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Le savoir, élément constitutif de la supériorité masculine

I. Le savoir, élément constitutif de la supériorité masculine

Les historiennes et historiens de l’Histoire des femmes et du genre ont souligné la force des représentations qui attribuent aux femmes (notamment durant le Franquisme) une « nature anti-intellectuelle642 ». L’étude des ouvrages qui tiennent un discours théorique sur l’identité masculine nous conduit effectivement à considérer que le savoir constitue (au moins au sein de la frange la plus éduquée de la population) un élément central de l’identité du genre masculin, une qualité nécessaire à la perfection virile mais superflue - voire néfaste - pour les femmes.

Ce stéréotype n’est pas neuf. On le trouve dans les sources les plus anciennes, comme dans

La mariée parfaite, ouvrage publié au XVIe siècle et qui devint, durant le franquisme, « le

cadeau de mariage traditionnel pour les femmes de la classe moyenne643 ». L’auteur, le frère Luis de León explique que les choses de l’esprit font partie du domaine réservé des hommes :

« Comme les femmes bonnes et honnêtes n’ont pas été conçues par la nature en vue de l’étude des sciences (...) mais en vue des tâches simples et domestiques,

642 G. di Febo, « ‘La Cuna, la Cruz y la Bandera’. Primer franquismo y modelos de género », in I. Morant (dir.),

Historia de las mujeres en España y América latina, Tomo IV [...] pp. 217-239, p. 224

643 A.G. Morcillo, «El género en lo imaginario. El “ideal católico femenino” y estereotipos sexuados bajo el franquismo», in Mary Nash (dir.), Represión, resistencias, memoria. Las mujeres bajo la dictadura franquista, Granada, Comares Historia, 2013, pp.71-90, p. 76

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la nature a limité leur entendement (...) et c’est pourquoi Démocrite affirmait que le charme et la beauté de la femme réside dans une parole rare et limitée644. »

Jusqu’aux années 1960, les hommes qui pensent la différence des sexes déclinent diverses versions de ce point de vue. L’intellectuel républicain José Gaos, par exemple, affirme en 1939, s’appuyant sur les écrits de son maître Ortega y Gasset, que la féminité est incompatible avec la Philosophie, discipline trop abstraite645. J.M. Pemán, en moraliste traditionaliste, place les femmes du côté de l’instinct et de la nature, et l’homme du côté de la rationalité et de la culture. Le mâle est pour lui « l’être intellectuel par essence : il raisonne sur tout et cherche à tout expliquer. (...) La femme est un être plus instinctif que l’homme. Elle vit plus selon un système de réactions primaires que selon un programme de motivations conscientes646 ». Elle se situe à mi-chemin entre les plantes et les animaux, et l’homme647. Ce sont ces capacités intellectuelles qui prédisposent « l’homme » aux choses politiques et à l’exercice du pouvoir : ses capacités d’abstraction font de lui un être créateur d’idéologie648. Cette différence entre « l’homme » et « la femme » est expliquée par la vocation maternelle de cette dernière : « La femme, être très proche de la nature, très anti-intellectuel par définition, est totalement construite pour communiquer avec cet autre être faible, soumis et irrationnel, qu’est l’enfant649. »

Entrer dans l’âge viril, c’est accéder au savoir qui éloigne définitivement l’homme en construction de sa mère et de la féminité. L’enseignant a entre autres fonctions, en ouvrant le jeune garçon au savoir, celle de l’arracher à l’influence irrationnelle de cette dernière. C’est pourquoi il serait, aux yeux de toutes les mères, un « être odieux650 ».

« Toute mère est déséducatrice (sic) et anarchiste face aux premières ‘soustractions avec retenues’ que l’enfant ramène du collège à la maison. (...) La mère perd la dernière bataille le jour où son fils étudie sa première leçon de latin.

Musa, Musae... Qu’est-ce c’est que ça ? Est-ce vraiment nécessaire ? Elle

644 Fray Luis de León, La perfecta casada. El cantar de cantares, Madrid, M. Aguilar editor, 1943, p288

645 E. Díaz Silva, « La derrota y el exilio de los republicanos en Méjico : manifestaciones culturales de una masculinidad en crisis », in N. Aresti Esteban, K. Peters, J. Brühne (dir.), ¿La España invertebrada ?

