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Le caractère collectif de la procédure de faillite et la primauté de l’égalité des créanciers

LES AMÉNAGEMENTS PAR LA JURISPRUDENCE DU DROIT DE LA FAILLITE

Section 1 – La réorganisation de la déconfiture par la jurisprudence

A) Le caractère collectif de la procédure de faillite et la primauté de l’égalité des créanciers

En matière de recouvrement des créances, la centralisation de la procédure collective (a) permet de garantir l’égalité des créanciers (b).

a) La centralisation de la procédure collective

La première différence entre la faillite et la déconfiture réside dans le fait que, dans le cas de la faillite, les opérations de recouvrement sont centralisées425. C’est une procédure collective. Tous les créanciers sont prévenus de la mise en faillite du débiteur, non-seulement par des insertions dans les journaux, mais aussi par courrier afin qu’ils participent aux opérations collectives. Comme dans le cas de la faillite de la demoiselle Kapps426, débitante demeurant à Lyon. Celle-ci est prononcée sur assignation d’un créancier, le sieur Richard. Le tribunal de commerce constate que ladite personne ayant cessé ses paiements, elle s’est ainsi constituée en état de faillite. L’ouverture de la faillite est fixée par le tribunal à la date du jugement. Le tribunal nomme également Monsieur Piotet juge commissaire et, comme syndic provisoire, Me Felix Regaud. Il ordonne l’apposition des scellés au domicile, magasins, meubles, sur les livres, papiers et sur toutes les facultés mobilières de la faillie. Le tribunal prononce également une mesure restrictive de liberté et octroie au syndic la faculté de placer la faillie dans une des maisons d’arrêt de la ville de Lyon, mesure exécutoire immédiatement, nonobstant opposition ou appel. Les juges consulaires décident enfin que l’extrait de ce jugement sera adressé soit au procureur de la République soit au juge de paix du domicile de

425 L.A. De Montluc, op., cit, p. 6 et s. R. Garraud, op. cit,. 74 : « La faillite est une procédure d’ensemble à

laquelle sont reliés tous ceux auxquels il est dû quelque chose. »

426 Trib. de com. de Lyon, 2 août 1888, Arch. dép. Rhône, faillite, 1888, Jugement déclaratif, 6 up 1/ 2311,

la faillie. Une disposition complémentaire prévoit la publication du jugement dans les journaux. L’huissier Balmont est mandaté pour signifier le jugement à la faillie.

Par ailleurs, dès la déclaration de faillite, toutes les poursuites individuelles sont suspendues, à l’exception de celles qui ont trait aux créanciers hypothécaires ou privilégiés qui, en cas de déconfiture comme en cas de faillite, sont considérés comme restant en dehors de la masse427. En revanche, dans le cas de la déconfiture, chaque créancier, qu’il soit hypothécaire ou privilégié ou simple chirographaire, exerce ses poursuites individuellement. Aucun créancier n’est tenu d’arrêter son action ni d’être averti de la déconfiture afin de faire valoir ses droits. Ainsi, dans l’affaire Dumarest contre les époux Gonin et Me Juron, jugé le 11 janvier 1884, le tribunal civil de Lyon estime que la nomination d’un séquestre judiciaire à un débiteur tombé en déconfiture ne dépouille pas ses créanciers de leurs actions individuelles et du droit de faire prononcer contre lui un jugement de condamnation, à l’effet de se procurer un titre exécutoire428. Cela signifie que les créanciers peuvent poursuivre leurs actions individuelles dans le cadre d’une déconfiture.

L’égalité des créanciers n’existe pas en matière de déconfiture mais elle est garantie en matière de faillite ou de liquidation judiciaire après la mise en place de cette dernière en 1889.

b) La garantie de l’égalité des créanciers

La seconde différence entre la faillite et la déconfiture relève du principe d’égalité entre les créanciers. Le code civil considère comme parfaitement légal d’accorder à tel ou tel de ses créanciers une condition privilégiée par rapport aux autres, alors même que le débiteur se trouve notoirement et incontestablement dans une situation précaire. À l’inverse, le code de commerce établit, après la date de cessation des paiements, la nullité de tous les actes tendant à favoriser certains créanciers par rapport aux autres429. Certains actes sont révoqués de plein droit lorsqu’ils sont établis pendant la période suspecte alors que, d’après les

427

E.E. Thaller, Traité élémentaire de droit commercial, Paris, 1898, p. 965 et s.

