• Aucun résultat trouvé

Les effets poétiques selon Sperber et Wilson

Examen de quelques modèles théoriques

4. Effets poétiques et théorie de la pertinence

4.3 Les effets poétiques selon Sperber et Wilson

A la fin de leur livre en effet, Sperber et Wilson (ibid. : 326-336) consacrent un chapitre à la question du style, et en particulier aux phénomènes qu’ils qualifient d’effets poétiques (ibid. : 333). L’hypothèse d’une échelle scalaire organisée selon un axe implicitations fortes / implicitations faibles va conduire les auteurs à imaginer que certains phénomènes langagiers comme les effets poétiques se caractérisent par l’importance dans le traitement interprétatif d’implicitations faibles. Ils entendent ainsi montrer que le principe de pertinence permet à lui seul d’expliquer les effets interprétatifs découlant de la production d’effets poétiques. En ce sens, il s’agit d’une approche moniste de la poéticité, puisqu’elle n’envisage aucune rupture descriptive entre la communication ordinaire et le discours poétique. Pour étayer leur propos, ils vont s'attacher à étudier un certain nombre de phénomènes. Nous commençons par exposer leurs analyses des phénomènes d'épizeuxe, puis de zeugme. Dans un second temps, nous proposerons deux types d’objection. La première concerne le protocole expérimental adopté par les auteurs. Nous mettrons en particulier en évidence l’inadéquation entre les interprétations proposées, et la littérarité des énoncés sélectionnés. La seconde objection est théorique, et consiste à démontrer que l’hypothèse d’implicitations faibles, qui serait à l’origine des effets poétiques observés, est peu plausible dès lors que ces derniers sont envisagés dans le cadre de la théorie de la pertinence.

4.3.a L’étude de l’épizeuxe

Afin d’étayer leur propos, Sperber et Wilson vont s’appuyer sur l’observation d’un certain nombre d’exemples relevant de la figure de répétition qu’est l’épizeuxe :

(1) Il y a une chaussette rouge, une chaussette rouge, et une chaussette bleue. (2) Nous avons fait une longue, longue promenade.

(3) Il y avait des limaces, des limaces partout. (4) Jamais, jamais plus je ne fumerai.

(5) Il y a un renard, un renard dans mon jardin !

(6) Comme ils sont loin, loin les jours de mon enfance !

Selon les auteurs, le principe de pertinence suffirait à expliquer l’intégralité des effets produits par les phénomènes de réitération exposés dans ces exemples. Le raisonnement est le suivant : une réitération mobilisant en principe plus de ressources de l’interlocuteur, il est attendu par la théorie que les effets contextuels soient conséquents :

De notre point de vue, la tâche de l’auditeur qui entend ces énoncés est de réconcilier le fait qu’une certaine expression a été répétée avec l’hypothèse que le locuteur a cherché à être optimalement pertinent. Il est clair que l’effort de traitement linguistique supplémentaire demandé par la répétition doit être compensé par un accroissement des effets contextuels, accroissement produit par la répétition elle-même. (ibid. :

330)

L’interprétation du premier énoncé consiste à attribuer à chaque occurrence linguistique un référent distinct. L’effort de traitement est donc rentable en termes d’effets interprétatifs, et correspond par exemple à la situation d’une personne en train de faire un inventaire, chaque référent y étant considéré indépendamment des autres, et à tour de rôle. Dans l’énoncé (2), l’hypothèse de

référents distincts est exclue dans la mesure où les deux adjectifs portent sur le même substantif. Le fait que le locuteur ait utilisé plus de mots que nécessaire obéit selon la théorie de la pertinence au dessein de produire de manière optimale un effet contextuel. Le premier effet produit par la réitération consiste à attirer l’attention de l’interprétant sur le mot rédupliqué. Ce surcroît de focalisation entraîne mécaniquement une accentuation du sens exprimé par l’adjectif, qui acquiert une propriété intensive. La reformulation de (2) en (2’) « Nous avons fait une très longue promenade » est donc compatible avec le principe de pertinence. Dans l’énoncé (3), le parcours interprétatif est sensiblement différent, la réitération portant cette fois sur le substantif et non sur l’adjectif. Le sème /intensité/ ne saurait simplement être attribué à un substantif, de surcroît appartenant à la classe des animés. Le principe de pertinence commande de s’arrêter au premier effet contextuel satisfaisant. Or, dans l’énoncé (3), le sème /intensité/ est susceptible d’être transféré à l’adverbe « partout ». Dans la reformulation (3’), « Il y avait des limaces absolument partout », l’adverbe « partout » se trouve bien sous la portée d’un second adverbe d’intensité – « absolument ». L’énoncé (4) est assez proche du précédent, puisqu’il consiste à faire porter le trait /intensité/ sur un adverbe. Le mécanisme pour y parvenir est cependant plus simple ici car il procède de la réitération de l’adverbe lui-même. L’énoncé (4’), « Vraiment jamais plus je ne fumerai », en est donc une reformulation plausible, et de surcroît compatible avec le principe de pertinence. D’après Sperber et Wilson (ibid. : 329), le sens exprimé par les énoncés (1) à (4) est donc équivalent aux énoncés suivants :

