• Aucun résultat trouvé

La gestion de la défaillance des commerçants au XIXe siècle

LE TRAITEMENT DES DÉFAILLANCES D’ENTREPRISES PAR LE LÉGISLATEUR

Section 1 – Les justiciables du droit de la faillite

B) La gestion de la défaillance des commerçants au XIXe siècle

Avec l’adoption de la loi du 4 mars 1889, la cessation des paiements engendre soit la faillite soit la liquidation judiciaire, qui ne s’applique qu’aux commerçants de profession. Toutefois, le caractère commercial de la dette ne suffit pas à lui seul pour ouvrir une procédure de faillite ou de liquidation judiciaire. Il faut, en outre, prouver la récurrence de l’activité commerciale. Pour pouvoir être déclaré en faillite, la personne doit être reconnue comme un commerçant ayant la capacité et exerçant une activité commerciale à titre habituel231. Outre la cessation des paiements, la nature et la régularité de l’activité sont prises en compte par la jurisprudence pour juger de l’état de faillite d’un commerçant. Il ne suffit pas d’avoir accompli quelques opérations de commerce « accidentellement », selon le terme employé par E. Thaller232, mais il est indispensable d’être commerçant de profession. Tel est le cas, par exemple, des agents de change233. Le tribunal de commerce de Saint-Etienne confirme cette position lorsqu’il précise qu’un « simple employé de commerce, contre lequel on n’établit point qu’il se livre en son nom personnel à des actes de commerce et qui justifie au contraire qu’il n’est point imposé comme commerçant, ne doit pas être considéré comme tel et ne peut, en conséquence, être déclaré en faillite »234.

Ainsi, pour la Haute Cour, l’exercice habituel de la profession de commerçant peut se révéler par un ensemble de faits caractérisant l’activité, par exemple l’existence d’un marché et la notoriété publique. En d’autres termes, un ensemble de pratiques et de présomptions ou de faisceaux d’indices sont nécessaires pour être susceptibles de constituer la qualité de

commerçant de fait afin de justifier l’ouverture d’une procédure collective. La Cour de

cassation reconnaît la possible existence de cet état de fait pouvant être soumis à la faillite235.

231 Cour de Lyon, 28 juin 1894, 2e Ch., Journal des faillites, 1896, p. 59 : « N’est pas commerçant, et ne peut,

comme tel, être déclaré en faillite, le propriétaire de vignobles qui, en dehors de la vente des vins provenant de ses vignes, place, moyennant rétribution, les vins de quelques autres propriétaires, en agissant au nom de ses mandants et pour le compte de ceux-ci. La circonstance que, pour la représentation et pour l’exploitation de ses propriétés, il aurait acheté et revendu un certain nombre de chevaux ne saurait lui donner la qualité de commerçant. »

232

E.E. Thaller et J. Percerou, Traité élémentaire de droit commercial à l’exclusion du droit maritime, 8e

édition, 1931, p. 1071.

233 E.E. Thaller, De la faillite des agents de change, Paris, 1883, p. 22 n°13 et s. : « La compétence consulaire

ne peut s’expliquer que par le caractère commercial de l’intervention de l’agent » et cite l’arrêt de la Chambre civile du 25 juillet 1864 : « Le Trib de com. est compétent […] quand c’est l’agent de change qui est actionné en justice pour l’exercice de son mandat, considéré comme fait de courtage ou de commission, aux termes de l’article 632. »

234 Trib. de com. de Saint-Etienne, 28 juin 1898, Journal des faillites, 1899, art. 3306, p. 318. 235

La position de la Cour de cassation connaît une limite : la femme mariée et le mineur non émancipé ne peuvent pas être déclarés en faillite ou en liquidation judiciaire. En effet, pour être déclaré en faillite, il ne suffit pas de se conduire comme un commerçant, il faut aussi la capacité de l’être. Par conséquent, ne peuvent être déclarés en faillite ni le mineur ni la femme mariée à qui le consentement du mari aurait fait défaut236.

En revanche, il est possible de déclarer en faillite ou en liquidation judiciaire un commerçant décédé, car le décès n’empêche ni la faillite ni la liquidation judiciaire237. L’article 447 alinéa 2 dispose que la faillite d’un commerçant peut être déclarée après son décès s’il est mort en état de cessation des paiements, mais la déclaration de faillite ne pourra être prononcée que dans l’année qui suit le décès. Porter la procédure de faillite sur les biens comprenant la succession du commerçant décédé est dans l’intérêt des créanciers. La faillite peut frapper le de cujus à condition que la cause de la faillite se soit déjà produite chez le défunt avant son décès. La faillite peut être prononcée à la demande des créanciers ou même d’office dans le délai d’un an après le décès238.

