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Section 1 Les industries de réseaux énergétiques, les grandes lignes d’une d’histoire d’histoire

1.2 Les approches théoriques sur le monopole naturel

Par ailleurs, les processus de traitement des signaux électriques s’était radicalement écarté de la modulation analogique pour la modulation par impulsion et codage, plus connue comme numérique ou digitale. De véritables « autoroutes de l’information » ont été mises en place, dont l’ordinateur n’est qu’un maillon de la chaîne que le trafic de l’information traverse à des vitesses inattendues, par satellites, par supraconducteurs ou encore par fibres optiques.

L’électronique industrielle basée à la fois sur des éléments semi-conducteurs et des processus numériques a pénétré toute l’industrie, dans tous les domaines, y compris celui des industries de réseaux énergétiques, si bien qu’elles entraînent dorénavant ce que certains appellent « la révolution informationnelle ». Ces réseaux peuvent être interconnectés aujourd’hui à l’échelle continentale voire intercontinentale, à des voltages continus ou alternatifs élevés, contrôlés automatiquement entre l’amont et l’aval tout en restant presque auto-intelligents, souples face aux besoins de l’offre et de la demande, en permettant autant l’injection d’énergie que son évacuation dans n’importe quel point de la chaîne. Certes, d’un point de vue technique, presque tout est possible dans les réseaux énergétiques d’aujourd’hui, néanmoins, il ne faut surtout pas oublier que la technique est une condition nécessaire mais non suffisante.

Dans le domaine des sciences économiques, des tentatives vers une théorie solide du monopole naturel s’élèvent des bas-fonds. A partir du 19ème siècle, au fur et au mesure que les industries de réseau se développent, la pensée scientifique pénétra dans le domaine de la vie économique, notamment durant la seconde moitié du 20ème siècle.

1.2 Les approches théoriques sur le monopole naturel

Les économistes post-ricardiens attribuaient une importance primordiale au principe de libre concurrence, car ils étaient convaincus que la croyance en ce principe permettait de transformer des variables de production et de vente innombrables et erratiques, en éléments connus d’un modèle mécanique de l’économie. De surcroît, l’hypothèse selon laquelle la libre concurrence induit les conditions d’équilibre constitue la base qui permet de combiner en systèmes d’équations simultanées solvables, les facteurs économiques que les firmes en concurrence sont censées maximiser, tels que l’utilité, le profit, les volumes de production et de ventes, et ainsi de suite (Pribram, 1983)28. Les positions adoptées par les ricardiens et les

28 Pribram Karl, 1983, Les fondements de la pensée économique, Economica, Paris, p449.

post-ricardiens à l’égard de la contradiction libre concurrence-monopole et des monopoles de toute espèce traduisent cette approche de l’analyse de l’équilibre.

Reconnu unanimement, Cournot (1838) est le premier économiste qui ait étudié sérieusement les problèmes théoriques des situations de monopole. Il fut le premier auteur à définir et à tracer une fonction de demande. Il posa comme une évidence, que la courbe de demande a une pente négative, car pour lui, celle-ci est une relation empirique entre les ventes et le prix. Tout en considérant le monopole comme le cas général, il définit une fonction de demande, D=F(p), une fonction de recette totale R= pF(p), et une fonction de recette marginale, M =F(p)+ pF'(p), avec F'(p)<0 qui sont toutes des données objectives pour le monopoleur. Ensuite, les fonctions de recette sont comparées aux fonctions de coût total et marginal. Cournot démontre que les gains instantanés seront maximisés si le monopoleur produit une quantité telle que son coût marginal soit égal à sa recette marginale (Blaug, 1996).

Finalement, pour prouver l’existence et la singularité de ce maximum, Cournot recourt au calcul différentiel : la dérivée première de la fonction de profit total, π = pF(p)−φ(D) doit être nulle et la deuxième doit être négative29.

La liaison inverse entre prix et quantité, propre à la fonction de la demande, était un fait d’observation évident qui n’appelait aucune justification théorique, selon Jules Dupuit (1844). Le raisonnement a une ressemblance étonnante avec celui de Cournot30. Dupuit publia entre 1844 et 1853, une série d’articles sur le problème de la mesure des avantages sociaux procurés par les biens et services publics dans lesquels il développa la distinction entre utilité totale et utilité marginale mises en relation avec le prix de demande.

Les « Principes d’économie Politique » de Mill (1848) furent, pendant toute la seconde moitié du 19ème siècle, l’œuvre de référence des économistes. Eu égard de la taille d’une entreprise Mill prévoyait une augmentation avec le développement économique car les avantages liés à cette dernière devaient, selon Mill, contrebalancer les dangers d’oligopole et de coalition spontanée visant à restreindre l’entrée et maintenir les prix à un niveau élevé :

« lorsque les concurrents sont si peu nombreux, ils finissent toujours par s’entendre pour ne pas se concurrencer. Ils peuvent chercher à ruiner un nouvel entrant en baissant leurs prix

29 Et tout cela en 1838 ! Blaug Mark, 1996, La pensée économique, Economica, 5è édition, Paris, p386. Béraud Alain et Faccarello Gilbert, 2000, Nouvelle histoire de la pensée économique, tome II, Découverte, Paris, p280.

30 Bien que Dupuit écrive après Cournot, et bien qu’à une certaine époque ils aient vécu et travaillé à Paris, ils n’ont jamais travaillé ensemble.

