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La définition de la notion de déconfiture

LES AMÉNAGEMENTS PAR LA JURISPRUDENCE DU DROIT DE LA FAILLITE

Section 1 – La réorganisation de la déconfiture par la jurisprudence

A) La définition de la notion de déconfiture

L’impossibilité de faire face à ses engagements n’est pas le monopole exclusif du monde des affaires. En effet, le développement des échanges et l’accumulation de « richesses mobilières, si fragiles si on les compare aux biens fonciers »382 soumettent les débiteurs civils au risque de défaillance383. Malgré les incitations d’une partie de la doctrine et de la jurisprudence, le législateur français a négligé de légiférer en ce domaine, à l’exception de quelques « dispositions éparses dans les lois civiles sur ce que le Code Napoléon appelle la déconfiture »384. M. Legriel partage cette opinion et regrette que « les non-commerçants insolvables qui ne peuvent payer leurs dettes sont tout simplement en état de déconfiture et restent sous la règle de droit commun quant à leur personne et quant à leurs biens »385. Il aurait souhaité que les propositions de réforme du député Alfred Laroze aboutissent et que les débiteurs civils et commerçants soient traités de la même façon en bénéficiant tous deux de règles de procédure collectives semblables386. Au cours du XIXe siècle, étant donné que le législateur n’a pas suffisamment réglementé la déconfiture, plusieurs questions ont été soulevées par les praticiens du droit relativement à ses éléments constitutifs ainsi qu’à son origine. Par ailleurs, s’est également posée la question de la nécessité de recourir ou non à un jugement déclaratif, à l’instar de la faillite. Ce sont la doctrine et la jurisprudence qui ont tenté d’apporter un début de réponse permettant de combler les insuffisances de la loi.

382

A. Dupin, op. cit., p. 17 et s.

383 L.A. De Montluc, De la faillite des non-commerçants, 1870, p. 2 et s. : « Les insolvabilités n’étant donc

guère moins communes chez les non-commerçants que chez les commerçants eux-mêmes, une bonne loi doit régler avec un soin égal la situation des uns et des autres en pareil cas. »

384 A. Dupin, op. cit., p. 17 et s. Voir aussi : L.A. De Montluc, op.cit., p. 2 et s.

385 M. Legriel, « Etude sur la Faillite civile », Journal des faillites et des liquidations judiciaires françaises et

étrangères, Paris, 1888, p. 47 et s.

386

La doctrine387 a d’abord défini la déconfiture en s’inspirant de la faillite comme « l’état de toute personne non-commerçante qui cesse ses paiements »388. Dupin apporte cette précision :

« Cette opinion émise par Larombière, a été abandonnée parce qu’elle donne à tort à la déconfiture et à la faillite la même cause d’ouverture. Elle néglige le fait que, si la suspension des paiements est pour le commerçant un indice presque certain de son insolvabilité, il n’en est pas de même pour le débiteur civil. Le commerce nécessite l’exactitude et la ponctualité, mais dans les relations ordinaires de la vie règnent des habitudes incontestablement moins rigoureuses. Il ne serait pas possible de déclarer en déconfiture le débiteur négligent, par cela seul qu’il a laissé passer une échéance»389.

Selon Dupin, le législateur de 1804 a entendu se reporter à l’ancien droit en donnant à la déconfiture le sens usuel qu’elle avait alors. Or, précise-t-il, dans l’ancien droit, la déconfiture ne fait pas l’objet d’une seule définition mais de plusieurs :

« Tantôt il [le mot déconfiture] désigne cet effet de l’insolvabilité du débiteur qui fait que ses biens sur lesquels les créanciers n’ont ni privilège, ni hypothèque se distribuent par contribution. Tantôt, il signifie Déroute, Naufrage, Rupture, etc…, métaphores qui cachent toutes une situation identique : l’insolvabilité »390.

Il précise encore que l’effet caractéristique de la déconfiture se résume en un échec au privilège du premier saisissant sur les meubles. Elle donne lieu en conséquence à l’ouverture de la distribution par contribution. Déconfiture et contribution deviennent synonymes alors que la détermination des éléments constitutifs de la déconfiture ne fait pas toujours l’unanimité.

Ultérieurement, sous l’empire de la loi du 28 mai 1838, les interrogations quant à la définition de la déconfiture se poursuivent, et elle finit par devenir une faillite civile réservée aux non-commerçants, procédure qui a été instaurée par la jurisprudence.

