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Les sociétés commerciales régulièrement constituées.

LE TRAITEMENT DES DÉFAILLANCES D’ENTREPRISES PAR LE LÉGISLATEUR

Section 1 – Les justiciables du droit de la faillite

A) Les sociétés commerciales régulièrement constituées.

Soit le bénéfice de la liquidation judiciaire peut être accordé aux sociétés commerciales soit elles peuvent être soumises à la procédure de faillite247, que ce soit pour les sociétés de personnes (1) ou pour les sociétés de capitaux (2).

1) Les sociétés de personnes

Pour reprendre les termes de l’époque, les sociétés commerciales sont « celles qui font le commerce »248. Parmi elles, se trouvent les sociétés en nom collectif : « La société en nom collectif est celle que contractent deux personnes ou plus et qui a pour objet de faire commerce sous une raison sociale avec la responsabilité personnelle et solidaire de ses membres »249. Elle peut être soumise à la faillite ou à la liquidation judiciaire250.

Ainsi, une société en nom collectif demande par la voie de son représentant au tribunal de commerce de Lyon251 l’ouverture d’une liquidation judiciaire en s’adressant au greffe du tribunal de commerce, le 11 mars 1889 à « trois heures du soir ». Gustave Dufêtre, négociant, demeurant au 14, rue Polycarpe à Lyon, agissant tant en son nom personnel qu’au nom de son frère, Jean Dufêtre, tous deux associés de la société en nom collectif Dufêtre père

et fils, demande au tribunal l’ouverture d’une liquidation judiciaire. Il explique que la société

n’a pas prospéré et que, pour se conformer à la loi du 4 mars 1889 afin de bénéficier de la liquidation judiciaire, il dépose au greffe du tribunal une requête signée par les deux associés ainsi que le bilan et la liste de tous les créanciers. Le 2 avril 1889, la requête est rejetée par le

247 Ch. Lyon-Caen et L. Renault, Manuel de Droit Commercial, op. cit., p. 1131, n° 1326. Voir aussi : E.E.

Thaller et J. Percerou, Traité élémentaire de droit commercial, op. cit., p. 1311, n° 2191. H. Pascaud, « De la mise en faillite des sociétés commerciales après leur annulation, et de l’annulation de ces sociétés après leur mise en faillite », Journal des faillites, 1891, p. 83. Voir aussi : A. Bourguet, Du caractère juridique de la

liquidation d’une société commerciale, Paris, 1900. H. Duvivier, De la faillite des sociétés, Paris, 1887. P.

Jourdy, De la liquidation judiciaire des sociétés anonymes, thèse de doctorat en droit, Dijon, 1903. Ch. G. Robert, De la liquidation judiciaire des sociétés (loi du 4 mars 1889), thèse de doctorat en Droit, Bordeaux, 1896.

248

Ch. Lyon-Caen et L. Renault, Manuel de Droit Commercial, op. cit., p. 772, n° 1035.

249 A. Vavasseur, Traité de sociétés civiles et commerciales, 3e édition, tome 1, Paris, 1896, p. 129 et s. 250 A. Vavasseur, op. cit., p. 133. E. Malapert, op. cit., p. 21 et s.

251

Trib. de com. de Lyon, 11 mars 1889, Arch. dép. Rhône, faillite, 1889, déclaration de cessation des paiements, 6 up 1/ 2350, pièce n° 52, liquidation judiciaire, Dufêtre père et fils. Voir aussi : Cour de Lyon, 5 février 1889, Journal des faillites, 1889, art. 1100, p. 302. La faillite d’une société en commandite entraîne de plein droit la faillite personnelle du gérant tant à l’égard des créanciers de la société qu’à l’égard de ses créanciers personnels.

