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Malines aux mains des princes territoriaux (1333-XV e siècle)

Dans le document LES AVOUERIES DES ÉGLISES LIÉGEOISES XI (Page 118-121)

DEUXIEME PARTIE – LA MENSE EPISCOPALE

III. Nivelle-sur-Meuse

5. Malines aux mains des princes territoriaux (1333-XV e siècle)

Dès lors, cherchant sans doute à confier Malines, sa seigneurie et son avouerie à une personne fiable et suffisamment puissante pour faire contrepoids aux visées brabançonnes, le prélat liégeois se tourne vers le comte de Flandres. Investi de Malines dès 1333, Louis de Nevers doit néanmoins jurer de ne jamais aliéner le domaine, de ne pas le séparer du comté de Flandres et surtout de ne pas le transférer au duc de Brabant ou à ses alliés621. Le roi de France Philippe VI (1328-1350) devra se conformer à un engagement similaire lorsqu‟il recevra Malines du même comte de Flandres, l‟année suivante622.

Par la suite, Malines retourna à Louis de Nevers et, pendant une dizaine d‟années, le prince-évêque put jouir d‟une relative tranquillité. Toutefois, en 1345, la situation se gâta subitement et l‟événement tant redouté se produisit : en dépit de ses promesses réitérées, le comte de Flandres décida de vendre Malines et les droits qu‟il y détenait au duc de Brabant. Cette violation du contrat féodal suscita évidemment les récriminations de l‟évêque et du chapitre cathédral, sans toutefois produire d‟effet.

Pire, dans le même temps, Louis de Nevers avait tenté de faire avaliser l‟aliénation de la ville par l‟Eglise, en s‟adressant aux évêques de Paris et de Laon afin d‟être relevé de son serment de ne pas séparer Malines du comté de Flandres. Ceux-ci ayant rendu une décision en sa faveur, l‟évêque de Liège et le chapitre de Saint-Lambert firent appel, par le truchement de leur fondé de pouvoir, Jean de Remis (9 avril 1346). Ici encore, les efforts liégeois se révèleront infructueux623. Le litige sera finalement porté devant le pape Clément VI qui accordera la dispense au comte de Flandres, le 29 juin 1346624.

Malines et son avouerie changeaient donc une nouvelle fois de propriétaire. Peut-être est-ce d‟ailleurs à ce moment que l‟office fut dévolu à un certain Jean, seigneur de Rotselaar, homme de fief du Brabant, que Verkooren mentionne comme avoué de Malines625.

621 La vente eut lieu aux environs du 28 juin 1333 et comprenait, outre Malines, les droits de l‟évêque sur les terres de Grammont et de Bornhem. L‟évêque et le chapitre décidèrent d‟en employer le montant, qui s‟élevait à 100.000 livres tournois, pour l‟acquisition d‟autres héritages ou revenus, le dégagement des biens de la mense épiscopale ainsi que pour la réparation ou la reconstruction de forteresses. Le 7 septembre 1333, le comte de Flandre avait déjà versé un acompte de 18.000 livres. La dernière tranche du paiement sera perçue le 12 mai 1337. Cf. CSL, t.3, n°MCLIV, p.417-420 ; n°MCLV, p.421-422 ; n°MCLVII, p.425-426 ; n°MCLXI, p.428-429 ; n°MCLXII, p.432 ; n°MCLXIII, p.431-432 ; n°MCLXIV, p.432-433 ; n°MCLXVIII, p.436; n°MCCXII, p.510-511.

622 Acte donné à Amiens, le 18 août 1334. CSL, t.3, n°MCLXXIX, p.448-449.

623 Cf. J.G. SCHOONBROODT, n°645, p.187-188 et n°646, p.188.

624 CSL, t.4, n°MCCCXII, p.40-43.

625 A. VERKOOREN, op.cit., t.2. Jean de Rotselaar est cité aux p.51 (31 mars 1356) et 62 (8 mai 1342), mais il n‟est pas qualifié d‟avoué de Malines. Ce n‟est que dans l‟index que l‟auteur lui donne ce titre.