387 Cité par A. Dupin, De la Faillite civile, nécessité de son organisation, Grenoble, 1900 p.18 et s. Larombière.

Traitée des Obligations, II, art. 1188, n° 4 : « La loi nouvelle ne définit nulle part l’état de déconfiture. Cependant le rapprochement qu’elle établit incessamment entre cet état et celui de la faillite, nous autorise à la définir : l’état de toute personne non-commerçante qui cesse ses paiements. ».

388 A. Dupin, op. cit., p. 18. 389 Ibid., p. 18 et s.

390

Dans l’affaire Krutly contre Bonvallot, le tribunal civil de Lyon, dans son jugement du 7 mars 1884, affirme que la présence d’un séquestre nommé à un individu tombé en déconfiture rend sans objet une saisie-arrêt pratiquée au préjudice de ce dernier. Il estime en conséquence que la saisie-arrêt n’est pas valide391. Ainsi, le tribunal civil de Lyon fait de la déconfiture une procédure collective dont l’agent est le séquestre. À l’exemple du syndic, il administre les biens du débiteur déconfit. Il s’agit là d’une innovation jurisprudentielle consacrée par la cour d’appel de Lyon.

Dans une autre affaire, jugée par la 2e chambre le 19 mars 1884, celle-ci considère que, dès lors que les créanciers se trouvent en concours d’attribution sur le patrimoine d’un débiteur commun insuffisant pour les payer tous, les articles 552 et suivants du code de commerce – qui règlent les droits respectifs des créanciers hypothécaires et chirographaires en cas de faillite – sont applicables au cas de déconfiture. La cour d’appel de Lyon estime que l’application des dispositions du code de commerce à la déconfiture n’est que la conséquence des principes du droit et de l’équité et que par conséquent, elle estime que ces dispositions sont applicables au cas de déconfiture comme à tous les cas où les droits des créanciers se trouvent en concours d’attribution sur le patrimoine d’un débiteur commun insuffisant pour les payer tous392. Elle considère ainsi que lorsque l’actif du débiteur est insuffisant à désintéresser tous les créanciers qui se trouvent en concours d’attribution, le débiteur civil se trouve en état de cessation des paiements. Cet état de cessation des paiements est caractérisé par l’insuffisance de son actif tant meuble qu’immeuble pour payer l’ensemble de son passif. Cela suppose que les créanciers vont être payés dans l’ordre chronologique, à moins que l’un d’eux ne vienne à établir, grâce à la discussion du patrimoine du débiteur, que l’ensemble des biens du débiteur est insuffisant à les désintéresser tous. Dans ce cas, l’égalité proportionnelle remplace le privilège des premiers saisissants. La déconfiture a alors pour effet de donner ouverture à une distribution par contribution393. Dès lors, la cour d’appel de Lyon estime qu’il est nécessaire de réguler le paiement des créanciers en instaurant entre eux une égalité de traitement. Elle innove en appliquant à celui-ci les règles de la faillite, notamment celles prévus par les articles 552 et suivants du code de commerce.

391 Trib. civ.de Lyon, 7 mars 1884, Moniteur Judiciaire du 11 avril 1884, cité par La jurisprudence de la cour

d’appel de Lyon, 1884, op. cit., p. 535.

392 Cour de Lyon, 2e ch., 19 mars 1884, La jurisprudence de la cour d’appel de Lyon, 1884, op. cit., p. 475. 393

Or, cette position est tout à fait contraire au principe selon lequel il appartient au législateur et non à la jurisprudence d’édicter les normes juridiques. C’est en ce sens que s’était prononcé le même tribunal civil de Lyon, une décennie auparavant. En effet, dans son jugement du 29 juillet 1871394, il avait affirmé que le législateur qui, dans l’intérêt du commerce, avait voulu une égalité complète entre les créanciers d’un failli, n’avait édicté aucune règle de ce genre quant au créancier d’un simple particulier. Et qu’il en résultait que les présomptions légales de preuve établies par les articles 446 et 447 du code de commerce étaient entièrement inapplicables aux débiteurs civils. Par conséquent, la fraude – prévue par l’article 1167 du code civil – ne saurait résulter du seul fait que le créancier aurait connu ou redouté l’insolvabilité du débiteur et se serait fait octroyer en prévision une sureté particulière.

