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La déréglementation en Amérique Latine entre deux modèles pionniers : le Chili et l’Angleterre

Chapitre 3 La déréglementation en Amérique Latine entre deux modèles pionniers : le Chili et l’Angleterre

Introduction

Après une expérience de plus de deux décennies du modèle chilien et d’une décennie du modèle britannique, il semble que ce soit ce dernier qui ait été retenu comme paradigme de marché électrique concurrentiel et qui ce soit largement répandu dans le monde entier1. Ainsi, toute la complexité du modèle anglais, conjuguant le triptyque « privatisation, libéralisation et déréglementation », a été adoptée par de nombreux pays.

Certes, chaque pays l’a repris à sa manière et modelé à son gré, de sorte que l’on ne trouve pas deux systèmes semblables, chacun ayant sa propre structure et ses propres règles.

Néanmoins, ces systèmes ont en commun l’objectif d’être efficaces en encourageant l’amélioration du service, tout en baissant les prix à la consommation (Sioshansi, 1999).

Hunt et Shuttleworth (1996) précisent quatre modèles de structure de marché électrique en fonction du degré de concurrence :

i) Le modèle 1 n’implique aucune concurrence.

ii) Le modèle 2 nécessite un acheteur unique qui incite à la concurrence dans la production, et qui achète toute l’énergie pour la revendre aux monopoles distributeurs.

iii) Le modèle 3 est celui où les Discos peuvent choisir leurs fournisseurs. Ceux-ci rivalisent sur le marché de la production. Dès lors, la concurrence s’organise sur le marché de gros.

iv) Dans le modèle 4, tous les consommateurs peuvent choisir leur fournisseur, ce qui implique une concurrence totale.

Tenenbaum et al. (1992) proposent une autre typologie de modèles de marché électrique, à savoir :

1 C’est l’opinion de plusieurs auteurs notables. Il s’agit de Littlechild Stephen, 2001, Electricity : regulatory Developments Around the World, The Beesley Lectures on Regulation Series XI, London, p1 et suivantes. Ruff Larry, 1999, Competitive Electricity Markets : Why they are working and How to improve them, NERA, p3.

Henney Alex, 1998, Contrasts in Restructuring Wholesale Electric Markets : England/Wales, California and the PJM (Pennsylvannie, New Jersey, Maryland marché), The Electricity Journal, vol.11, issue 7, pages 24-42, Elsevier Science Inc., p2.

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i) Le modèle 1 est la structure traditionnelle aux Etats-Unis, caractérisée par l’intégration verticale des monopoles privés, avec une concession régionale déterminée.

ii) Le modèle 2 est le modèle 1, avec une concurrence dans la production. Les Etats-Unis auraient commencé à construire ce modèle à la suite de l’acte PURPA (1978) qui obligeait les firmes à acheter aux IPPs.

iii) Le modèle 3 est une expansion du modèle 2 à la transmission, par le biais de la règle de l’accès des tiers au réseau (ATR).

iv) Le modèle 4 est le modèle du Pool qui nécessite la dé-intégration complète de la chaîne électrique et un transporteur indépendant qui contrôle le dispatching.

Selon Bacon (1995), il n’existe pas de modèle unique applicable à tous les pays et toutes les situations. Plusieurs éléments appuient cette affirmation : les objectifs de la déréglementation, les différences de conditions locales et enfin, la nature du système concernant la taille, les ressources énergétiques et la croissance. Tous ces facteurs impliquent le choix d’une solution nécessairement différente, en fonction des besoins de chaque système.

Sioshansi (1999), Henney (1998), Ruff (2001) et Millan (2000) proposent une méthode pour comprendre pourquoi tel pays a adopté un modèle déterminé, ainsi qu’une grille d’analyse des éléments fondamentaux du système permettant de mieux saisir son fonctionnement et de procéder à son évaluation.

En fait, autour de la question clef posée par les décideurs des politiques réglementaires -quelle est la structure de marché la mieux placée pour notre cas ici ?- Sioshansi (1999) souligne qu’il n’y pas de modèle unique malgré la liste déjà longue des pays qui ont fait des réformes dans le monde. Chaque marché a sa propre structure, ses propres règles et ses propres exigences. A la base de telles différences, il retient deux raisons fondamentales.

La première, qualifiée de « point de départ », relève les conditions géographiques, historiques et politiques de la production électrique, les ressources naturelles en combustibles ainsi que la propriété et le contrôle de l’infrastructure. La seconde, qui est le « point d’arrivée », se résume par la métaphore suivante : « il est question de différents chevaux pour différentes courses »2. L’auteur fait ainsi référence à la politique des pays du Nord, qui déréglementent pour introduire de la concurrence dans une industrie mature afin de la rendre

2 Sioshanshi P., Morgan C, 1999, p2.

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plus efficace, plus transparente et de baisser les coûts, par rapport à celle des pays du Sud, où des structures inadéquates provoquent des coupures chroniques, et où les réformes ont pour objectif d’attirer des investissements étrangers pour faire face à une demande accrue d’énergie (Sioshansi, 1999).

Selon Millan (2000), le mouvement de déréglementation a commencé au Chili en 1982 et en Angleterre (1987) puis, par vagues successives, s’inspirant du modèle anglais, en Argentine (1991), en Norvège et en Colombie (1992). Ces pays, de la première génération, ont été rejoints par une deuxième génération de pays, l’Espagne (1996), l’Australie et les Etats Unis (1997) et enfin le Brésil (1999).