(1’) Il y a deux chaussettes rouges, et une chaussette bleue. (2’) Nous avons fait une très longue promenade.

(3’) Il y avait des limaces absolument partout. (4’) Vraiment jamais plus je ne fumerai.

Dans chacun des quatre énoncés, un enrichissement propositionnel, par insertion d’un constituant numéral ou adverbial, suffit donc à restituer l’effet produit par la

réitération dans les énoncés sources. Cela est compréhensible si l’on admet que les énoncés (2) à (4) sont des versions « intensives » du sens d’énoncés équivalents sans réduplication :

(2’’) Nous avons fait une longue promenade. (3’’) Il y avait des limaces partout.

(4’’) Jamais plus je ne fumerai.

En revanche, d’après Sperber et Wilson, les énoncés (5) et (6) sont différents dans la mesure où les effets interprétatifs qui résultent de la présence des constituants réitérés ne consistent pas en une intensification du sens. Dans l’énoncé (5), le trait /intensité/ ne saurait porter sur un quelconque constituant de l’énoncé, contrairement aux interprétations précédentes qui consistaient à enrichir la forme propositionnelle de l’énoncé. Au contraire, le mécanisme interprétatif consiste plutôt pour l’auditeur « à élargir le contexte et à ajouter ainsi de nouvelles implicitations » (ibid. : 331).

Pour l’énoncé (5), dans un contexte avicole, la première implicitation associable au substantif « renard » serait par exemple que les renards mangent les poules, et donc que la présence d’un renard est potentiellement lourde de conséquences. L’ajout d’une implicitation correspondant à une entrée encyclopédique du terme réitéré permet de justifier de manière optimale l’épizeuxe, et n’entre donc pas en contradiction avec le principe de pertinence. Cette interprétation mobilise donc les deux types d’implicitations : une prémisse implicitée – les renards mangent les poules – et une conclusion implicitée – les

poules sont en danger – qui découle de la combinaison de l'énoncé effectivement

produit et de la prémisse implicitée. Une interprétation de cet énoncé, compatible avec cette approche, est également proposée par Pilkington :

Apart from danger to animals, it may simply be surprise and rarity value – foxes are not often seen in this neighbourhood. One further possibility is that the speaker is communicating a higher level explicature, expressing an attitude of surprise to the belief that there is a

fox in the garden. All these different types of interpretation (…) fall out from the search of an interpretation consistent with the principle of relevance.22(Pilkington 2000 : 125-126)

Cette lecture, qui consiste à interpréter la réitération en termes d’expression de la surprise, s’appuie également sur la recherche d’implicitations supplémentaires. Une prémisse implicitée serait dans ce cas qu’il est rare d’observer un renard dans un jardin, de laquelle découlerait la conclusion implicitée qu’une telle observation est digne d’intérêt, et donc d’être accompagnée d’une émotion comme la surprise.

Peut-on tenter d'élargir le contexte de (6) par ajout de nouvelles implicitations susceptibles d'augmenter la pertinence de l'information véhiculée par la proposition ? Le caractère introspectif de l'énoncé rend peu plausible le recours à une information externe au locuteur, et qui viendrait souligner son sentiment d'éloignement. Comment rendre compte de l'effet produit par la réitération ? Sperber et Wilson considèrent que « l'énoncé pourrait ainsi suggérer à l'auditeur que le locuteur est assailli par un flot de souvenirs dont il laisse le soin à l'auditeur d'imaginer la teneur » (Sperber et Wilson 1989 : 333). Pilkington (2000) propose une analyse comparative avec l’énoncé sans réitération :

(a) My childhood days are gone, gone. (b) My childhood days are gone.