Ainsi le tribunal de commerce de Saint-Etienne est-il amené à se prononcer, le 16 juillet 1895239, sur la demande des créanciers de François Cauchaud, négociant en vins à Rive-de-Gier. Les créanciers Morrel et Virissel ont assigné les héritiers du défunt Cauchaud pour que sa faillite soit prononcée. En effet, ce dernier, avant son décès, le 9 juin 1895, devait des sommes importantes à Morrel et Virissel. Deux billets d’un montant de 2000 francs et 1250 francs n’avaient pas été honorés à leur échéance. Ils avaient été enregistrés mais avaient été protestés par exploit d’huissier, respectivement le 19 janvier 1895 et le 1er avril 1895. S’appuyant sur l’article 795 du code civil, qui accorde à tous les héritiers d’une personne décédée trois mois et quarante jours pour prendre qualité, les héritiers soutiennent que ce n’est qu’après l’expiration de ce délai que les demandeurs peuvent utilement diriger leur action contre eux, conformément à ce qui est prescrit par l’article 174 du code procédure civile. Le tribunal estime que les héritiers de François Cauchaud opposent à la demande de Morrel et Virissel une exception dilatoire tirée de l’article 795 du code civil. Il précise qu’ils n’ont saisi le tribunal d’aucune demande contre les héritiers du défunt et n’ont été intimés

236

Ch. Lyon-Caen et L. Renault, P.D.C., Paris, 1884-1885, p. 590 note 3. Voir aussi : Ch. Lyon-Caen et L. Renault, Manuel de droit commercial, 1910, p. 761 et s.

237 E. Malapert, op. cit., p. 19 et s.

238 E.E. Thaller, Traité élémentaire de droit commercial, 3e édition, Paris, 1904, p. 859, n° 1723. 239

Trib. de com. de Saint-Etienne, 16 juillet 1895, Journal des faillites, art. 2035, p. 464. « L’héritier assigné pour voir déclarer la faillite de son auteur décédé en état de cessation de paiements ne peut exciper du délai de trois mois et quarante jours accordé par l’article 795 du code civil pour faire inventaire et délibérer, pour obtenir qu’il soit sursis à la demande jusqu’après l’expiration dudit délai. En conséquence, le tribunal doit hic et nunc déclarer la faillite du commerçant décédé. »

dans l’instance que comme représentants légaux de leur auteur. Le tribunal ajoute qu’aucune conclusion n’est prise contre eux en leur nom personnel et que la demande sur laquelle il est appelé à statuer n’est pas de nature à porter atteinte aux droits que les héritiers Cauchaud tiennent soit de l’article 795 du code civil, soit de l’article 174 du code de procédure civile. Par conséquent, après avoir rappelé les dispositions de l’article 437 du code de commerce, le tribunal considère que la loi autorise tous les créanciers d’un commerçant décédé à provoquer la mise en faillite de ce dernier et n’impose à la recevabilité d’une demande ainsi formée qu’une double condition : l’antériorité de la cessation des paiements au décès et l’obligation de former la demande dans l’année du décès, ce qui, en l’espèce, est le cas des créanciers Morrel et Virissel. Le tribunal déclare donc la faillite de François Cauchaud par application de l’article 437 du code de commerce. Il ressort de la décision du tribunal que l’héritier qui souhaite éviter la faillite de son ascendant ne peut demander que la mise en liquidation judiciaire.

La loi de 1889 admet qu’un débiteur décédé puisse être déclaré en liquidation judiciaire. Pour cela, les conditions de l’article 2 alinéa 3 doivent être remplies :

« Peuvent être admis au bénéfice de la liquidation judiciaire de la succession de leur auteur les héritiers qui en font la demande dans le mois du décès de ce dernier, décédé dans la quinzaine de la cessation de ses paiements, s’ils justifient de leur acceptation pure et simple ou bénéficiaire »240.

Contrairement à la faillite, la liquidation judiciaire ne peut être demandée que par le débiteur dont le décès transmet ce droit à ses héritiers, à condition qu’ils agissent rapidement, dans la mesure où leur demande doit être déposée dans les trente jours suivant le décès du débiteur. Il faut également que le débiteur soit décédé en état de cessation des paiements, puisque la loi exige que le décès intervienne dans la quinzaine de la cessation des paiements du débiteur, alors que la faillite peut être déclarée dans l’année qui suit le décès. La loi de 1889 reprend les dispositions prévues pour la faillite prononcée sur l’aveu du failli et confirme l’importance que le législateur accorde au temps dans le traitement des difficultés des commerçants. La liquidation judiciaire n’est accordée au débiteur que s’il déclare, dans les quinze jours241, se trouver dans une situation difficile. Il doit présenter dans les quinze

240 Ch. Lyon-Caen et L. Renault, Manuel de Droit Commercial, op. cit., p. 1100, n° 1272.

241 L’article 438 alinéa 1 dispose que tout failli sera tenu, dans les trois jours de la cessation de ses paiements,

jours suivant la cessation de ses paiements une requête afin d’obtenir la liquidation judiciaire242.

