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L'homme républicain: un combattant des mots avant tout

Premier chapitre. Les manuels de la Seconde République : des modèles masculins pacifiés

A. L'homme républicain: un combattant des mots avant tout

Les travaux de recherche réalisés sur les maitres d’école républicains montrent la fréquence et la profondeur de leur engagement au service de la collectivité. Nombreux furent ceux qui participèrent à la vie politique, à un échelon local232 ou supérieur233. Il existe bien une figure de l’instituteur pour qui l’action politique, au service d’idées politiques de gauche (mais aussi, l’implication au sein de projets culturels collectifs, comme la participation à des conférences au sein d’institutions progressistes comme les Ateneos) est le prolongement de son engagement professionnel au service de la collectivité234. Le vir republicanus qui prend vie dans les manuels ressemble souvent à ses créateurs : c’est d’abord dans la parole, par sa maitrise de l’art oratoire et sa capacité à affronter ses adversaires par les mots, qu’il accomplit sa condition d’homme.

231 Ibidem, p. 172

232 Voir par exemple : C. García Colmenares, « Daniel G. Linacero : la historia para la paz » [...]

233 Rodolfo Llopis, traducteur-auteur du manuel Historia anecdótica del trabajo, qui devint durant la République Député puis Sous-secrétaire de la Présidence du Gouvernement, en est peut-être le meilleur exemple : C. Navarro García, « La figura del maestro, en la Escuela de la República », Revista interuniversitaria

de formación del profesorado, n°43, 2002, pp. 21-37

234 Voir par exemple, à propos du maitre d’école andalou Laureano Talavera : J. Holgado Barroso, « El profeta del modelo republicano », Andalucía en la historia, n°19, 2008, pp. 14-17

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Cette virilité politique se conquiert au sein du groupe. Dans El niño republicano, Emilio Castelar Ripoll (qui fut, durant cinq mois, Président de la Première République) est loué pour ses talents d’orateur. Ils lui confèrent la virilité du tribun (terme souvent employé dans ce manuel), comme lors de la narration de sa première intervention publique, en 1854 :

« Il avait à peine 22 ans quand, dans un meeting célébré au théâtre Royal de Madrid, auquel prenaient part de célèbres orateurs politiques, il demanda la parole. Le public fut étonné quand il vit s’avancer vers la scène un jeune homme inconnu, imberbe, courageux et plein d’audace. Mais la stupéfaction de la foule qui remplissait l’orchestre culmina quand elle entendit l’orateur s’exprimer avec facilité, fluidité, impétuosité, grandiloquence, sérénité, talent, offrant à l’auditoire abasourdi les conceptions républicaines les plus osées. L’effet de ce discours fut foudroyant. Le public, électrisé, offrit au jeune orateur inconnu une ovation tumultueuse, le portant en triomphe jusqu’à chez lui235. »

Il est aussi un homme d’action, un meneur d’hommes. L’auteur affirme qu’Emilio Castelar Ripoll fut « un homme si énergique quand il était au pouvoir que l’on en vint à l’appeler, fort injustement, le Dictateur236. » La mention de cette accusation, qui est faite sous le prétexte de la réfuter, permet de souligner la poigne de l’orateur. Elle témoigne d’une admiration pour les hommes de pouvoir et d’autorité car ces traits de caractère a priori négatifs peuvent devenir des qualités s’ils demeurent confinés dans des limites compatibles avec la démocratie et sont mis au service des bons idéaux : pour sauver la Première République, et notamment afin de mieux lutter contre les Carlistes en renforçant les pouvoirs de l’armée et en rétablissant la censure, le républicain Castellar i Ripoll s’était en effet fait voter les pleins pouvoirs par l’Assemblée. Il n’en avait pas moins quitté le pouvoir après avoir été mis en minorité à la chambre en janvier 1874.

Parmi les combattants de la République et de la justice, les manuels accordent une place importante à Pablo Iglesias, fondateur du PSOE et du syndicat Union Générale des Travailleurs. Son statut de modèle masculin est ambigu : il constitue une figure de saint (avec ce que ce terme peut inclure de caractère asexué) laïc. Ainsi le manuel Historia anecdótica

del Trabajo lui consacre-t-il un chapitre dans lequel il est à deux reprises qualifié

235 J. Seró Sabaté, El niño republicano [...] p. 56

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d’ « apôtre237 » de la cause populaire. L’auteur souligne qu’il accepta la prison comme prix de sa lutte sans concession contre les injustices capitalistes et bourgeoises, alors que sa santé était fragile. Les manuels mentionnent son surnom (« le grand-père ») qui contribue à le placer en dehors des âges les plus virils. Il n’est pourtant pas toujours dénué de virilité. Sa virilité n’est pas celle du soldat, mais celle de l’homme en lutte qui affirme sa volonté face aux autorités : « au milieu de tous ces hommes habitués à obéir, Iglesias - qui n’est que rébellion - est la vigoureuse incarnation de la volonté238 ». Il a « la stratégie d’un général et la sainteté d’un apôtre (...) mais ce n’est pas un général producteur de mort ni un prophète revêtu de la robe de bure des religions du passé239 ».

Il existe donc également chez les républicains un modèle de l’homme révolté. Il s’incarne, dans Estampas de España, en la personne du dandy romantique et libéral Mariano José de Larra (1809-1837) :

« Ceci est le portrait de la révolte. C’est dans la révolte que se trouvait alors le patriotisme. Le rebelle qui remplit ce siècle vécut de courtes années ; années de fièvre et de délire (...) Petit et brun, nerveux et original, impétueux et profond, il est le génie de la révolte. Il s’habille avec une élégance presque invraisemblable pour l’époque (...) cet homme aux cheveux coupés courts sur les côtés porte, sur son front, une mèche qui regarde vers le haut, vers les sommets, comme un signe durable et magnifique de sa masculinité240. »

Les idéaux pacifiques et les centres d’intérêt non guerriers des auteurs républicains peuvent enfin dessiner pour les hommes des modèles très civils, dont la première vertu est l’efficacité technocratique. On trouve par exemple chez G. Manrique d’assez longs développements sur le service des postes au XVIIIe siècle241. Ils mettent en avant des personnages absents des Histoires plus politiques et militaires, comme le ministre Carvajal, cité pour avoir été le premier « surintendant des postes » au moment de la création du système de distribution du courrier. Le comte de Campomanes, ministre éclairé de la fin du XVIIIe siècle, apparait pour sa part pour avoir établi la mise en place des boites aux lettres et la distribution des courriers à domicile.

237 A. Thomas, Historia anecdótica del trabajo [...] p. 319 et p. 324

238 F. José de Larra, Estampas de España [...] p. 234

239 Idem

240 Ibidem, pp. 182-183

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B. Une figure de la virilité canalisée du début du XXe siècle :

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