Masculinidad y nación a comienzos del siglo XX [...] p. 251 646 J.M. Pemán, De doce cualidades de la mujer [...] p. 8

647 Ibidem, p. 16

648 Ibidem, p. 4

649 Ibidem, p. 103

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comprend alors qu’elle s’était bercée d’illusions : qu’elle avait élevé son fils pour le livrer à un monde qu’elle ne connait pas651. »

L’endocrinologue Marañón nous offre une version scientifique des mêmes représentations genrées. Pour lui, la capacité créative est liée à la testostérone et « l’homme » est, par sa « structure endocrine et nerveuse », « plus apte à la création intellectuelle652 ». Le médecin en veut pour preuve que toutes les grandes réalisations ont été le fait d’hommes jeunes, ou (dans le cas où ils seraient plus âgés) ayant conservé une virilité marquée, comme Victor Hugo ou Goethe.

Les confrères (et suiveurs) de Marañón expriment parfois ses théories avec plus de clarté encore. En 1953, le Docteur Arvesú se réclame de ses conclusions pour affirmer que « Il y a une autre caractéristique de l’homme, qui complète sa vocation sociale : sa plus grande capacité intellectuelle. Disons-le crûment, (...) l’homme est plus capable intellectuellement que la femme. Et ce n’est pas rabaisser la femme que de ne pas lui concéder une capacité intellectuelle plus grande, ni même égale, mais une capacité inférieure, parce que ce domaine, du point de vue sexuel, n’est pas le sien653. » Il complète ensuite son propos :

« On pourrait dire que l’organisme de la femme se trouve au service d’une matrice, alors que l’organisme de l’homme est conçu au service d’un cerveau654. »

Il est donc logique que les appels au redressement viril de la nation passent aussi, chez certains auteurs, par une injonction à l’étude et au développement des connaissances. C’est ainsi le cas de l’ouvrage El muchacho español, que le ministère de l’Education Nationale déclare officiellement « ouvrage de mérite national » en 1938 :

« Et ta vertu quotidienne, constante, et de tous les instants, consistera en l’amour des études et la passion pour le travail [scolaire] (...) Travaille avec enthousiasme et ferveur. Nourris ta soif de savoir655... »

Pour l’inspecteur de l’enseignement primaire Maíllo, il revient d’ailleurs (en 1943) à l’école de cultiver cette différence entre les hommes et les femmes. Partant du constat du plus

651 Ibidem, p. 103

652 G. Marañón, Tres ensayos sobre la sexualidad [...] p. 45

653 Doctor Federico Arvesú, La virilidad y sus fundamentos sexuales, madrid-Buenos Aires, ediciones studium de cultura, 2ème édition, 1953, p. 29

654 Ibidem, p. 34

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faible taux de fécondité des femmes éduquées, il conclut à la nécessité d’abaisser leur niveau de formation intellectuelle afin de ne pas les obliger « à un travail mental pour elles excessif, qui détourne [vers le cerveau] l’irrigation sanguine des régions organiques fondamentales pour leur avenir de femmes. » Les écoles doivent donc tourner le dos à « un intellectualisme absorbant et anti féminin656 », car « il n’est pas important que les futures mères soient savantes, qu’elles mémorisent et se souviennent de nombreuses notions scientifiques ». Contrairement aux hommes, leur éducation doit porter sur l’hygiène, les soins aux enfants, etc.

Ces modes de représentation ne disparaissent pas aussi rapidement qu’on ne pourrait le penser. Ils marquent encore les autorités scientifiques au moment de la Transition : dans un numéro de Convivencia Sexual publié en 1977, le Docteur Francisco Alonso Fernández, Professeur de psychiatrie de l’Université de Séville, explique que « même la pensée et l’intelligence de l’homme et de la femme sont différents. La pensée masculine est plus conceptuelle et abstraite. Et la pensée féminine, plus matérielle et concrète. L’homme dispose d’une intelligence plus rationnelle, plus logique et plus organisée657. »

Ces conceptions conduisent la quasi-totalité des manuels étudiés à mettre en avant des modèles masculins qui sont largement des hommes de savoir.

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