tribunal de commerce au motif que la société Dufêtre père et fils était déjà en déconfiture et que les deux associés n’ont pu masquer cet état qu’à l’aide d’une circulation considérable d’effets de complaisance et d’achats blâmables de marchandises accomplis par eux pendant cette période. La position des juges consulaires n’est pas confirmée en appel. En effet, dans son arrêt du 5 juin 1889252, la cour d’appel de Lyon infirme le jugement. Elle précise que lorsqu’un tribunal de commerce est saisi d’une demande de mise en liquidation judiciaire, celui-ci est libre d’apprécier s’il y a lieu ou non d’y faire droit, sa décision devant être néanmoins motivée afin d’écarter toute apparence d’arbitraire. Elle considère qu’il importe – notamment en cas de rejet de la demande – que sa décision s’appuie sur des faits suffisamment graves pour que, par la suite, les opérations de la faillite, conséquence forcée du refus de mise en liquidation, ne viennent point les démentir ou même en diminuer l’importance ou la portée. Elle ajoute qu’il paraît conforme à l’esprit de la loi du 4 mars 1889 de n’envisager une demande en liquidation, déposée au moment où le débiteur déclare cesser son activité commerciale, qu’au point de vue des conditions de forme et de délai imposées par la loi pour sa recevabilité et de ne régler la situation définitive du requérant qu’au cours de la liquidation, d’après les actes qui ont précédé ou suivi sa chute. Selon elle, lorsqu’un commerçant, sous le coup de poursuites relatives à un effet protesté et voulant profiter des dispositions transitoires édictées par l’article 25 de la loi du 4 mars 1889, fait la déclaration au greffe de son état de cessation de paiements, dépose son bilan et présente une requête afin d’obtenir le bénéfice de la liquidation judiciaire, son état déjà ancien de déconfiture, aussi bien établi soit-il, ne peut être un motif de refus. Toujours selon l’analyse de la cour d’appel de Lyon, l’article 25 de cette loi vise à permettre l’admission au bénéfice de la liquidation de ceux qui, antérieurement à la promulgation de la loi, n’avaient d’autre issue dans leur situation obérée que la faillite et avaient recours pour la retarder à des circulations d’effets ou autres opérations du même genre. Par conséquent, la cour d’appel de Lyon juge que la société en nom collectif Dufêtre père et fils doit bénéficier des nouvelles dispositions de la loi du 4 mars 1889 puisque, dans son article 25, la loi prévoit une disposition transitoire applicable en l’espèce. La faillite de la société en nom collectif entraîne la faillite de ses associés et il n’est pas nécessaire que deux faillites soient prononcées séparément253. En effet, le prononcé de la faillite à l’encontre de la société en nom collectif suffit pour mettre en

252 Cour de Lyon, 5 juin 1889, Journal des faillites, 1889, art. 1132, p. 380. 253

faillite l’ensemble des associés254, contrairement aux associés des sociétés de capitaux, qui bénéficient d’une protection légale contre les mises en cause en cas de faillite255.

2) Les sociétés de capitaux

Toutes les sociétés commerciales n’encourent pas la faillite. Les associations en participation en sont exclues au motif que, aux yeux du public, celles-ci sont dénuées d’existence. En leur sein, le gérant est la seule personne qui s’oblige et il le fait sur l’ensemble de ses biens. En cas de cessation des paiements, il encourt la faillite personnellement256. Les sociétés ayant un objet civil et constituées antérieurement à la loi du 1er août 1893 ne peuvent faire l’objet d’une faillite ni d’une liquidation judiciaire, même si elles ont la forme commerciale257. A contrario, les sociétés ayant un objet civil, constituées postérieurement à la loi du 1er août 1893 et revêtant la forme de la commandite par actions ou de la société anonyme, peuvent être déclarées en faillite ou en liquidation judiciaire parce qu’elles ont, selon la loi, une nature commerciale.

