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L’exclusion des personnes physiques non-commerçantes du bénéfice d’une procédure collective

LE TRAITEMENT DES DÉFAILLANCES D’ENTREPRISES PAR LE LÉGISLATEUR

Section 1 – Les justiciables du droit de la faillite

A) L’exclusion des personnes physiques non-commerçantes du bénéfice d’une procédure collective

Réserver la faillite et la liquidation judiciaire aux commerçants exclut par conséquent les non-commerçants du bénéfice des deux procédures collectives que sont le droit de la faillite et le droit de la liquidation judiciaire. Avant d’aborder la question relative aux commerçants, il convient de traiter de la situation des non-commerçants.

La jurisprudence a mis en place une pratique spécifique pour traiter de la défaillance des débiteurs non-commerçants, pratique qui a, à son tour, inspiré les juges consulaires pour être étendue aux débiteurs commerçants de bonne foi afin de réduire la rigueur de la loi sur les faillites220. Les non-commerçants ne peuvent en principe bénéficier ni du régime de la faillite ni du régime de la liquidation judiciaire. Ce qui caractérise l’état d’endettement des non-commerçants ou bien des débiteurs civils est l’absence de toute procédure collective221. La doctrine conteste la distinction faite par la loi entre commerçant et non-commerçant, notamment Thaller, qui rappelle que, historiquement, la faillite n’est pas une institution exclusivement commerciale et que cette distinction n’existe pas dans les pays voisins de la France222. Malgré les regrets de la doctrine, une jurisprudence assez régulière établit avec précision les exclusions pour les personnes physiques non-commerçantes. Ainsi, les préposés223, qui n’agissent pas pour leur propre compte, ainsi que ceux qui se seraient présentés comme commerçants, qui en auraient pris le titre sans qu’il y ait un exercice habituel d’actes de commerce sont exclus du bénéfice de la faillite.

Le tribunal de commerce de Saint-Etienne adopte une position identique lorsqu’il précise :

« un simple employé de commerce, contre lequel on n’établit point qu’il se livre en son nom personnel à des actes de commerce et qui justifie au contraire qu’il n’est point imposé comme commerçant, ne doit pas être considéré comme tel et ne peut, en conséquence, être déclaré en faillite »224.

220 A. Dupin, op. cit., p. 54. 221

Voir infra chapitre 2 – Les aménagements de la jurisprudence au droit de la faillite avant 1889.

222 E.E. Thaller, Des faillites en droit comparé, op. cit., p. 126 et s.

223 Cour de Lyon, 8 mai 1879, Pandectes chronologiques, tome V, partie II, p. 86 : « Un débitant de tabac étant

un préposé de l’administration ne saurait légalement être déclaré en faillite.»

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Le tribunal de commerce de Saint-Etienne estime nécessaire la réunion de deux facteurs. En premier lieu, il requiert l’absence de subordination et par conséquent l’indépendance dans l’exercice de la profession de commerçant et, en second lieu, l’imposition en qualité de commerçant. Il recherche l’existence d’indices révélant l’état de commercialité du justiciable. De même, la cour d’appel de Lyon précise :

« N’est pas commerçant et ne peut, comme tel, être déclaré en faillite l’écrivain qui fait imprimer, édite et vend lui-même un ouvrage dont il est l’auteur. À supposer que le fait d’exploiter un journal puisse faire considérer son propriétaire comme commerçant, le créancier dont la créance a une cause étrangère et antérieure à cette exploitation n’est pas recevable à invoquer le caractère commercial de ladite exploitation pour faire déclarer son débiteur en faillite, un commerçant ne pouvant être déclaré failli pour une dette étrangère à son commerce qu’autant qu’il a des dettes commerciales et qu’il est, de leur chef, en état de cessation de paiement »225.

La cour d’appel de Lyon précise deux points essentiels sur lesquels se fondent la jurisprudence pour trancher les litiges. D’une part, l’écrivain n’est pas commerçant. D’autre part, si toutefois il était considéré comme exerçant une activité commerciale, les dettes dont le recouvrement est souhaité étant civiles, il ne peut y avoir faillite ou liquidation judiciaire. Le fait d’être commerçant est insuffisant pour déclarer la faillite du commerçant lorsque les dettes de celui-ci sont de nature civile. La Cour de cassation, quant à elle, dans son arrêt du 12 novembre 1894226, précise que la commercialité d’une activité résulte « notamment de la mention d’un ensemble de circonstances de fait, telles que l’existence d’un marché dans lequel le débiteur a pris la qualité de commissionnaire, la part prise aux agissements de son frère commerçant avec lequel il était dans l’indivision, et enfin la notoriété publique ».