428 Trib. civ.de Lyon, 11 janvier 1884, La jurisprudence de la cour d’appel de Lyon, op. cit., p. 536.

429 L.A. De Montluc, De la faillite des non-commerçants, op., cit, p. 6 et s. : « Le législateur semble avoir pris,

dans la déconfiture, peu de souci de ce grand principe d’égalité qui forme, au contraire, comme la pierre angulaire de la faillite. »

dispositions de la loi civile édictées par l’article 1107 du Code Napoléon, certains actes peuvent être annulés lorsqu’ils ont été faits au préjudice des créanciers430.

Le principe d’égalité des créanciers dans le cadre d’une procédure de faillite est reconnu par le tribunal civil de Lyon dans son jugement du 29 juillet 1871, lorsqu’il affirme que le législateur qui a voulu, dans l’intérêt du commerce, une égalité complète entre les créanciers d’un failli n’a édicté aucune règle de ce genre quant au créancier d’un simple particulier. Il affirme a contrario que, compte tenu que le législateur n’a prévu aucune disposition assurant une égalité quelconque dans le cadre d’une déconfiture il n’existe pas d’égalité de traitement entre les créanciers. En conséquence, les présomptions légales de preuve établies par les articles 446 et 447 ne sont pas applicables à la déconfiture. Ainsi, la fraude, prévue par l’article 1167 du code civil, ne saurait résulter du seul fait que le créancier aurait connu ou redouté l’insolvabilité du débiteur et se serait fait donner en prévision une sûreté particulière431. En conséquence, le tribunal civil de Lyon précise que les présomptions légales de preuve établies par les articles 446 et 447 ne sont pas applicables à la déconfiture. Si les créanciers veulent « attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits » ils peuvent le faire en application de l’article 1167 du code civil. En d’autres termes, les créanciers peuvent bénéficier de l’action paulienne.

Des différences existent entre les dispositions de l’article 1167 du code civil et celles établies par le code de commerce dans ses articles 410, 447 et 448. En premier lieu, l’action paulienne ne s’applique d’une manière absolue qu’aux libéralités. En effet, le tribunal civil de Lyon, dans son jugement en date du 25 mars 1871 estime que la donation faite par le sieur Faucon à ses enfants en bas âge n’avait pour but que de rendre insaisissables ses biens. Le tribunal considère que le but évident de cette donation était de ménager au donateur et à ses enfants tous les avantages possibles de la propriété, en fraude des droits de ses créanciers432. Quant aux actes à titre onéreux, comme une vente, un échange, un louage ils ne pourront être révoqués en vertu de l’article 1167 du code civil qu’autant qu’il y a eu et chez le débiteur et chez le tiers avec lequel il aura contracté, sinon intention de porter préjudice aux créanciers

430 L.A. De Montluc, op., cit, p. 11 et s : « Il est parfaitement licite de faire à tel ou tel de ses créanciers une

condition privilégiée par rapport aux autres, alors même que le débiteur se trouve notoirement et incontestablement au dessous de ses affaire, tandis que le Code de commerce (articles 44(5 et 117) établit la nullité de tous actes tendant à favoriser tel des créanciers, après la cessation de paiement ; pour certains actes même, il suffit qu’ils aient précédé de moins de dix jours l’époque de la cessation des paiements, pour qu’ils soient révoqués de plein droit. »

431 Trib. civ.de Lyon, 29 juillet 1871, Moniteur judiciaire de Lyon, 14 octobre 1871 cité par A. Dupin, De la

Faillite civile, nécessité de son organisation, op. cit., p. 52 et Allard, Boissard et Bonjour, La jurisprudence de la cour d’appel de Lyon et les décisions remarquables des tribunaux du ressort, Lyon, 1871, p. 446.

