Partie II – Les questions qui se posent
2.1. L’assistance médicale à la procréation
2.1.3.3. La situation des enfants qui en sont issus : tenir compte de l’intérêt
L’équilibre de la solution jurisprudentielle
La jurisprudence de la Cour de cassation a longtemps interdit l’établissement d’un lien de filiation entre l’enfant issu d’une GPA pratiquée à l’étranger et ses parents d’intention, d’abord au motif que cette pratique était contraire au principe d’indisponibilité du corps humain170, puis, qu’entachée de fraude à la loi française, les actes d’état civil étrangers en découlant l’étaient également par un effet de contagion171.
Si cette jurisprudence avait du sens au regard de la prohibition d’ordre public de la GPA et des questions éthiques majeures qu’elle pose, le fait d’en faire porter les conséquences par les enfants ainsi mis au monde pouvait apparaître contestable au sens où cette solution conduisait à les ramener indéfiniment à leur situation d’objet d’un contrat prohibé.
Dans deux arrêts du 26 juin 2014172, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France au motif que le refus de reconnaître, par la voie de la transcription, le lien de filiation d’enfants nés d'une GPA pratiquée à l’étranger avec les gamètes de leur père d’intention, constituait une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée des enfants. La Cour a ainsi rappelé que le droit au respect de la vie privée exigeait « que chacun puisse établir les détails de son identité d’être humain, ce qui inclut sa filiation ». Elle a adopté une solution identique dans un arrêt du 21 juillet 2016 concernant des enfants issus de GPA pratiquées en Inde dont le père d’intention était également le père biologique173.
Toutefois, dans un arrêt plus récent, rendu en grande chambre, concernant une requête dirigée contre l’Italie174, la Cour européenne des droits de l’homme a écarté toute violation de la Convention par les autorités après le retrait d’un enfant de neuf mois, issu d’une GPA pratiquée en Russie, par les services sociaux à ses parents d’intention, dépourvus de liens biologiques à son égard. Il s’en déduit que la Cour
170 « (…) il est contraire au principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, principe essentiel du
droit français, de faire produire effet, au regard de la filiation, à une convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui (…) », Cass, 1re Civ., 6 avril 2011, 10‐19.053, Bull. 2011, I, n° 72.
171 Cass, 1re Civ., 13 septembre 2013, n°12‐30.138, Bull. 2013, I, n° 176.
172 CEDH, Mennesson et Labassée c. France, 26 juin 2014, n° 65192/11.
173 CEDH, Foulon et Bouvet c. France, 21 juillet 2016, n° 9063/14 et 10410/14.
174 CEDH, Paradiso et Campanelli c. Italie, 24 janvier 2017, n° 25358/12.
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laisse une marge d’appréciation importante aux États pour déterminer les liens juridiques qui doivent unir l’enfant aux parents d’intention en l’absence de lien biologique. Ainsi, elle a n’a pas jugé contraire à la Convention la volonté des autorités italiennes de réaffirmer la compétence exclusive de l’État pour subordonner la reconnaissance d’un lien de filiation aux hypothèses de lien biologique ou d’adoption régulière. La marge d’appréciation des États en matière de GPA, qu’il s’agisse de l’interdiction de cette pratique ou de la filiation des enfants, demeure large.
Tenant compte des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme de 2014, la Cour de cassation a infléchi sa position en permettant à la fois la reconnaissance du lien de filiation à l'égard du père biologique175, solution recommandée en 2009 par le Conseil d’État,176 et l'ouverture de l'adoption pour le conjoint ou la conjointe du père177. En revanche, elle refuse de transcrire sur les registres français de l’état civil un acte d’état civil étranger qui mentionnerait en qualité de mère une femme qui n’a pas accouché178 ou un second lien de filiation paternelle lorsque l’enfant a déjà un père, ce sur le fondement de l’article 47 du code civil179.