E. Thaller estime qu’il n’est pas possible qu’une personne qui s’est retirée de la direction de ses affaires puisse bénéficier de la liquidation judiciaire, « à moins que la cessation des paiements du commerçant à la retraite, c’est-à-dire qui s’est retiré du monde des affaires (par vente du fonds ou par abandon), ait préexisté à sa retraite »243. En revanche, la loi permet de déclarer la faillite d’un commerçant même après son retrait des affaires. Ainsi, une personne qui ne possède plus le statut de commerçant mais qui a cessé son activité en état de cessation des paiements peut être déclarée en faillite, à condition que la cessation des paiements soit antérieure à son retrait des affaires. Selon cette doctrine244, si le commerçant s’acquitte régulièrement de ses dettes auprès de ses créanciers avant sa cessation d’activité et qu’il cesse de s’en acquitter après sa cessation, la faillite n’existe pas, en raison de l’absence des deux conditions requises par la loi que sont la qualité de commerçant et la cessation des paiements245.

À l’inverse, le négociant qui s’est retiré des affaires à un moment où son actif était supérieur à son passif ne doit pas être considéré comme ayant conservé la qualité de commerçant au seul motif qu’il a laissé en souffrance une dette contractée pendant l’exercice de son activité. Dès lors, il ne peut être mis en faillite que s’il est établi que son insolvabilité est survenue postérieurement à son retrait des affaires et qu’il n’y a pas lieu de faire remonter la cessation de ses paiements à une période où il était encore commerçant246. Ainsi, un arrêt de la cour d’appel de Besançon, en date du 9 février 1872, considère que le sieur Robbe s’est retiré des affaires et a cessé son activité commerciale en 1886, alors que son actif était

242 Article 2 alinéa 1er loi de 4 mars 1889. Voir aussi : Trib. de com. de Lyon, 1er octobre 1891, Arch. dép.

Rhône, faillite, 1891, Jugement déclaratif, 6 up 1/ 2352, Faillite Revol : En l’espèce, le Trib de com. de Lyon déboute le sieur Revol de sa demande tendant au bénéfice de la liquidation judiciaire au motif qu’« il a suspendu ses paiements bien antérieurement aux quinze jours qui ont précédé sa requête et qu’ainsi il s’était constitué en état de faillite ».

243 E.E. Thaller, Traité élémentaire de droit commercial, Paris, 1898, p. 819. 244

E.E. Thaller, Traité élémentaire de droit commercial, op. cit., p. 819.

245 Voir Cour d’appel de Lyon, 2 mars 1878, D., 1878, II, p. 70 ; Ch. Req. 3 mai 1880, D. 1880, partie 1, p.

72 : « Le gérant d’une société en commandite, cessant d’être commerçant à la dissolution de la société, ne peut être déclaré en faillite, s’il faisait honneur à ses engagements lors de cette dissolution, et s’il n’est pas redevenu commerçant depuis. » Ch. Lyon-Caen et L. Renault, P.D.C., op. cit., p. 601.

246

Cour de Cassation, 18 juin 1872, Pandectes chronologiques, tome V, partie I, p. 83 : « La Cour, aux termes de l’art. 437 du code de commerce considère que tout commerçant qui cesse ses payements est en état de faillite, qu’il résulte de cet article que les commerçants peuvent seuls être déclarés en faillite, que le négociant qui s’est loyalement retiré des affaires à un moment où son actif était supérieur à son passif, ne doit pas être considéré comme ayant nécessairement conservé la qualité de commerçant par cela seul qu’il a laissé en souffrance une dette contractée pendant l’exercice de son industrie, qu’il ne saurait, dès lors, être mis en faillite s’il est établi que son insolvabilité n’est survenue que depuis sa retraite, et qu’il n’y a pas lieu de faire remonter sa cessation de payements à une époque antérieure. »

supérieur à son passif. Tous les créanciers avaient été désintéressés, à l’exception des demandeurs, car le sieur Robbe avait la conviction que leur créance devait se compenser par une dette personnelle contractée par lui envers l’un d’eux. Mais, en l’espèce, la Cour de cassation juge que, dans les circonstances où il est intervenu, le défaut de paiement de l’unique créance est insuffisant pour constituer un état de cessation de paiement.

L’application des mesures sur la faillite et la liquidation judiciaire aux commerçants personnes physiques suscite moins de questionnements à la justice consulaire que le traitement des sociétés. Dans la première situation, la jurisprudence se prononce, au cas par cas, par une analyse empirique de la situation de chacun des individus pour les soumettre ou non à la faillite ou à la liquidation judiciaire. En revanche, l’analyse de la situation des sociétés est plus complexe que celle des personnes physiques. Le développement des échanges économiques et industriels favorisant la création des sociétés, celles-ci sont confrontées aux aléas du monde économique et victimes elles aussi de défaillance.

§ 2 – La gestion de la défaillance des personnes morales par le législateur

La faillite et la liquidation judiciaire des sociétés préoccupent le législateur mais aussi la doctrine et la jurisprudence. Des confrontations doctrinales existent pour trancher les situations de crise. Si la jurisprudence rencontre peu de difficultés pour le traitement de la défaillance des sociétés commerciales régulièrement constituées (A), il n’en va pas de même pour les sociétés nulles ou pour les sociétés de fait (B) ni pour les associés qui font face à la faillite ou à la liquidation judiciaire (C).

Outline

Documents relatifs