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Section 4 Le caractère et la nature du monopole naturel

4.1 La notion de monopole naturel et la sous-additivité

à la nature de l’usage des industries de réseau a été élargie au domaine de la valeur économique (Curien, 2000): de la même manière que l’organisation des réseaux doit préserver la compatibilité et l’universalité, les synergies de production réclament une organisation industrielle qui évite les duplications excessives d’infrastructures et qui garantit leur interconnexion109.

L’objet de ce chapitre est de présenter les aspects principaux qui font partie de l’émergence, des caractéristiques, de la nature et du fonctionnement du monopole naturel afin d’arriver ultérieurement à appréhender la nature de la réglementation et ses justifications.

4.1 La notion de monopole naturel et la sous-additivité

Une firme est dite en situation de monopole naturel si la fonction de coût est telle qu’aucune combinaison de plusieurs firmes ne peut produire un vecteur d’outputs de l’industrie, de façon moins coûteuse que s’il l’était par une seule firme. Cette définition peut être énoncée autrement : une industrie est dans la condition de monopole naturel si la fonction de coût est strictement sous-additive sur l’ensemble d’outputs tout entier. Ainsi, une industrie est un monopole naturel sur un certain niveau d’output y si C(y’) est strictement sous-additive dans tous les y’≤ y. C’est une définition en rapport avec la notion de sous-additivité de la fonction de coûts.

Lorsque des économies d’échelle se font à tous les niveaux de la production, selon Carlton (1998), le coût moyen diminue avec l’augmentation de la production. De ce fait, il est moins onéreux pour une seule entreprise que pour plusieurs de réaliser un niveau de production déterminé. Dès lors, dans ces conditions, il y a un monopole naturel. « Même si le coût moyen ne diminue pas d’une façon systématique avec la croissance de production, il peut y avoir un monopole naturel, ce qui nous montre que les économies d’échelle sont donc une condition suffisante mais non nécessaire d’existence d’un monopole naturel »110. Selon Lévêque (1998), c’est cette observation qui nous amène à proposer une définition du monopole naturel plus précise à partir du caractère sous-additif de la fonction de coût111.

108 Chevalier J-M. (1995), L’économie industrielle des stratégies d’entreprises, Montchrestien, Paris, p197.

109 Curien Nicolas, 2000, Economie des réseaux, Editions La Découverte, Paris, p41.

110 Carlton W. Dennis et Perloff J. (1998), Economie industrielle, traduction de la 2è édition américaine par Fabrice Mazerole, Ouvertures Economiques, Paris, p171.

111 Lévêque François, 1998, Economie de la Réglementation, La Découverte, Paris, p57.

4.1.1 Sous-additivité de coût et monopole

L’approche méthodologique de l’économie néoclassique propose la sous-additivité comme la base de l’organisation industrielle monopolistique. Ainsi, pour une firme monoproduit, on peut considérer qu’une fonction de coût est strictement sous-additive en y, si pour toutes les quantités d’outputs y1,…, yk, yj ≠y, j = 1,…, k, de sorte que :

= k

j

y

1

j = y, alors nous avons : C (y ) <

( y

= k

i j

C j ). (24)

Lorsqu’on interprète yj comme la quantité d’output produite par la firme j, on peut dire qu’une fonction de coût est sous-additive dans l’output y s’il est plus coûteux de produire par deux firmes l’output y, que par une seule firme. Autrement dit, une fonction de coût sous-additive est une condition nécessaire et suffisante pour qu’existent des monopoles naturels, c’est-à-dire des situations dans lesquelles une seule firme réalise la production à moindre coût que j entreprises réunies (Faulhaber 1975). Comme dit Sharkey (1982), « il existe un monopole naturel sur un marché quand le coût minimal du bien est obtenu lorsque la totalité de la production est assurée par une seule firme. »112 Par ailleurs, la sous-additivité de la fonction du coût endogéneise la taille de la firme.

Il faut noter que la sous-additivité est un concept local, dans le sens où elle se situe sur un point particulier de la surface qui rassemble certains points de la fonction de coût. Celle-ci est représentée dans un espace à plusieurs dimensions.

Cependant, afin de savoir si une firme productrice unique de y, est moins coûteuse par rapport à sa production qu’une combinaison de petites entreprises, il faut connaître le niveau du coût de chaque petite firme. Autrement dit, nous devons connaître C (y*) pour chaque y*≤y.

Le monopole naturel est caractérisé par des coûts moyens décroissants, de sorte que la dernière unité produite coûte moins cher que la précédente (Médan 2000). Ainsi, « le producteur a donc intérêt à la (dernière unité) produire car elle fait baisser les coûts moyens et donc augmenter les profits »113. Pourtant, la définition nécessite quelques précisions.

Bien que les rendements croissants constituent une condition suffisante de monopole naturel, cette condition n’est pas la seule, parce que le monopole naturel a une assise plus

112 Sharkey William, 1982, The theory of natural monopoly, Bell labotratories, Cambridge University Press, Murray Hill, New jersey, last published 1989.

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113 Médan Pierre et Warin Thierry, 2000, Economie Industrielle, une perspective europeenne, Dunod, Paris, p6.

large que celle des rendements croissants. Or, c’est la notion de sous-additivité, plus forte que celle des économies d’échelle, qui donne le caractère de monopole naturel. En effet, il est possible qu’il y ait à la fois des rendements décroissants et une sous-additivité de la fonction de coûts. Intuitivement, l’idée est que si la technologie permet à la fois une échelle de production suffisante et des économies d’envergure, il est « naturel » de déduire qu’une seule firme peut assurer la livraison de l’output plutôt que plusieurs. Ainsi, l’expression mathématique de ce phénomène est caractérisée par la sous-additivité de la fonction de coût, selon laquelle le coût total est inférieur à la somme des coûts partiels qui résulterait d’un fractionnement quelconque de la production globale114.

