• Aucun résultat trouvé

La compétence exclusive du tribunal de commerce en matière de faillite et de liquidation judiciaire

LE TRAITEMENT DES DÉFAILLANCES D’ENTREPRISES PAR LE LÉGISLATEUR

Section 2 – Les faits constitutifs de la faillite et de la liquidation judiciaire

A) La compétence exclusive du tribunal de commerce en matière de faillite et de liquidation judiciaire

Le tribunal compétent pour accorder le bénéfice de la liquidation judiciaire ou pour déclarer une faillite est le tribunal de commerce du domicile du débiteur (Loi de 1889 article 2, § 1, code de commerce, article 438, § 1). Par ailleurs, l’article 440 du code de commerce dispose que la faillite est déclarée par jugement du tribunal de commerce. Selon Lyon Caen et Renault, cette compétence est toute naturelle328. Ils estiment que les commerçants peuvent mieux que d’autres apprécier la situation du débiteur et juger de la gravité du refus de paiement. En l’absence de tribunal de commerce dans l’arrondissement, le tribunal de première instance est compétent329. En outre, c’est le tribunal du domicile commercial du débiteur qui est compétent pour se prononcer sur la faillite ou la liquidation judiciaire (article 635 du code de commerce)330 et, en cas de multiplicité d’établissements du même commerçant, le tribunal du lieu de son principal établissement sera compétent. Il en va de même lorsque le dépôt du bilan a été fait au greffe d’un autre tribunal dans le ressort duquel le commerçant possède un établissement secondaire. Le tribunal de commerce est compétent en raison de la spécificité liée aux opérations de la déclaration de faillite ou de liquidation judiciaire, qui sont parmi les actes les plus graves de la vie professionnelle du commerçant. Elles exigent en effet une connaissance approfondie des opérations commerciales, l’habitude de l’examen des livres-journaux ou des comptes courants. La doctrine de l’époque estime qu’« un tribunal composé de commerçants est particulièrement apte à apprécier les questions

327 Ch. Lyon-Caen et L. Renault, Manuel de droit commercial, 3e édition, op. cit., p. 743 et s. 328 Ibid., p. 737 et s.

329 E.E. Thaller, Traité élémentaire de droit commercial, 3e édition, op. cit., p. 867. 330

nées de la faillite331 […] Mais cette compétence exclusive du tribunal de commerce a été une des questions qui étaient le plus vivement controversées sous l’empire de la loi de 1838, mais que le législateur de 1889 a eu le mérite de trancher d’une façon décisive »332.

Au cours de cette période la controverse à propos de l’exclusivité de la compétence du tribunal de commerce se décline de deux façons différentes selon que l’affaire est portée devant les tribunaux civils ou devant les tribunaux à compétence criminelle. Se pose alors la question de la déclaration de la faillite par les tribunaux à compétence civile (a) ou par les tribunaux compétents en matière criminelle (b).

a) La déclaration de faillite par les tribunaux à compétence civile

331 Ch. Lyon-Caen et L. Renault, Traité de droit commercial, op. cit., p. 503 et s. 332

Une jurisprudence minoritaire soutient que les tribunaux civils peuvent indirectement déclarer un commerçant en état de cessation de paiements et appliquer certaines conséquences de la faillite333. La doctrine fondée sur cette jurisprudence minoritaire estime que le jugement déclaratif ne crée rien et ne déclare qu’un fait indépendant de lui, qui peut porter indifféremment le nom de cessation des paiements ou de faillite334. Selon cette thèse, « les tribunaux civils ou criminels ne pourraient prononcer un jugement déclaratif de faillite emportant l’ensemble des effets généraux attachés par la loi au jugement rendu par le tribunal de commerce, mais ils pourraient constater la faillite pour faire telle ou telle application de certaines de ses conséquences »335. Ainsi, la Cour de cassation considère, dans un arrêt du 17 juin 1884, que l’incompétence des tribunaux civils en matière commerciale n’est pas une incompétence absolue qui doive être prononcée d’office336. Il est notamment soutenu que le tribunal civil peut proclamer la cessation des paiements pour appliquer l’article 446 qui prévoit des nullités de droit ou facultatives des actes passés par le failli postérieurement à la date de la cessation des paiements. Cette doctrine se fonde sur deux principes : d’une part, la faillite résulte inévitablement de la cessation de paiements et, d’autre part, les tribunaux civils ont la plénitude de juridiction.