Il s’ensuit qu’à ce jour, peut être transcrit sur les registres français de l’état civil le lien de filiation d’un enfant à l’égard de son père biologique. En revanche, la mère d’intention, qui n’est pas la femme qui accouche, ou le conjoint du père, doit entreprendre une procédure d’adoption de l’enfant de son époux. À cet égard, par une dépêche du 24 juillet 2017, la garde des sceaux a invité les parquets à prendre des réquisitions favorables lors des procédures d'adoption simple ou plénière d'un enfant né de GPA par le conjoint du parent, dans l’hypothèse où l'adoption apparaitrait conforme à l'intérêt de l'enfant. Aussi, par deux voies différentes, et avec un échelonnement dans le temps, l’enfant issu de GPA à l’étranger peut légalement voir son lien de filiation établi à l’égard de ses deux parents d’intention.
De plus, s’agissant des situations passées ayant donné lieu à un refus de transcription par une décision judiciaire revêtue de l’autorité de la chose jugée, la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle a prévu un
175 Cass., Ass. plén., 3 juillet 2015, n° 14‐21.323, Bull. 2015 et Cass., Ass. plén., 3 juillet 2015, n° 15‐
50.002, Bull. 2015.
176 Conseil d’État, La révision des lois de bioéthique, op. cit., p. 66.
177 Cass., 1re Civ., 5 juillet 2017, n° 16‐16.455 : « (…) le recours à la gestation pour autrui à l'étranger ne fait pas, en lui‐même, obstacle au prononcé de l'adoption, par l'époux du père, de l'enfant né de cette procréation, si les conditions légales de l'adoption sont réunies et si elle est conforme à l'intérêt de l'enfant (…) ».
178Cass., 1re Civ., 29 novembre 2017, n° 16‐50.061 : « (…) concernant la désignation de la mère dans les actes de naissance, la réalité, au sens de ce texte, est la réalité de l'accouchement ».
179 « Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les
formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui‐même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. »
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mécanisme de réexamen des décisions civiles définitives en matière d’état des personnes en cas de condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme. Aussi, les parents s’étant vu refuser la transcription d’un acte de naissance avant l’évolution favorable de la jurisprudence à l’égard du parent biologique, peuvent désormais bénéficier d’un réexamen de leur situation sans se voir opposer l’autorité de chose jugée. Dans ce cadre, par deux arrêts du 16 février 2018, la Cour de cassation a ordonné le réexamen de pourvois devant son assemblée plénière au mois de septembre 2018.
Enfin, les enfants nés par GPA à l’étranger, d’un parent d’intention français, peuvent se voir délivrer un certificat de nationalité française conformément à la circulaire de la garde des sceaux du 25 janvier 2013, validée par le Conseil d’État le 12 décembre
2014180 ainsi que des documents de voyage181.
Il convient dès lors de constater que depuis 2014, la prise en compte de la situation des enfants issus de GPA à l’étranger par la jurisprudence a été réelle.
Des difficultés subsistantes
Si la situation de ces enfants s’est considérablement améliorée, la solution adoptée n’est pas exempte de difficultés signalées par des associations au cours de plusieurs des auditions menées.
D’abord, le parent d’intention non biologique ne peut voir son lien de filiation établi par l’effet d’une transcription mais doit former une demande d’adoption de l’enfant de son conjoint. Comme en matière d’AMP réalisée à l’étranger par les couples de femmes, cette situation génère un décalage dans le temps entre l’établissement de la filiation du parent biologique et du parent d’intention. Ainsi, pendant le délai d’adoption, le parent d’intention n’a aucun droit sur l’enfant, pas plus que l’enfant n’en a à son égard, ou plus exactement ils ne pourraient bénéficier l’un, l’autre, que des seuls effets éventuels et incertains d’une filiation établie à l’étranger sans être reconnue en France, ce qui génère une situation d’insécurité juridique dont les conséquences peuvent être importantes en cas de décès d’un des parents ou de séparation.
