• Aucun résultat trouvé

DE LA VIE A LA PHILOSOPHIE DE L’AMOUR

1.3. L E PASSAGE DE LA THEORIE DE LA VIE A LA

1.3.2. Les raisons de l’élargissement de la philosophie à la métaphysique de l’amour la métaphysique de l’amour

1.3.2.1. Hésitation entre l’esthétique et la morale

De toute évidence, le principal enjeu de la métaphysique de Bergson reste moral. Faut-il rappeler que son analyse de la guerre a pour visée de mettre en évidence la nécessité d’une réflexion morale afin d’éradiquer l’immoralité de la vie. La solution

184 FRANÇOIS A., C. RIQUIER, A. FENEUIL, et G. WATERLOT, Annales bergsoniennes. VIII, Presses universitaires de France., Paris, 2017, p. 261.

étant, à ses yeux, une vraie connaissance de l’immoralité, c’est-à-dire de son origine et de ses différentes configurations, car elle seule permet de saisir réellement sa source et de l’attaquer directement. Cette quête morale met en dialogue Bergson avec la mo-rale classique. De fait, si sa fonction essentielle est d’amener les hommes à vivre en harmonie et en sécurité et si, malgré les nombreuses prescriptions morales de l’his-toire, l’immoralité semble prendre le dessus, alors s’impose une remise en question des morales antérieures. De l’avis de Bergson, celles-ci sont simplement incapables de l’endiguer ; d’ailleurs, la récurrence des pratiques immorales confirme l’échec des mo-rales classique et moderne dans leur fonction régulatrice de la société.

Cet échec moral est le principal motif qui a poussé Bergson à abandonner son désir d’élaborer une esthétique pour se tourner vers la morale que nous considérons comme le sommet de sa philosophie. Ce choix s’explique si nous nous référons au contexte d’alors dominé par l’immoralité que la morale peine à contrer. En effet, si sa métaphysique de la vie exposée dans L’évolution créatrice laissait la réflexion ouverte sur la continuité à donner à sa pensée c’est parce que l’élan créateur n’avait pas encore livré tous les secrets de la création. Autant dire que lui-même n’avait pas encore fini de penser toutes les caractéristiques et actions de la vie, ce qui le faisait hésiter entre esthétique et morale.

Bergson demeurait indécis jusqu’aux tragédies meurtrières du XXe siècle qui ont mis fin à son hésitation. Il opta pour la morale, car l’urgence de la situation faisait plus appel à la refondation de la morale, ce qui explique l’élargissement de sa métaphysique à la morale. De ce fait, le terme de l’évolution créatrice se déplace de la personne185 à la morale de l’amour, ainsi qu’en témoigne Gouhier : « L’exigence d’invention qui fait l’être

des êtres se concentre dans les personnes et c’est en méditant sur les œuvres des personnes que Bergson doit préparer la suite de son Évolution créatrice »186. Autrement dit, c’est à travers les actions que se manifestent l’essence humaine et celle de l’univers. Bergson scrute l’esprit de créativité dans les différentes productions humaines, avant d’en retenir : l’art et la mo-rale qu’il considère comme étant les deux activités qui reflète réellement sa grandeur. L’homme, ultime manifestation de l’élan créateur, confirme son être à travers la créa-tion esthétique et la morale. Mais pourquoi choisir entre deux domaines aussi dispa-rates ?

Selon lui, l’esthétique et la morale se définissent toutes deux comme acte de créa-tion, à la différence que la première porte sur la matière et la seconde sur l’homme lui-même. Dans Les deux sources, l’auteur définit l’art comme une expression de l’élan créateur puisqu’il dévoile l’émotion de son auteur, c’est en ce sens qu’il conçoit l’œuvre artistique comme « force en même temps que matière »187. C’est cette émotion, au-trement dit puissance créatrice ou élan, que partage l’admirateur quand il apprécie son

185 Cf. BERGSON H., L’évolution créatrice, op. cit., p. 270.

186 GOUHIER H., Bergson et le Christ des évangiles, op. cit., p. 96.

œuvre. Il est entrainé par l’émotion de l’auteur, comme si ce dernier la lui communi-quer directement. Paradoxalement, cette émotion ne se communique qu’en différé, c’est-à-dire après la réalisation de son œuvre. Parce la création artistique ne se con-temple qu’a posteriori, ce n’est qu’une fois achevée qu’elle crée « par sa seule présence une

conception de l’art et une atmosphère artistique qui permettront de la comprendre ; [ainsi]elle devien-dra alors rétrospectivement géniale »188.

Malgré cet écart, le philosophe reste convaincu de la grande efficacité de l’art comme moyen d’extériorisation approprié pour saisir la réalité intérieure. Telle est la principale fonction qu’il lui assigne :

« Qu’il soit peinture, sculpture, poésie ou musique, l’art n’a d’autre objet que d’écarter les

symboles pratiquement utiles, les généralités conventionnellement et socialement acceptées, enfin tout ce qui masque la réalité, pour nous mettre face à face à la réalité même »189.

Parce que les représentations artistiques offrent une vision directe et désintéres-sée, leur contemplation livre une connaissance objective de toutes les réalités, y com-pris celles psychiques, d’où son appréciation : « Ce ne sont pas seulement les objets extérieurs,

ce sont aussi nos propres états d’âme qui se dérobent à nous dans ce qu’ils ont d’intime, de personnel, d’originairement vécu »190. À ce titre, l’art exprime les états d’âme et l’individualité propre aux choses mieux que le langage qui les trahit. Celui-ci s’avère limité pour exprimer les sentiments, ces réalités psychiques, intimes, intenses et individuelles. Il risque de les dénaturer, tandis que l’art les traduit fidèlement, ce qui justifie le choix bergsonien de l’art comme instrument par excellence d’extériorisation du sentiment, notamment de l’amour. Mais ce n’est pas simplement cette capacité d’extériorisation qui lui vaut la préférence du philosophe qui souligne sa capacité de créer et de communiquer. Pour toutes ces raisons, l’art reste une éminente activité humaine, cependant limitée pour exprimer la liberté de l’acte créateur caractérisant la vie.

De toutes les créations humaines, la création morale reste la plus élevée parce qu’étant, pour Bergson, la plus libre et la plus indéterminée. Son fondement coïncide avec l’élan créateur de la vie, ce qui lui donne la possibilité de créer sans cesse des nouveautés. De ce fait, l’invention morale devient supérieure à l’art et s’érige comme sommet de la création, idée que résume cette assertion :

« Chez l’homme seulement, chez les meilleurs d’entre nous surtout, le mouvement vital se

pour-suit sans obstacle, lançant à travers cette œuvre d’art qu’est le corps humain, et qu’il a créée au passage, le courant indéfiniment créateur de la vie morale »191.

En outre, la morale bergsonienne se présente comme une des déterminations de la vie que l’on peut élucider à partir de l’élan originel, plus précisément l’élan d’amour, processus qui correspond à sa métaphysique de l’amour ou encore à la refondation de la morale.

188 Ibid.

189 BERGSON H., Le rire, op. cit., p. 120. 190 Ibid., p. 117.

1.3.2.2. Le problème de l’immoralité et le besoin de

Documents relatifs