure l’absence d’une méthodologie apte à une meilleure prise en compte de cette littérature notamment dans l’enseignement-apprentissage du fran- çais. Fort de ce constat et pour vérifier nos hypothèses de départ, nous avons opté pour une démarche à double volet : l’observation et l’intervention en milieu scolaire burkinabè, notamment dans deux classes de CM1 (cours moyen première année) des écoles primaires publiques du secteur n° 5 de Kongoussi, notre village natal, situé à une centaine de kilomètres au nord de Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso. Suite aux observations faites dans les classes expérimentales, nous avons procédé à l’élaboration d’une dizaine de fiches pédagogiques qui ont servi de supports didactiques à l’expérimentation d’une approche pédagogique liée à l’enseignement — apprentissage du français à partir de textes issus de la littéra- ture orale burkinabè. Dans cette perspective, nous avons procédé à une prépa- ration psychologique et intellectuelle des jeunes écoliers au regard des nouvelles conditions d’apprentissage qui se présentaient à eux : utilisation de textes oraux, présence en classe d’un conteur traditionnel, co-animateur temporel de la classe, aux côtés des maitres titulaires des enseignements, etc. Ce « conditionnement » psychologique et intellectuel avait pour but de les prédisposer à entrer dans l’univers magique du conte. L’expérimentation a essentiellement porté sur des pistes d’exploitation, d’un point de vue pédagogique, de quelques genres oraux et singulièrement le conte dans l’enseignement-apprentissage du vocabulaire et de l’expression écrite (rédaction) en cinquième année du primaire.

Pour sa leçon de vocabulaire (30 minutes environ), l’enseignant de français pourra, par exemple, s’intéresser aux équivalences lexicales, en proposant à ses élèves une série de termes en mooré (ou dans une autre langue dont ils sont locu- teurs) relevés dans un conte judicieusement choisi (thématique, longueur, niveau de difficultés, pertinence, etc.) et raconté dans la langue donnée. Les objectifs géné- raux visés sont entre autres de développer les capacités des élèves en expression orale et écrite, en élargissant et en enrichissant leur vocabulaire, de faciliter leur compréhension et leur acquisition des mots et expressions français en s’appuyant sur les connaissances qu’ils ont de la langue maternelle donnée, puis enfin, de les amener à l’emploi spontané et correct des mots et expressions nouvellement appris. Au titre des objectifs spécifiques, à la fin de la séance, les élèves doivent être capables de donner oralement ou par écrit, les équivalents français des mots et expressions issus du conte (dans une langue donnée), d’expliquer ces équiva- lents français, à l’oral ou à l’écrit et de construire à l’oral ou à l’écrit, des phrases correctes en français, à partir de ces mots et expressions. Pour le déroulement de la leçon proprement dite, l’enseignant pourrait adopter la démarche suivante : préparation psychologique ou motivation des élèves ; choix d’un conte oral dans une langue maternelle donnée ; définition des objectifs généraux et spécifiques ;

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audition du conte à l’oral et dans la langue maternelle donnée ; identification et transcription des termes et expressions clés ; recherche de leurs équivalents fran- çais ; explication orale ou écrite ; construction de phrases en français, à l’oral ou à l’écrit, à partir de ces termes et expressions ; exercice d’application à partir d’un court texte à trous ; exercice d’expression écrite à faire à la maison ; réinvestisse- ment dans d’autres activités de la classe de français.

À partir d’un des contes oraux utilisés comme supports lors de l’expérimen- tation et intitulé Paregdyelle ou l’enfant têtu, les mots et expressions suivants (ils sont en langue mooré) ont été proposés aux élèves afin qu’ils en cherchent les équi- valents en français, qu’ils les expliquent d’abord en mooré puis en français et pour qu’enfin, ils les emploient (en français) dans deux phrases correctes : Waooga (la gibecière), Wagkêefo (le boa), Kisgu (l’interdit ou le totem), Pulengo (la promesse), Linga (une petite gourde), Ko-yilemde (une eau limpide), Kae (mil germé), Kiib-ba- la-Wende (Dieu est le Père de l’orphelin), Wend waooga (Dieu est grand). Pour le mot Katre, par exemple, ils se devaient d’abord de trouver son équivalent en français (une hyène), d’expliquer ensuite que la hyène est un mammifère sauvage, qu’elle est carnivore et qu’elle se nourrit particulièrement de charogne, avant de proposer une phrase comportant ce mot comme dans l’exemple suivant : Dans la nuit noire, on entendit le ricanement de la hyène. A partir d’un texte à trous, un exercice d’application leur a ensuite été donné sous forme de travail individuel ou par petits groupes, avec cette consigne : Remplacez les pointillés par un mot ou par une expression choisis dans cette liste : une gibecière, une promesse, un boa, un interdit, du mil germé, une eau limpide, une gourde.

