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Les avoués de Saint-Lambert : XI e -XII e siècles

Dans le document LES AVOUERIES DES ÉGLISES LIÉGEOISES XI (Page 35-38)

PREMIERE PARTIE – LA MENSE CAPITULAIRE

I. L’avouerie de Hesbaye

2. Les avoués de Saint-Lambert : XI e -XII e siècles

Avec l‟avoué Wiger, nous entrons dans une période où les données concrètes se font un peu plus abondantes. C‟est peut-être déjà lui que nous rencontrons en l‟an 1015, comme témoin d‟une charte de l‟évêque Baldéric concernant la donation d‟un alleu sis à Hanret47 au profit de l‟abbaye de Saint-Jacques48. Par la suite, nous le voyons régulièrement apparaître dans des actes s‟échelonnant entre 1029 et 1054.

Parmi ces documents, on citera notamment les célèbres chartes de l‟évêque Réginard au profit de l‟abbaye de Saint-Laurent dont l‟avoué de l‟Eglise de Liège fut, dès le départ, le protecteur attitré49. Par exemple, vers 1025-103450 lorsque Réginard met Saint-Laurent en possession de l‟église d‟Oteppe51, la donation se fait per manum Wigeri advocati52. On trouve en outre mention de Wiger dans trois autres actes, tous datés du 3 novembre 103453 et qui font partie des faux les mieux connus dans l‟histoire de nos régions.

C‟est en 1029 que Wiger apparaît pour la première fois investi du titre d‟avoué de Saint-Lambert. L‟appellation semble a priori très claire : Wiger serait l‟avoué pour les domaines de la cathédrale Saint-Lambert. Toutefois, la situation est plus complexe qu‟il n‟y paraît. Dès l‟époque qui nous intéresse, le ressort de notre avouerie s‟étend à plusieurs domaines de

45 C. GODEFROID, L’avouerie de la cathédrale Saint-Lambert de Liège, dite avouerie de Hesbaye, du Xe au milieu du XIVe siècle, Le Moyen Age, t.81, p.373.

46 J.L. KUPPER, op. cit., p.435. Il n‟est pas impossible qu‟une mense capitulaire de Saint-Lambert existait déjà au moment de la réorganisation notgérienne et ce depuis la fin du IXe siècle. Cf. à ce sujet, A.WILKIN, Les biens de la cathédrale Saint-Lambert…, op.cit., p.123-127.

47 Province de Namur, arrondissement de Namur.

48 C.G. ROLAND, Chartes namuroises inédites, seconde série, A.S.A.N., t.27, 1908, p.223-225 Ŕ A. MARCHANDISSE, L’obituaire de la cathédrale Saint-Lambert de Liège (XIe-XVe siècles), Bruxelles, 1991, p.135.

49 Pour davantage de détails à ce sujet, nous renvoyons le lecteur au chapitre consacré aux avoueries de Saint-Laurent, plus en avant dans ce présent travail.

50 MIRAEUS &J.F.FOPPENS, Opera diplomatica, t.2, Louvain, 1723, p.809-810.

51 Province de Liège, arrondissement de Huy.

52 P.BONENFANT, Les chartes de Réginard, évêque de Liège, pour l’abbaye de Saint-Laurent. Etude critique, B.C.R.H., t.105, 1940, p.306-366.

53 Ibidem, p.345-348, 348-350, 350-352.

Saint-Laurent et l‟on verra ultérieurement qu‟elle concernait encore d‟autres territoires. Le titre d‟avoué de Saint-Lambert semble donc faire référence à la part la plus prestigieuse Ŕ mais non à la totalité Ŕ du territoire confié à la protection de l‟avoué.

Le fils de Wiger, Renier Ier, succède à son père comme avoué à partir de 1055, ce qui prouve le caractère héréditaire de la charge54. C‟est d‟ailleurs de cette manière que l‟office se transmettra dans la plupart des cas jusqu‟à l‟Epoque moderne55. Quant au fils de Renier, il porte le même prénom que son père et se rencontre dans les sources en tant qu‟avoué de Saint-Lambert entre 1082 et 1112-112056.

Parmi les documents importants mentionnant Renier II, on citera un diplôme de 1084, par lequel l‟abbaye de Saint-Jacques lui concède l‟avouerie de Donceel57 et règle ses droits dans ce domaine. Il s‟agit en réalité d‟un document faux que les moines ont sans doute fabriqué suite aux déprédations de l‟avoué héréditaire de l‟abbaye, le comte Arnould de Looz. En agissant de la sorte, ceux-ci cherchaient à prouver que l‟avoué usurpateur n‟avait aucun droit sur le domaine en question. Un autre diplôme, en date de 1088, confirme d‟ailleurs que c‟est bien Arnould et non Renier qui était en charge de l‟avouerie de Donceel58.