Une société anonyme peut être déclarée en faillite ou en liquidation judiciaire, quel que soit son objet civil ou commercial258. Antérieurement à la loi d’août 1893, le bénéfice de la faillite était refusé à une société anonyme au motif que la faillite était prévue pour un débiteur physique ayant une personnalité effective. Les sociétés anonymes ne comprenant aucun associé en nom contre lequel la procédure pouvait être dirigée, les articles du code de commerce ne pouvaient être appliqués. C’était notamment la thèse défendue par A.C. Renouard – à laquelle s’opposait celle de Ch. Lyon-Caen et L. Renault259 – qui considérait que, la société anonyme étant une masse de capitaux plutôt qu’un débiteur, il paraissait impossible de concevoir un concordat et d’appliquer les déchéances civiques de la faillite260.

254 Cour de Lyon, 21 décembre 1883, Journal des faillites, 1886, art. 717, p. 482 255

P. Pic, Traité théorique et pratique de la faillite des sociétés commerciales, 1887, p. 8 et s.

256 E.E. Thaller et J. Percerou, Traité élémentaire de droit commercial, op. cit., p. 1311 n° 2190. 257 Ch. Lyon-Caen et L. Renault, Manuel de Droit Commercial, op. cit., p. 1131 n° 1326.

P. Pic, Traité théorique et pratique de la faillite des sociétés commerciales, Paris, 1887, p. 8 et s.

258

Trib de com., 1er octobre 1891, Arch. dép. Rhône, faillite, Vérification de créance, 6 up 1/ 2352 p. n° 1, Théâtre Bellecour liquidation. Suite à l’ouverture d’une liquidation judiciaire à l’encontre de la « société anonyme pour l’exploitation du Théâtre Bellecour », une assemblée des créanciers est réunie au tribunal, au palais de commerce, pour procéder à la vérification des créances.

259

P. Pic, Traité théorique et pratique de la faillite des sociétés commerciales, op. cit., p. 36 et s.

260 Ch. Lyon-Caen et L. Renault, Manuel de Droit Commercial, 3e édition, Paris, 1894, p. 961, n° 1326. Ils ne

partagent pas cette position : « Cette objection est sans valeur : les dispositions auxquelles on fait allusion n’ont qu’un caractère accessoire et ce qui le prouve, c’est que l’impossibilité de les appliquer n’empêche pas de déclarer en faillite un commerçant après sa mort. »

La loi du 4 mars 1889 ayant déclaré la société anonyme susceptible de liquidation judiciaire, cela implique, selon E. Thaller, qu’elle peut être également mise en faillite. En effet, quelle que soit la forme de la société, la faillite place sous la main de la justice le capital social et toutes les valeurs qui en dépendent. Il appartient au « syndic de procéder à l’inventaire de son actif, d’apposer les scellés sur les biens se trouvant dans ses locaux, d’inviter les créanciers sociaux à produire leurs titres et de procéder à la réalisation de l’actif et la tenue des assemblées »261. Ainsi la société constituée pour l’exploitation du Théâtre de Bellecour a-t- elle fait l’objet d’une procédure collective. Les créanciers de cette dernière ont été convoqués au tribunal de commerce dans le cadre de la procédure de vérification des créances à l’audience du 1er octobre 1890, le liquidateur, le sieur Regaud, étant également présent262.

La naissance et l’adoption en droit français de la fiction juridique qu’est une société anonyme a posé le problème de savoir si cette personne morale née de la fiction pouvait ou non bénéficier du droit des faillites. Le législateur et la jurisprudence ont répondu par la négative dans un premier temps. Cette position n’étant pas tenable en raison des réalités économiques et du recours de plus en plus développé à cet outil juridique, le législateur et la jurisprudence ont finalement cédé et accepté que le droit de la faillite puisse être appliqué à la société anonyme. Quoique difficile sur le point doctrinal, la situation des sociétés anonymes est traitée de manière plus simple que les sociétés nulles ou créées de fait.

261 E.E. Thaller et J. Percerou, Traité élémentaire de droit commercial, op. cit., p. 1311, n° 2190.

262 Trib. de com. de Lyon, 3 août 1890, Arch. dép. Rhône, faillite 1891, Affirmation des créances, 6 up 1/ 2352

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