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LES AMÉNAGEMENTS PAR LA JURISPRUDENCE DU DROIT DE LA FAILLITE

Section 1 – La réorganisation de la déconfiture par la jurisprudence

B) L’effet erga omnes de la faillite

Une distinction primordiale existe entre faillite et déconfiture car la première a un effet erga omnes alors que la seconde n’a d’effet qu’inter partes (a). Par ailleurs, la faillite bénéficie de dispositions légales précises, contrairement à la déconfiture (b).

a) L’effet relatif – inter partes – du jugement de déconfiture

Une différence essentielle existe entre la faillite et la déconfiture. La première est déclarée dans un jugement unique, qui s’adresse et s’impose à tous tandis que la seconde peut être reconnue par un jugement à l’égard de tel(s) créancier(s) et ne pas l’être à l’égard de tel(s) autre(s). Le jugement « n’a d’effet qu’inter partes, selon l’article 1351 du code civil »436. Ainsi, un débiteur déconfit pourra être reconnu insolvable vis-à-vis d’un créancier mais non vis-à-vis d’un autre en raison de l’autorité relative de la chose jugée, et notamment de l’absence de mesures de publicité et du défaut d’organisation collective en matière de déconfiture.

La cour d’appel de Lyon reconnaît le caractère relatif d’un jugement prononçant l’état de déconfiture d’un débiteur. En conséquence, le jugement ne peut pas avoir de

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conséquences générales et dessaisir le déconfit de l’administration de ses biens. Ainsi, dans l’affaire Boissonnet contre Lyonnet, jugée en date du 23 février 1869437, elle affirme que l’état de déconfiture, à la différence de l’état de faillite, ne dessaisit pas le déconfit de l’administration de ses biens. Par conséquent, les biens du déconfit Boissonnet continuent de demeurer le gage commun des créanciers. C’est pourquoi la déconfiture de Boissonet ne fait pas obstacle à ce que sa créance auprès de Lyonnet soit payée par compensation.

Il existe très peu de dispositions légales à propos de l’état de déconfiture. En revanche, concernant la faillite, le législateur a pris soin d’édicter des règles nombreuses et précises.

b) Les dispositions légales – erga omnes – du jugement de faillite

Concernant la faillite, le législateur a prévu des dispositions explicites. Le livre III du code de commerce traite de la faillite et, depuis la loi du 4 mars 1889, de la liquidation judiciaire, alors que, concernant la déconfiture, il a laissé la question libre d’interprétation. Ainsi, l’article 1818 du code civil précise qu’en cas de faillite le débiteur perd le bénéfice du terme qui lui avait été accordé en raison de l’application du principe d’égalité entre tous les créanciers. Par conséquent, lors d’une procédure de déconfiture, les créanciers sont moins bien protégés par la loi qu’ils ne le sont lors d’une procédure de faillite. Cette inégalité existe également dans le traitement des débiteurs, qui connaît des différences appréciables selon qu’il s’agisse d’une procédure de déconfiture ou d’une procédure de faillite.

La loi protège moins les non-commerçants que les faillis. Ainsi, le commerçant failli est protégé par l’article 409 du code de commerce, en vertu duquel il pourra se faire réserver les « vêtements, hardes, meubles et effets nécessaires » à lui-même et à sa famille et les objets « servant à l’exploitation de son fonds de commerce »438. À l’inverse, si le débiteur est un insolvable non-commerçant, pourront faire l’objet d’une saisie le matériel servant à l’exercice de son activité y compris ses vêtements pour que leur vente permette de désintéresser les créanciers. Par ailleurs, aux termes de l’article 474 du code de commerce, «le failli pourra obtenir pour lui et sa famille sur l’actif de sa faillite des secours alimentaires

437 A. Dupin, op. cit., p. 48. Cour d’appel de Lyon, 23 février 1869, D. 1869, II, p. 224. 438 R. Garraud, op. cit., p. 113 et s.

qui seront fixés d’après certaines règles indiquées par la loi ». Il pourra même être employé pour travailler, moyennant un salaire, aux opérations de la faillite (article 488).

En outre, les poursuites individuelles cessent contre le commerçant failli dès le jugement, alors que, lorsqu’il est en état de déconfiture, l’insolvable non-négociant ne peut pas invoquer la cessation des poursuites.

Enfin, le privilège accordé par l’article 507 du code de commerce permet au commerçant failli d’imposer à ses créanciers les avantages, termes ou réductions de créances que lui ont consenties certains de ses créanciers dans le cadre de la procédure du concordat. À l’inverse, lors d’une cession de biens volontaire, le débiteur sera libre de conclure avec son créancier le traité qui conviendra aux deux parties. Néanmoins, lorsque les avantages accordés à un créancier ne sont pas consentis à tous, le traité ne liera que ceux qui l’auront signé. En conséquence, en matière de déconfiture, un concordat ne peut donc être adopté qu’à l’unanimité des voix des créanciers.