180 CE, 12 décembre 2014, Association juristes pour l’enfance et autres, n° 365779 et autres.
181 V. par ex. CE, ord., 3 août 2016, MAEDI c/ Mme X, n° 401924 : « La circonstance que la conception de cet enfant aurait pour origine un contrat entaché de nullité au regard de l’ordre public français serait, à la supposer établie, sans incidence sur l’obligation, faite à l’administration par les stipulations de l’article 3‐1 de la convention relative aux droits de l’enfant, d’accorder une attention primordiale à l’intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. / Il suit de là que, dans les circonstances de l’espèce, la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant Jules Lance implique que, quelle que soit la position qu’elle retiendra sur sa nationalité, l’autorité administrative lui délivre, à titre provisoire, tout document de voyage lui permettant d’entrer sur le territoire national (….) ».
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Le fondement de l’interdiction posée par la Cour de cassation est l’article 47 du code civil aux termes duquel les faits déclarés dans l’acte doivent correspondre à la réalité pour que ce dernier puisse être transcrit. Or, si la mère d’intention, qui n’a pas accouché de l’enfant, figure dans l’acte de naissance, il est considéré sur ce point comme non conforme à la réalité, de même que lorsque l’acte mentionne deux parents de même sexe. S’agissant de la mère d’intention, cette analyse repose sur la vision traditionnelle, non remise en cause jusqu’ici, selon laquelle la mère est toujours certaine puisqu’elle accouche de l’enfant. Or, cette affirmation peut ne plus être vraie. En effet, certaines GPA peuvent être réalisées avec les gamètes de la mère d’intention qui ne mettra par l’enfant au monde pour autant. Une telle fragmentation de la maternité entre le lien génétique, le lien gestationnel et le projet parental fragilise nécessairement cette approche de la maternité comme une et évidente.
Aussi, la grille de lecture de l’article 47 peut ne plus sembler si pertinente qu’elle a pu l’être.
De plus, pour pouvoir adopter l’enfant, le parent d’intention doit être marié au parent biologique, ce qui est parfois perçu comme une atteinte à la liberté des parents et peut conduire à des situations délicates dans l’hypothèse, résiduelle néanmoins, où les parents d’intention se sépareraient après la conception de l’enfant et sans que leur mariage ait été prononcé.
Des pistes d’évolution ont été évoquées lors des auditions, notamment la modification de l’article 47 du code civil ou, à tout le moins, de sa portée, en donnant au terme « réalité », le sens de « réalité juridique au sens du droit local ». Toutefois, cela aurait des impacts préjudiciables dans d’autres domaines du droit, notamment en matière de lutte contre la fraude documentaire et apparaît dès lors imprudent.
Pour parer à cet effet, une solution consistant à autoriser la transcription de l’acte de naissance à l’égard des deux parents d’intention après la mise en œuvre d’un contrôle quant au respect de standards éthiques minimaux, tels que le recueil du consentement de la mère porteuse avant et après la naissance de l’enfant, l’absence de rémunération, son bon état de santé ou encore l’exigence d’un jugement étranger, a pu être envisagée182, rejoignant ainsi la solution adoptée par l’Espagne. Toutefois, elle se heurte à deux obstacles. Le premier est qu’elle induit une représentation de ce que serait une GPA éthiquement acceptable, ce qui pourrait apparaître contraire aux développements précédents et à l’esprit d’un maintien de son interdiction. Le second est qu’elle conduit, à nouveau, à faire porter par l’enfant les conséquences d’une GPA réalisée dans des conditions intolérables, puisqu’il serait, dans cette hypothèse, dépourvu de lien de filiation, ce qui serait contraire au droit au respect de sa vie privée. Cette solution ne paraît donc pas souhaitable.
182 I. Théry et A.M. Leroyer, op. cit., p. 224.
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Enfin, une dernière option consistant à reconnaître ipso facto la double filiation des enfants issus de GPA valablement réalisées à l’étranger semble devoir être écartée dès lors qu’elle viderait de son sens l’interdiction d’ordre public de la GPA.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, il semble que le fait de devoir recourir à l’adoption pour le parent dépourvu de lien biologique, certes contraignant, n’est pas inadapté, qu’en outre les contrôles que cette procédure implique apparaissent nécessaires pour éviter de faire produire des effets aux pratiques de GPA les plus inacceptables183. Aussi, la solution actuelle semble respecter un équilibre entre l’intérêt de l’enfant et le souci du maintien de l’interdiction de la GPA.
