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La détermination du « fait matériel » constitutif de la cessation des paiements

LE TRAITEMENT DES DÉFAILLANCES D’ENTREPRISES PAR LE LÉGISLATEUR

Section 2 – Les faits constitutifs de la faillite et de la liquidation judiciaire

B) La détermination du « fait matériel » constitutif de la cessation des paiements

B) La détermination du « fait matériel » constitutif de la cessation des paiements

L’ordonnance de 1673 fixait l’ouverture de la faillite « […] du jour que le débiteur se sera retiré ou que le scellé aura été apposé sur ses biens ». Le code de 1807 disposait que « l’époque [de la faillite] est fixée, soit par la retraite du débiteur, soit par la clôture de ses magasins, soit par la date de tous ses actes constatant le refus d’acquitter ou de payer les engagements de commerce »295. En 1838 et en 1889, le législateur n’a pas précisé les éléments constitutifs de la cessation des paiements et c’est au tribunal de commerce qu’il appartient de déterminer concrètement si le commerçant est en situation de cessation des paiements ou non. Il dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation pour déterminer le fait matériel caractéristique de la cessation des paiements. Il apprécie les circonstances de chaque affaire pour évaluer la situation et dispose d’un certain nombre d’indices pour se prononcer. Ainsi, un seul refus de paiement ne peut constituer une cessation des paiements296. La cour d’appel de Lyon, le 19 décembre 1837, tout comme la cour d’appel de Rouen, le 24 janvier 1852, considèrent qu’« un commerçant même insolvable, n’est pas en état de cessation des paiements par cela seul qu’il n’a pu acquitter une dette à son échéance […], il faut que son défaut de paiements résulte d’une impossibilité complète et absolue. Il faut qu’à son insolvabilité soit venue s’adjoindre la perte du crédit qui lui est nécessaire pour maintenir ses relations commerciales » 297.

Les juges recherchent si le commerçant est dans l’incapacité de payer et si cette incapacité est durable ou s’il jouit toujours d’un crédit298. Si cette incapacité financière perdure et si le non-paiement devient notoire pour des dettes échues et certaines, les juges déclarent la cessation des paiements lorsque la créance est incontestée. Dans leurs

295 P. Bravard-Veyrières et Ch. Demangeat, Traité des faillites et banqueroutes, II, Paris, 1864, p. 19. 296

Cour d’appel de Lyon, 19 décembre 1837, La jurisprudence de la cour d’appel de Lyon et les décisions

remarquables des tribunaux du ressort, Lyon, 1837, p. 361 : « La cessation des paiements que peut seule

constituer le négociant en état de faillite est un fait complexe qui ne résulte pas d’un seul refus de payer, ni même de la retraite du débiteur et de la clôture de ses magasins ; quoi que ces circonstances, quand il y a d’ailleurs cessation des paiements, puissent servir à déterminer l’ouverture de la faillite. »

297 Cour d’appel de Lyon, 14, 15, 16, 21, 23, 28 et 30 mars 1854, La jurisprudence de la cour d’appel de Lyon,

1855, op. cit., p. 51 et s.

298 Ibid. : « Le 10 décembre 1851, Messieurs Berger fils, frères, n’étaient pas en état de cessation des paiements,

appréciations, les juges utilisent des cas concrets susceptibles de former un faisceau d’indices établissant la faillite du débiteur. Ainsi, outre le non-paiement, le tribunal prend en considération les éléments suivants : le commerçant est-il retiré du commerce ? Son magasin est-il fermé ? A-t-il pris la fuite ? Le tribunal apprécie donc les signes extérieurs d’embarras du débiteur énoncés pour la plupart comme cause de cessation des paiements sous l’empire de la loi de 1807. La situation difficile peut aussi se manifester par des protêts, des assignations, des jugements de condamnations et de saisies. Selon la cour d’appel de Rouen, la cessation des paiements est un révélateur de l’extinction de la vie commerciale du débiteur299. En conséquence, le faisceau d’indices révélant l’extinction de la vie commerciale ne doit pas être constitué d’éléments passagers mais révéler un état de gêne durable300.

En outre, les tribunaux recherchent l’existence d’un certain nombre de situations dont la notoriété atteint le crédit du débiteur. Si le négociant est en pleine possession de son crédit, le fait matériel de la cessation des paiements n’existe pas affirme I. Alauzet, juge au tribunal civil de Draguignan301. En revanche, la cour d’appel de Lyon estime qu’est en état de faillite le commerçant dont l’insolvabilité paraît notoire et qui cependant continue ses paiements au moyen de prêts d’argent concédés par l’un de ses créanciers dans le but d’en obtenir une garantie au préjudice des autres créanciers302. Dans l’affaire opposant Fulchiron, marchand de bois à Saint-Etienne, à ses créanciers, Fulchiron était notoirement en cessation des paiements. Ses créanciers, Girerd et Nicolas frères, connaissaient l’existence de la cessation des paiements. Ces derniers ont payé la somme de 5000 francs due par Fulchiron uniquement

299 Cour de Rouen, 24 janvier 1852, D., 1855, II, p. 5: « Par suite un commerçant est-il déclaré en faillite, ce

n’est pas à l’époque ou remonte, depuis son insolvabilité, le plus ancien défaut de payement que doit être reportée l’ouverture de la faillite, surtout si le créancier a été postérieurement désintéressé, mais à l’époque où le nombre et la gravité des poursuites ont révélé l’extinction de la vie commerciale du failli. »