En 1098, lorsqu‟un dénommé Evrard concède à l‟hospice de Flône59 les biens qu‟il possédait à Rosoux60, la donation s‟opère per manum advocati Reineri. Il apparaît donc que l‟avoué de Saint-Lambert assurait également la protection de l‟abbaye de Flône. Un document postérieur, daté de 1102 et faisant état d‟une autre donation61, nous le confirme. Renier y est effectivement intitulé avoué de l‟église de Flône et figure parmi les témoins62. Il n‟est pas impossible que cette situation trouve ses origines dans la fondation même de l‟abbaye. Ainsi, comme l‟a fait remarquer C. Godefroid, Flône fut fondée par trois laïcs, Raoul, Folcuin et Lambert, tous originaires de Hesbaye63, une région où notre avoué exercera plus tard Ŕ et exerce sans doute déjà Ŕ une influence considérable64.

Deux citations, datant respectivement de 1101 et 1120, s‟avèrent fort intéressantes en ce qui concerne la fonction militaire de l‟avoué de Saint-Lambert. Dans la première, un diplôme du roi Henri IV65, Renier figure dans la rubrique relative aux milices liégeoises (Leodiensis militia), laissant soupçonner un rôle dans ce domaine, même s‟il semble encore prématuré d‟évoquer un commandement, qui ne sera attesté avec certitude que quarante ans plus tard.

Quant à la deuxième citation, dans les Gesta abbatum Trudonensium, elle constitue la preuve la plus ancienne de l‟existence de la bannière de Saint-Lambert, que Renier est chargé de

54 Analectes pour servir à l’histoire ecclésiastique de la Belgique, t.2, LouvainŔBruxelles, 1865, p.6. Renier y est mentionné en compagnie de son frère, Libert Ŕ G.KURTH, Notger de Liège, t.1, Paris-Bruxelles-Liège, 1905, p.205.

55 Peut-être en était-il ainsi depuis les origines, mais le manque de documentation nous interdit de l‟affirmer.

56 C.GODEFROID, op.cit., p.374.

57 Province de Liège, arrondissement de Borgworm.

58 J.STIENNON, Etude sur le chartrier et le domaine de l’abbaye de Saint-Jacques de Liège (1015-1209), Paris, 1951, p.264-265 et 436.

59 Commune d‟Amay, province de Liège, arrondissement de Huy.

60 Entité de Berloz, province de Liège, arrondissement de Waremme.

61 Il s‟agit de la donation au monastère, par une certaine Elimodis et de son fils Jean, de terres allodiales et féodales sises à Hermalle, Hottine, Ombret, Villers et Borsut.

62 M.EVRARD, Documents relatifs à l’abbaye de Flône, Louvain, 1894, n°3 et 4, p.14-15 et 15-16.

63 Monasticon, t.2, Liège, 1962, p.261.

64 C.GODEFROID, op. cit., p.381.

65 D. VON GLADISS, Die Urkunden Heinrichs IV, t.2, Weimar, 1959, n°470a, p.639.

porter, ce qui lui vaut le titre de signifer66, c‟est-à-dire de porte-étendard67. Nous reviendrons en détail dans les pages qui suivent sur l‟importance de cet étendard dans l‟univers militaire liégeois au Moyen Age.

L‟apparition de l‟avoué de Saint-Lambert dans les sources relatives à l‟abbaye de Saint-Trond n‟est pas anodine et mérite d‟être replacée dans le contexte des événements touchant cet établissement religieux, mais aussi le pays de Liège dans son ensemble. Nous nous situons en effet durant la crise de succession qui suit la mort de l‟évêque Otbert (31 janvier 1119). Liée à la Querelle des Investitures, qui sévit depuis maintenant plusieurs décennies, cette crise se traduit par l‟affrontement de deux camps : les partisans de Frédéric de Namur, candidat pontifical, consacré évêque de Liège à Reims, et ceux de l‟archidiacre Alexandre, candidat de l‟empereur Henri V (1111-1125). Dans cette lutte pour le siège épiscopal, Frédéric de Namur reçut entre autres le soutien de l‟abbé de Saint-Trond, Rodolphe (1108-1138). Quant à l‟archidiacre Alexandre, il comptait parmi ses partisans le redoutable avoué de Saint-Trond, le comte Gislebert II de Duras (1088-1136), mais aussi notre avoué de Saint-Lambert, Renier II.

