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De l’évolution biologique à l’évolution spirituelle spirituelle

DE LA VIE A LA PHILOSOPHIE DE L’AMOUR

1.2. L’ EVOLUTION BERGSONIENNE DE LA VIE

1.2.2. L’évolution créatrice de la vie

1.2.2.3. De l’évolution biologique à l’évolution spirituelle spirituelle

1.2.2.3.1. L’évolution biologique de l’impulsion initiale à

l’homme

Fidèle à l’évolutionnisme, Bergson conçoit la vie comme un processus qui part de l’impulsion initiale, que l’on fait correspondre au Big-Bang, explosion qui a libéré une énergie déclenchant le processus. La notion bergsonienne de Vie renvoie aussi à cette énergie initiale qui cherche à s’accomplir dans l’univers. Ce processus commence avec l’insufflation de l’élan vital dans la matière inerte, ce qui donne naissance à la matière vivante à partir de laquelle sont créées les espèces dans un processus com-plexe, voire chaotique en apparence. De fait, face à la résistance de la matière, l’élan

vital est contraint de s’arrêter ou de dévier à plusieurs reprises. À cause des bifurcations

142 KISUKIDI N.Y., Bergson ou l’humanité créatrice, op. cit., p. 23. 143 BERGSON H., L’évolution créatrice, op. cit., p. 100.

144 WORMS F., Le vocabulaire de Bergson, Nouvelle édition., Paris, Ellipses, coll.« Vocabulaire de », 2013, p. 23.

et stationnements, le mouvement vital devient imprévisible. De là apparaît la première difficulté à en saisir les sens. Une seconde difficulté réside dans l’impossibilité de re-constituer intégralement l’évolution des espèces. L’on comprend dès lors que, malgré les efforts considérables de la paléontologie, sur laquelle s’appuie Bergson, il manque encore plusieurs maillons de la chaîne de la vie.

Malgré ces difficultés, nous pouvons retenir que les théories évolutionnistes sou-tiennent l’existence d’un long processus ininterrompu englobant toutes les formes de vie, des microparticules à l’homme, créant ainsi une chaîne de solidarité entre tous les éléments de l’univers. L’astrophysicien Trinh Xuan Than nous livre une belle synthèse de cet élan de vie :

« Nous sommes des poussières d’étoiles. Tous les atomes qui composent nos corps ont été

fabri-qués dans les étoiles, sauf l’hydrogène et l’hélium qui ont été faits dans le Big Bang. Nous partageons tous la même géologie cosmique, nous sommes les frères des bêtes sauvages et les cousins des coquelicots des champs. Tous interdépendants »145.

En somme, c’est le même courant qui traverse tous les êtres vivants. Certes, beaucoup d’entre eux ont disparu sans laisser de traces et d’autres se sont considéra-blement transformés au cours de l’histoire. Mais lorsqu’on reconstitue l’évolution des espèces, on retrouve les grandes étapes de la vie que retient la paléontologie : l’appa-rition du règne végétal, l’appal’appa-rition du règne animal et l’appal’appa-rition de l’humanité. Cette division tripartite de la vie nous la retrouvons dans la théorie évolutionniste de Bergson.

Ce dernier fait correspondre le début de la vie à l’émergence d’une énergie libérée de la matière inerte dans des conditions encore inexplicables par la science. En pro-gressant, cette énergie originelle s’est scindée en différentes directions. Ce qui con-firme l’idée de dissipation comme une des causes de la variation des espèces. À scruter de près, le passage de la matière inerte à la vie s’opère sous la forme de photosynthèse d’abord, puis de transmission de l’énergie produite par la plante à l’animal pour être consommée. Bergson explique :

« Cette énergie a été lentement, graduellement, empruntée au soleil par les plantes ; et l’animal

qui se nourrit d’une plante, ou d’un animal qui s’est nourri d’un animal d’une plante, ou d’un animal qui s’est nourri d’un animal qui s’est nourri d’une plante, etc., fait simplement passer dans son corps un explosif que la vie a fabriqué en emmagasinant de l’énergie solaire »146.