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du premier, du moins conscience que ce préjudice existera. C’est là une condition qui restreint singulièrement le champ d’application de l’action paulienne, en imposant aux créanciers la charge de la preuve. Ainsi, dans l’affaire Moreau et consorts contre Dervieux et Parent, le tribunal civil de Lyon affirme que la nullité découlant de l’article 1167 du code civil ne saurait s’appliquer que si le demandeur justifie qu’il y a eu réellement fraude, c’est-à- dire non seulement préjudice mais encore intention de nuire de la part du débiteur et enfin complicité de cette intention frauduleuse de la part des tiers ayant contracté avec ce dernier433.

L’action paulienne nécessite non seulement intention de nuire au droit des créanciers mais aussi connaissance par l’acquéreur de cette nuisance. En revanche, dans la faillite, une fois que le jugement déclaratif est prononcé, tous les actes sans distinction sont nuls. Bien qu’il n’y ait de la part des tiers contractants aucune connaissance de la cessation de paiement, certains actes à titre onéreux peuvent être rétroactivement annulés, s’il est prouvé que la cessation de paiements remonte à l’époque où le contrat a eu lieu.

D’autre part, l’action paulienne suppose toujours, même dans les actes de libéralités, que le débiteur avait connaissance qu’il portait préjudice à ses créanciers. Le jugement du tribunal civil de Lyon434 précise ce point dans la mesure où il est exigé de la part du demandeur qu’il prouve non seulement le préjudice mais encore l’intention de nuire de la part du débiteur. À l’inverse, en matière de faillite, l’article 440 du code de commerce, qui déclare nuls et sans effets « tous actes translatifs de propriétés mobilières ou immobilières, à titre gratuit », n’exige pas plus la connaissance de la cessation des paiements chez le débiteur lui-même qu’il ne l’exige chez le tiers auquel profite la libéralité.

En outre, l’action paulienne n’a pas pour conséquence de faire révoquer un acte antérieur à l’insolvabilité. À l’inverse, l’article 446 du code de commerce annule certains actes, comme les libéralités et certains paiements435.

Enfin, l’action paulienne n’est pas intentée au paiement d’une dette régulièrement due et payée à l’échéance, quelle que soit la mauvaise foi du débiteur et du créancier ainsi payé et quelles que soient les manœuvres employées par eux pour empêcher que les autres créanciers

433

Trib. civ.de Lyon, 1ère Ch., 9 mai 1889, Moniteur judiciaire de Lyon du 29 juillet 1889, cité dans La

jurisprudence de la cour d’appel de Lyon et les décisions remarquables des tribunaux du ressort, Lyon, 1889,

p. 371.

434

Trib. civ.de Lyon, 1ère Ch., 9 mai 1889, Moniteur judiciaire de Lyon du 29 juillet 1889, cité dans La

jurisprudence de la cour d’appel de Lyon et les décisions remarquables des tribunaux du ressort, Lyon, 1889,

p. 371.

ne soient alertés. En revanche, l’article 447 du code de commerce dispose que les paiements faits par le débiteur pour dettes échues après la cessation de ses paiements pourront être annulés à condition que les bénéficiaires des paiements aient eu connaissance du dépôt de bilan. Le code de commerce estime que, lorsqu’un débiteur est dans l’impossibilité de désintéresser tous ses créanciers intégralement, chacun d’eux cesse d’avoir droit à la totalité de sa créance et n’a plus droit qu’à un dividende. En d’autres termes, dans le cas d’une faillite, le débiteur ne peut pas favoriser tel créancier au préjudice des autres. À l’inverse, dans le cas d’une déconfiture, l’insolvable peut soit accorder à certains créanciers un paiement anticipé de dettes non encore échues, soit les payer, en concédant par exemple, un droit d’hypothèque ou de gage.

Il ressort de cette approche de la garantie de l’égalité des créanciers que la procédure de déconfiture n’a d’effet qu’entre les parties alors que la faillite a un effet erga omnes.

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