Il semble même que ce dernier entraînait dans son sillage presque toute la familia de Saint-Lambert avec ses forces militaires68.

Par ailleurs, il semble que Renier fut en conflit avec l‟abbé de Saint-Trond pour des raisons territoriales. Ainsi apprend-on vers 112869 que l‟avoué de Saint-Lambert s‟était emparé d‟un manse détenu librement par le mayeur de Saint-Trond à Borlo pour l‟intégrer à son propre alleu70. Peut-être faut-il également voir l‟avoué de Saint-Lambert dans le seigneur Renier, avoué, qui, de concert avec des gens de Kortenaken, s‟empara de plus de 30 manses dans le domaine de Halle71, autre appartenance de l‟abbaye de Saint-Trond72.

A vrai dire, il ne s‟agissait pas des premiers abus de ce type que l‟on puisse reprocher à Renier. Plus d‟une décennie auparavant, déjà, notre avoué avait connu des démêlés juridiques avec le chapitre de Saint-Lambert au sujet des localités de Landen, Nodrenge73 et Hallet dont il74 était avoué. Ils donnèrent lieu à la rédaction du plus ancien règlement d‟avouerie concernant les possessions du chapitre cathédral (1116). La nature des faits reprochés à

66 RODOLPHE,Gesta abbatum Trudonensium, éd. C. DE BORMAN, t.1, Liège, 1877, p.193.

67 J.F. NIERMEYER, Mediae latinitatis lexicon minus, LeydeŔNew YorkŔCologne, 1997, p.970.

68 J.L. KUPPER, Liège et l’Eglise impériale, op.cit., p.146-154 et 232.

69 Ces informations proviennent de la longue lettre que l‟abbé Rodolphe écrivit dans l‟intention d‟obtenir l‟appui de l‟évêque de Metz contre Gislebert de Duras, avoué de l‟abbaye de Saint-Trond. Ce document ne brille pas par son objectivité et reflète une tendance manifeste à l‟exagération. Cf. notamment à ce sujet C.DUPONT, Violence et avouerie au XIe et au début du XIIe siècle en Basse-Lotharingie..., op.cit., p.115-128. Nous renvoyons également le lecteur à la thèse de M. CLAUSS, Die Untervogtei..., op.cit. qui contient un chapitre consacré à l‟avouerie de l‟abbaye de Saint-Trond (p.77-90) ainsi qu‟au mémoire de licence de T.ZELLER, La maison de Duras..., Liège, 2007.

70 Rodolphe, Ibidem, p.270-271.

71 Halle-Booienhoven et Kortenaken, deux localités de la province de Brabant flamand, arrondissement de Louvain.

72 Ibidem, p.272.

73 C.S.L., t.1, n°XXXII, p.52-53. Landen : Province de Brabant flamand, arrondissement de Louvain ; Nodrenge : hameau du village de Marilles, province de Brabant wallon, arrondissement de Nivelles ; Grand-Hallet : province de Liège, arrondissement de Waremme.

74 A noter que G.DESPY,Les campagnes du roman pays de Brabant au Moyen Age,p.11,considère ce Renier comme un membre du lignage de Jauche, qui exercera l‟avouerie dans ces domaines à partir du siècle suivant (cf. infra). Cependant, aucun de Jauche portant ce prénom n‟a jamais été attesté dans d‟autres sources. Par ailleurs, les données chronologiques coïncident parfaitement avec Renier II, avoué de Saint-Lambert. Aussi, pouvons-nous considérer cette dernière identification comme pratiquement certaine. Cf. A.WILKIN, Les biens de la cathédrale Saint-Lambert..., op.cit., p.277-279 et surtout p.277, n.1369.

l‟avoué Renier demeure cependant imprécise, le document se contentant d‟indiquer qu‟il avait souvent tenté d‟usurper les droits de l‟Eglise à son profit. En conséquence, Renier dut comparaître devant l‟évêque Otbert (1091-1119) et sa cour. Il se vit reconnaître le droit au tiers des amendes dans les trois domaines précités en cas d‟utilisation de fausses mesures, d‟arrestation de voleurs, de coups et blessures ou d‟usurpation des terrains vagues communaux. De même en irait-il si les non-tenanciers vivant dans la seigneurie négligeaient de payer le cens ou d‟assister aux plaids. Enfin, il bénéficierait également du tiers du wergeld, c‟est-à-dire de l‟amende résultant de l‟écoulement du sang ou d‟un meurtre. Par contre, il ne pouvait aucunement exiger de précaires ni prétendre au droit de gîte à l‟occasion des plaids.

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