De là, se dessinent les deux principales fonctions de la vie, celle d’accumuler l’énergie et celle la dépenser, qui par ailleurs différencient le monde végétal et le monde animal. Le règne végétal exerce la première : l’accumulation de l’énergie, et le règne animal exerce la seconde fonction : la dépense d’énergie. L’auteur de L’évolution

créatrice explique brièvement le processus de cette énergie originelle entre l’impulsion

initiale, le règne végétal et le règne animal qu’il développe davantage, parce que sa définition de la vie trouve toute sa pertinence chez l’animal et chez l’homme. À ses

145 HENNING C., « Pélerin », op. cit., p. 5.

yeux, si « la vie vise essentiellement à capter de l’énergie utilisable pour la dépenser en action

explo-sive »147, seuls les plantes et les animaux ont réussi à capter et dépenser à l’énergie, parce qu’étant doté de métabolismes leur permettant de produire et d’emmagasiner des énergies pour la conservation de la vie. Ainsi, l’énergie originelle aurait d’abord créé le règne végétal, avant de passer au règne animal.

Ce passage du règne végétal au règne animal pose toutefois le problème de la continuité ou de la discontinuité entre les deux règnes. Autrement dit, quelle diffé-rence existe-il entre le règne végétal et le règne animal ? Sans nul doute, dans la pers-pective bergsonienne, il s’agit avant tout d’une différence de nature entre les deux règnes. Frédéric Worms la ramène à trois aspects148 : le mode d’alimentation, la mo-bilité et la conscience. Parce que le mode d’alimentation à lui seul ne suffit pas à définir la vie, il faut ajouter d’autres caractéristiques, la plus essentielle étant la conscience qui apparaît avec le cerveau, qu’il définit d’ailleurs comme « la pointe acérée par où la conscience

pénètre dans le tissu »149. Même si le système nerveux provient de l’élan de vie, seul le règne animal le possède, ce qui le spécifie par rapport au végétal et le hisse haut dans l’arbre de vie. Il faut préciser que, dans l’optique bergsonienne, la supériorité d’un organisme demeure tributaire de son système nerveux ou système sensori-moteur. Il affirme : « On pourra dire qu’un organisme supérieur est essentiellement constitué par un système

sensori-moteur installé sur des appareils de digestion, de respiration, de circulation, de sécrétion, etc. »150. Il va plus loin dans son propos en faisant dépendre du cerveau le progrès du vivant. « De la plus humble Monère jusqu’aux Insectes les mieux doués, dit-il, jusqu’aux

Verté-brés les plus intelligents, le progrès réalisé a été surtout un progrès du système nerveux »151.

Le cerveau devient, de ce fait, un critère permettant d’établir une certaine hiérar-chie entre les vivants. Si le règne végétal occupe la dernière place, c’est parce qu’il est privé du cerveau et de la fonction sensorimotrice. Il faut admettre que dans ce règne, la matière a réussi à endormir la conscience, raison pour laquelle chez la plante, ob-serve notre penseur, « automatisme et inconscience sont la règle »152. Cette privation l’em-pêche de se mouvoir et le condamne à se nourrir sur place. À l’opposé, le règne animal a développé la mobilité en allant à la recherche de sa subsistance, parce que l’élan vital lui a octroyé la capacité de se déplacer.

En outre, plus qu’une opposition entre fixité/mobilité, les deux tendances déve-loppées par la plante et par l’animal instaurent une différence de nature entre les deux espèces. Bergson établit une relation étroite entre la mobilité et la conscience, puisque c’est la conscience qui dicte le choix de la mobilité. Or, si la plante est inconsciente par nature, elle ne peut que demeurer statique. Cette inconscience explique l’évolution

147 BERGSON H., L’évolution créatrice, op. cit., p. 256.

148 Cf. WORMS F., Bergson ou Les deux sens de la vie, op. cit., p. 218. 149 BERGSON H., L’évolution créatrice, op. cit., p. 263.

150 Ibid., p. 125. 151 Ibid., p. 127.

des espèces végétales dans la même aire géographique, tandis que l’évolution du règne animal inclut la mobilité. Du fait de cette différence de nature, l’évolution de l’un ne dépend pas de l’évolution de l’autre. En ce sens, observe Worms :

« L’animal n’ajoute pas au végétal des nouveaux caractères fixes et logiquement incompatibles

avec les précédents, mais au contraire la différence entre l’animal et le végétal résulte d’une soustraction, d’une dissociation entre des tendances qui, ayant été d’abord mélangées, garderont une fois devenues incompatibles des traces l’une de l’autre »153.