Si l’on suit le raisonnement de Pilkington, la présence du constituant réitéré engendre un surcroît d’effort interprétatif, dont les effets contextuels consistent en l’émergence d’implicitations liées au concept d’ENFANCE :

(...) they [les deux versions] both make the same contribution to truth conditions, that the same analytic implications can be drawn from them. Why then is there a clearly noted stylistic difference? One possible answer is in terms of the notion of implicature. Although [a] and [b]

22 Outre le danger pour les animaux, il peut simplement s'agir d'une surprise et d'un sens exprimant la rareté – les renards ne sont pas fréquents dans ce quartier. Une autre possibilité est que le locuteur communique à un niveau d’explication supérieur, exprimant une attitude de surprise face à la conviction qu’il existe un renard dans le jardin. Tous ces différents types d'interprétation (…) découlent de la recherche d'une interprétation conforme au principe de pertinence. [Nous traduisons]

give rise to the same analytic implications – “the verbal import of the words is exactly the same in both cases” – it could be argued that the different processing demands they make on the addressee affects the range of implicatures they communicate. In relevance theory terms [a] require greater processing effort, but offer more contextual effects in return. In [a], a proposition is followed by the single word “gone”. This verb take an obligatory argument in subject position. This subject is not provided linguistically, so it has to be inferred. In this case the obvious candidate is the concept encoded by the phrase “childhood days”. The previous propositional form is repeated, using the same concepts. The effort involved in reconstructing the same propositional form leads to greater activation of assumptions stored in the encyclopaedic entries attached to the constituent concepts, in particular here to the concept CHILDHOOD (...)23 Pilkington (ibid. : 124)

Dans quelle mesure l’énoncé (6) diffère-t-il, dans ce cas, de l’énoncé (5) ? Dans les deux cas, en effet, la réitération nécessite un élargissement du contexte et l’ajout de nouvelles implicitations. L’analyse proposée par Sperber et Wilson consiste à faire l'hypothèse d'implicitations faibles :

Mais il existe une différence à cet égard entre les énoncés [5] et [6]. Prêter attention au fait qu’il y a un renard dans le jardin et faire l’effort de se rappeler quelques données élémentaires sur les renards est susceptible de fournir des implicitations contextuelles fortes et prévisibles, telles « les poules sont en danger ». Ces implicitations fortes seront probablement interprétées comme des implicitations fortes de l’énoncé. Dans le cas de l’énoncé [6], c’est par un élargissement plus diversifié du contexte et par une gamme plus large d’implicitations faibles que la pertinence pourra sans doute être accrue.(Sperber et Wilson 1989 : 332)

Sperber & Wilson généralisent ensuite leur propos en faisant de la notion d'implicitation faible une caractéristique définitoire des effets poétiques :

23 (...) elles apportent toutes deux la même contribution aux conditions de vérité, de sorte que les mêmes implications analytiques peuvent en être tirées. Pourquoi alors existe-t-il une différence stylistique clairement constatée? Une réponse possible concerne la notion d'implicature. Bien que [a] et [b] entraînent les mêmes implications analytiques - « la signification verbale des mots est exactement la même dans les deux cas » - on pourrait soutenir que les différentes exigences de traitement qu'ils imposent au destinataire ont une incidence sur l’ensemble d’implicatures qu’ils communiquent. En théorie de la pertinence, [a] requiert un plus grand effort de traitement, mais offre en retour plus d'effets contextuels. Dans [a], une proposition est suivie du mot «gone». Ce verbe prend un argument obligatoire dans la position du sujet. Ce sujet n’étant pas fourni sur le plan linguistique, il faut donc l’inférer. Dans ce cas, le candidat évident est le concept codé par l'expression «enfance». La forme propositionnelle précédente est répétée en utilisant les mêmes concepts. L'effort impliqué dans la reconstruction de la même forme propositionnelle conduit à une plus grande activation des hypothèses stockées dans les entrées encyclopédiques attachées aux concepts constitutifs, c’est à dire ici le concept ENFANCE (…) [Nous traduisons]

Appelons effets poétiques les effets particuliers d’un énoncé dont la pertinence procède principalement d’un ensemble d’implicitations faibles. (ibid. : 333)

Il est possible de résumer les précédentes analyses en distinguant quatre cas de figure :

- Dans le premier énoncé, à la réitération correspond l’introduction d’un nouvel élément.

