Partie II – Les questions qui se posent
2.1. L’assistance médicale à la procréation
2.1.4.1. Le dispositif actuel n’est pas satisfaisant
Un consensus se dégage pour considérer que le dispositif actuel d’autoconservation contre don est contraire au principe de gratuité du don. En effet, il consiste à inciter à donner ses ovocytes en créant une forme de contrepartie au don. L’Académie de médecine qualifie ce dispositif de « médicalement et éthiquement inacceptable », et même de « chantage » et de « leurre », d’une part parce qu’il donne des chances extrêmement minces à la donneuse de pouvoir obtenir une grossesse avec ses ovocytes conservés sans l’exposer à plus de deux cycles de stimulation, d’autre part parce qu’il conduit à rémunérer le don.
En effet, la répartition des ovocytes ponctionnés entre le don et l’autoconservation est précisément encadrée afin de donner la priorité au don188. Ainsi en pratique, pour une conservation efficace de ses ovocytes, la donneuse doit se soumettre à au moins
187 Rapport sur la conservation des ovocytes, op. cit., p. 9.
188 Ainsi, si seulement cinq ovocytes sont obtenus, tous sont destinés au don ; dans le cas d’une
ponction de six à dix ovocytes, au moins cinq sont destinés au don ; dans l’hypothèse où plus de dix ovocytes sont obtenus, la moitié au moins est dirigée vers le don (arrêté du 24 décembre 2015), étant précisé qu’en général, une ponction permet d’obtenir 8 à 13 ovocytes (Rapport sur la conservation des ovocytes, op. cit. p. 9) et qu’il faut disposer d’environ vingt ovocytes pour avoir des chances sérieuses de parvenir à une grossesse. Ainsi, pour une conservation efficace de ses ovocytes, la donneuse doit se soumettre à au moins deux cycles de stimulation et deux ponctions.
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deux cycles de stimulation et deux ponctions. Il est constaté que la finalité de certains dons est équivoque et qu’ils puissent ne pas être totalement désintéressés
Le Conseil d’État recommande dès lors de supprimer l’autoconservation liée au don et de traiter la question de l’autoconservation ovocytaire indépendamment de la question du don.
2.1.4.2. Les arguments en présence
La première option législative est celle d’un maintien de l’interdiction de l’autoconservation ovocytaire de prévention. Elle se fonde sur des arguments de trois ordres.
Est d’abord mise en avant la disproportion entre la lourdeur du traitement à mettre en œuvre et la simple probabilité d’avoir ensuite besoin, pour la femme concernée, de recourir à ses ovocytes vitrifiés pour concevoir un enfant. En effet, il est nécessaire de conserver quinze à vingt ovocytes pour avoir des chances sérieuses d’obtenir une grossesse189, le taux de grossesse par ovocyte dévitrifié étant de 4,5 à 12%190, ce qui implique de soumettre la femme à plusieurs cycles de stimulation ovarienne et plusieurs ponctions ovocytaires, ce qui n’est pas sans risque pour elle et, à tout le moins, d’une lourdeur certaine en termes de contraintes et d’impacts divers sur son corps (traitement hormonal par injections sous cutanées quotidiennes pendant plus de dix jours consécutifs à chaque cycle, échographies, prises de sang, intervention chirurgicale parfois sous anesthésie générale). Or, il est possible qu’entre la vitrification de ses ovocytes, autour de l’âge de trente‐cinq ans, et le déclin réel de sa fécondité, autour de quarante ans, elle ait pu réunir les conditions pour mener à bien un projet de grossesse de manière naturelle. À cet égard, il est intéressant de relever qu’en Espagne, le motif principal du recours à l’autoconservation ovocytaire est l’absence de partenaire avec lequel mener un projet de maternité191, et non des contraintes, ou objectifs, d’ordre professionnel. Aussi, il paraît raisonnable de penser qu’un certain nombre de femmes ayant conservé leurs ovocytes rencontreront un partenaire masculin avec lequel elles auront un enfant naturellement et se seront ainsi exposées à un risque rétroactivement inutile.
189 V. CCNE, avis n° 126, p. 13 et le Rapport sur la conservation des ovocytes, op. cit., p. 7.
190 Rapport sur la conservation des ovocytes, op. cit., p. 7
191 « En Espagne, 94,2% de ces demandes d’autoconservation sont liées à l’avancée en âge.
Elles sont inspirées par la crainte d’une perte de la fertilité dans la « course contre le temps ».
Cette demande d’autoconservation « sociétale » provient pour 75,6% de célibataires hétérosexuelles, pour 23,9% de femmes en couple ayant des relations hétérosexuelles mais pas de projet de grossesse, et pour 0,4% d’homosexuelles. La principale raison du recul ainsi organisé de l’âge de la maternité est la difficulté de trouver un partenaire adéquat. », Rapport sur la conservation des ovocytes, op. cit., p. 8 et 9.