L’objectif de cette leçon de vocabulaire était de consolider le vocabulaire d’usage des élèves par l’acquisition de mots nouveaux en français, avec pour stratégie d’apprentissage, le recours aux équivalences lexicales entre la langue d’origine (le mooré) et la langue d’enseignement (le français). La particularité de la démarche nous a fait craindre quelques difficultés, mais dans son ensemble, l’ex- périence a plutôt bien fonctionné et les résultats des apprentissages ont été plus que satisfaisants au regard du vif intérêt manifesté par les élèves, de la qualité des travaux réalisés en groupes, (presque tous ayant trouvé les équivalents français des mots et des expressions donnés en mooré), de celle des phrases construites avec les équivalents identifiés, etc. De plus, l’exercice d’application a connu un succès inattendu : 52 élèves sur 69 ont trouvé toutes les bonnes réponses, 11 en avaient trouvé 5 sur 6 et 4 avaient obtenu 4 bonnes réponses sur 6. Seuls 2 élèves ont moins réussi l’exercice avec 2 bonnes réponses sur 6.

Quant à l’exercice portant sur l’expression écrite et particulièrement sur la rédaction, il s’est déroulé en 55 minutes, avec pour objectif général d’initier les élèves à l’apprentissage de cet autre exercice essentiel de la classe de français, afin de favoriser chez eux, le développement d’une compétence de communica- tion, l’un des objectifs fondamentaux de l’enseignement-apprentissage du fran- çais langue étrangère et/ou seconde au Burkina Faso. Il s’est agi, plus particuliè- rement, à partir d’un conte, de les initier à la technique de la rédaction. A la fin de la séance, ils devaient se montrer capables de rédiger un texte court dans lequel ils imagineraient une suite à donner à un récit raconté par un professionnel ou lu à partir de supports textuels. La démarche d’ensemble consistait à partir d’un texte oral ou écrit pour en proposer une suite. Ce travail peut se faire individuellement

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et/ou en groupes avant d’être mis en commun dans la perspective de la trace écrite que les élèves devraient consigner dans leurs cahiers d’exercices.

Des raisons techniques nous ont contraint à nous contenter d’une démarche d’ensemble portant sur ces différents exercices. De plus, cette démarche n’a aucune valeur de recette. Il reste donc évident que l’enseignant devrait procéder, comme nous l’avons fait, à la restructuration plus détaillée de cette démarche globale, sous la forme de fiches pédagogiques. Il devrait, par conséquent, en fonction de ses objectifs et des conditions particulières liées aux apprentissages, revoir la pertinence de l’une ou l’autre étape et surtout établir des fiches pédagogi- ques suffisamment opérationnelles et qui prennent en compte : le type de la leçon, les supports didactiques, les objectifs pédagogiques, la démarche méthodolo- gique, les contenus des apprentissages, le questionnement, l’organisation de la classe, les exercices d’application, le réinvestissement, les modalités d’évaluation des apprentissages, etc.