En définitive, la corrélation entre mobilité, cerveau et conscience permet à Berg-son d’élaborer une étude psychologique de l’évolution. En faisant de la conscience humaine le sommet de la manifestation de la Conscience universelle, il confirme la prééminence de l’espèce humaine qui a réussi à se transformer pour devenir ce qu’elle est aujourd’hui. Toutes les autres espèces ont été arrêtées dans leur évolution, seule la conscience humaine a pu aller au sommet de l’évolution, faisant de l’homme « le terme

et le but de l’évolution ».154 Ainsi tout le processus vital depuis ses origines semble con-duire à l’apparition de l’homme. Pour le comprendre, suivons de près l’évolution psy-chologique du règne animal.

1.2.2.3.2. L’évolution psychologique ou de la torpeur à la

conscience de soi

Le processus vital chez Bergson se donne à voir sous deux dimensions complé-mentaires : biologique et spirituelle. D’une part, la dimension biologique se perçoit à travers la chaîne solidaire entre les individus, qui fait de la vie un courant d’interdé-pendance. De l’autre, la vie se présente aussi comme une réalité psychologique ou Conscience, dont l’explication dépasse l’espace et l’intelligence. Son histoire ininter-rompue depuis ses origines est loin de connaître sa fin, ce qui justifie le choix bergso-nien de l’intuition comme méthode. Cette énergie originelle sera la clé de lecture du versant psychologique de l’évolution.

Dans le second chapitre de L’évolution créatrice consacré à sa théorie psychologique de la vie, Bergson pose d’abord l’idée d’une Conscience universelle comme racine de l’arbre généalogique de la vie155. Cette conscience originelle, qui se présentait sous forme de « simple masse de gelée protoplasmique comme celle de l’amibe [...] déformable à volonté

[…] vaguement consciente »156, a donné naissance à trois types de conscience : la torpeur, l’instinct et l’intelligence correspondant respectivement aux principales branches de la vie : les végétaux, les animaux et l’humanité.

Dans un premier temps, cette conscience avait la possibilité de choisir entre deux voies, celle de la torpeur et celle de la conscience, choix qui comporte des enjeux

153 WORMS F., Bergson ou Les deux sens de la vie, op. cit., p. 219. 154 BERGSON H., L’évolution créatrice, op. cit., p. 265.

155 Ibid., p. 43.

existentiels. Si le vivant opte pour la torpeur, il « abandonne la faculté d’agir et de choisir

dont elle porte l’ébauche »157, ce qui le condamne à l’immobilité. Il devient donc dépendant de son milieu pour survivre. Dans le cas contraire, si l’élan vital emprunte la voie de la conscience, l’individu « s’oriente dans le sens du mouvement et de l’action »158 et jouit d’une liberté d’action et de mobilité, liberté qui peut cependant l’exposer au risque et à l’aventure. Ces deux voies renvoient à celle du règne végétal et celle du règne animal. À ce stade du développement, la conscience demeure encore une virtualité qui ne s’actualisera qu’avec l’humanité.

À l’intérieur du règne animal, la différenciation s’opère au niveau physiologique et intellectuel. Bergson établit une différence entre le cerveau de l’animal et celui de l’homme qui ne tient ni au volume ni à la complexité, mais à leur puissance motrice, puisque l’un produit des mouvements mécaniques et l’autre, des actions libres. L’exemple des abeilles ayant acquis un mode de vie et d’organisation, qu’elles repro-duisent de génération en génération, nous édifie davantage. Ce mécanisme chez l’ani-mal relève de l’instinct que l’homme seul peut rompre grâce à sa conscience. En somme, si le propre du cerveau est d’élaborer des mécanismes moteurs, seule la cons-cience peut libérer l’homme de l’automatisme biologique. Aussi l’homme doit-il sa liberté à cette faculté « qui lui permet de construire un nombre illimité de mécanismes moteurs,

d’opposer sans cesse de nouvelles habitudes aux anciennes, et, en divisant l’automatisme contre lui-même, de le dominer »159.