De même, le tribunal civil de Villefranche, statuant en la forme référé, le 11 janvier 1884, estime que la déconfiture d’un officier ministériel ne saurait autoriser la nomination d’un séquestre chargé d’opérer les recouvrements de l’étude mais seulement de la mission d’encaisser et de distribuer aux créanciers les sommes provenant soit de saisies-gageries ou mobilières, soit de saisies-arrêts ou oppositions395. Dans l’affaire Dumarest, jugée le 11 janvier 1884, le tribunal civil de Lyon estime que la nomination d’un séquestre judiciaire à un débiteur tombé en déconfiture ne dépouille pas ses créanciers de leurs actions individuelles et du droit de faire prononcer contre lui un jugement de condamnation dans le but de se procurer un titre exécutoire. Pour autant, cette nomination de séquestre ne permet pas au créancier de faire prononcer à son profit la validité d’une saisie-arrêt entre les mains du tiers saisi mais seulement entre celles du séquestre lui-même396. Néanmoins, quelques mois plus tard, la 1ère chambre du tribunal civil de Lyon, dans son jugement du 22 août 1884, prononcé dans l’affaire Farge contre Veuve Méjat, érige le séquestre en représentant des créanciers, estimant que le séquestre chargé de recevoir et distribuer aux ayants droit le prix d’un immeuble vendu par un débiteur en déconfiture a qualité pour intervenir au nom des créanciers, qu’il représente dans l’ordre ouvert pour la distribution du prix des autres immeubles du même débiteur. Il précise par ailleurs que les créanciers chirographaires qu’il représente peuvent en effet intervenir dans un ordre, quand ils y ont intérêt.

394 Trib. civ. de Lyon, 29 juillet 1871, Moniteur judiciaire de Lyon, 14 octobre 1871 cité par A. Dupin, De la

Faillite civile, nécessité de son organisation, op. cit., p. 52 et Allard, Boissard et Bonjour, La jurisprudence de la cour d’appel de Lyon et les décisions remarquables des tribunaux du ressort, Lyon, 1871, p. 446.

395 Trib. civ. de Villefranche, Référés, 11 janvier 1884, La jurisprudence de la cour d’appel de Lyon, op. cit., p.

536.

396

Selon Garraud, deux règles simples régissent les pouvoirs des tribunaux : il leur est impossible de créer de nouvelles normes et d’ignorer une norme existante. Chaque fois que la loi, dans l’intérêt de certains, organise une administration ou une liquidation du patrimoine avec pouvoirs déterminés, il n’est permis aux tribunaux ni de substituer une autre organisation à l’organisation légale ni de restreindre ou d’étendre les pouvoirs légaux de l’administrateur ou du liquidateur. De même, lorsque la loi n’organise pas une liquidation ou une administration du patrimoine permettant de protéger les intérêts des créanciers, ceux-ci ne peuvent ni en obtenir une des tribunaux ni en établir une de leur propre gré sans le consentement de leur débiteur397. La première règle est le corollaire nécessaire de la séparation des pouvoirs législatifs et judiciaires : les tribunaux ne sont institués que pour faire appliquer la loi aux contestations qui s’élèvent entre les citoyens mais leur compétence ne s’étend pas jusqu’à modifier la loi398. La seconde règle est la conséquence de l’article 537 du code civil : « Les particuliers ont la libre disposition des biens qui leur appartiennent, sauf modifications établies par les lois. »399 R. Garraud estime que l’article 537 garantit la propriété contre les abus de justice et qu’il s’oppose à ce que les tribunaux, en dehors d’une autorisation légale, enlèvent à un particulier la libre disposition de ses biens.

Ainsi, au cours de la période qui s’étend entre 1838 et 1889, il n’existe pas de consensus relativement à la définition de la déconfiture ni à ses éléments constitutifs. Les tribunaux du ressort de la cour d’appel de Lyon sont en désaccord et la jurisprudence de la cour d’appel de Lyon semble varier au gré des besoins de justice exprimés par les circonstances économiques. Une telle situation est source d’incertitude judiciaire. L’approche du professeur Garraud, qui voit là une violation du principe de la séparation des pouvoirs, aurait dû provoquer la réaction du législateur. Thaller estime que c’est la loi elle-même qui est fautive puisqu’ « elle a refusé de s’ouvrir à une réforme énergiquement réclamée par les transformations économiques du siècle »400. Le législateur aurait dû légiférer, apporter une définition à la déconfiture et organiser le défaut de paiements des non-commerçants. Il aurait pu ainsi mettre un terme à la récurrence de l’incertitude juridique née de l’existence de pratiques douteuses même si elles émanaient de la jurisprudence elle-même.

397

R. Garraud, op. cit., p. 218.

398 Ibid., p. 218. 399 Ibid.

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