- Dans les énoncés (2), (3) et (4), la réitération permet d’intensifier des implicitations déjà présentes dans la phrase sans épizeuxe. Elle peut donc se reformuler par l’adjonction d’un adverbe d’intensité.

- Dans l’énoncé (5), la réitération nécessite, pour être interprétée dans un cadre pertinentiste, l’ajout de nouvelles implicitations. Ces implicitations entrent dans la catégorie des implicitations très fortes, c’est à dire qu’elles sont nécessaires à l’interprétation, et sont encouragées par le locuteur. On peut dire qu’elles sont constitutives de l’intention informative du locuteur.

- Dans l’énoncé (6), l'interprétation du constituant rédupliqué nécessite l’import de nouvelles implicitations. Mais à la différence de l’énoncé précédent, ces implicitations entrent dans la catégorie des implicitations faibles. Elles sont donc non nécessaires, et ne sont pas directement encouragées par le locuteur, et ne peuvent être considérées comme constitutives de l’intention informative du locuteur.

4.3.b L’exemple du zeugme

En complément de l’épizeuxe, Sperber et Wilson (ibid. : 333-336) examinent différentes réalisations de zeugmes, dont l’exemple suivant :

Marie est arrivée avec Pierre, Jeanne avec Robert, et Claudette avec une triste mine.

Conformément au principe de pertinence, le recours à de tels parallélismes grammaticaux invite l’auditeur à rechercher et mettre en relation des contextes et des implications pour les parties de la phrase dont les constructions sont parallèles (ibid. : 334). Selon eux, le parallélisme permet d’orienter l’interprétation de l’interprétant, sans cependant figer les hypothèses à sélectionner :

(…) la tâche du locuteur est de trouver un ensemble d’hypothèses dans le contexte desquelles le fait que Marie est venue avec Pierre, Jeanne avec Robert, et Claudette avec une triste mine ont ou bien des implications identiques, ou bien des implications directement opposées. Ce que le locuteur a pu vouloir suggérer, c’est que Claudette n’avait personne avec qui venir, que c’est pour cela qu’elle était triste, qu’il y a toute une histoire derrière sa triste mine, histoire dans laquelle Marie, Pierre, Jean et Robert ont joué un rôle, et qu’il incombe à l’auditeur de faire preuve d’imagination pour compléter ces suggestions. Une telle implication, reposant sur un large ensemble d’implications faibles, développerait le parallélisme des contextes et des effets contextuels. (ibid. : 335)

4.4 Discussion

4.4.a Critique du protocole expérimental

On peut conduire une première critique de l’analyse de Sperber et Wilson (ibid. : 326-336) en remarquant que dans leurs exemples la notion rhétorique d’épizeuxe recouvre en réalité deux phénomènes bien distincts : la réduplication et la répétition. Les exemples suivants, empruntés à Dominicy (à paraître), permettent de mieux comprendre la différence entre les deux notions :

(7) (a) Il meurt après avoir mangé mangé au McDo

(a’) * Il meurt après avoir mangé mangé mangé au McDo. (a’’) * Il meurt après avoir mangé beaucoup mangé au McDo. (b) Il meurt après avoir mangé, mangé au McDo.

(b’’) Il meurt après avoir mangé, beaucoup mangé au McDo.

Les exemples (7a), (7a’) et (7a’’) sont des réduplications, et se distinguent des autres exemples par les propriétés suivantes : un même terme ne peut être rédupliqué que deux fois – cf. énoncé (7a’) –, et il est impossible d’insérer un nouveau constituant entre les deux occurrences – énoncé (7a’’). Au contraire, les exemples exhibant des répétitions supportent trois occurrences successives, nécessitent l’insertion entre les occurrences d’un signe ponctuatif, et tolèrent l’insertion d’un nouveau constituant entre deux occurrences (Dominicy, ibid.). Les réduplications ont généralement pour effet une intensification du procès s’il s’agit d’un verbe, ou du contexte entourant la notion s’il s’agit d’une forme non verbale. Les répétitions sont plus complexes en ce qu’elles produisent plusieurs actes énonciatifs distincts, et impliquent souvent une différence dans l’état mental qui accompagne l’énonciation de chacun des termes répétés. Ainsi, dans l’exemple (7b), l’on peut comme Dominicy (ibid.) imaginer une personne qui ne se nourrissait plus (par exemple un alcoolique invétéré), et qui meurt après avoir mangé au McDo. L’on peut imaginer que la seconde itération fasse l’objet d’une assertion plus marquée (par l’étonnement par exemple) que la première. Ici, l’intensité, lorsqu’elle est perceptible, ne porte pas de manière uniforme sur l’énonciation des deux occurrences, mais connaît au contraire des variations. En principe, le contexte situationnel et intonatif ainsi que le principe de pertinence suffisent à calculer et interpréter ces variations. On ne s’étonnera donc pas que la répétition nécessite l’insertion de virgules et tolère celle de mots entre ses occurrences.