2.1.4. L’autoconservation ovocytaire
La loi du 7 juillet 2011184 a autorisé la technique de congélation ultra‐rapide des ovocytes, dite vitrification, qui consiste à les plonger quelques secondes dans l’azote liquide à ‐196° et assure ainsi une meilleure préservation de la qualité des ovocytes conservés185.
Actuellement, l’autoconservation des ovocytes est autorisée dans deux types de situations. Depuis la loi de 2004, une femme atteinte d’une maladie qui la contraint à être exposée à un traitement susceptible d’altérer sa fertilité peut conserver ses ovocytes pour préserver ses chances d’avoir en enfant malgré ce traitement186. De plus, depuis la loi de 2011, une femme qui n’a jamais eu d’enfant et donne ses ovocytes peut utiliser à des fins personnelles la partie résiduelle des ovocytes conservés.
La vitrification rend envisageable une autoconservation des ovocytes à des fins de prévention de l’infertilité liée à l’âge. Elle consiste à prélever les ovocytes d’une femme, idéalement âgée de moins de trente‐cinq ans, puis de les vitrifier pour les soustraire au passage du temps, et enfin, une fois le projet de maternité de cette femme prêt à être mené, à les féconder avec les gamètes de son partenaire, ou des gamètes issus du don en cas d’ouverture de l’AMP aux femmes seules ou d’infertilité du partenaire, avant de se voir implanter les embryons ainsi conçus. Ainsi, une femme pourrait, à un âge où sa fertilité a déjà commencé à décliner, concevoir un enfant avec ses gamètes. Concrètement, la femme est ainsi soumise à un protocole identique à celui d’une FIV, soit à une stimulation ovarienne puis à une ponction
183 Par un arrêt du 30 janvier 2018, la cour d’appel de Paris a rejeté une demande d’adoption plénière d’un enfant conçu par GPA en Inde formée par le mari du père biologique au motif que rien ne permettait d’appréhender les modalités selon lesquelles la mère ayant accouché avait renoncé définitivement à l’établissement de sa filiation, ni les conditions dans lesquelles l’enfant avait été remis au père.
184 Art. L.2141‐1 du CSP.
185 D’après l’Académie de médecine, la congélation lente n’offre qu’un taux de 10 à 12% de grossesse par embryon transféré contre plus de 40% après vitrification (V. Rapport sur la conservation des ovocytes, Académie nationale de médecine, 13 juin 2017, p. 6).
186 Art. L. 2141‐11 du CSP.
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chirurgicale de ses ovocytes, à ceci près qu’il est interrompu avant la fécondation des ovocytes qui sont vitrifiés et conservés pendant un temps indéterminé.
Les femmes françaises souhaitant actuellement conserver leurs ovocytes se rendent généralement en Grande‐Bretagne, en Belgique, en Italie, en Espagne et en République tchèque. En effet, cette pratique est autorisée dans de nombreux pays européens à l’exception de l’Autriche, la France et Malte. Hors Europe, elle est légale notamment au Brésil, aux États Unis, en Israël, au Canada et au Japon187.
Dans son avis n° 125 du 15 juin 2017, le CCNE s’est prononcé contre l’autorisation de cette technique. Toutefois, en son sein, une position divergente a été énoncée.
L’Académie nationale de médecine a émis quant à elle un avis favorable le 13 juin 2017.
Sur le plan juridique, l’éventuelle autorisation de cette technique aux fins considérées n’apparaît pas contraire aux principes bioéthiques. Il s’agit seulement de les extraire d’un corps pendant une période donnée avant, le cas échéant, de les réintroduire dans le même corps après fécondation in vitro. Toutefois, dès lors qu’il s’agit de mettre une technique médicale, qui n’est pas sans risque, au service d’une demande sociétale, il convient de mesurer les bénéfices qui en sont attendus et les risques susceptibles d’être encourus.