Il fallut attendre la mort du duc Jean III (5 décembre 1355) pour qu‟un changement se profile à l‟horizon. Tandis que le duché de Brabant était dévolu à Jeanne (1322-1406), l‟héritage malinois fut revendiqué par le comte de Flandres, Louis de Mâle, époux de Marguerite, seconde fille du défunt duc. Toutefois, contrairement à son prédécesseur, Louis de Mâle (1330-1384) était tout disposé à devenir le vassal de l‟évêque et à régler avec lui les questions en suspens, notamment celle de la vente illégale de la ville dont le prix n‟avait jamais été versé au prélat.

Dans ce but, le 20 mars 1356, il donna pleins pouvoirs au chevalier Olivier de Poucques et à son chancelier, maître Sohier de le Beke, pour faire valoir ses droits sur la ville et sur l‟avouerie devant Englebert de La Marck626. Moins d‟un mois plus tard, le 13 avril, le comte était personnellement présent à Liège pour procéder au relief. Outre Malines et son avouerie, Louis de Mâle releva Grammont et Bornem ainsi que leurs dépendances, le tout formant un seul et unique fief, indivisible et lié au titre de comte de Flandres627.

Ce retour de Malines dans l‟orbite flamande était loin de satisfaire le duc de Brabant, Venceslas Ier de Luxembourg (1355-1383), époux de Jeanne. Celui-ci considérait la vente comme nulle, car ayant eut lieu sans son consentement, et prétendait en outre à la haute avouerie sur la ville, comme c‟était le cas pour tous les biens ecclésiastiques situés dans ses domaines628. La question malinoise fut d‟ailleurs l‟une des causes de la guerre contre Louis de Mâle qui éclata peu après. Le litige sera finalement tranché par arbitrage le 4 juin 1357 avec retour au statu quo ante bellum629.

Louis de Mâle conserva donc l‟avouerie et la seigneurie de Malines en tant que vassal de l‟évêque de Liège, jusqu‟à sa mort en janvier 1384. Comme on le sait, la disparition du comte de Flandres s‟avèrera lourde de conséquences sur l‟échiquier européen, le mariage de sa fille unique, Marguerite, avec Philippe le Hardi (1369) constituant un élément clé de la puissance des grands ducs d‟Occident. L‟hommage dû à l‟évêque de Liège pour Malines se maintint jusque sous Philippe le Bon, qui fit relief le 3 juin 1421. Par la suite, son fils et successeur, Charles le Téméraire (1467-1477), s‟en dispensa.

En réalité, les ducs de Bourgogne inféodèrent l‟avouerie, la seigneurie et d‟autres droits sur les localités avoisinantes aux comtes de Hainaut. Peut-être cette inféodation eut-elle lieu dès la fin du XIVe siècle, sous le comte de Hainaut Albert Ier de Bavière (1389-1404). Elle était en tout cas bien attestée sous son fils et successeur, Guillaume IV (1404-1417)630. Après quoi nous perdons la trace de l‟avouerie. Sans doute faut-il voir ici une conséquence de l‟extinction de la maison de Hainaut et de la cession de son patrimoine au duc Philippe le Bon par la comtesse Jacqueline de Bavière en 1433. Quoi qu‟il en soit, à cette époque, la situation à

626 A. VERKOOREN, op.cit., t.2, p.87.

627 CSL, t.4, n°MCCCCLIX, p.226-229 et MCCCCLX, p.230-231.

628 E. PONCELET, L’avouerie de la cité de Liège, B.S.A.H.D.L., t.23, Liège, 1931, p.161 ; EDMOND DE DYNTER, Chronique des ducs de Brabant, éd. P. F. X. DE RAM, t.2, Bruxelles, 1854, p.658.