L’apport de la conscience ne se limite pas à la liberté humaine, elle justifie aussi la nécessité du langage et de la société qui viennent en appoint au cerveau. Dans la théorie bergsonienne, le langage et la vie sociale spécifiques à l’homme constituent une ligne de démarcation entre l’humanité et l’animalité c’est, du moins, ce qui ressort de son affirmation : « Notre cerveau, notre société et notre langage ne sont que des signes extérieurs

et divers d’une seule et même supériorité interne. Ils disent […] le succès unique, exceptionnel, que la vie a remporté à un moment donné de son évolution »160. Ce succès se perçoit mieux lorsqu’on retrace l’évolution spirituelle dans le règne animal.

De prime abord Bergson établit une différence intellectuelle entre l’homme et les autres animaux. Pour lui, dans le règne animal, deux tendances se sont dégagées du mouvement vital, l’instinct et l’intelligence, qu’il définit comme « deux formes de

l’ac-tivité psychique, […] deux méthodes différentes d’action sur la matière inerte »161. Ces deux ten-dances renvoient à deux facultés issues de la conscience originelle et développées face à la résistance de la matière. Elles se sont dissociées pour donner les deux grandes directions de la vie animale : celle des Arthropodes et celle des Vertébrés. Chez les Arthropodes, l’évolution a abouti à l’instinct et chez les Vertébrés à l’émergence de

157 Ibid., p. 12.

158 Ibid.

159 BERGSON H., L’évolution créatrice, op. cit., p. 265. 160 Ibid.

l’intelligence. Précisons que l’instinct comme l’intelligence ont une finalité pratique, parce qu’étant tournés vers l’action. Bergson écrit à ce propos : « Instinct et intelligence

ont pour objet essentiel d’utiliser des instruments : ici des outils inventés, par conséquent variables et imprévus ; là des organes fournis par la nature, et par conséquent immuables »162. L’utilisation de ces instruments physiologiques ou artificiels vise la conservation de la vie.

Par ailleurs, ces deux facultés correspondent respectivement aux deux modes de connaissance, l’intuition et la rationalité, spécifiques à l’animal et à l’homme. Cepen-dant, il convient de noter que les deux facultés sont interdépendantes et peuvent même cohabiter. Elles sont d’ailleurs latentes dans les grandes lignes de la vie, mais de manière disproportionnelle. Chez l’homme les deux coexistent et c’est l’intelligence qui prime sur l’intuition. Par contre, chez l’animal, c’est uniquement l’instinct qui règne. En résumé, l’instinct demeure coextensif au règne animal y compris l’homme, mais l’intelligence demeure spécifique à l’homme.

Dans la logique bergsonienne, on ne peut attribuer l’intelligence à l’animal, car elle n’est que l’apanage de l’homme. En réalité, “l’intelligence de l’animal”, si l’on peut s’exprimer ainsi, reste en latence dans son évolution. Elle est dominée par l’instinct mécanique, raison pour laquelle l’animal reste un être inconscient. À l’opposé, l’être humain reste conscient, c’est-à-dire capable de réfléchir, parce que doté d’intelligence, comme le confirme Bergson : « Plus un animal est intelligent, plus il tend à réfléchir sur les

actions »163. On devine aisément la place privilégiée qu’il assigne à l’homme, en tant qu’être conscient, le seul capable de fabriquer, si l’on se réfère à sa définition de la conscience : « La conscience est la lumière immanente à la zone d’actions possibles ou d’activité

virtuelle qui entoure l’action effectivement accomplie par l’être vivant »164. Cette capacité d’action lui confère aussi un statut unique dans la nature : celui de maître, idée que sa définition du verbe fabriquer met en évidence : « Fabriquer consiste à informer la matière, à l’assouplir

et à la plier, à la convertir en instrument afin de se rendre maître »165. Ainsi, la Conscience originelle atteint son paroxysme avec l’espèce humaine, en devenant une « intelligence

fabricatrice »166, c’est-à-dire une faculté de réflexion, d’invention et de création. C’est cette “intelligence fabricatrice” qui évolue au rythme des inventions d’outils et pro-ductions techniques. Les premières armes et les premiers outils167 marquent la date de l’ap-parition de l’humanité, thèse qui confirme l’antériorité de l’Homo faber par rapport à l’Homo Sapiens.