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mais dès que ce nouvel entrant s’est installé, ils s’entendent avec lui »31. En fait, Mill a été le premier économiste à se référer au monopole naturel. Il conclut que les monopoles naturels sont des « branches où la technologie favorise les grandes entreprises, et qu’ils doivent être nationalisés ».

Bien que les travaux de Mill (1848) aient constitué la référence incontestée pour les économistes de la fin du 19ème siècle, le traité de Marshall, en1890, commença à les éclipser dans les pays anglophones.

Dans les premiers manuscrits de Marshall, l’idée que la demande est une fonction décroissante des prix ne découle pas de l’hypothèse de la décroissance de l’utilité marginale, c’est une évidence. Lorsque Marshall cherche à le justifier, il reprend des arguments déjà évoqués à l’époque classique par Say, Cournot et Dupuit. De façon surprenante, on peut constater des arguments similaires à l’égard du surplus du consommateur, bien que Marshall n’ait pas connu les textes de Dupuit à l’époque (Béraud, 2000)32.

En ce qui concerne la théorie du monopole, Marshall (1890) considère que le revenu net d’un monopoleur, produisant à coût décroissant, est maximum quand le niveau de production est défini par la courbe de revenu net et lorsqu’elle devient tangente à une courbe de « dépense constante »33. Le monopoleur quant à lui doit auparavant épuiser toutes les

« économies internes » qui lui sont accessibles et produire avec un équipement de taille optimale. Ainsi, les économies externes seront la cause de la baisse du prix d’offre.

Par ailleurs, bien que dans « les Principes » Marshall (1890) ait développé une théorie du monopole, on a des difficultés à trouver une définition de la libre-concurrence. Marshall évitait volontairement d’utiliser le terme concurrence parfaite afin de prévenir toute confusion entre sa propre conception et celle de Cournot. Dans la préface de la 2è édition d’Economics of Industry, il reconnut que l’édition précédente ne comprenait pas de définition de la libre-concurrence et proposa alors que la libre-libre-concurrence soit définie comme « le principe actif fondamental qui, dans notre monde tel qu’il est, pousse les individus à favoriser leur intérêt matériel ou celui de leur groupe d’appartenance », généralité qui traduit l’aversion de l’auteur à proposer une définition formelle (Arena, 1991).

31 Mill John Stuart, 1848, Principes of Political Economy with some of their Applications to social Philosophy, Boston, section 3.

32 Béraud Alain et Faccarello Gilbert, 2000, Nouvelle histoire de la pensée économique, tome 2, Des premiers mouvements socialiste aux néoclassiques, Editions La Découverte, Paris, p359.

33 Marshall Alfred, 1890, Principles of Economics, 1è edition, Londres, réédition 1982, Londres, The Macmillan Press Ltd. Livre V, chapitre 14, section 3.

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Par contre, dans « les Principes », Marshall définit le monopole plus formellement, car il le décrit comme une situation dans laquelle « une seule personne ou une association a le pouvoir de fixer soit la quantité soit le prix d’une marchandise mise en vente ». Les multiples causes renvoient toujours en dernière analyse à la présence de barrières à l’entrée, ce qui selon Marshall n’engendre jamais des monopoles absolus, mais conditionnels, (Philips et Stevenson, 1974).

Ainsi, dans les débats des années 1920, les restrictions imposées à l’entrée de firmes nouvelles sur le marché étaient l’objet de controverses. En fait, le débat « concurrence-monopole » demeurait puisque l’extension des pratiques monopolistiques avait été associée à trois facteurs : l’incertitude comme le résultat de la concurrence, l’indivisibilité et le manque de mobilité des ressources productives. Au début des années trente, il s’agissait d’une attaque contre la posture marshalienne selon laquelle la théorie de la concurrence ajoutée à la théorie du monopole remplissait la « boite d’outils » nécessaire à l’économiste pour analyser la structure de l’industrie moderne. C’est dans ces conditions que la théorie de la concurrence monopolistique de Chamberlin (1933) et la concurrence imparfaite de Robinson (1934) sont apparues.

En adoptant une méthode préconisée par Sraffa (1925), Joan Robinson34 étudia des monopoles purs et analysa les conditions d’équilibre qui existent dans un système de concurrence parfaite. Elle définit deux conditions d’équilibre : égalité entre revenu marginal et coût marginal et égalité entre revenu ou prix moyen et coût moyen. Cependant, Robinson n’analysa des situations de « concurrence imparfaite » que dans l’hypothèse où toutes les firmes d’un secteur donné, à l’exception d’une, sont en équilibre, tout en négligeant les réactions des autres firmes face au concurrent monopoleur (Pribram, 1983).

La situation de « concurrence monopolistique »35 est en relation, selon Chamberlin (1933), avec une structure de marché répondant à trois conditions : grand nombre de firmes, différentiation des produits et entrée libre, celle-ci conçue comme dépourvue de toute restriction (Blaug, 1996). Chamberlin, en étudiant les différentes pratiques utilisées par des firmes concurrentes qui cherchent des positions privilégiées sur le marché, développa le concept de « concurrence monopolistique », l’opposant au concept traditionnel de

34 Robinson Joan, 1934, Imperfect Competition, Londres.

35 Chamberlain H. Edward, 1933, The Theory of Monopolistic Competition, Cambridge, Massachussets.

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« monopole ». Pour Chamberlin, le concept de concurrence « parfaite »36 - qu’il considère comme purement imaginaire- comporte comme caractéristiques la connaissance parfaite des conditions du marché chez les vendeurs, la mobilité totale des ressources, l’adaptabilité parfaite des facteurs de production et l’absence de friction (Kaldor,1938).