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Section 1 Les industries de réseaux énergétiques, les grandes lignes d’une d’histoire d’histoire

1.3 Les débats théoriques aux Etats Unis

« monopole ». Pour Chamberlin, le concept de concurrence « parfaite »36 - qu’il considère comme purement imaginaire- comporte comme caractéristiques la connaissance parfaite des conditions du marché chez les vendeurs, la mobilité totale des ressources, l’adaptabilité parfaite des facteurs de production et l’absence de friction (Kaldor,1938).

1.3 Les débats théoriques aux Etats Unis

La tradition ancienne de l’Europe du Haut Moyen Age et du début du capitalisme consistant à réguler les prix des péages routiers et des tarifs aussi divers que ceux touchant les ponts, les auberges, les dépôts et marchés publics avait été introduite par les immigrés européens aux Etats Unis, ce qui constitue la base culturelle régulatrice. Cependant, la nature du problème avait changé à l’issue de la révolution industrielle anglaise car jusque là, l’échelle des affaires était si petite, qu’il n’était question que du contrôle exercé par les institutions locales37. Alors que les mutations technologiques ont changé à la fois l’échelle et les caractéristiques des relations affaires-gouvernement pendant les trois décennies du 19ème siècle, un débat prolongé s’est développé aux Etats Unis (Sherer, 2000).

D’abord, il était question des chemins de fer en 1871, ensuite des réseaux du gaz d’éclairage au début des années 1870 puis des réseaux électriques en 1885 et des tramways en 1888. C’est dans ces conditions qu’émergent deux figures emblématiques : Henry Carter Adams (1887) et Richard Ely (1886).

L’association Américaine d’Economie a été fondée et dirigée par Ely en 1886, lorsqu’il avait déjà étudié les entreprises étatiques allemandes pendant la dernière période d’industrialisation dans ce pays. A cette époque, la nationalisation du monopole naturel avait été demandée par Ely.

Dans ses écrits Ely (1937) distingue trois catégories de monopoles naturels : d’abord ceux qui dépendent d’une source unique de production (comme dans le cas de l’eau minérale de Cournot), ensuite, ceux basés sur des privilèges spéciaux (tels que des brevets ) et, enfin, ceux qui émergent des propriétés singulières et propres à chaque entreprise ( les chemins de fer). Les réseaux publics sont intégrés par Ely dans la dernière catégorie (Sharkey, 1982).

36 Kaldor Nicolas, 1938, Professor Chamberlin on Monopolistic and Imperfect Competition, Quarterly Journal of Economics.

37 Sherer F.M., 2000, Competition Policy, Domestic and International, Edward Elgar, Cheltenham, UK, p76.

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Dans cette approche des monopoles naturels, la troisième catégorie nous intéresse particulièrement, car elle présente trois conditions propres aux réseaux énergétiques, qui sont des conditions censées créer le monopole et rendre la concurrence auto-destructrice : la première est que la nature du service rendu influe sur le prix, ce qui incite les clients à acheter à un seul fournisseur plutôt qu’aux autres, la seconde concerne la nature du produit : elle rend impossible la création d’un grand nombre d’usines en concurrence et, enfin, la troisième évoque la haute proportion des coûts fixes en comparaison aux coûts variables (Lowry, 1973).

Or, pour Ely (1937), le monopole naturel est défini comme « une défaillance de la concurrence », situation qui peut émerger d’une production basée sur des économies d’échelle. Cependant Ely voyait d’autres conditions qui rendaient la concurrence auto-destructive.

C’est à cette époque qu’apparaît pour la première fois (dans la pensée économique) l’une des tendances majeures de la théorie du monopole naturel, selon laquelle le monopole peut être aussi une source supérieure de ravitaillement, car il est à la fois plus stable et efficient. Pourtant selon Ely (1887), toutes les firmes qui se sont vu accorder le privilège d’un monopole naturel, doivent voir cet accord limité dans le temps selon « l’évaluation de leur cahier des charges sous peine de restitution à la municipalité, l’Etat ou le gouvernement fédéral de la propriété entière avec ou sans compensation »38.

« Quelles sont les firmes auxquelles on pense, lorsque les gens parlent des abus du pouvoir d’entreprise ? » s’interrogeait Ely39. Tout d’abord, ce sont les rails, ensuite, les compagnies de messagerie, de télégraphes, les compagnies de transport urbain enfin les compagnies d’éclairage et d’eau potable. L’élément commun aux firmes qui leur permet de commettre de remarquables abus, « c’est qu’elles sont au-delà de la concurrence régulière et normale, c’est qu’elles sont des monopoles naturels »40. On ne trouve pas les entreprises d’électricité dans l’inventaire d’Ely (1887), tout simplement parce qu’à cette époque là elles n’existaient pas encore, les réseaux d’éclairage d’Edison étant encore trop petits.