4.1.2 Le monopole uniproduit. Coûts moyens décroissants

Dans le cas uniproduit, le monopole naturel est associé à la présence de rendements d’échelle croissants et de coûts moyens décroissants. Pourtant, cette caractérisation n’est pas aussi précise et mérite d’être approfondie de la manière suivante :

Les coûts moyens sont strictement décroissants en y, si δ >0, de sorte que : ' ,

Ainsi, les coûts moyens sont dits décroissants sur l’output y, si

'

Afin d’éclaircir le rapport entre les coûts moyens et le monopole naturel, dans le cas d’une firme uniproduit, il convient d’abord de rappeler que les coûts marginaux décroissants impliquent des coûts moyens décroissants, ensuite que les coûts moyens décroissants du vecteur y (ceux qui proviennent des économies d’échelle) impliquent que la fonction de coût soit sous-additive (le monopole naturel). Cependant, la réciproque des deux postulats n’est pas vraie car la sous-additivité n’implique pas des coûts moyens décroissants et ceux-ci n’impliquent pas non plus des coûts marginaux décroissants. Démonstration :

114 Curien Nicolas, 2000, Economie des réseaux, Editions La Découverte&Syros, Paris, p44.

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Soit une manière non-triviale de diviser y parmi deux ou plusieurs firmes, de sorte que , et . Du fait que les coûts moyens sont décroissants et, aussi que y

Ce qui est l’expression mathématique de la sous-additivité. Mais l’affirmation réciproque n’est pas vraie et pour prouver cela, nous prenons un exemple particulier avec la fonction :

Cette fonction de coût est claire et globalement sous-additive (graphique n°1.2), car aucun output ne peut être produit par une seule firme avec un coût supérieur à : a+b+cy.

Autrement dit :

Néanmoins, il existe un intervalle d’outputs dans lequel le coût moyen est croissant :0<δ <y0.

En résumé, la fonction est sous-additive (25) et elle n’a toujours pas eu de coûts moyens décroissants. Il existe une région où les coûts moyens sont décroissants, par exemple lorsque y = s. En effet, le coût moyen, celui qui est donné par la pente du rayon OS, est plus grand que celui de l’output y = r < s.

Par ailleurs, si on veut entretenir le présupposé que toutes les courbes de coût moyen prennent la forme d’un U, on peut prendre le cas d’une figure standard d’une fonction de coût comme celle du graphique n°1.3.

Une brève analyse de la courbe des coûts moyens en forme de U démontre que les coûts marginaux s’élèvent pendant que les coûts moyens décroissent, sur tout l’intervalle

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entre v et w, tout en restant sous la condition de sous-additivité, c’est-à-dire des coûts moyens décroissants. En somme, il est évident que, d’une part, les coûts marginaux décroissants impliquent des coûts moyens décroissants et, d’autre part, les coûts moyens décroissants impliquent la sous-additivité et, par ailleurs, les coûts marginaux croissent même si les coûts moyens continuent à décroître. Par contre, la réciproque n’est pas vraie115.

Par conséquent, une fonction de coût peut présenter une sous-additivité sur toute une région, ce qui n’implique pas que les coûts moyens doivent décroître tout au long de cette région. De plus, les économies d’échelle ne sont pas nécessaires pour l’existence du monopole naturel (Baumol , 1977).

Graphiques n°1.2 et 1.3 : La sous-additivité d’un monopole uniproduit

Source : Baumol et al.(1982), p19-20.

115 Que la réciproque n’est pas vraie, on peut démontrer en prenant la fonction de coût : C(y)= F/y + ay . Si les coûts moyens sont CM=F/y + ay, sa dérivée sera : CM’=-F/y2 + a, celle qui est négative jusqu’à CM’=0, lorsque y=(F/a)1/2 où les coûts moyens atteignent le minimum, pourtant, les coûts marginaux sont toujours croissants pour y > 0. C’est clair que les coûts moyens sont décroissants dans la région :0< y< F/aym donc il y a des économies d’échelle, et croissants pour : y> F/a, donc des déséconomies d’échelle. Cependant, cette fonction de coût reste sous-additive au-delà de ym, et même jusqu’à : y= 2F/ays. C’est une fonction de coût qui a des coûts marginaux croissants. L’output de cette industrie peut être divisé en k firmes différentes, chaque firme produisant la même quantité : y/k. Alors, les coûts totaux minimaux pour k firmes serait : kC(y/k) = kF + ay2/k > F+ ay2 pour tous les y < ys .

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Comme on vient de le voir, dans le cas d’un monoproduit, les rapports entre les économies d’échelle et le monopole ne sont pas évidents. Dans le cas des multiproduits le problème se complique, jusqu’à dire qu’il n’existe pas de connexion logique entre les deux concepts.

4.1.3 Le monopole naturel multiproduit

Les économies d’échelle ne sont ni nécessaires ni suffisantes pour l’existence d’un monopole naturel. On a déjà démontré la condition de non-nécessité des économies d’échelle pour montrer l’existence d’un monopole monoproduit (dans le dernier point 1.2), nous allons désormais préciser l’insuffisance des économies d’échelle pour caractériser l’existence d’un monopole multiproduit avec l’exemple suivant :

Soit la fonction : C(y1,y2)= y1a + y1ky2k + y2a;⇒0<a<1,∧0<k<12 ; ( 26 ) Cette fonction présente des rendements d’échelle globalement croissants, d’après la définition (5) :

Cependant, la fonction (26) n’est pas sous-additive : )