629 E. PONCELET, Les feudataires de la Principauté de Liège sous Englebert de la Marck, Bruxelles, 1948, p.5-7.

Il s‟agit de la paix d‟Ath qui confirma entre autres l‟attribution de Malines à Louis de Mâle. H.VANDER LINDEN, art. Wenceslas Ier, Biographie nationale, t.27, Bruxelles, 1938, col. 169-178.

630 Un acte non daté mentionne en effet que Guillaume IV tenait du duc de Bourgogne l‟avouerie et la seigneurie de Malines ainsi que divers droits dans les localités de Neckerspool, Mielant et le Heyde, ainsi que la justice à Heure, à Masnies, à Hest, à Heffen et à Hombeek. En cas de guerre, il était par ailleurs dans l‟obligation de conduire les habitants de Malines et de ces différentes localités Ŕ sauf Neckerspool et Mielant Ŕ au secours du duc. Cf. J.G. SCHOONBROODT, op.cit., n°996, p.312.

Malines avait considérablement évolué et son statut de terre d‟Eglise n‟était plus que théorique.

V. Ans

L‟histoire de l‟avouerie d‟Ans631 s‟inscrit dans une courte durée puisque les sources ne nous livrent le premier nom d‟un avoué qu‟en 1235, soit seulement une décennie avant la donation de l‟office à l‟évêque de Liège. Rien n‟exclut cependant que l‟avouerie existait alors depuis déjà un certain temps. Le domaine d‟Ans comptait effectivement parmi les très anciennes possessions de l‟Eglise de Liège. Il semblerait que son origine remonte au moins au haut Moyen Age. Quant à la date de son passage sous l‟autorité des évêques de Tongres-Maastricht, il conviendrait de la situer aux VIIe-VIIIe siècles, c‟est-à-dire vers la même époque que la Cité de Liège. Par la suite, aux environs de l‟an 1000, lors de la réorganisation de l‟Eglise liégeoise, Ans fut intégré à la mense épiscopale. Un siècle plus tard (1112), l‟évêque y possédait une curtis ainsi qu‟une étendue considérable de terres. A ce moment, on y trouvait déjà une paroisse avec une église dédiée à saint Martin ainsi qu‟une tour seigneuriale632. Cette dernière, aujourd‟hui disparue, mérite brièvement notre attention dans la mesure où il s‟agissait peut-être de la résidence de l‟avoué. En effet, jusqu‟à preuve du contraire, la seigneurie d‟Ans n‟a jamais été inféodée. La tour en question présentait de nettes similitudes avec celle de la collégiale Saint-Denis à Liège, qui date de 987633. En outre, il n‟est pas interdit de penser que l‟église paroissiale tirait son origine d‟une chapelle dépendant de la tour.

Les avoués auxquels fut confiée la protection du domaine d‟Ans étaient certainement originaires des lieux, sinon des proches environs. Ils appartenaient au lignage d‟Ans ou de Marlières. Le premier d‟entre eux se nommait Henri de Marlières ( avant 1221)634. Il transmit ses fonctions à son fils, Eustache635, qui apparaît à compter de 1235. Le 2 janvier 1239, ce dernier décida, conjointement avec son frère Jean, de faire donation à l‟abbaye du Val-Saint-Lambert d‟un fief de 12 bonniers qu‟il tenait de l‟évêqueà Ans et à Bolsée636. La renonciation se déroula en présence des vassaux épiscopaux et du prévôt de Saint-Lambert, Henri de Beaumont, qui assumait alors l‟administration de l‟évêché du fait de la mort de Jean d‟Eppes (1er avril 1238)637. Eustache finit par prendre l‟habit au Val-Saint-Lambert avant 1242.

En ce qui concerne le successeur d‟Eustache, un certain Jacques, nous n‟en savons guère plus.