Cependant, la pratique en a décidé autrement. Elle a estimé que, à l’exemple du débiteur failli, le débiteur civil déconfit devait être mieux protégé. Ainsi, le sieur Liogier, notaire à Saint-Etienne, en raison de ses pertes, perd son office. Ses créanciers le poursuivent par de nombreuses saisies-arrêts et refusent la cession des biens du notaire déconfit. Ce dernier demande alors en référé au président du tribunal civil de Lyon de nommer un séquestre. Cela est fait par une ordonnance en date du 21 août 1852 qui ordonne la suspension de toutes poursuites individuelles et qui nomme Me Didier, avoué à Lyon, séquestre judiciaire des biens du failli afin de recouvrer, dans l’intérêt de tous les différentes créances de sieur Liogier. Il est chargé de répartir les créances recouvrées entre les différents créanciers dans le respect de leurs droits. Le président du tribunal civil de Lyon autorise par ailleurs Me Didier « à exercer au nom du débiteur toutes poursuites nécessaires, à produire dans tous ordres, contributions, donner mainlevée de toutes saisies-arrêts ou inscription avec ou sans payement, passer toutes quittances ou décharges, donner tous mandats et procurations, entendre, débattre, clore et arrêter tous comptes, en recevoir ou payer le reliquat, faire toutes recettes ou dépenses avec la possibilité d’accorder des termes et délais, de plaider, de s’opposer, de transiger en tout état de cause, et faire, en un mot, au nom du sieur Liogier, et dans la plus grande latitude, ce que ce dernier aurait pu faire pour le recouvrement de son actif »439.

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Le séquestre judiciaire ainsi nommé assume l’administration des biens du débiteur qui en dessaisi et agit en qualité de représentant du débiteur et des créanciers. Le débiteur civil qu’est le sieur Liogier est protégé à l’instar du failli de la poursuite individuelle de ses créanciers par la suspension des poursuites que le président du tribunal civil de Lyon ordonne. Par cette décision, le juge lyonnais met en place pour le débiteur civil une protection omise par le législateur. L’un des créanciers du notaire déconfit, le sieur Chasseignieux, interjette appel. La cour d’appel de Lyon confirme l’ordonnance par un arrêt en date du 26 mai 1853 et la nomination d’un séquestre judiciaire. Le sieur Chasseignieux se pourvoit en cassation. Le 17 janvier 1855, la cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel de Lyon en ces termes :

« Attendu que la déconfiture du débiteur, à la différence de la faillite, n’a point pour effet de le dessaisir de ses biens, ou d’enlever à ses créanciers le droit de le poursuivre individuellement; que ceux-ci ne peuvent pas être privés arbitrairement de ce droit, ni assujettis pour son exercice à des formalités autres que celles prescrites par la loi ; – Attendu que le séquestre judiciaire a pour but unique la conservation, soit d’une chose litigieuse, soit d’une chose affectée à la garantie des obligations de ce débiteur; que ce séquestre peut bien autoriser le tiers qui en est chargé à faire les actes d’administration nécessaires à la conservation de la chose séquestrée, mais non empêcher un créancier d’exercer même sur cette chose son droit de poursuite; – Que si ces principes d’ordre public lient le juge prononçant dans toute la plénitude de sa juridiction, à plus forte raison le juge des référés, statuant d’urgence et sans jamais préjudicier au principal, ne peut y porter atteinte par des mesures à tort par lui qualifiées de provisoires, mais en réalité définitives, lorsqu’elles aboutissent au droit d’action que tout créancier tient de son titre et de la loi ; – D’où il suit que la cour d’appel de Lyon, saisie par appel de l’ordonnance de référé du président du tribunal civil de la même ville, en nommant Didier séquestre judiciaire des biens de Liogier, avec mission de recouvrer seul tout l’actif de ce débiteur, d’en faire seul la répartition entre ses divers créanciers, toutes les fois que les sommes recouvrées excéderaient 4,000 fr., à la charge d’en rendre compte à qui de droit, en déclarant désormais les créanciers qui avaient déjà dirigé ou qui se proposaient de diriger des poursuites contre Liogier passibles des frais des procédures qu’ils pourraient faire, a commis un excès de pouvoir, violé les règles de sa compétence »440.

Par conséquent, la Cour de cassation estime que le séquestre n’est qu’un dépositaire. Selon les dispositions de l’article 1962 du code civil, il n’est chargé que de garder et de

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conserver. Ses pouvoirs ne peuvent aller jusqu’à remplacer les créanciers dans leurs droits d’action et de poursuite. Nonobstant cette position explicite de la Haute Cour, les tribunaux du ressort de la cour d’appel de Lyon restent, tout au long du XIXe siècle, très prolifiques dans leur innovation jurisprudentielle en matière de procédure collective441.

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Trib. civ. de Saint-Etienne, D., 1875, II, p. 149. Il s’est fondé, pour ordonner la suspension des poursuites, sur l’état de déconfiture de la société, sa mise sous séquestre et la nécessité de laisser au séquestre, nommé dans les conditions de l’article 681 du code de procédure civiles les fonds nécessaires pour conserver, en le gérant, l’actif social. Il a ainsi assimilé la déconfiture à une faillite et le séquestre à un syndic. En d’autres termes il a assimilé le syndic à un liquidateur judiciaire investi des pouvoirs les plus étendus pour réaliser l’actif.

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