En conclusion, il ressort de l’étude comparative entre l’intelligence et l’instinct une différence fondamentale entre l’homme et l’animal, mais aussi une complémen-tarité entre ces deux facultés, comme le sous-entend le philosophe : « Il y a des choses

162 BERGSON H., Les deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 22. 163 BERGSON H., L’évolution créatrice, op. cit., p. 188.

164 Ibid., p. 145. 165 Ibid., p. 184.

166 BERGSON H., Les deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 222. 167 BERGSON H., L’évolution créatrice, op. cit., p. 138.

que l’intelligence seule est capable de chercher, mais que, par elle-même, elle ne trouvera jamais. Ces choses, l’instinct seul les trouverait ; mais il ne les cherchera jamais »168. Dans l’humanité, ces deux facultés vont coexister et s’associer, comme nous le verrons plus loin, pour don-ner à l’homme la capacité de créer sa propre personnalité.

Bergson dépasse l’évolutionnisme classique en présentant l’homme non seule-ment comme être doué d’intelligence, mais surtout un être moral, sans pour autant l’isoler du processus général de la vie. Au contraire, il lui fait profiter des atouts des autres espèces qu’il adapte à son être. L’auteur de L’évolution créatrice conclut : «

L’en-semble du monde organisé devient comme l’humus sur lequel devait pousser l’homme lui-même ou un être qui, moralement, lui ressemblât »169. Ainsi, l’anthropologie bergsonienne ouvre sur la morale comme étant la plus haute détermination de la vie. Cette dimension morale est aussi incluse dans l’essence humaine qu’il définit comme une tendance spirituelle.

« Les éléments d’une tendance, écrit-il, ne sont pas comparables, en effet, à des objets

juxta-posés dans l’espace et exclusifs les uns des autres, mais plutôt à des états psychologiques, dont chacun, quoiqu’il soit d’abord lui-même, participe cependant des autres et renferme ainsi virtuellement toute la personnalité à laquelle il appartient »170.

Comme nous le verrons dans notre troisième partie, la morale occupe une place de choix dans sa pensée, raison pour laquelle il considère création de la personnalité morale comme finalité de la vie. Cette personnalité se construit de manière indivi-duelle et intelligente dans un processus social et moral. Dans cette optique, l’homme représente non seulement le triomphe de la conscience morale, mais le prolongateur de l’élan créateur. De fait, seul l’homme possède la capacité de continuer l’action créa-trice de la vie, en se forgeant sa propre personnalité. Patricia Verdeau définit à juste titre cette personnalité bergsonienne comme une conscience créatrice qui « actualise les

virtualités créatrices de la vie »171. Cette puissance créatrice qui s’étend à la morale confirme la spécificité humaine dans la nature. Cette conviction bergsonienne se justifie par son humanisme. Tout se passe comme si “l’intention de la nature” prévoyait de faire de l’être humain le seul être intelligent capable de dominer l’instinct et de s’autodéterminer, de se libérer des pulsions naturelles et de prendre conscience de son être et de la vie dans son dynamisme créateur. Patricia Verdeau explicite encore : « L’humanité correspond à

l’unique place de la personnalité créatrice […] la personnalité serait donc ce privilège humain par lequel la capacité à se dépasser permet d’appréhender une évolution créatrice générale »172. C’est grâce à son intelligence et à l’intuition qu’il parvient à saisir « l’intérieur de l’élan vital, sa

signification et sa destination »173, connaissance qui échappe aux autres vivants. En réalité c’est cette évolution intellectuelle et morale qui fait de l’homme le maître de la nature et son propre maître.

168 Ibid., p. 152.

169 Ibid., p. 267. 170 Ibid., p. 119.

171 VERDEAU P., La personnalité au centre de la pensée bergsonienne, op. cit., p. 201. 172 Ibid., p. 199.

Par ailleurs, si la personnalité est le sommet de la création chez Bergson, il se pose alors la question du processus de sa construction. Pour lui, l’homme dispose

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