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faculté d’enseignement primaire, département des sciences humaines Résumé : Le point de vue qui est avant tout défendu dans cet article est qu’une

3. L’APPRENTISSAGE CENTRÉ SUR LE LECTEUR

Etant donné notre objectif, nous ne nous intéresserons pas à l’aspect socio- historique du poème ni au contexte de sa composition13. De plus, cet extrait peut être présenté sans référence à un milieu historique ou social. Bien entendu, à l’occasion d’un autre cours, le maitre pourrait aborder ces aspects du poème. Rappelons que chaque étude d’un texte littéraire constitue un vécu unique doté d’une certaine autonomie, ancrée dans le temps et le contexte, incluant de multi- ples éléments tels la composition et les centres d’intérêt de la classe, sa perti- nence par rapport à d’autres sujets abordés en cours et à d’autres évènements du moment.

Aujourd’hui, l’enseignement de la littérature est sous la forte influence des théories de la « réponse du lecteur ». Ces théories se sont construites en réaction aux travaux de la nouvelle critique qui pensait pouvoir établir la littérature comme un objet d’art à investiguer. Les théoriciens de la réponse du lecteur prennent

11. ibid., p. 226-227

12. Edmund Keely, «Seferis’ Elpenor: A Man of No Fortune» (Elpénor de Seferis : Un homme sans fortune), The Kenyon Review, Summer 1966, p. 380.

13. Mythologie est en rapport étroit avec l’histoire de la Grèce moderne et le climat psycho- logique créé par le désastre de l’Asie mineure avec le déracinement des Grecs des îles ioniennes.

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en compte les éléments humains, présents dans le dialogue texte-lecteur. Lire devient, de ce fait, une activité de création et non de simple réception, qui implique que le lecteur crée du sens (et ne se contente pas de l’extraire) : « les œuvres littéraires n’ont de qualités que celles qui prennent forme dans nos esprits »14. L’apprentissage centré sur le lecteur pointe le rôle premier du lecteur dans la tran- saction avec le texte. La mission des enseignants consiste à amener les enfants au cœur des œuvres d’art à la recherche d’une expérience très personnelle qui créera l’émotion et encouragera la réflexion. Pendant la lecture, ils attendent des enfants l’évocation de leurs propres réactions et non l’examen intense, dénué de toute passion, du texte.

De cette manière, les élèves devraient découvrir les multiples possibilités du processus de la lecture à travers leurs réactions personnelles, l’expression de leurs sentiments, le souvenir d’autres textes rencontrés dans leurs lectures précédentes, l’activation de leur imagination dans l’exploration des images du texte. Le principal objectif de l’apprentissage centré sur le lecteur, tel que nous le présentons, est l’implication personnelle et la participation totale de l’élève dans les potentialités du texte. D’après Rosenblatt, « toute sensibilité à la littéra- ture, toute participation chaleureuse et agréable à l’œuvre littéraire, impliqueront nécessairement une réceptivité sensuelle et émotionnelle, les affinités humaines du lecteur. »15

Passons maintenant à la description du cours sur le poème de Séféris. Avant la lecture du poème les élèves peuvent faire un exercice à trous16. On leur demande d’émettre des hypothèses concernant les mots omis afin de trouver la meilleure adéquation au texte.

Trois rochers, quelques pins __________, un __________. Un peu plus haut

__________ le même paysage :

Trois rochers en forme de __________, __________, Quelques pins __________ __________ et __________, Une maisonnette carrée __________ dans la __________

Cet exercice stimule les élèves et les prépare à la lecture. Ils comprennent, interprètent et recréent l’oeuvre selon le contexte. Ils créent leur « propre poème » selon leurs capacités, pensées et sentiments. Le maitre facilite discrètement le processus, sans intervenir, sans imposer ses idées ou ses opinions. Une discus-

14. Walter Slatoff, With Respect to Readers: Dimensions of Literary Response, Ithaca :

Cornell University Press 1970, p. 23.

15. Louise M. Rosenblatt, Literature as Exploration (La littérature, forme d’exploration), New York: The Modern Language Association of America, 1983, p. 52.

16. Cette activité est ancrée dans la théorie de l’indétermination d’Iser et dans le concept des espaces d’indétermination. Le lecteur interagit avec le texte dans sa tentative d’en combler les indéterminations. Voir Wolfgang Iser, The Act of Reading : A Theory of

Aesthetic Response (L’acte de lire, théorie de la réaction ésthétique), Baltimore : The

John Hopkins University Press, 1978.