Il n‟est même pas prouvé qu‟il s‟agissait de son fils. De toute manière, cet avoué ne conserva sa charge que brièvement. C‟est en effet de son temps qu‟eut lieu la renonciation au profit de

631 Province de Liège, arrondissement de Liège.

632 B.I.A.L., t.74, 1960-1961, p.82-84. La localité d‟Ans est de nouveau mentionnée dans le diplôme par lequel Frédéric Barberousse confirma les possessions de l‟Eglise de Liège (1155). Cf. CSL, t.1, n°XLVI, p.76-80 ; Die Urkunden Friedrichs I., éd. H. APPELT, MGH, DD, t.1, Hanovre, 1975, n°123, p.206-208. Cf. aussi R. COLETTE, A. LAFOSSE, D. LEGRU, J.-L. MAQUET, R. QUARRE, Histoire de la commune d’Ans : Alleur-Ans-Loncin-Xhendremael, Liège, 1981, p.47.

633 Cf. L. DE JAER, La plus vieille construction du village d’Ans : La tour d’Ans, dans C.A.P.L., t.33, Liège, 1942.

634 J. CUVELIER, Archives du Val-Benoît..., op.cit., Bruxelles, 1906, p.23 et 31.

635 R. COLETTE et al., Ibidem. Cf. également F. GRANVILLE, Histoire d’Ans et Glain, des origines à 1789, B.I.A.L., t.74, 1961, p.84.

636 Localité située dans les environs immédiats d‟Ans.

637 J.G. SCHOONBROODT, Chartes du Val-Saint-Lambert..., op.cit., t.1, n°165, p.59-60.

l‟évêque. Le 15 janvier 1246, Robert de Thourotte donna un acte par lequel il notifiait le transfert, en même temps que celui d‟un fief de 6 bonniers que Jacques tenait également de lui. A la différence, toutefois, que ce fief n‟allait pas au prélat mais à l‟abbaye du Val-Saint-Lambert dont il devenait la propriété allodiale638. Cependant, ce sont incontestablement les mesures prises pour l‟avenir qui constituent l‟élément le plus remarquable de ce document.

Ainsi stipule-t-il que l‟avouerie d‟Ans doit dorénavant demeurer dans le domaine épiscopal de Liège, ce à titre perpétuel. Elle ne pourra dès lors plus être inféodée ni aliénée. Concrètement, cela correspondait à une suppression de l‟office, du moins dans la forme qu‟il avait revêtue jusqu‟alors.

L‟intérêt de cette reprise en main par l‟évêque de Liège est relativement évident. En devenant avoué de son propre domaine, il y récupérait l‟ensemble de l‟autorité. Reste à examiner les raisons ayant motivé ce transfert. Les informations manquent pour déterminer s‟il résulte d‟un acte volontaire de la part de l‟avoué ou si ce dernier y a en quelque sorte été « poussé » par l‟évêque. Car il semblerait que la reprise en main de l‟avouerie s‟inscrive dans une politique de démantèlement du pouvoir féodal à Ans et ses environs. Ainsi, au cours des XIIIe et XIVe siècles, on constate que les deux grands fiefs que constituaient les domaines d‟Ans et de Bolsée se trouvent morcelés et concédés à une multitude de feudataires. De la sorte, ils ne présentaient plus de menace pour l‟autorité épiscopale. D‟importants lots de terre furent par ailleurs cédés au Val-Saint-Lambert. Quant à la tour d‟Ans, elle fut finalement transformée en exploitation agricole639. Il est donc très vraisemblable que tous ces changements survenant en l‟espace de quelques décennies ne sont pas le fruit du hasard. L‟évêque de Liège recherchait manifestement un contrôle sans partage, ce qui, à vrai dire, s‟avérait essentiel : un domaine situé sur les hauteurs mêmes de la Cité de Liège, au croisement de voies de communications importantes, et défendu par une tour fortifiée ne devait en aucun cas se trouver aux mains d‟un lignage trop puissant ou pire encore dans celles d‟un ennemi de l‟évêché640.

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