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Les conditions déterminantes de l’intégration verticale

Chapitre 2 Les fondements théoriques et les débats sur la réglementation

1.2 La Concentration sous la forme d’intégration verticale

1.2.1 Les conditions déterminantes de l’intégration verticale

1.2.1 Les conditions déterminantes de l’intégration verticale

Réduire les coûts ou éliminer une externalité, sont très souvent les objectifs liés au choix d’une firme pour s’intégrer verticalement. Certes, dans ce type d’engagement, l’entreprise doit avoir de solides motivations car les coûts sont en général élevés.

Trois types de coûts sont au moins à prendre en compte : d’abord le coût des facteurs de production en soi, qui peut être plus élevé pour la firme intégrée verticalement que pour une autre qui dépend d’un marché efficient ; puis, les coûts d’organisation d’une firme intégrée qui augmentent avec sa taille, même si le recours au marché lui permettrait de réduire les coûts de surveillance et d’organisation ; enfin, les coûts juridiques en cas de fusion verticale qui sont très souvent importants (Carlton, 1998). L’intégration peut aussi générer des économies d’échelle et d’envergure permettant ainsi à la firme de réduire ses coûts de production.

Lorsque leurs bénéfices compensent leurs coûts, les entreprises ont recours à l’intégration verticale. Selon M. Perry (1989) il y a au moins six conditions qui déterminent l’intégration verticale19 .

a) Réduire les coûts de transaction

La réduction des coûts de transaction20 ainsi que des coûts liés à la négociation et au respect de l’application des contrats sont un facteur déterminant (Williamson, 1975). Selon Coase (1937), une firme tendra à s’intégrer verticalement quand les coûts de coordination interne sont inférieurs aux coûts de transaction découlant de l’utilisation des mécanismes de marché et en particulier, le coût d’une intégration verticale, concernant la réalisation des mécanismes de prix, varie en forme considérable entre firme et firme21.

Ainsi, si l’entreprise n’a qu’un seul fournisseur pour certains composants essentiels, celui-ci peut profiter de la situation pour augmenter ses prix ; c’est le comportement opportuniste qui peut être adopté par une firme pour exploiter une firme partenaire. On

19 Perry Martin, 1989, Vertical Integration : Determinants and Effects, dans Richard Schmallense et Robert Willig, édis, Handbook of Industrial Organization, New York, p187.

20 Williamson Oliver, 1975, Markets and hierarchies : Analysis and Antitrust Implications, New York.

21 Coase Ronald,1937, The Nature of the Firm, Economica 4, Paris, p388.

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distingue quatre cas où les coûts de transaction sont suffisamment élevés pour justifier l’intégration verticale 22:

i) Actif spécifique. C’est un bien ou un service produit pour satisfaire un besoin particulier d’un petit nombre de clients. Prenons le cas d’un réseau adapté à un produit fabriqué en forme spécifique, une fois qu’il a été transformé, il est à la merci de son fournisseur en cas de conflit. Les trois principales catégories d’actifs spécifiques sont 23: le capital physique spécifique, le capital humain spécifique, et le capital localisé en lieu spécifique (Williamson, 1968).

ii) Incertitude. Lorsque une firme ne peut pas contrôler la qualité des facteurs de production qu’elle utilise (comme par exemple l’espérance de vie d’une machine ou sa performance) alors elle peut choisir l’intégration de son fournisseur.

iii) Transfert d’informations. En général, les transactions entre les firmes impliquent un échange de toute sortes d’informations ; si une firme ne fait pas l’effort de fournir des renseignements considérés comme importants pour son partenaire, l’intégration permet d’éviter ce type de problèmes.

iv) Coordination à grande échelle. La quatrième raison de l’intégration verticale est qu’elle facilite la coordination à grande échelle notamment dans les industries de réseau lorsqu’il s’agit des problèmes de coordination du transport24.

Il faut noter que ces contraintes technologiques ne sont pas les seules à expliquer l’incitation à l’intégration verticale.

b) Garantir l’accès à une ressource

La nécessité de garantir l’approvisionnement d’un facteur de production essentiel peut être à la base des exigences tendant à l’intégration verticale. En effet, le prix n’est pas le seul instrument d’allocation des ressources car la garantie d’accès à une ressource peut jouer un

22 L’approche de l’integration verticale des Couts de transaction est considérée comme très important selon Joskow Paul, 1985, Vertical Integration and Long-term Contracts : The Case of Coal-burning Electric Generating Plants, Journal of Law, Economics and Organization, vol 1, Yale University, p281-327.

23 Williamson Oliver, 1968, Wage Rates as barriers to Entry : the Pennington Case en Perspective, Quarterly Journal of Economics, p95.

24 Carlton D. et Klamer M., 1983, The Need for Coordination Among firms with Special Reference to Network Industries, University of Chicago Law Review 50: 445-65.

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rôle déterminant à cet égard. C’est notamment le cas des combustibles dans les industries de réseau électriques car l’éventualité d’un rationnement et les dégâts qui en découlent, favorisent l’intégration verticale comme un moyen d’augmenter la probabilité d’obtenir le produit rationné (Joskow, 1985). Il n’est donc pas forcement efficient de faire supporter le risque des variations de la demande aux fournisseurs extérieurs, ce qui incite à renforcer davantage l’intégration verticale (Carlton, 1979)25.

c) Supprimer les externalités

La nécessité d’internaliser des facteurs externes qui agissent sur le comportement général d’une firme constitue une force d’intégration verticale. C’est le cas, par exemple, de certains services de réseaux qui ont bonne réputation auprès des consommateurs. Cette réputation constituant une externalité pousse les consommateurs à chercher le même service ailleurs. Dès lors la firme cherche à assurer le bon service par le biais de l’intégration.

d) Eviter les interventions publiques

Le contrôle des prix, des taxes, de la réalisation des contrats ainsi que d’autres interventions du régulateur sur les monopoles, constituent des actions que les firmes cherchent à éviter par l’intégration verticale.