Dans la plupart des cas, des améliorations ont pu être introduites, par exemple en Argentine, sur la base des erreurs commises par les pays pionniers. Mais, parfois, l’application systématique du modèle à des réalités énergétiques différentes a entraîné d’importants coûts économiques et sociaux. C’est le cas, notamment pour les systèmes à prédominance hydraulique. En revanche, certains pays comme la Norvège ont privilégié un modèle (à dominante hydraulique), adapté à leur réalité historique et géographique, avec « des résultats apparemment satisfaisants sur une période relativement longue »3.

A l’opposé, selon Littlechild (2001), les expériences de déréglementation électriques des deux dernières décennies se sont déroulées à partir d’un modèle standard, celui de l’Angleterre, qui a été repris par plusieurs pays. Deux types d’applications émergent ; d’une part, il peut s’agir d’appliquer un modèle standard, adapté aux besoins de chaque pays4; d’autre part, il est possible de se baser sur les anciennes applications en les modifiant à la lumière de l’expérience.

Le modèle standard définit tout d’abord une entreprise de transmission, qui agit en tant que monopole naturel, puis des entreprises de production appartenant au secteur privé, qui agissent dans le marché du « Pool »5 avec des offres, un marché de détail ouvert en tout ou partie à la concurrence des réseaux de transmission et de distribution et, enfin, un corps

3 Millan Jaime, 2000, La Segunda Generacion de Bolsas de Energia : Lecciones para America Latina, Banco Interamericano de Desarrollo, p1.

4 Par exemple celui que la Banque Mondiale tente d’appliquer dans les pays du Sud qui ont des marchés de petite taille, jusqu’à 1000 MW de capacité installée, où la concurrence semblerait impraticable.

5 Le marché du Pool est une source commune de marchandises ou services, qui est disponible pour un groupe de personnes afin qu’elle puisse être utilisée si nécessaire. Oxford, Advanced Learner’s Dictionary.

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régulateur indépendant. « Ce type de modèle a été appliqué aussi bien dans les pays sous-développés que dans les pays sous-développés »6.

Selon Ruff (2001), l’incidence du Pool anglais sur l’Amérique Latine est devenue paradigmatique. Ce modèle a été adapté à diverses situations notamment en Argentine, en Colombie, au Pérou et dernièrement au Brésil. Il faut prendre en compte aussi la métamorphose qu’a subie le modèle anglais à la fin des années 1990, où ses mutations l’ont même conduit à basculer vers le NETA en abandonnant le pool.

Les premières vagues de déréglementation sont apparues dans les années 1970 et ont pénétré toute l’Amérique Latine, suscitant de larges débats. Plusieurs questions émergent de ces débats, sur lesquelles cette partie tente d’apporter quelques éléments de réponse, en tirant toutes les leçons possibles des réformes passées :

• Comment peut-on mieux équilibrer l’offre et la demande dans un marché énergétique ?

• Quelle est la structure de marché la mieux placée pour un marché déterminé ?

• Quels sont les principes basiques d’un cadre régulateur et quel le rôle de l’Etat ?

• Les mécanismes centralisés et obligatoires des enchères sont-ils toujours nécessaires au bon fonctionnement du marché ?

• A-t-on ou non atteint l’objectif de produire les services à moindre coût ?

• L’accès de tous aux services jugés indispensables est-il encore assuré ?

• Les pouvoirs publics peuvent-ils, s’ils le souhaitent, réduire les inégalités entre usagers des services ?

Globalement, ces questions se ramènent à deux grandes problématiques. La première tourne autour de l’efficacité des nouvelles formes de régulation. Ici, afin de faire le bilan des coûts et des avantages, un travail d’évaluation méthodique s’impose car toute réforme peut à la fois supprimer des gaspillages et amener de nouveaux coûts. De plus, un tel type de réforme qui peut s’avérer ici efficace, peut susciter ailleurs trop de coûts ou tout simplement, elle peut être inappropriée par rapport à la réalité économique, politique, énergétique voire culturelle. La même réforme n’est pas nécessairement reproductible partout dans le monde.

La seconde concerne l’exercice de la solidarité : il est nécessaire de savoir si les nouvelles réformes tiennent compte des insuffisances des réseaux en matière de solidarité.

6 Littlechild Stephen, 2001, Electricity : regulatory Developments Around the World, The Beesley Lectures on Regulation Series XI, London, p1.

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C’est la recherche d’un nouvel équilibre entre équité, efficacité et participation qui se trouve donc au cœur du débat (Stoffaës, 1995).

Cette deuxième partie étudie les déréglementations qui ont eu lieu en Amérique Latine dans le cadre des mutations par génération. Selon cette démarche, les déréglementations de chaque pays sont définies et comparées au modèle standard anglais. Ainsi, dans ce troisième chapitre, les modèles pionniers chilien et argentin sont étudiés, afin de les comparer, dans le quatrième chapitre, aux expériences des autres pays. Il faut noter que le modèle britannique a subi de nombreuses modifications, autant en Angleterre qu’ailleurs, au fur et au mesure de l’application des déréglementations dans le monde (Littlechild, 2001).