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Cour de Colmar, 9 août 1850, 1ère chambre, D., 1855, 2e Partie, p. 222. « Lorsqu’un créancier, après avoir fait protester des billets souscrits à son ordre par son débiteur commerçant et avoir obtenu contre celui-ci un jugement de condamnation, a accepté sans réserve de nouveaux billets à ordre en payement […]. L’ouverture d’une faillite ne peut être fixée qu’à l’époque où le désordre des affaires du débiteur et son insolvabilité par une série ininterrompue d’actes de poursuites et une cessation de payements continue ; code de commerce article 437. Ainsi, l’état de cessation des paiements d’un commerçant ne peut résulter […] ni de quelques protêts isolés non suivi de poursuites, ou d’une gêne momentanée occasionnée par des difficultés commerciales résultant de circonstances extraordinaires (les événements de 1848) ; ni du retard apporté par ce commerçant à régler quelques-unes des factures de ses fournisseurs, s’il n’a jamais été pour ce fait l’objet d’aucune poursuite de la part de ces derniers ; ni de ce qu’il a fait des payements autrement qu’en espèces (par exemple, au moyen de cessions de créances) alors que sa profession (bâtiment) l’obligeait à faire des avances considérables avant d’obtenir le règlement des travaux. L’ouverture de la faillite ne peut être non plus fixée à l’époque où des poursuites en expropriation forcée ont été dirigée contre le failli pour une dette non commerciale, surtout s’il s’est écoulé entre ces poursuites et l’expropriation un intervalle de temps assez long pendant lequel le failli est resté à la tête de ses affaires et a effectué de nombreux payements. »

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I. Alauzet, Commentaire du code de commerce et de la législation commerciale, Tome 4, Paris, 1857, p.6 et s : « La cour de Lyon a jugé avec raison que si le négociant est en pleine possession de son crédit, peu importe par quels moyens il est parvenu à conserver cette position et à éviter le fait matériel de la cessation des paiements. »

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pour obtenir une hypothèque qui garantissait les 5000 francs mais aussi 32000 francs que Fulchiron leur devait antérieurement. La cour constate que le commerçant n’avait ni fonds ni crédit pour acquitter ses engagements et que l’hypothèque consentie par Fulchiron était réalisée au détriment des autres créanciers. C’est pourquoi, elle confirme la déclaration de faillite du commerçant.

Cet arrêt de la cour paraît à première vue en contradiction avec une décision rendue pour un cas semblable, en 1853303. En l’espèce, la première chambre de la cour d’appel de Lyon considère que la cessation des paiements établie de manière claire et précise suffit à prononcer la faillite du commerçant et qu’il est inutile de faire le « détail des opérations sincères ou fausses, honnêtes ou déloyales, licites ou coupables par lesquels un commerçant a continué » son activité parce que ce genre d’appréciation relève du droit pénal. En l’espèce, la faillite est constatée par la cessation des paiements qui s’est traduite par l’anéantissement du crédit dont bénéficiait le commerçant. La continuation des paiements ne peut exclure l’état de faillite qu’autant que ces paiements sont réels et non fictifs.

En réalité, la position des deux chambres est identique dans le fait que la cessation des paiements doit être notoire et ne peut être écartée que si le crédit dont bénéficie le commerçant est réel et susceptible de lui permettre d’honorer ses engagements. Il n’y a pas cessation des paiements lorsque le débiteur a conservé son crédit auprès de ses partenaires304, notamment si la dette n’est pas liquide et si elle est litigieuse. Une dette non échue ne pouvant être constitutive d’une cessation des paiements, elle doit être liquide et exigible305. Le fait de renouveler des billets pour les nécessités de son commerce au lieu de les payer ne peut constituer un fait prouvant la cessation des paiements306. En outre, la cour d’appel de Lyon estime que, quel que soit le nombre des protêts, si tous les effets protestés ont été payés, il n’y a pas lieu de déclarer la faillite d’un commerçant qui a continué paisiblement l’exercice de son commerce, sans qu’aucun protêt n’ait été l’objet de poursuites et de

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Cour de Lyon, 9 février 1853, D., 1855, II, p. 315.

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Cour de Paris, 11 janvier 1853, D., 1855, II, p. 5 : « Lorsqu’un commerçant insolvable et en retard de se libérer a pu, grâce à la tolérance de ses créanciers, rester jusqu’à son décès à la tête de ses affaires, il n’y a pas lieu, quand même sa position n’en serait pas améliorée, de le déclarer en faillite, sur la demande qui en serait faite contre sa succession. »

305 Cour de Paris, 5 juin 1875 cité par, Ch. Lyon-Caen, P.D.C., n°2568, note 5.

306 Cour de Paris, 3e Ch., 30 mars 1848, D., 1849, 2e partie p. 54 : « Bien qu’aux termes de l’art 437 du code de

commerce la cessation des payements constitue la faillite, l’on ne peut faire remonter celle d’un commerçant à l’époque où, au lieu de payer ses billets, il les aurait renouvelés pour les nécessités de son commerce. »

condamnations judiciaires307. La loi n’exige pas que le débiteur ait cessé l’ensemble de ses paiements pour le déclarer en faillite. Le non-paiement d’une seule dette à son échéance peut être constitutive de la cessation des paiements alors que, dans les faits, il est possible pour un commerçant d’effectuer encore quelques paiements tout en étant en cessation des paiements. Cependant le tribunal peut considérer que ces paiements isolés et s’écoulant dans le temps sont contraires aux intérêts de la masse des créanciers et reflètent l’état de cessation des paiements. C’est pourquoi, il est également primordial de déterminer la date de la cessation des paiements.

Ainsi, le juge consulaire applique son pouvoir discrétionnaire pour déterminer les éléments qui constituent la matérialité de la cessation des paiements, ce qui témoigne d’une avancée appréciable dans la prise en compte de la situation du débiteur, qui n’est plus seulement un hors-la-loi mais un homme dont l’individualité est prise en considération et dont le crédit matériel et immatériel est valorisé.

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