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En outre, il n’est pas exclu que l’autorisation de cette technique pourrait conduire des employeurs à vouloir l’imposer à leurs collaboratrices192, ou que celles‐ci, de manière plus insidieuse, l’intègrent spontanément comme une contrainte nécessaire, comme les y enjoint le magazine Bloomberg Businesweek en avril 2014, « Freeze your eggs, free your career ». Le risque qu’une telle mesure réduise, consciemment ou non, la liberté de la femme de pouvoir procréer pendant sa période de fertilité n’est pas mineur. Au demeurant, on pourrait attendre du législateur qu’il cherche prioritairement à créer les conditions d’un meilleur équilibre entre la vie professionnelle et la maternité plutôt qu’à contourner les contraintes biologiques en adaptant le corps de la femme, non sans une certaine violence, aux contingences socio‐économiques.
Enfin, cette mesure est susceptible de conforter la norme sociale selon laquelle une femme ne peut se réaliser sans devenir mère, au risque d’alimenter une dévalorisation de celles qui, pour des motifs divers, choisis ou subis, ne le sont pas.
Toutefois, l’autorisation de cette technique s’inscrirait dans un contexte social la rendant indéniablement pertinente. En effet, l’âge de la première grossesse n’a cessé de reculer193 pour atteindre 28,5 ans194. Or, la fertilité diminue nettement à partir de trente‐cinq ans. En outre, à partir de 40 ans, près de 80% des ovocytes soumis à fécondation sont aneuploïdes195, ce qui induit un taux de fausses couches spontanées de 30%196.
Or, la prise en charge en AMP ne permet pas de lutter efficacement contre les effets du vieillissement et l’Académie de médecine rappelle que les taux de succès des AMP, toutes techniques endogènes confondues, diminuent à partir des 35 ans de la femme, passant de 30,1% à 34 ans à 23,6% à 38 ans et à 16,5% à 43 ans197. En revanche, en cas de recours à un don d’ovocyte, le taux de succès de l’AMP est de 50% et demeure élevé à 46% après les 40 ans de la receveuse, ce qui met clairement en évidence l’importance de la qualité ovocytaire sur la réussite de l’AMP. Ainsi, l’autoconservation ovocytaire est de nature à améliorer considérablement la réussite de l’AMP et d’éviter la multiplication de tentatives infructueuses, éprouvantes pour le couple et couteuses pour l’assurance‐maladie.
Par ailleurs, on peut aussi concevoir cette faculté d’autoconservation ovocytaire comme une mesure émancipatrice pour les femmes en leur permettant de se libérer des contraintes liées à l’horloge biologique. Il est notable à cet égard que les femmes
192 Aux États‐Unis, cette mesure est financée par Facebook, Google et Apple à leurs employées (V.
« La vie privée surgelée », M le Mag sur Le Monde.fr, 24 octobre 2014).
193 Il était de 24 ans en 1974 et de 28,5 ans en 2015 selon Insee Première, n° 1642, mars 2017.
194 L’âge de procréer, Conseil d’orientation de l'Agence de la biomédecine, 8 juin 2017, p. 9.
195 Ils ne possèdent pas le nombre normal de chromosomes.
196 Rapport sur la conservation des ovocytes, op. cit., p. 4.
197 Rapport sur la conservation des ovocytes, op. cit.
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qui y ont recours en Espagne ont un niveau d’éducation et de qualification supérieur198. En effet, alors que celles‐ci sont intégrées dans des cycles de vie dont la temporalité a évolué (allongement de la durée des études et de la période d’insertion professionnelle, mais aussi de la vie amoureuse avant le projet d’enfant..), la période de fertilité d’une femme reste inchangée. Dans ce contexte, l’autoconservation ovocytaire pourrait répondre à ces difficultés de décalage temporel.
Enfin, l’autoconservation ovocytaire aurait pour double effet, d’une part de réduire la demande de dons d’ovocytes et, d’autre part, d’augmenter le nombre d’ovocytes disponibles, dans l’hypothèse où une femme n’utiliserait finalement pas ses ovocytes vitrifiés mais les donnerait. Dans l’hypothèse où les ovocytes vitrifiés non utilisés seraient donnés. D’après l’agence de la biomédecine, en 2015, 2516 couples étaient en attente d’un don d’ovocyte et 540 ponctions ovocytaires en vue d’un don avaient été réalisées sur l’année. L’agence estime qu’avec 900 donneuses supplémentaires, il serait possible de répondre aux nouvelles demandes et de satisfaire le besoin des couples inscrits sur liste d’attente199.