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2.1. L ES SOURCES DE LA THEORIE BERGSONIENNE

2.1.3. Métaphysique et psychologie de l’amour chez Spinoza Spinoza

2.1.3.1. La métaphysique spinoziste

2.1.3.1.1. Monisme et panthéisme.

Spinoza part d’une hypothèse générale, de laquelle il déduit tous les éléments de sa doctrine : Dieu ou la Nature est la substance infinie, indivisible, unique et éternelle,

73 RIQUIER C. (dir.), Bergson, Paris, Les Editions du Cerf, 2012, p. 302. 74 BERGSON H., La pensée et le mouvant, op. cit., p. 124.

la cause efficiente et première de toute essence et de toute existence. Il pose ainsi un monisme accentué par un panthéisme car, pour lui, toutes les choses participent à l’essence et à l’existence Dieu, du fait de la nécessité absolue qui découle de sa puis-sance ; en d’autres termes, « tout ce qui se fait se fait par les seules lois de la nature infinie de

Dieu et suit de la nécessité de son essence »76. Dès lors qu’il pense la nature comme détermi-née par la nécessité, la notion de liberté revêt un autre sens chez lui. Dans le spino-zisme en effet la liberté se comprend comme une contrainte de la perfection de Dieu, de laquelle découle l’infinité des choses, puisqu’il reste immanent à tous les attributs et choses déterminées à exister et à opérer par lui. Comment le comprendre ?

Dans la conception spinoziste de Dieu, cet Étant infini possède essentiellement deux attributs immuables et éternels : la Pensée et l’Étendue. Rappelons au passage qu’en réunissant ces deux substances que Descartes opposait, Spinoza se débarrasse de son héritage cartésien. Toutefois, ce ne sont pas les seuls attributs divins, puisqu’il en possède une infinité qui nous échappe. À côté, les choses particulières représentent des affections de ses attributs. Dit de manière explicite, les âmes individuelles et les objets matériels sont autant de manifestations déterminées par Dieu, « des aspects de

l’Être divin », selon l’expression de Bertrand Russell77, que Spinoza appelle la Nature

naturée qu’il oppose à la Nature naturante, c’est-à-dire « ce qui est en soi et se conçoit par soi »78, Dieu.

Ce panthéisme spinoziste permet de tout expliquer à partir de Dieu, même la liberté humaine, et de rejeter le finalisme. Pour le philosophe néerlandais, c’est l’igno-rance qui engendre la confusion dans la connaissance et la négation de la liberté, parce que les hommes partent des causes finales pour expliquer la cause première, ce qui les égare. Pour éviter la confusion, il suffit d’inverser la démarche, tout en distinguant les deux facultés de connaissance existantes : l’imagination et l’intellect, la première opé-rant sur la matière et la seconde sur la substance. Selon lui, les hommes recourent à l’imagination pour expliquer les causes finales, ce qui donne naissance aux supersti-tions, parce qu’ils croient que tout dans la nature concourt à leur bien, même l’acte créateur de Dieu, or celui-ci crée en vue de lui-même.

En outre, Spinoza voit dans cette superstition l’origine des autorités sociales et religieuses qui, soutient-il, se maintiennent tant que les hommes croient à leur fiction, mais « une fois supprimée l’ignorance, l’admiration stupide, c’est-à-dire le seul moyen d’argumenter

et de maintenir leur autorité, est supprimée »79. Pour l’auteur de L’éthique, il ne fait aucun doute que les hommes prennent l’imagination pour l’intellect, confusion qui les pousse à prendre les superstitions pour la réalité. Or, cette dernière ne peut être saisie

76 SPINOZA B. de, Éthique, traduit par Bernard PAUTRAT, 4e éd., Paris, Editions du Seuil, 2014, p. 45.

77 Cf. RUSSELL B., Histoire de la philosophie occidentale: en relation avec les

événements politiques de l’Antiquité jusqu’à nos jours, Paris, Les Belles lettres, 2011,

p. 655.

78 SPINOZA B. de, Éthique, op. cit., p. 69. 79 Ibid., p. 91.

que par l’intuition. C’est là, aux yeux de Bergson, le grand apport spinoziste pour la métaphysique.

2.1.3.1.2. L’intuition : un pont entre l’esprit humain et Dieu

Au premier abord de sa pensée, force est de constater que par l’intuition, Spinoza tente de réunifier la nature que la science de son époque fragmentait. C’est ainsi que, pour lui, le philosopher80 commence par la contemplation de la nature divine, la cause première et par conséquent fondement de toute connaissance, raison pour laquelle seul l’intellect divin possède une connaissance parfaite. À l’opposé, l’esprit humain, en tant que partie de cet intellect divin, ne possède qu’une perception partielle de la réalité. Dans son approche des objets, il s’appuie plus sur les souvenirs stockés dans la mémoire qu’il projette vers le passé ou vers le futur, se servant ainsi du principe de causalité pour déduire leur état présent. Une telle connaissance, remarque Spinoza, entachée d’imagination et tournée vers l’extérieur reste confuse et mutilée. La vraie connaissance, au contraire, se rapporte à Dieu. D’où la nécessité pour l’homme de coïncider avec Dieu.

Dans la relation de l’esprit à Dieu, Spinoza introduit la notion de durée qui, faut-il le rappeler, représente un des fondamentaux de la pensée bergsonienne. Les choses individuelles s’inscrivent dans la durée, puisqu’elles symbolisent des modes précis et déterminés de l’Étant divin dans le temps, ce qui explique que leur succession dans l’absolu correspond à l’unité divine. Ce qui confirme encore son panthéisme et son déterminisme, contre lesquels s’insurge Bergson. Ce dernier rejette le mécanisme spi-noziste et surtout sa conception de la durée qu’il ramène à une sorte d’éternité, étant donné qu’elle ne dépend pas de l’essence du corps, comme le confirme son assertion : « La durée de notre corps dépend de l’ordre commun de la nature et de la constitution des choses »81. Or cet ordre n’est autre que l’éternité de Dieu ; de ce fait, la pensée spinoziste ouvre l’existence à l’éternité, idée qu’explicite Bergson : « La durée indéfinie des choses tenait tout

entière dans un moment unique, qui est l’éternité »82.

Cette identité entre la durée et l’éternité dans le spinozisme fait de sa causalité un déterminisme difficilement conciliable avec la liberté humaine, ce que Bergson cri-tique83. Il voit dans la métaphysique spinoziste un déterminisme qu’il ne peut caution-ner, vu que sa causalité soumise à la nécessité absolue régissant la nature n’implique aucune création imprévisible de nouveauté ; ce qui le pousse à prendre ses distances d’avec ce grand philosophe qu’il estimait. Toutefois, il porte une attention particulière à sa conception de l’amour.

80 Cf. Ibid., p. 117.

81 Ibid., p. 161.

82 BERGSON H., Essai sur les données immédiates de la conscience, op. cit., p. 157. 83 Cf. Ibid.

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