Tout au long de l’expérimentation, les élèves ont manifesté une réelle moti- vation, sans doute justifiée, suscitée et entretenue par cette démarche novatrice et par le caractère ludique et didactique des textes oraux ayant servi de supports à l’expérimentation. Au-delà des acquis disciplinaires et méthodologiques, cette expérimentation a suscité chez les jeunes écoliers un désir de savoir-faire et de savoir-être. Il s’est agi, d’un point de vue pédagogique, de montrer que, d’une part, l’on pouvait, non pas enseigner nécessairement autre chose, mais certaine- ment d’une autre manière et que, d’autre part, le mouvement dialectique qui va de l’école vers le milieu et vice versa était une des exigences essentielles pour un véritable renouvellement des contenus et des pratiques d’enseignement – appren- tissage, notamment ceux liés au français. Il nous sera peut-être reproché (et à juste titre) le peu de temps consacré à cette expérimentation (un mois environ), le fait d’avoir mené cette expérimentation dans seulement deux classes de CM1 de deux écoles différentes, le peu de place accordée à l’interdisciplinarité, etc., toutes choses qui pourraient contribuer à une remise en cause de cette expéri- mentation. Évidemment, le manque de temps et surtout de moyens nous a amené à revoir nos ambitions, mais ce n’est que partie remise, car nous sommes plus que convaincu que ce genre d’expérience doit se poursuivre afin de contribuer à la mise en place d’un véritable outil de soutien pédagogique, susceptible de favo- riser un meilleur enseignement-apprentissage du français dans nos écoles dans la perspective d’une atteinte des finalités des apprentissages linguistiques, telles qu’elles ont été définies par les textes officiels, notamment le développement chez les apprenants d’une compétence de communication.

5. CONCLUSION

Notre question de départ, à savoir : « Comment l’école primaire classique peut-elle exploiter la littérature orale burkinabè à des fins pédagogiques ? » nous a conduit au postulat selon lequel cette littérature est sous-représentée et sous- exploitée en dépit de ses multiples valeurs. Les résultats de nos investigations en milieu scolaire burkinabè montrent la quasi-absence d’une politique claire en faveur de l’exploitation pédagogique de cette littérature dans les contenus et les pratiques d’enseignement liés au français. Il s’en est suivi la non prise en compte de cette littérature dans les curricula des différents établissements primaires et

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dans la formation initiale et continue des enseignants, ainsi que l’inexistence de documents didactiques aptes à favoriser une meilleure exploitation des textes oraux traditionnels, avec pour conséquences : un apprentissage rendu plus diffi- cile du fait de l’utilisation exclusive du français, la compromission de la construc- tion identitaire du jeune écolier Burkinabè que le système d’enseignement actuel maintient dans l’ignorance du point de vue de ses origines, de son histoire et de sa culture qu’il peut, l’ignorance aidant, être amené à rejeter ou à mépriser.

Or, comme le reconnait C. H. Philippe (1989, p. 268), « L’objectif essentiel de l’éducation est de conserver et de protéger le patrimoine culturel d’un peuple, de le transmettre dans son intégralité à chaque nouvelle génération ». Si l’éducation doit promouvoir et favoriser le développement social, transmettre un héritage et préparer des hommes et des citoyens de demain, l’attachement à l’identité cultu- relle ne doit pas signifier un repli sur soi, sur ses coutumes et sur ses traditions. En effet, une culture fermée sur elle-même s’étiole, se fige et se meurt. De plus, à l’heure de la mondialisation, on ne peut préconiser ni concevoir une autarcie cultu- relle qui serait synonyme de suicide collectif. Les cultures nationales en construc- tion doivent intégrer les éléments positifs et vivifiants des autres cultures, comme elles sont, elles-mêmes, des intégrations intelligentes des diversités culturelles de nos pays. Nul ne saurait prétendre se développer d’abord avant de se tourner vers l’Autre qui contribue à son enrichissement.

Toutefois, face à une mondialisation aux contenus, aux objectifs et aux métho- dologies fort discutables, les Africains, comme dans un ultime sursaut de dignité et de survie, imaginent plusieurs stratégies susceptibles de mieux défendre leurs intérêts économiques, politiques et culturels. C’est ainsi que, dans le domaine éducatif par exemple, l’utilisation des langues nationales et le recours à des concepts du milieu permettent de mieux décrire les « modes de vie » et d’identi- fier les « repères culturels » connus de l’apprenant. L’objectif étant de développer ses compétences culturelles, de le réconcilier avec lui-même, avec l’école et le milieu, tout en faisant de lui, dans la perspective d’une éducation interculturelle, un citoyen conscient de sa spécificité et respectueux de celle d’autrui. C’est là un des nouveaux défis qui se posent aux systèmes éducatifs africains en mal d’existence depuis les « soleils des indépendances » pour paraphraser le titre de l’emblématique roman de l’écrivain ivoirien Amadou Kourouma.

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LE RÔLE DE LA LITTÉRATURE

DANS L’ENSEIGNEMENT

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