Ainsi, le tribunal civil de Lyon, dans son jugement du 17 février 1881, affirme que la juridiction commerciale n’embrasse dans ses attributions, en vertu des prescriptions spéciales en matière de faillite, que les litiges qui ont pour cause l’événement de la faillite ou son administration. Il ajoute que les litiges de droit commun restent soumis à la juridiction de droit commun et que le débat entre la masse et un bailleur portant sur l’étendue du privilège de ce dernier à l’égard de certains meubles reste soumis à la juridiction civile337.

Par ailleurs, dans un arrêt en date du 22 février 1872, la cour d’appel de Lyon, dans l’affaire opposant le sieur Gavaretti au sieur Eyriès et la Compagnie des chemins de fer du

Nord de l’Espagne, répond aux différents moyens soulevés par les parties. Elle affirme que

les tribunaux civils ont la plénitude de juridiction, même dans les affaires commerciales338. Le tribunal civil de Draguignan, dans son jugement en date du 9 novembre 1889, estime que la cessation des paiements est un fait que les tribunaux civils ont le droit de constater et dont

333

A. Defert, Journal des faillites et des liquidations judiciaires françaises et étrangères : revue de

jurisprudence, de doctrine et de législation, 1882-1894, p. 150.

334 F. Camus, Des effets du jugement déclaratif de faillite et de la cessation de paiements, Nancy, 1872, p. 98 et

s.

335 Ibid.

336 Cour de cassation, 17 juin 1884, Journal des faillites, 1885, op. cit., p. 220.

337 Trib. civ. de Lyon, 17 février 1881, Jurisprudence de la cour d’appel de Lyon, 1881, op. cit., p. 607. 338

ils doivent appliquer les conséquences aux litiges qui leur sont soumis339. De même, la cour d’appel de Grenoble soutient une position similaire et affirme qu’il appartient aux tribunaux ordinaires investis de la plénitude de juridiction d’apprécier si en fait un commerçant, dans le cas où la faillite pourrait être prononcée, est ou non en état de cessation de paiements, afin d’appliquer ensuite à la contestation qui leur est soumise les règles législatives en matière de faillite340.

Lyon-Caen et Renault estiment que « la jurisprudence a toujours reconnu avec raison que l’incompétence des tribunaux civils à l’égard des affaires commerciales est relative »341. Ils précisent que les tribunaux civils ont la plénitude de juridiction et ajoutent que la loi, en attribuant compétence aux tribunaux de commerce, leur accorde seulement une préférence sans exclure les tribunaux civils, sauf en matière de faillite342. Massé affirme lui aussi que la faillite est un fait exclusivement commercial et que les effets légaux attachés à l’état de faillite ne peuvent être produits que lorsque le fait de la cessation de payements a été judiciairement constaté par le magistrat compétent343. Il s’agit là d’une opinion que le tribunal civil de Lyon ne partage pas. En effet, dans son jugement du 4 décembre 1869, il considère que, lorsque la vente d’un fonds de commerce est en fait le résultat de la cessation des paiements du commerçant, il appartient aux tribunaux civils de constater l’état de faillite qui en découle et d’en appliquer les conséquences juridiques, nonobstant l’absence de la déclaration de faillite par le tribunal de commerce344.

À l’opinion selon laquelle la faillite résulte inévitablement de la cessation de paiements, les tenants de la compétence exclusive du tribunal de commerce en matière de faillite345 objectent les dispositions de l’article 440 du code de commerce, qui exigent un jugement du tribunal de commerce.

Les opposants à la plénitude de juridiction des tribunaux civils affirment qu’elle ne constitue qu’un simple principe puisque les tribunaux civils ne connaissent pas et ne

339 Trib. civ. de Draguignan, 9 novembre 1889, Journal des faillites, 1893, art. 1683, p. 81. 340 Cour de Grenoble, 13 novembre 1888, Journal des faillites 1889, op. cit., art. 1069, p. 188. 341 Ch. Lyon-Caen et L. Renault, Traité de droit commercial, op. cit., p. 467.