La vice-présidence de l’Association d’économistes avait été réservée à un économiste de prestige, ce fut Henry Carter Adams (1887). Dans une publication de l’Association il définissait déjà un monopole naturel, conçu comme « une entreprise constituée sur un certain

38 Ely Richard, 1887, The Future of Corporations, Harper’s New Monthly Magazine, p261, de Sherer F.M., 1993, Monopoly and Competition Policy, Volume I, Center for Business and Government, John F. Kennedy School of Government, Harvad University, US, p50.

39Ely Richard, 1887, ibid, p48.

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degré d’intensité de rendements d’échelle, de sorte que si on double les inputs, cela conduit à plus que doubler les outputs ». Ainsi, Adams simplifiait la notion de monopole naturel au domaine strict des économies d’échelle (Sherer, 2000). Par ailleurs, la régulation du monopole naturel était un outil qui « permettait à une firme unique d’avoir tous les avantages de la production en grande échelle, mais qui devait protéger les consommateurs des abus du monopole » 41.

Adams classifiait les industries selon les rendements42, c’est-à-dire industries à rendements constants, décroissants et croissants (Ely, 1887).

L’un des premiers à avoir cherché à identifier la nature et les caractéristiques du monopole naturel fut Thomas Farrer (1887). D’après Farrer, cinq conditions doivent être satisfaites pour qu’il y ait un monopole naturel, à savoir43 : la firme doit fournir un produit ou service essentiel, elle doit bénéficier d’une localisation favorable à la production, ses outputs doivent être consommés là où, par le biais d’une connexion avec l’usine ils sont fournis, sa production doit être caractérisée par les économies d’échelle et, enfin, les clients de l’industrie sont obligés de trouver un accord de service avec leur fournisseur unique (Ely, 1887).

On doit l’une des premières esquisses précise des caractéristiques du monopole naturel à Kaysen et Turner (1959) qui ont associé les marchés non-concurrentiels ou la concurrence destructrice, aux effets pervers du monopole naturel, celui-ci conçu comme le résultat des économies d’échelle.

Ainsi, ils considéraient que d’un point de vue économique « le monopole naturel est un monopole né des économies d’échelle. C’est un rapport entre la taille du marché et la taille de la firme la plus efficiente tel que, une seule firme de taille efficiente peut produire tout ou plus que ce que le marché peut prendre à un prix rémunérateur. Ainsi, la firme augmente sa capacité de façon continue à un coût inférieur à celui d’une autre firme entrante dans le marché. Dans ces conditions, la concurrence peut exister pour quelque temps mais seulement

40 Ely Richard, 1887, ibid, p48.

41 Sherer F.M., 2000, Competition Policy, Domestic and International, Edward Elgar, Cheltenham, UK, p77.

42 Ely Richard, 1887, The Future of Corporations, Harper’s New Monthly Magazine, p261, de Sherer F.M., 1993, Monopoly and Competition Policy, Volume I, Center for Business and Government, John F. Kennedy School of Government, Harvad University, US, p49.

43 Farrer H. Thomas, 1887, The State in its Relation to trade, English Citizen Series, cité par Ely Richard, 1887, The Future of Corporations, Harper’s New Monthly Magazine, p261, de Sherer F.M., 1993, Monopoly and Competition Policy, Volume I, Center for Business and Government, John F. Kennedy School of Government, Harvad University, US, p49.

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jusqu’à ce que la faillite ou le pouvoir du monopole pousse la firme à en sortir, c’est-à-dire, que la concurrence devienne auto-destructive »44.

Kaysen et Turner prennent en compte la relativité de la notion d’économies d’échelle, dans le sens où dans les pays dits sous-développés actuels on trouve des marchés d’une taille si petite que les firmes hautement concurrentielles des pays industrialisés peuvent être des monopoles naturels là-bas45. Notamment, les industries téléphoniques et électriques, celles qui distribuent le gaz et l’eau, et les chemins de fer sont considérés comme monopoles naturels (Sharkey, 1982).

Dans son traité classique, Khan (1971) décrit le concept de monopole naturel comme un état où « la technologie de certaines industries où le caractère du service est tel que le client peut être servi à moindre coût ou à son majeur bénéfice, soit par une seule et unique firme (dans un cas extrême) soit par un nombre d’instruments choisis46 ». Ainsi, dans le cas extrême de Kahn, les coûts moyens diminuent au fur et au mesure que l’output augmente un certain rang de production dans le marché ; une seule et unique firme peut donc servir tout le marché et avoir un coût moyen plus bas que celui de n’importe quelle autre somme de ses petites rivales (Braeutigam, 1989).

En fait, Kahn traite le monopole naturel et la concurrence destructrice dans les mêmes termes que Kaysen et Turner, car il estime que la principale « caractéristique du monopole naturel est sa tendance inhérente à diminuer les coûts par unité sur la totalité d’un marché », ce qui est possible lorsqu’une grande production est concentrée dans une firme unique dont les coûts unitaires sont décroissants. Cela est aussi le résultat des grands investissements en capital fixe, car « les coûts fixes risquent d’être gaspillés si deux firmes entreprennent de servir le même marché »47.