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sion s’ensuit où les élèves justifient leurs choix ce qui permet de cerner, jusqu’à un certain point, l’étendue de leurs attentes17. L’observation des réponses à cet exer- cice à trous démontre que les élèves privilégient les mots à signification optimiste, à connotation heureuse, créant ainsi dans leur imaginaire l’image d’un paysage ensoleillé et lumineux, d’une île verdoyante, d’un ciel bleu rayonnant. Par la suite, le texte du poème démentira les attentes du lecteur. Un paysage de l’archipel grec n’est pas nécessairement baigné de lumière, le petit bâtiment carré peut ne pas être un abri paisible et frais. Ensuite, le poème original est présenté et lu. La classe discute des choix de l’auteur. Quelles sont les différences entre les choix du poète et ceux des lecteurs ? Quelles couleurs préfère le poète ? Quels senti- ments sont évoqués par le poème et pourquoi ? Quels mots ou groupes de mots nous frappent et pourquoi ? Peut-être le texte nous rappelle-t-il une autre œuvre, poème, texte, chanson, tableau, image… On peut aussi, avant la discussion en classe, inciter les élèves à rédiger librement quelques notes18. Pendant la lecture silencieuse, ils prennent note de diverses pensées et idées qui leur viennent, ils soulignent les expressions frappantes ou difficiles, etc. De cette façon on solli- cite une réaction individuelle avant le partage collectif des expériences. Ensuite, en binômes ou en petits groupes, les élèves choisissent une activité parmi les suivantes :

– Faire un dessin inspiré du poème.

– Illustrer le poème à l’aide de tableaux ou de photos (tirés de magazines ou d’autres supports fournis par le maître).

– Écriture créative.

– Lire à haute voix et enregistrer le poème.

– Rechercher d’autres poèmes sur le paysage afin de faire une anthologie. – Faire des recherches sur Séféris, homme et poète.

– Lire et discuter en groupe des textes « parallèles », c’est-à-dire abordant un thème semblable : par exemple dans les œuvres d’autres poètes comme Palamas, Elytis, Ritsos, ou même dans d’autres oeuvres de Séféris. Les extraits suivants pourraient convenir :

(…) Le bleu éclatant de la mer le matin, du ciel sans nuages Le rivage jaune, magnifique,

Inondé de lumière (…) (C.P. Cavafy)

Les oliviers avec les rides de nos pères Les rochers avec la sagesse de nos pères(…) (G. Séféris, Mythologie XVII)19

17. H.R. Jauss, Toward an Aesthetic of Reception (Vers une ésthétique de la réception),

traduit en anglais par T. Bahti, Minnesota, University of Minnesota Press, 1982. 18. Voir Michael Benton et al., Young Readers Responding to Poems (La réaction de jeunes

lecteurs aux poèmes), London et New York: Routledge 1988.

19. Georges Seferis, Poèmes 1933-1955, traduit par Jacques Lacarrière et Egérie Mavraki,

Paris : Gallimard 2002. Cette traduction p. 35.

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La lecture de textes « parallèles » est une occasion unique pour l’enseignant d’élargir le monde littéraire des élèves, de leur présenter de nouveaux auteurs, de leur faire rencontrer d’autres formes littéraires. Les élèves lisent et comparent le poème aux autres œuvres et le placent dans une collection plus large d’exemples et de renvois. Ainsi, par ce processus de lecture comparative, ils enrichissent leurs réactions tout en se rendant compte du dialogue sous-jacent entre les textes. Les extraits ne se bornent pas à la description du paysage ; ils traduisent le rapport entre l’objet et la nature ; ils expriment des attitudes et des visions de la scène issues du passé, du présent et du futur.

Les élèves partagent les idées inspirées par cette lecture entre eux et avec le maître. Ils peuvent également réagir à travers l’écriture créative de poésie ou de prose en réutilisant des mots et expressions de ces textes « parallèles ». Leur « réponse » aux textes parallèles est en général intuitive, mais ils parviennent avec constance à se créer des images dans leur tête et à relier ce qu’ils lisent à leurs propres existences.

Bon nombre des activités décrites nécessitent une bibliothèque de classe ou d’école et l’accès à d’autres ressources appropriées. Le succès de cette approche dépend de la créativité, de l’adaptabilité et de la bonne préparation du maître. Le maître est responsable du choix et de la mise en place du matériel pour la classe : dossiers et textes « parallèles »20.

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