Lorsque certains des profits d’une firme sont réglementés au détriment d’autres, la réglementation publique peut favoriser l’intégration verticale ou horizontale ou les deux à la fois. C’était le cas notamment des communications téléphoniques aux Etats Unis26 où seuls les appels locaux avaient été réglementés. Si la firme pouvait ainsi transférer le profit du secteur réglementé à ceux qui ne l’étaient pas, elle échappait du même coup à la réglementation des communications locales. Par le transfert comptable des coûts relevant des divisions non réglementées, elle pouvait réduire le profit de la division réglementée, augmenter le profit des autres divisions et augmenter son profit global (Carlton, 1998).

e) Accroître le profit du monopole

25 Carlton D., 1979, Vertical Integration in Competitive Markets Under Uncertainty, Journal of Industrial Economics 27, 127-209.

26 Selon le Ministère de la Justice, la structure verticale de l’entreprise favorisait une concurrence déloyale par rapport aux autres prestataires de communications à longue distance. Par exemple, en faisant payer des tarifs de connexion locale élevés ou en leur fournissant un service de mauvaise qualité, AT&T pouvait nuire à ses

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A cause de l’intégration verticale, deux façons d’augmenter le profit d’un monopole peuvent être différenciées : par le contrôle de la fourniture des facteurs de production et par la discrimination des prix.

Premièrement, lorsqu’il existe un facteur de production essentiel au processus d’une industrie concurrentielle, monopolisé par un fournisseur déterminé, il se peut qu’il augmente son profit en transformant l’industrie concurrentielle en un monopole verticalement intégré, et à l’opposé, qu’une firme cliente absorbe son unique fournisseur.

En fait, le monopole n’a intérêt à s’intégrer vers l’aval qu’à certaines conditions inhérentes au processus de production. D’après Carlton (1998), deux conditions peuvent être envisagées en fonction de la combinaison des facteurs de production entre eux :

Fonction de production à facteurs non substituables (les facteurs ne peuvent être utilisés que dans une proportion constante). Dans ce cas, le monopole en aval n’a pas intérêt à s’intégrer car son profit reste inchangé.

Fonction de production à facteurs substituables (les facteurs peuvent être combinés dans des proportions variables). Ici le monopole a intérêt à s’engager dans une intégration verticale à condition que le profit soit supérieur aux coûts d’intégration27.

Le second cas concerne une firme verticalement intégrée, qui a le monopole de la production d’un produit et qui peut pratiquer une discrimination par le prix. Il est connu que l’un des ingrédients essentiels d’une discrimination de prix consiste à empêcher ceux qui payent un prix faible de revendre le produit à ceux qui payent un prix élevé. De sorte que s’il n’est pas possible d’empêcher les reventes, il est également impossible d’introduire une discrimination de prix. Dans ces conditions, l’intégration verticale peut empêcher les reventes28.

f) Réduction du pouvoir de marché d’un fournisseur

L’intégration verticale permet non seulement d’augmenter le profit d’une entreprise, mais aussi de réduire le pouvoir de marché d’un fournisseur. Prenons le cas d’une entreprise

concurrentes. Lavey W. et Carlton D., 1983, Economic goals and remedies of the AT&T Modified Judjment, Georgetown Law Review 17, 1497-1518.

27 Pour une démonstration plus minutieuse voir Carlton W. D. et Perloff J. (1998), Economie industrielle, traduction de la 2è édition américaine par Fabrice Mazerole, Ouvertures Economiques, Paris.

28 L’interdiction de l’intégration verticale empêche les entreprises ayant déjà un pouvoir de marché de discriminer par le prix et, par conséquent, réduit le taux d’épuisement des ressources non renouvelables telles que le pétrole. Carlton D. et Perloff J., 1981, Price Discrimination, Vertical Integration and Dive titure in Natural Resource Markets, Ressources and Energy 3, 1-11.

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productrice exclusive d’un facteur de production essentiel au processus de son client. Lorsque le monopole a fixé un prix très élevé, l’intégration vers l’amont peut être rentable, ce qui peut conduire la deuxième firme à construire une usine pour fabriquer elle-même le facteur dont elle a besoin.

Cependant, si la firme choisit l’alternative de l’intégration verticale vers l’amont plutôt que de construire une usine, le problème est semblable à celui de la section précédente et, dans ce cas-là, les profits joints du fournisseur et du client n’augmentent que si la production est à facteurs substituables.

Finalement, Stigler (1951)29 et Williamson (1975) ont développé une théorie qui met en rapport le cycle de vie des entreprises et l’intégration verticale. En effet, en se fondant sur le théorème de Smith selon lequel « la division du travail est limitée par l’importance du marché », ils ont expliqué les causes pour lesquelles les firmes ont recours tantôt au marché dans ces certaines périodes, tantôt à l’intégration verticale dans d’autres (Carlton, 1998).