La Cour de cassation fait référence à l’existence d’un « ensemble de circonstances de fait », c’est-à-dire un faisceau d’indices qui révèlent ou non le caractère commercial de

225 Cour de Lyon, 23 décembre 1885, Journal des faillites, 1887, art. 739, p. 26. Voir aussi Cour de Lyon, 28

juin 1894, 2e Ch., Journal des faillites, 1896, p. 59. « N’est pas commerçant, et ne peut, comme tel, être déclaré en faillite, le propriétaire de vignobles qui, en dehors de la vente des vins provenant de ses vignes, place, moyennant rétribution, les vins de quelques autres propriétaires, en agissant au nom de ses mandants et pour le compte de ceux-ci. La circonstance que, pour la représentation et pour l’exploitation de ses propriétés, il aurait acheté et revendu un certain nombre de chevaux ne saurait lui donner la qualité de commerçant ».

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Cassation civile, 12 novembre 1894, Journal des faillites, 1894, art. 1990, p. 290. « La constatation de l’exercice habituel de la profession de commerçant n’est pas assujettie à l’emploi de termes sacramentels. Elle résulte notamment de la mention d’un ensemble de circonstances de fait, telles que l’existence d’un marché dans lequel le débiteur a pris la qualité de commissionnaire, la part prise aux agissements de son frère commerçant avec lequel il était dans l’indivision, et enfin la notoriété publique. »

l’activité. En l’espèce, la Cour de cassation relève l’existence d’un marché où le débiteur avait pris la qualité de commissionnaire. En outre, le débiteur participait aux activités de son frère commerçant et, de surcroît, le caractère commercial de leur activité était connu de tous. La notoriété de leur activité et l’exercice auxquels se livraient les deux frères justifiaient le caractère commercial de leur profession. La Cour de cassation maintient ainsi une ancienne jurisprudence bien établie227. En revanche, la femme mariée et le mineur non émancipé sont considérés comme des débiteurs civils228. En effet, pour être déclaré en faillite, il ne suffit pas de se conduire comme un commerçant, il faut aussi la capacité de l’être. Ainsi, l’incapable qui se livre à des opérations commerciales ne peut pas être commerçant. Par conséquent, ne peuvent être déclarés en faillite ni le mineur ni la femme mariée à qui le consentement du mari aurait fait défaut. C’est en ce sens que se prononce la Chambre civile de la Cour de cassation, le 18 avril 1882, qui confirme les prétentions de l’épouse qui affirmait que son mari mineur n’avait pas la qualité de commerçant et qu’il ne pouvait être déclaré en faillite. Elle soutenait en conséquence que son hypothèque légale ne pouvait être restreinte par application de l’article 563 du code de commerce prévu pour les cas de faillite229.

Cette jurisprudence exclut du champ d’application de la faillite les agriculteurs et tous ceux qui n’exercent pas à titre habituel et professionnel une activité de commerçant : ce sont tous des débiteurs civils. Cette exclusion est caractéristique de la législation française au XIXe siècle et n’est justifiée ni par le recours aux sources romaines du droit français ni par les nécessités sociales ou économiques de l’époque. Par ailleurs, comme le souligne la doctrine, les tentatives d’extension du droit de la faillite aux non-commerçants ont échoué230. Il semble qu’il s’agit là d’une négligence du législateur français, qui s’est contenté de reprendre une pratique juridique en vigueur sous l’Ancien Régime à laquelle il est resté fidèle. C’est pourquoi, la loi sur les faillites et la liquidation judiciaire ne s’applique qu’aux commerçants.

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Cour de cassation,11 février 1812, cité par C. Ducoin, Guide Judiciaire et pratique en matière de faillites, Paris, 1875, p. 371, note 501.

228 E. Malapert, Du régime de la liquidation judiciaire, de ses inconvénients et de ses avantages, de sa

comparaison avec le régime de la faillite, Paris, 1892, p. 16 et s.

229 Ch. Lyon-Caen et L. Renault, P.D.C., Paris, 1884-1885, p. 590 note 3. Voir aussi : Ch. Lyon-Caen et L.

Renault, Manuel de droit commercial, 1910, p. 761 et s.

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