342

Ch. Lyon-Caen et L. Renault, Traité de droit commercial, op. cit., p. 469.

343

G. Massé, Le droit commercial dans ses rapports avec le droit des gens et le droit civil, Tome 2, Paris, 1874, p. 305 et s.

344 Trib. civ. de Lyon, 4 décembre 1869, La jurisprudence de la cour d’appel de Lyon et les décisions

remarquables des tribunaux du ressort, Lyon, 1869.

345 G. Massé, Le droit commercial dans ses rapports avec le droit des gens et le droit civil, Tome 2, Paris, 1874,

p. 305 et s. Voir aussi : P. Bravard-Veyrières et Ch. Demangeat, Traité des faillites et banqueroutes, II, Paris, 1864, p. 40. Pothier, Traité de procédure civile, Partie 1, Chap. 2, section IV, § 2, cité par Ch. Lyon-Caen et L. Renault, Traité de droit commercial, op. cit., p. 467.

maîtrisent pas les matières attribuées aux tribunaux de commerce346. Par son jugement du 17 juin 1882, le tribunal civil de Lyon semble adhérer à cette doctrine347. Il estime que la nullité des avantages particuliers consentis en contravention des articles 497 et 498 du code de commerce doit être soumise aux tribunaux de commerce, aussi bien lorsqu’elle est opposée par voie d’exception que lorsqu’elle fait l’objet d’une instance principale et que les tribunaux civils appelés à statuer sur cette exception doivent d’office prononcer leur incompétence. Ce n’est qu’en cas d’annulation du jugement déclaratif de faillite que la demande du syndic en paiement des frais et honoraires relève de la compétence non du tribunal de commerce qui a déclaré la faillite mais du tribunal civil, juge de droit commun348. Delamarre et Lepoitvin « proclament en termes absolus, que nul ne peut être considéré comme failli s’il n’a été déclaré tel par jugement du tribunal de commerce »349, que ce soit devant un tribunal à compétence civile ou compétent en matière criminelle.

b) La déclaration de faillite par les tribunaux compétent en matière criminelle

Tout en refusant au tribunal civil la faculté de constater la cessation de paiement du débiteur, Massé admet que les tribunaux compétents en matière criminelle peuvent appliquer les peines de la banqueroute simple ou frauduleuse à un commerçant en l’absence de déclaration de faillite350. Il est en cela en accord avec une partie de la jurisprudence pour le cas où un individu poursuivi pour escroquerie par le ministère public est en état de cessation des paiements. En conséquence, selon lui, l’argument tiré de l’article 440 n’est pas un argument décisif mais une simple pratique majoritaire, puisque l’article 440 ne statut que de eo quod plerumque fit351.

La doctrine majoritaire ne suit pas ce raisonnement, notamment « MM. Delamarre et Lepoitvin [qui] croyaient qu’il y avait là une question préjudicielle à l’action publique, analogue à celle des articles 326 et suivants du code civil ; la banqueroute, disaient-ils, suppose la faillite ; or, il n’y a de faillite qu’autant qu’elle est déclarée par jugement du

346 Pothier, Traité de procédure civile, Partie 1, Chap. 2, section IV, § 2, cité par Ch. Lyon-Caen et L.

Renault, Traité de droit commercial, op. cit., p. 467.

347

A. Defert, Journal des faillites, op. cit., p. 224.

348 Cour de Lyon, 15 juin 1881, Journal des faillites, 1882, op. cit., p. 197, cité dans Journal des faillites, 1894. 349 P. Bravard-Veyrieres et Ch. Demangeat, op. cit., p. 40.

350 P. Bravard-Veyrieres et Ch. Demangeat, ibid. 351

tribunal de commerce »352. Pour cette doctrine, la faillite n’existe que par le jugement déclaratif.

Même s’il est possible de souscrire aux arguments en faveur d’une intervention de la justice civile ou pénale pour déclarer la faillite, il semble judicieux de se rallier à la doctrine majoritaire, qui estime à juste titre que, la faillite étant une institution commerciale, il est préférable que ce soit la justice consulaire qui soit reconnue compétente en la matière.

B) L’officialisation de l’état de cessation des paiements par le jugement

Outline

Documents relatifs