Si l’on revient aux exemples (1) à (6) de Sperber et Wilson, la reprise du déterminant dans les énoncés (1), (3) et (5), mais surtout la présence systématique d’une virgule entre les occurrences dans la totalité des exemples nous permet de classer les phénomènes dans la catégorie des répétitions. Cependant, comme nous allons le voir, les interprétations proposées par Sperber & Wilson s’appuient parfois sur des réduplications. Considérons pour commencer l’énoncé (2) et la reformulation (2’) proposée par Sperber & Wilson (1989 : 329) :

(2) Nous avons fait une longue, longue promenade. (2’) Nous avons fait une très longue promenade.

Au niveau du sens exprimé, l’interprétation (2’) possède selon nous une meilleure compatibilité avec l’énoncé (2a) – par réduplication – plutôt qu’avec l’énoncé (2) – par répétition :

(2a) Nous avons fait une longue longue promenade.

Dans la version (2), la présence de la virgule correspond à une pause intonative entre les deux occurrences de l’adjectif « longue », dont l’effet ne serait que partiellement restitué par l’adverbe d’intensité « très ». En effet, si tel était le cas, la version (2c) serait une reformulation suffisante de (2b) :

(2b) Nous avons fait une longue, très longue promenade. (2c) Nous avons fait une très très longue promenade.

Une partie de ce qui est exprimé dans (2) et (2b) disparaît dans les reformulations (2’) et (2c). La pause dans (2) – ainsi que (2b) – pourrait en effet signaler que le locuteur, au moment où il réitère l’adjectif, se remémore une partie du contenu de la promenade. De ce fait, les énoncés (2) et (2b) sont donc susceptibles d’entrer dans la catégorie des phénomènes d’évocation cognitive décrits par Dominicy (2007; 2011 : 237-243). Au contraire, les énoncés (2a) et (2c) produisent chacun un effet d’intensité sur le constituant réitéré, et ne sont a priori responsables d’aucun effet poétique. On peut donc considérer que l’interprétation de Sperber et Wilson est soit erronée, soit correspond à la transcription (2a).

Après examen de (4), Sperber & Wilson (ibid. : 329) proposent la reformulation (4’) :

(4) Jamais, jamais plus je ne fumerai. (4’) Vraiment jamais plus je ne fumerai.

A nouveau, on constate une meilleure compatibilité de (4’) avec la réduplication en (4a) plutôt qu’avec la répétition en (4) :

(4a) Jamais jamais plus je ne fumerai.

La forme rédupliquée en (4a) produit un effet d’intensité sur l’adverbe “jamais”, et n’est responsable d’aucun effet poétique a priori. A l’inverse, la version avec répétition en (4) est susceptible de produire un effet poétique en ce sens qu’elle peut suggérer une remémoration du locuteur sur, par exemple, un événement traumatisant correspondant au fait de fumer. A nouveau, l’interprétation proposée par Sperber et Wilson est erronée, ou repose sur une mauvaise transcription du sens décrit.

Pour l’énoncé (5), Sperber et Wilson considèrent que la répétition du GN « un renard » exprime la surprise ou l’excitation du locuteur (Sperber & Wilson, 1989 : 329) :

(5) Il y a un renard, un renard dans mon jardin !

Cette fois, l’interprétation qu’ils proposent est cohérente avec la version par répétition. L’énoncé (5’), qui correspondrait à la version rédupliquée, est acceptable si l’on considère que lorsque deux noms se suivent immédiatement, le second substantif doit être interprété comme épithète du premier. Ici, un « renard renard » devrait donc être considéré comme un renard type :

De même, on admettra avec Sperber et Wilson que l’énoncé (6) présente un caractère introspectif, et constitue un exemple canonique d’énoncé exprimant une remémoration épisodique :

(6) Comme ils sont loin, loin les jours de mon enfance !

En (6’) en revanche, la réduplication permet uniquement d’exprimer l’intensité :